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Crise politique et sociale prolongée à Madagascar

Entretien avec José Randrianasolo[1].

D 21 novembre 2012     H 05:42     A José Randrianasolo     C 0 messages


Afriques en lutte : Quelques mots sur la Fisema ?

José Randrianasolo. Elle est issue de la CGT de Madagascar qui
a été créée en 1936 ; on a « malgachisé » le nom en 1956, mais
aussi les dirigeants à cette époque-là. Donc la Fisema est une
organisation nationale depuis 1956, mais elle a toujours gardé des
liens forts avec la CGT de France.
Nous sommes une confédération, composée de 8 fédérations dont
la majorité est dans le secteur privé, mais nous avons aussi une
Fédération dans la fonction publique.

AEL. Peux-tu nous parler aussi de la CTM ?

J. R. La CTM (Conférence des travailleurs de Madagascar) a été
mise en place en 1997. C’est suite aux vagues de licenciements,
occasionnées par le désengagement de l’Etat sous la contrainte de
la Banque Mondiale, puisque à l’époque l’ajustement structurel des
différentes sphères de l’économie impliquait la privatisation de pans
entiers de l’Etat et correspondait à une politique mondiale.
Madagascar a été obligé de suivre le pas et on a donc licencié une
grande majorité des travailleurs des entreprises publiques et
nationalisées. La CTM a été ainsi créée pour représenter les droits
et les intérêts des travailleurs de l’époque. C’est donc une
plateforme composée de plusieurs syndicats appartenant à
plusieurs confédérations syndicales dont la Fisema.

Avec l’évolution progressive des propositions et de l’orientation, elle
est toujours la plateforme la plus représentative et également
reconnue par le patronat, l’Etat dans toutes ses composantes, mais
aussi les partenaires techniques et financiers présents à
Madagascar, comme le FMI, la Banque Mondiale que nous voyons
régulièrement pour des échanges de vue sur la situation
économique du pays, la situation sociale et les conditions de vie des
travailleurs.

AEL. Justement où en est la situation sociale à
Madagascar ?

J. R. Il y a une forte crise dans le secteur public depuis l’avènement
de Rajoelina. Il y a eu beaucoup de promesses pour l’amélioration
des conditions de travail des fonctionnaires et des agents assimilés
fonctionnaires, mais jusqu’à présent ces promesses n’ont pas été
tenues. Il y a les professeurs de l’enseignement supérieur, les
magistrats, les médecins et les paramédicaux, aussi les enseignants
des collèges et lycées ; cela constitue le gros morceau des
mobilisations sociales.
Ils représentent, avec les salariés du secteur médical, près de
80 % de la fonction publique.
Il y a eu de premières négociations en 2009, où les salariés ont
proposé un réalignement des salaires, des indemnités et des primes
de risque ainsi que d’autres primes. Le ministre de la Fonction
publique de l’époque leur a fait savoir que leurs revendications
étaient légitimes et leur a donné son accord, mais compte tenu de
la situation économique du pays d’alors, il a repoussé les premières
mesures à 2011, mais en 2011 rien n’a été inscrit au budget
national. Depuis, il n’y a pas de reprise des négociations sur ce
qu’il est possible de faire, le ministre, le gouvernement et le
Premier ministre font la sourde oreille. C’est donc normal qu’il y
ait une réaction des fonctionnaires quand on les maltraite, mais
en même temps il faut souligner les retombées négatives pour
les populations, notamment pour l’éducation des enfants et
également les conséquences sur la santé des patients. Donc,
d’un côté il y a les revendications légitimes des fonctionnaires
et, de l’autre il y a l’impact négatif de leurs actions, ainsi par
exemple le programme scolaire 2012 est extrêmement perturbé
avec un risque d’année blanche, même si les examens ont été
reportés au mois d’août 2012.

AEL. Qu’est-ce que la cellule de crise des
fonctionnaires ?

J. R. C’est une structure de lutte des fonctionnaires.
Il y a deux niveaux : Les grands commis de l’Etat qui ont leurs
syndicats respectifs et se regroupent au sein de la
Confédération des syndicats des grands corps de l’Etat : les
juges, les médecins, les inspecteurs du travail, les syndicats des
enseignants, chercheurs de l’enseignement supérieur, les
administrateurs civils, les douaniers…
En second lieu, il y a les fonctionnaires qui ne sont pas les
grands commis de l’Etat, les contrôleurs, les assistants, ce sont
eux qui ont dirigé la cellule de crise.
Au niveau de la fonction publique il y a une plateforme, y
compris avec ceux des grands corps de l’Etat, qui coordonnent
les actions des fonctionnaires

AEL. Qu’en est-il des luttes dans les grands chantiers et
les mines ?

J. R. Ce sont des conflits essentiellement liés aux salaires.
Plus généralement, le problème pour le secteur minier est que
nous n’avons pas les compétences nécessaires pour travailler
sur ces gros chantiers.
Avec la mise en place du QMM[i], des sous-traitants étrangers
sont venus massivement et ont investi une main-d’oeuvre
asiatique, philippine, thaïlandaise qui ne va pas sans poser de
problèmes au niveau national.
Nous considérons que c’est une faute politique des pouvoirs
publics malgaches.
Ce que nous leur reprochons aussi c’est qu’au niveau de Sheritt
(Ambatovy S.A.)[ii] ils ont fait des appels d’offres
internationaux pour des recrutements, y compris malgaches,
mais, chez nous les Malgaches ne sont pas payés aux tarifs
internationaux, mais aux tarifs nationaux et, évidemment, cela
crée des frustrations chez les travailleurs malgaches et c’est
l’Etat même qui dit aux entreprises étrangères de ne pas
appliquer les tarifs internationaux pour les Malgaches.

AEL. En ce qui concerne le conflit politique qui dure depuis
3 ans maintenant entre Rajoelina et Ravalomanana, où en
est-on ?

J. R. On est un peu désespéré, du moins au niveau du mouvement
syndical. Le désespoir commence à s’installer étant donné que sur
le plan économique et sur le plan social rien ne marche.
Nous, en tant qu’organisation syndicale, nous défendons le fait que
les sanctions ne doivent pas toucher tout le monde, mais cibler les
vrais responsables des crises politiques.
Car actuellement, les sanctions décidées par la « communauté
internationale » (Union européenne, Union africaine, Etats-Unis,
etc.) pour fait de coup d’Etat, ont des conséquences désastreuses
sur la situation économique du pays et des couches populaires :
fermetures des petites entreprises, chômage et sous-emploi massif
des salariés, désastre sanitaire, etc.
Dans l’administration, c’est la corruption qui gagne du terrain, il y a
de l’insécurité dans le pays ; le phénomène de Dahalo (vols de
boeufs) a pris une telle ampleur que la population – notamment du
Sud – vit en permanence sur le qui-vive. Les négociations entre les
protagonistes piétinent et l’intervention de la communauté
internationale, en particulier celle de la SADC (Communauté de
développement d’Afrique australe), ne donne pas beaucoup de
résultat jusqu’à présent[iii]. Au stade actuel, les points de la feuille
de route qui ont été réalisés sont la mise en place de la commission
électorale nationale indépendante de la transition (CENI-T) et la
fixation d’un calendrier électoral pour l’année prochaine.

AEL. S’agissant des élections, le premier tour est prévu le 8
mai 2013, on devrait fusionner la présidentielle et les
législatives ?

J. R. Oui, effectivement pour la présidentielle, le premier tour est
fixé au 8 mai 2013 et le second, s’il y en a un, devrait se tenir vers
le mois de juillet, en même temps les législatives. Les élections
municipales, elles, sont prévues vers le mois de novembre.
Le fond du problème est qu’il n’y a pas de parti qui serait en
mesure de sortir le pays de la situation actuelle. C’est pour cela que
je pense que les deux partis, le TIM de Marc Ravalomanana[iv] et
le TGV d’Andry Rajoelina[v], ont de l’influence, mais la population
ne leur fait pas confiance. En fait, celui qui émerge un peu
actuellement c’est le Parti des Verts qui commence à s’organiser
sérieusement pour préparer les campagnes.

AEL. D’où vient le Parti Vert ?

J. R. C’est un parti relativement récent car fondé durant la crise. Ils
ont des réseaux en Afrique et ont des relations avec les partis verts
internationaux. Ils sont plus ou moins soutenus, au niveau
continental et international. C’est aussi, peut-être, un produit de la
mondialisation. Ils sont plus organisés.

AEL. Est-ce qu’il y a eu des débats à l’intérieur des
organisations syndicales, pour présenter des candidatures
qui seraient les porte-paroles des travailleurs et de la
population ?

J. R. On n’a pas discuté de cette question, on travaille plus pour la
mise en place d’un conseil économique, social et culturel et on
pense plutôt influencer la politique économique et sociale de l’Etat à
travers des structures plus appropriées que se hasarder dans la
politique politicienne.
La politique à Madagascar a été trop galvaudée, il y aurait de
grandes difficultés pour être crédibles ; en fait, le mouvement
syndical s’oriente plus dans une lutte pour le plein emploi, le
bien-être des travailleurs ainsi que leurs droits et intérêts,
évidemment.

AEL. On a l’impression que la situation politique se
résume à un conflit entre milliardaires qui se disputent
le pouvoir et que la population est simplement
spectatrice.

J. R. Voilà la vraie toile de fond du problème, alors qu’on n’a
pas les moyens de changer la donne car non seulement ils ont
des moyens financiers mais aussi ils bénéficient des soutiens du
réseau de l’armée.
Il faut bien voir qu’à Madagascar, la société est complètement
désorganisée avec les pertes d’emplois, l’augmentation du
secteur informel ; les gens n’ont plus confiance en leurs
organisations. Voilà certaines facettes des problèmes pour les
organisations syndicales.
De plus concourir à des postes politiques, cela demande
beaucoup d’argent et comme nous sommes, financièrement,
assez faible, même si on arrive à faire passer de bons
messages vis-à-vis du secteur informel et des travailleurs
indépendants, on n’est pas du tout assurés d’avoir des places à
la députation.
Mais il y a aussi un autre candidat indépendant potentiel, le
pasteur Mailhol qui, à partir de ses prophéties datant de
1996/1997, commence à avoir de l’audience. Depuis l’année
dernière, il a créé son propre parti et commence à faire des
tournées dans les villes de Madagascar avec beaucoup de
succès.

AEL. Tu crois que cette candidature peut prendre de
l’ampleur ?

J. R. Oui, il est en train de fonder des églises partout dans
toutes les villes, il y a beaucoup de gens, y compris des
militaires, des gens haut placés, des commis de l’Etat qui le
suivent ; donc évidemment cela devrait faire réfléchir.

(Propos recueillis par Paul Martial)


Quelques dates clefs

 1947 (29 mars) : insurrection à Madagascar qui sera réprimée
par l’armée française faisant des dizaines de milliers de morts
dans tout le pays. (100 000 reconnus dès 1947 par la
hiérarchie militaire même de l’époque.)
 1960 (26 juin) : Indépendance néo coloniale de Madagascar.
 2001 : Ravalomanana, maire de la capitale, Antananarivo,
gagne l’élection présidentielle et parvient au pouvoir grâce à la
mobilisation populaire qui fait échec aux fraudes électorales du
régime de Didier Ratsiraka.
 2009 : Rajoelina, maire d’Antananarivo, s’empare du pouvoir en
utilisant la mobilisation d’une partie de la population et le
soutien de l’armée. Depuis, une crise est ouverte avec des
conséquences économiques et sociales dramatiques pour les
populations.


Notes

[1] Secrétaire Général de la FISEMA (Confédération générale des syndicats de travailleurs de Madagascar) et coordinateur de la
CTM (Conférence des travailleurs de Madagascar, plateforme syndicale)

[i] QMM. QIT Madagascar Minerals (QMM), chantier avec une participation de 80% par Rio Tinto et de 20%
de l’Etat malgache.

[ii] C’est le plus chantier d’extraction de Madagascar. Sheritt est une compagnie australienne immatriculée au
Canada. « D’ici peu et pendant les trois décennies à venir, la production annuelle d’Ambatovy s’élèvera à
60 000 tonnes de nickel raffiné et 5 600 tonnes de cobalt raffiné. Ambatovy est bien placée pour devenir d’ici
2013-2014 la plus grande mine de nickel latéritique du monde », selon le site internet du projet de Sherritt
International Corporation.

[iii] le sommet de la SADC à Maputo les 17-18 août 2012 a juste réitéré ses décisions déjà prises durant le
sommet de Luanda d’août 2011 et « a demandé au médiateur de la SADC d’intensifier le dialogue entre les
principaux acteurs politiques malgaches pour appliquer la feuille de route de septembre 2011 dans son
intégralité et de prendre en urgence les dispositions nécessaires pour assurer l’exécution intégrale et urgente de
cette dernière et aussi pour créer un environnement favorable pour des élections libres, justes, et crédible ».

[iv] Tiako i Madagasikara (« J’aime Madagascar »).

[v] Tanora malaGasy Vonona ou TGV (« Jeunes Malgaches prêts »).