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Manifs étudiantes en Afrique du Sud : le passé toujours présent

D 13 décembre 2016     H 05:29     A Kim Harrisburg     C 0 messages


Deux morts, une multitude d’arrestations et de nombreux actes de violence commis par des forces de sécurité en réaction à des manifestations étudiantes ont semé le trouble en Afrique du Sud.

Alors que certains militants établissent des similitudes avec la brutalité policière de l’époque de l’apartheid, de nombreux étudiants estiment que leur combat en faveur d’une éducation abordable et de qualité s’inscrit dans la lignée de la longue lutte pour la justice raciale et économique en Afrique du Sud.

Le 26 octobre 2016, des milliers d’étudiants, d’universitaires et de militants de toute la province du Cap oriental se sont réunis devant le parlement à Cape Town pour réclamer une éducation gratuite et décolonisée en Afrique du Sud.

« On fuit ces camps de réfugiés que l’on appelle townships (cités noires) pour se retrouver dans des universités où on nous refuse une éducation », a déclaré un porte-parole étudiant à la foule.

Quelques heures plus tard, un cercueil en carton enflammé arborant le nom du ministre sud-africain de l’Éducation supérieure, Blade Nzimande, était lancé sur des policiers. Peu après, des grenades assourdissantes, des balles en caoutchouc et des pierres dispersaient la foule, perpétuant ainsi les violents affrontements entre manifestants et forces de l’ordre sud-africaines qui ont débuté il y a presque un an, lorsque les premiers mouvements de protestation, sous le slogan #FeesMustFall (les frais d’inscription doivent tomber), ont gagné en popularité.

En 2015, les étudiants réclamaient notamment le gel des droits d’inscription à l’université qui devaient augmenter de 10 à 12 % l’année universitaire suivante.

Selon des données statistiques du Conseil de l’éducation supérieure d’Afrique du Sud datant de 2013, à peine 16 % de la population noire sud-africaine va à l’université, alors que 54,7 % des Blancs s’y rendent, de même que 47,4 % des Sud-Africains d’origine indienne et 14,2 % de toutes les personnes de couleur (métis).

Les différences entre les taux de participation s’expliquent par l’argent. Les effets des fortes inégalités économiques codifiées par des siècles de domination blanche se font toujours ressentir à l’heure actuelle. Dans un pays où environ la moitié de la population vit dans la pauvreté, les frais d’inscription à l’université, qui peuvent aller jusqu’à 30.000 rands sud-africains (environ 2.250 USD), rendent l’éducation supérieure hors de portée pour la plupart des habitants.

Après des semaines de manifestations, à la fin du mois d’octobre 2015, le gouvernement a accepté de geler les droits d’inscription pour 2016. Néanmoins, les récentes propositions de plafonner la hausse des frais à 8 % pour 2017 ont déclenché la dernière salve de protestations en octobre de cette année.

Décoloniser l’éducation

Toutefois, les protestations ne portent pas uniquement sur le coût de l’éducation. Les étudiants remettent aussi en cause le type d’éducation qu’ils reçoivent et réclament la décolonisation des universités sud-africaines, en faveur de théories davantage centrées sur l’Afrique et d’un plus grand nombre d’universitaires noirs. Ils exigent aussi de renommer des immeubles ou de supprimer des monuments tournés vers le passé colonial et ségrégationniste du pays.

Les étudiants ont remporté une importante victoire le 9 avril 2015, lorsqu’une statue de Cecil Rhodes a été retirée de l’Université de Rhodes.

Les manifestants réclament aussi la fin de l’externalisation des travailleurs universitaires et de meilleures conditions de travail pour le personnel de l’université.

Alors que les manifestations se poursuivaient, elles sont devenues de plus en plus violentes et les universités ont réagi en instaurant ce que d’aucuns nomment une « sécurité militarisée ».

Certains rapportent que des gardes de sécurité privés et des membres des forces de l’ordre se livrent à du profilage racial et agressent physiquement des étudiants. La situation dégénère aussi du côté des manifestants – le feu a été mis à des immeubles et à des véhicules, des pierres ont été jetées sur des gardes de sécurité et sur des policiers, et dans une université, le vice-recteur aurait été agressé.

Jane Duncan, une enseignante en journalisme à l’Université de Johannesburg, voit plusieurs raisons à la violence plus marquée des manifestations d’étudiants de cette année par rapport à 2015, mais l’adoption par les universités de ce qu’elle appelle une « approche sécurisée » des manifestations joue un rôle essentiel.

Pour autant, nombre d’universités refusent de revenir sur leur décision d’engager des sociétés de sécurité privées en qui elles voient une réponse à la hausse de la violence, et non sa cause.

« L’une des principales raisons est que nous pouvons demander aux sociétés de sécurité privées de respecter nos règles et nos protocoles, chose que nous ne pouvons pas exiger des forces de l’ordre », explique Elijah Moholola, le porte-parole de l’université de Cape Town (UCT).

« Ils ne sont pas armés. Avant de partir en ronde, les règles et les protocoles de l’UCT sont rappelés aux équipes à qui il est surtout demandé de chercher une solution négociée aux situations de conflit, de désamorcer les tensions et de ne recourir aux contraintes et aux contacts physiques qu’en dernier ressort. »

Répondre à la violence par la violence est une idéologie récurrente et inquiétante dont se réclament de nombreux manifestants et policiers. « Je ne pense pas que ces vandales [les manifestants qui ont commis des actes de violence] soient des étudiants », déclare Thanduxolo Mngqawa, un militant étudiant et fondateur d’Inkululeko in Mind, une organisation d’émancipation des jeunes dans le township de Khayelitsha de Cape Town.

« Les étudiants savent bien ce qu’ils veulent [une éducation universitaire gratuite], mais les autorités ont réagi avec la même stratégie que l’année dernière : la militarisation des campus. Les politiques prônant une réponse policière aux protestations doivent être changées », explique encore Thanduxolo Mngqawa qui a lui-même été blessé par la police lors des récentes manifestations.

Shaeera Kalla, l’ancienne présidente du Conseil représentatif des étudiants de l’Université de Witswatersrand (Wits) à Johannesburg et l’une des dirigeantes du mouvement #FeesMustFall, a déclaré que même si elle a été touchée à 13 reprises dans le dos par des balles en caoutchouc des forces de l’ordre nationales lors d’une manifestation le 20 octobre, elle ne voit pas la police ou les gardes de sécurité privés comme des ennemis.

« Notre combat est une lutte ouvrière. Les Noirs, hommes et femmes, qui travaillent dans les forces de l’ordre ou pour les sociétés de sécurité privées sont victimes d’un système violent qui veut piéger les pauvres dans une lutte pour obtenir des miettes de la table des nantis », a-t-elle expliqué.

« Eux aussi, ils sont victimes de l’humiliation et du manque de dignité de ce système. Nous nous battons pour eux et pour leurs enfants, pour qu’ils puissent eux aussi franchir les portes ouvertes de l’apprentissage », a encore déclaré Shaeera Kalla.

La suite : des demandes plausibles

Malgré la résistance aux exigences des étudiants, l’appel en faveur d’une éducation tertiaire gratuite n’est pas impossible, estime Ayesha Kajee, une analyste politique et ancienne conférencière à l’Université Wits.

« Il faudrait pour cela disposer de la volonté politique pour modifier comme il se doit les systèmes politiques fiscaux et budgétaires, et pour effectuer un changement au niveau de la répartition et du suivi des dépenses de l’État en général. Actuellement, la gestion est tellement mauvaise et les niveaux de corruption au sein de l’État sont tels que l’on s’approche de la kleptocratie », a confié Ayesha Kajee aux journalistes d’Equal Times.

Elle participe à un forum de discussion informelle entre étudiants, universitaires, membres du personnel et personnes intéressées, appelé October 6, qui discute et agit contre la violence sur les campus universitaires sud-africains.

Le 6 novembre 2016, l’Université de Cape Town a signé un accordavec les dirigeants étudiants garantissant la clémence aux manifestants et contenant un engagement à décoloniser les politiques d’éducation pour autant que les dirigeants étudiants coopèrent et s’engagent en faveur du bon déroulement de l’année académique.

Certains dirigeants étudiants, comme Shaeera Kalla, sont sceptiques, mais ils veulent que les choses avancent. « On ne peut pas continuer seuls », explique-t-elle. « Avoir la société derrière nous implique que nous cessons de nous battre dans nos universités et que nous recentrons la lutte d’où elle vient, c’est-à-dire vers le gouvernement. »

Les autorités ont commencé à répondre aux récentes manifestations en publiant un rapport intérimaire sur la faisabilité d’une éducation supérieure et d’une formation gratuites en Afrique du Sud. Le 3 novembre, le président Zuma s’est timidement engagé à « étudier le rapport et à donner des indications sur la marche à suivre » d’ici le 30 juin 2017. D’ici là, les droits d’inscription vont probablement augmenter de 8 % en 2017 et le gouvernement aidera les étudiants financièrement vulnérables pour qu’ils continuent de payer les taux de 2015.

Les étudiants savent que la bataille n’est pas finie, mais ils voient à long terme. Pour les manifestants, il s’agit de garantir un meilleur avenir aux générations futures. « L’Histoire est une chaîne ininterrompue », continue Shaeera Kalla, « et en Afrique du Sud, notre histoire est un cauchemar dont on essaie toujours de se réveiller ».

Kim Harrisburg – Equal Times

Cet article a été traduit de l’anglais.

Source : http://www.anti-k.org