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Madagascar : Déclaration publique

D 14 octobre 2011     H 04:53     A Amnesty International     C 0 messages


Déclaration publique
samedi 8 octobre 2011
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Index AI : AFR 35/001/2011
7 octobre 2011

Madagascar. Les droits humains doivent être au cœur de la feuille de route pour sortir de la crise Amnesty International demande aux autorités de transition malgaches de se soucier davantage des violations persistantes des droits humains, et de veiller à ce que le respect et la protection de ces droits ainsi que la lutte contre l’impunité soient au centre de la mise en œuvre de la feuille de route de sortie de crise, signée par les dirigeants politiques malgaches le 17 septembre 2011.

Amnesty International craint que des membres des forces de sécurité malgaches, dont la police, la gendarmerie et d’autres organes créés par la Haute autorité de la transition (HAT) ne continuent à se rendre coupables de graves violations des droits humains, dont des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture et des arrestations et placements en détention illégaux.

L’organisation est particulièrement préoccupée par les informations faisant état de l’exécution extrajudiciaire de délinquants présumés par des membres des forces de sécurité malgaches. C’est le cas de trois personnes abattues le 8 septembre 2011 vers 10 heures du matin sur le boulevard de l’Europe à Antananarivo, la capitale, par des membres du Groupe d’intervention rapide (GIR), une unité de la police malgache. Des témoignages recueillis par des délégués d’Amnesty International à Antananarivo indiquent que le GIR a recouru à une force excessive contre ces trois hommes, qui n’étaient semble-t-il pas armés lorsque cette unité de police les a abordés et qui ne lui auraient opposé aucune résistance. Ils se trouvaient à quelques mètres des policiers, qui ont ouvert le feu et les ont tués alors que, selon les déclarations de plusieurs personnes ayant assisté à la scène, ces agents auraient pu procéder à leur arrestation.

Amnesty International craint également qu’un chauffeur de taxi, Hajaharimananirainy Zenon, connu sous le nom de Bota, n’ait été torturé. Cet homme a été appréhendé par des membres de la Force d’intervention de la police (FIP) dans la nuit du 17 juillet 2011 dans le secteur de Vatobe- Ankasina, dans le quartier des 67 ha à Antananarivo. Il a semble-t-il été torturé par la police et est mort en détention. Des membres de la FIP ont ensuite déposé son corps à la morgue de l’hôpital général d’Antananarivo dans la matinée du 18 juillet 2011.

L’organisation s’inquiète par ailleurs de l’arrestation et du maintien prolongé en détention sans jugement d’opposants politiques, avérés ou présumés, à la Haute autorité de la transition. Certaines personnes appréhendées en 2009 se trouvent ainsi toujours en détention sans avoir été jugées. C’est le cas de Rakotompanahy Andry Faly, ancien stagiaire à la station de radio de Malagasy Broadcasting System (MBS) – qui appartenait à l’ancien président, Marc Ravalomanana –, arrêté avec trois autres employés de MBS à Antananarivo le 23 juin 2009 par des membres de la Commission nationale mixte d’enquête (CNME), un organe spécialement créé par la HAT. Ces quatre personnes ont été placées en détention à la prison de sécurité maximale de Tsiafahy le 7 juillet 2009. En juillet 2011, Andry Faly a été transféré à la clinique de la prison centrale d’Antanimora, à Antananarivo, où il se trouvait toujours en septembre 2011 bien que ses problèmes de santé requièrent des soins adaptés. Les autorités judiciaires ont rejeté toutes ses demandes de libération sous caution. Soupçonné d’avoir joué un rôle dans l’explosion de bombes artisanales dans divers secteurs d’Antananarivo à la mi-2009, il a été inculpé d’atteinte à la sûreté de l’État après son arrestation. Andry Faly était l’un des 18 détenus ayant mené une grève de la faim en détention en 2010 pour exhorter les autorités malgaches à organiser leur procès dans des délais raisonnables.

Les conditions de détention dans ce pays sont très dures et les droits des détenus ne sont pas respectés ni protégés. Les soins de santé, la nourriture et les installations sanitaires en détention sont insuffisants. Par exemple, quand les délégués d’Amnesty International se sont rendus à la prison centrale d’Antanimora à Antananarivo le 15 septembre 2011, les détenus étaient au nombre de 2 831 alors que cet établissement est censé en accueillir 800 maximum. La plupart étaient en détention provisoire. Les femmes sont séparées des hommes, mais certaines d’entre elles sont incarcérées avec leur bébé ou leurs jeunes enfants, ce qui met leur santé en danger, tandis que des détenues enceintes ne reçoivent pas les soins médicaux dont elles ont besoin. Les garçons mineurs sont incarcérés dans un établissement à part, mais les jeunes filles sont détenues au côté de femmes adultes.

Amnesty International demande aux autorités de transition malgaches de diligenter immédiatement une enquête indépendante et impartiale afin de faire toute la lumière sur les circonstances dans lesquelles ces atteintes aux droits humains et d’autres ont été commises. Les conclusions de cette enquête doivent être rendues publiques. Les membres des forces de sécurité malgaches et autres fonctionnaires ayant ordonné, cautionné ou commis des violations des droits humains doivent être traduits en justice. L’enquête doit par ailleurs recommander aux autorités des mesures visant à prévenir les violations des droits humains à l’avenir et à permettre que les victimes puissent recevoir des réparations justes et adaptées.

L’organisation déplore par ailleurs les atteintes au droit à un procès équitable dans les cas impliquant des opposants à la Haute autorité de la transition ou des personnes appartenant ou soupçonnées d’appartenir au parti politique de l’ancien président Marc Ravalomanana. Dans certains cas, les suspects ont été privés du droit d’être rapidement présentés à un juge ou d’être jugés dans des délais raisonnables ; dans d’autres, les accusés ont été privés du droit de se faire assister par un avocat.

Amnesty International est également préoccupée par le fait que certains organes, comme la Force d’intervention spéciale (FIS), effectuent des enquêtes, des arrestations et des placements en détention sans y être légalement habilités. L’organisation demande à la HAT de dissoudre immédiatement ces organes et de laisser les enquêtes sur les infractions pénales au système d’application des lois et au système de justice existants, en particulier à la police et au ministère public.

Si Amnesty International prend note des évolutions importantes ayant eu lieu sur le plan politique, à l’instar de la signature de la feuille de route, elle regrette que celle-ci fasse peu de cas de la situation des droits humains dans le pays. L’organisation demande à toutes les parties impliquées dans ce processus – dont les membres de la communauté internationale – de faire en sorte que le respect, la promotion et la protection des droits humains, ainsi que la lutte contre l’impunité pour les violations de ces droits aient une place de choix dans la mise en œuvre de la feuille de route.

Afin de favoriser la promotion, la protection et le respect des droits humains à Madagascar pendant cette période de transition et au-delà, Amnesty International demande aux institutions de transition malgaches d’élaborer une véritable stratégie en matière de droits humains dans le cadre de la feuille de route.

Les autorités de transition doivent :

 afirmer publiquement leur engagement en faveur de normes internationales en matière de droits humains, et mettre fin aux violations des droits humains que continuent à commettre certains organes responsables de l’application des lois ;
 garantir qu’une enquête prompte, approfondie et impartiale sera menée dans les meilleurs délais sur l’ensemble des atteintes graves aux droits humains, et que celles-ci donnent lieu à des poursuites devant un tribunal compétent, impartial et indépendant, dans le cadre de procédures respectant l’équité en la manière et sans que la peine de mort ne soit requise ;
 veiller à ce que les victimes de violations des droits humains commises durant la crise politique puissent obtenir l’aide de la justice et se voir accorder des réparations, sous forme de restitution, de réadaptation, d’indemnisation et de garanties de non-répétition ;
 prendre des mesures nécessaires pour s’assurer que la FIS et d’autres organes mis sur pied par la HAT soit dissous, et confier en conséquence leurs tâches à la police, à la gendarmerie et à l’armée nationale respectivement ;
 s’assurer que tout éventuel projet de loi d’amnistie ne couvre pas les crimes de droit international, que l’amnistie ne soit pas accordée aux auteurs présumés de violations des droits humains avant que les victimes n’aient obtenu justice en bénéficiant d’un recours utile, et qu’elle soit sans effet sur le plan juridique dans le cadre des procès intentés par les victimes faisant valoir leur droit à réparation ;
 avec le soutien de la communauté internationale, et en particulier du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, veiller à ce que la Commission nationale des droits humains dispose des ressources nécessaires et fonctionne efficacement.

Complément d’information

Le 17 septembre 2011, sous l’égide de la Communauté de développement de l’Afrique australe, les dirigeants politiques malgaches ont signé à Ivato, près de la capitale, Antananarivo, une feuille de route afin de trouver une solution à la crise politique que traverse leur pays. Cela a fait suite à plusieurs autres accords politiques ayant échoué, également signés par les politiciens malgaches dans le but de sortir de la crise actuelle.

De graves violations des droits humains, dont des exécutions extrajudiciaires, ont été commises dans le contexte de cette crise politique. En février 2010, Amnesty International a publié un rapport intitulé Madagascar : un urgent besoin de justice (Index AFR 35/001/2010) revenant sur des violations des droits humains perpétrées dans le pays du début de la crise politique, en décembre 2008, à janvier 2010. Ce document indiquait que de graves atteintes aux droits humains étaient commises par des membres des forces de sécurité malgaches - y compris sous l’ancien président Ravalomanana -, qui jouissaient d’une impunité quasi totale tandis que leurs victimes n’avaient pas accès à la justice, ni à des procédures équitables leur permettant d’obtenir réparation.

Une délégation d’Amnesty International a effectué une mission de recherche à Antananarivo du 9 au 22 septembre 2011. Les délégués ont constaté que la plupart des atteintes aux droits humains dénoncées dans les rapports précédents d’Amnesty International étaient perpétuées par des membres des forces de sécurité malgaches bénéficiant d’une impunité presque totale, et que les autorités n’avaient véritablement mis en œuvre qu’un très petit nombre des recommandations émises par l’organisation.

Les délégués d’Amnesty International ont pu rencontrer divers acteurs, dont des autorités nationales malgaches, et évoquer ces questions, ainsi que les résultats de leur mission, avec eux. Ils ont rencontré le Premier ministre, la ministre de la Justice, la ministre des Affaires étrangères, le ministre des Forces armées, le ministre de la Sécurité intérieure, dont dépend la police, et le ministre de la Communication. La délégation a également dialogué avec des diplomates en poste à Antananarivo, des représentants de l’opposition politique, des avocats, des journalistes ainsi qu’avec des victimes de violations des droits fondamentaux. Ils ont aussi participé à des réunions avec des membres du personnel des Nations unies et d’organisations non gouvernementales internationales et locales. Ils se sont par ailleurs rendus à la prison centrale d’Antananarivo.

Amnesty International

Index AI : AFR 35/001/2011