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Afrique du sud : Steve Biko, la conscience noire

D 11 octobre 2010     H 04:05     A Mariam Seri Sidibe     C 0 messages


Le 12 septembre 1977, Steve Bantu Biko meurt seul dans la
cellule de la prison centrale de Pretoria, officiellement d’une
grève de la faim. En fait, c’est une lésion cérébrale
provoquée par la violence policière subie lors des interrogatoires.
Arrêté le 21 aout, roué de coups à plusieurs reprises, il était dans
un état très grave dès le 7 septembre. Il fallut attendre le 11
septembre pour que l’on recommande son transfert immédiat à
l’hôpital. La police choisit celui de Pretoria, soit à 1200 km de
distance. Dans un état comateux, il est transporté à l’arrière
d’une Jeep, nu à même le plancher. Un rapport des autorités
accusera, plus tard, les médecins de ne pas avoir décelé les
« lésions neurologiques » causées par « une chute accidentelle ».

Etudiant et militant anti-apartheid

Steve Biko est né en 1946 à King William’s Town, dans la
province du Cap. Son père, militant actif, est assassiné par un
policier blanc en 1951. Son frère ainé est arrêté en 1963. Steve
est donc très tôt confronté à la politique raciste et imprégné de
militantisme. Il étudie à l’Université de médecine du Natal, où il
est élu au Conseil Représentatif des Etudiants Noirs. Il est aussi
délégué, en 1967, à la Conférence de la National Union Of South
African Student (NUSAS) à l’Université de Rhodes. Mais révolté
par sa condition de Noir-e-s dans l’Afrique du Sud de l’Apartheid,
il rompt rapidement avec le libéralisme et la diversité multiraciale
prônée par la NUSAS, dont il remet en cause le paternalisme
blanc. La question de l’émancipation des Noir-e-s et de leur prise
de conscience est désormais au coeur de son discours.
En 1969, à l’Université du Nord, il participe à la fondation du
South African Students Organisation (SASO) et en devient le
premier président élu. Le SASO est l’un des principaux
représentants du Black Consciousness Movement (BCM) dont
Biko était l’initiateur. Biko et le BCM critiquent l’ANC et les libéraux
blancs, préconisant une émancipation des Noirs par eux-mêmes,
en affirmant que, même s’ils sont de bonne volonté, les Blancs ne
peuvent comprendre entièrement le point de vue des Noirs sur la
lutte à mener. Il se prononce contre l’intégration entre Noir-e-s et
Blancs, se déclarant contre « le fait qu’une minorité de colons
impose en système entier de valeurs aux peuples indigènes ».
Pour lui, la « libération psychologique » doit précéder la
« libération psychique » : les Noir-e-s ne peuvent se libérer
politiquement de l’apartheid que s’ils cessent de se sentir
inférieurs aux Blancs.

Conscience et fierté noires

La pensée de Biko est fortement influencée par les grands
leaders africains-américains tels que W.E.B DuBois, Marcus
Garvey (père du Panafricanisme et fondateur de l’UNIA), Malcolm
X (son guide spirituel), Alain Locke, Frantz Fanon et les penseurs
de la Négritude Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor.
L’idée que les Noirs puissent ainsi déterminer de leur propre
destin et le principe de la fierté de la conscience noire eurent un
grand retentissement alors que les lois d’apartheid étaient à
l’apogée de leur mise en oeuvre. Biko développe cette doctrine en
adaptant le slogan des Black Panthers Party « Black Is
Beautiful ». Attentif à la pensée de Gandhi et de Martin Luther
Kikg, il emploie des techniques de non violence, mais davantage
en tant que moyen stratégique efficace de lutte face à un état
répressif de l’état ségrégationniste que par conviction pacifiste.

Répression

En 1972, la SASO se prononça contre toute coopération avec
les leaders noirs impliqués dans le système de l’apartheid. Biko
qualifie même de « collaborateurs » les modérés travaillant à
l’intérieur du système ou ceux qui prônent de tels
rapprochements, et fait entériner une idéologie radicale. La
même année, Biko lance le Black Peoples Convention (BPC),
version post-étudiante de la SASO.
En 1973, il est détenu sous l’accusation de terrorisme avec
d’autres membres de la Conscience Noire, alors que les écoles
sont petit à petit politisées par les membres de son organisation
et que se développent les tentatives de boycott et de fermetures
des écoles réservée aux noirs, soumises à enseigner en Afrikaans
(langue des colons d’origine germanique). Biko est alors banni et
assigné à résidence dans sa région du Cap-Oriental. Empêché de
tenir des discours en public et de parler à plus d’une personne à
la fois, il parvient tout de même à faire circuler ses déclarations
qui sont lues en public, dans des stades lors de match de foot.
Dans le même temps, le désir d’émancipation des jeunes noirs lui
fournit de plus en plus de militants qui rejettent les principes de
modération et d’intégration de leurs parents.
En juin 1976 ont lieu les soulèvements populaires dans tous
les townships du pays, à mesure que se durcit la répression des
forces de sécurité et, notamment, la révolte des écoliers contre
l’imposition de l’éducation en afrikaans, ce qui aboutira aux
massacres des écoliers de Soweto.

Un meurtre impuni

Biko sera mis au secret pendant 101 jours mais, bravant les
interdictions de séjour, il parcourt tout le Cap-Oriental à la
rencontre des noirs. C’est alors qu’il sera arrêté le 21 aout 1976.
Les conditions de cette arrestation et son décès brutal sont l’objet
d’une polémique internationale qui débouche sur la condamnation
du régime sud-afrcain. A l’ONU, le Conseil de sécurité votera les
Résolutions 417 (31 Otobre 1977) et 418 (4 Novembre 1977).
Cette dernière impose un embargo sur les ventes d’armes à
destination de l’Afrique du Sud.
Les policiers concernés ne reçoivent qu’un blâme dans un
premier temps alors que les médecins impliqués sont pris à partie
par leurs collègues. La police finira par confesser le meurtre à la
Commission Vérité et Réconciliation à la fin des années 1990,
dont le Président Mgr Desmond Tutu, avait assuré le prêche lors
des funérailles de Biko. Le 7 octobre 2003, la justice sud-africaine
renonce à poursuivre les 5 policiers pour « manque de preuve et
absence de témoins ».

Biko, à l’instar de Malcolm Shabazz, avait commencé à réviser
son point de vue sur sa fréquentation des blancs tout en restant
ferme sur le fait que l’émancipation des noirs sera l’oeuvre des
noirs par eux-mêmes. Son combat doit être compris comme un
combat contre la classe dominante capitaliste, au delà de la
question raciale.

Mariam Seri Sidibe


A LIRE

« Steve Biko », poème de Jean Mettelus en hommage à Steve
Biko, dans le recueil « Voix Nègres, voix rebelles » - Editions Le
Temps des Cerises.

« Vie et Mort de Steve BIKO » par Donalds Woods, Editions
Stock 1978.