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MADAGASCAR : Main basse impérialiste sur les ressources

D 19 mai 2009     H 22:06     A Pierre Sidy     C 0 messages


L’actuelle crise malgache n’est pas réductible au conflit
des egos des businessmen Ravalomanana, président de
la République et chef d’église, et Rajoelina, maire
destitué. Après les changements de République ou de chefs
d’Etat de 1975 (Ratsiraka), 1991-1993 (Zafy) et 2002
(Ravalomanana), voici un nouveau pic de la crise de la
réorganisation tendancielle du procès néocolonial. Sur fond de
récupération de la contestation populaire, les rapports des
classes dirigeantes malgaches aux impérialismes rivaux se
trouvent à nouveau reformulés.

Exaspération populaire

La dérive autoritaire du régime
Ravalomanana s’est accélérée en 2007 avec
une réforme constitutionnelle renforçant le
pouvoir présidentiel. Comme ceux qui l’ont
précédé, il a constamment réprimé le
mouvement social. L’exaspération populaire
déborde quand Ravalomanana mélange la
caisse de son empire industriel et celle de
l’Etat au point que le FMI s’est senti obligé de
demander des comptes sur l’achat de l’avion
présidentiel « Force one 2 » pour 60 millions
de dollars alors que le pays demeure l’un des
plus pauvres au monde.
Droits des travailleurs ignorés dans les
zones franches, expulsion des paysans de
leurs terres par l’agrobusiness, liberté
d’expression de la société civile et des médias bafouée : la
logique libérale qui enrichit depuis des décennies une
minorité, appauvrit la population et brade les ressources
nationales est à l’origine de la colère populaire qui a conduit
aux émeutes de ces derniers mois. Cette puissante colère a
saccagé des symboles forts : les magasins du président, ses
médias privés ainsi que ceux de l’Etat qui sont à sa botte.

Crise politique exacerbée

Contre le cours corrompu et autoritaire en vigueur,
Rajoelina et son entourage ne proposent qu’une simple
alternance avec un personnel politique non issu d’un
processus électoral. Ils ont su instrumentaliser le
mécontentement populaire et Ravalomanana porte l’entière
responsabilité des répressions sanglantes des manifestations
dirigées contre lui. Pour autant, Rajoelina – réputé jouant la
carte Françafrique – a été irresponsable en envoyant la foule
prendre le palais présidentiel comme s’il y avait vacance du
pouvoir !
Après deux mois d’un bras de fer (plus de 130 victimes)
qui a tourné en sa faveur le 17 mars (avec l’appui de soldats
mutins qui s’avèrent être pour l’essentiel des membres de
l’ancienne garde présidentielle de l’« amiral rouge » Ratsiraka,
éjecté en 2002), Rajoelina s’est autoproclamé (avec la
complicité de la Haute Cour constitutionnelle) président d’une
Haute autorité de transition (vers une Quatrième république)
ou HAT, formée surtout de gens d’affaires et de politiciens
opportunistes. Les premières décisions du nouveau pouvoir
sont inquiétantes : suspension de l’Assemblée nationale et du
Sénat, rétablissement du français comme langue
d’enseignement etc.
La SADC (Afrique australe), l’Union africaine, l’Union
européenne et l’ONU ont condamné le coup d’Etat de
Rajoelina et aucun pays ne reconnaît le pouvoir qui en est
issu. Dès après le 17 mars, Ravalomanana s’est exilé en
Afrique australe d’où il mène une intense activité diplomatique
contre ses tombeurs. À son tour, Rajoelina fait tirer sur ses
opposants qui investissent la rue. Toute manifestation est
désormais interdite par la HAT avec le risque d’intensifier les
affrontements mais un retour à la donne d’avant le 17 mars
n’est plus viable et, vu la dégradation rapide de la situation,
toute militarisation de la crise est à dénoncer.

Pour une alternative sociale et démocratique

La majorité de la population n’est pas dupe des enjeux de
ce micmac politicien-affairiste ambiant. Multinationales et
puissances anciennes et/ou émergentes, alliées à leurs
clientèles locales respectives, rivalisent pour contrôler les
ressources foncières, minières et pétrolifères : Rio Tinto
l’ilménite et Sherrit le nickel ; 1,3 million d’hectares de terres
ont été promis à Daewoo pour faire de l’agrocarburant (avec
maïs et palmier à huile) tandis que la guerre pour gagner
l’exploitation du pétrole off-shore fait rage entre le français
Total, les firmes chinoises et d’autres et tandis que Bolloré
guigne la gestion du port à conteneurs de Toamasina.
Un partage du pouvoir se réalisera peut-être entre
certaines des principales fractions bourgeoises
(Ravalomanana, Ratsiraka, Zafy et Rajoelina) en compétition.
Pour la population, l’heure est à avancer ses propres
revendications : la rupture avec la logique libérale devra être
affirmée. Les vitalités syndicale et citoyenne sont un atout
mais les organisations qui enrichissent leur processus d’unité
(Conférence des travailleurs, Coalition paysanne, plateformes
et collectifs d’organisations citoyennes etc.) doivent faire
irruption sur la scène politique et mettre en avant les
revendications populaires : arrêt des spéculations sur les
produits de première nécessité, défense des terres paysannes
contre l’agrobusiness, travail décent, promotion du bien
commun (services publics, patrimoine et ressources
naturelles), liberté d’expression etc. L’enjeu désormais est
d’activer une force vive, indépendante et démocratique,
capable de défendre ces revendications et constituée par les
syndicats, les réseaux de société civile et les partis
progressistes.

Pierre Sidy