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Afrique du Sud : Un autre regard

D 15 juin 2010     H 12:41     A Bertold de Ryon     C 0 messages


Un pays va se célébrer lui-même. Comme il est inévitable en pareilles circonstances, les yeux du monde seront tournés vers l’Afrique du Sud, du 11 juin au 11 juillet, pendant que la Coupe du monde de football se dispute dans ce pays de 49 millions d’habitants. Ce sera l’occasion de mettre en avant les succès de la « nation Arc-en-ciel » (ce terme un peu lyrique étant, aujourd’hui, beaucoup plus répandu en dehors de l’Afrique du Sud, qu’au pays lui-même).

Au niveau politique, une avancée importante n’est certes pas à nier. Depuis les premières élections dites « multiraciales » en 1994, l’Apartheid avec ses 1.700 lois réglant en détail la ségrégation « raciale », appartient définitivement au passé. Le pouvoir est passé des mains de l’ancien régime uniquement « blanc » au gouvernement de l’ANC (Congrès national africain), un parti « mixte », mais dont les Noirs forment l’essentiel de la base.

Ce n’est pas rien. Cependant, tout n’est pas réglé pour autant pour la masse de la population noire opprimée. Loin s’en faut. Sur le plan économique et social, l’Afrique du Sud passe aujourd’hui pour le deuxième pays le plus inégalitaire du monde, celui où les écarts de richesse sont parmi les plus grands. Et cette répartition entre richesses et pauvreté demeure profondément « racialisée ». 90 % des terres agricoles appartiennent à des Blancs. Il existe un sous-prolétariat blanc (« white trash »), cependant il n’y a que 03,6 % de la population blanche à vivre en dessous du seuil de pauvreté, contre pas moins de 49 % des Noirs sud-africains. A ce niveau, le changement essentiel de l’ère post-Apartheid n’a pas été l’amélioration des conditions de vie du plus grand nombre, parmi les Noirs et au-delà. Il réside plutôt dans la montée rapide d’une petite élite « noire », d’une bourgeoisie affairiste et s’enrichissant grâce aux liens avec le pouvoir politique et (bien souvent) grâce à la corruption. Cette nouvelle bourgeoisie a laissé la grande majorité de la population noire, dont elle est issue, derrière elle. D’autant plus grandes sont les frustrations de nombreux habitants. Les inégalités criantes engendrent d’ailleurs une criminalité extrême et souvent excessivement violente.

Cependant, l’approche de la Coupe du monde a eu des effets bénéfiques pour une partie des travailleurs et des pauvres. Non pas à cause de la seule joie de voir leur pays organiser les matchs : quand un billet d’entrée coûte dix salaires hebdomadaires d’un travailleur pauvre, il pourra tout au plus suivre la Coupe à la télévision, comment si elle se déroulait à l’autre bout du monde. Non pas, non plus, à cause des miettes tombées de la table des riches. Mais, avant tout, à cause de l’amélioration des conditions de lutte qu’a favorisée l’approche du championnat.

En juillet 2009, déjà, c’étaient 70.000 travailleurs occupés à ériger les six nouveaux stades pour la Coupe de monde (dont une partie construite par BOUYGUES) qui entrèrent en grève, pour améliorer leurs conditions salariales. Les maîtres d’œuvre étaient pressés de faire avancer les travaux, soucieux de les voir prendre du retard. Ainsi ils ont dû lâcher du lest. Au petit matin du 14 juillet 2009, un accord salarial a été conclu, ouvrant la voie à la reprise du travail.

Depuis février 2010, plusieurs grands mouvements sociaux des habitants ont eu lieu dans les « townships » (bidonvilles) pour demander l’amélioration des conditions de vie. Le 14 avril, la Chambre du commerce sud-africaine (SACCI) s’est déclarée « soucieuse » de la grève massive des salariés des services communaux. La veille, 130.000 d’entre eux et elles avaient entamé une grève à l’appel du syndicat SAMWU, paralysant les transports locaux. Dans plusieurs villes telles que Johannesburg ou Cape Town, des « services d’urgence » ont dû être créés pour garantir l’approvisionnement des magasins pendant les préparatifs à la Coupe. En parallèle, des négociations salariales ont été ouvertes avec le SAMWU. Le même jour, une rencontre eut lieu entre l’ANC (parti au gouvernement) et la COSATU, la confédération sud-africaine des syndicats qui lui était autrefois proche. La discussion a été décrite comme « sanglante » par des participants.

Le week-end des 15 et 16 mai, ce furent 46.000 salariés des transports qui ont commencé une grève dans les chemins de fer et les ports, exigeant une augmentation des salaires de 15 %, ensemble avec d’autres revendication. Les exportations (de métaux, de fruits, de vins…) étaient « paralysées » ou freinées pendant trois semaines. La grève s’est terminée le 27 mai par un accord salarial. Les syndicats luttent aussi contre des menaces de privatisation dans les transports.