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Madagascar : NON A L’EXTRACTIVISME

D 19 novembre 2014     H 05:54     A Collectif pour la Défense des Terres Malgaches TANY     C 0 messages


La richesse de Madagascar en ressources naturelles n’est plus à prouver. Ses terres et son sous-sol recèlent divers minerais précieux, rares et stratégiques.

Pourtant le pays souffre d’une incapacité à générer un développement durable et à lutter contre la pauvreté de sa population par le biais de ses ressources.

En tant qu’organisation de la société civile, dont le but est de « contribuer à la défense des terres et des ressources naturelles malgaches » (1), le Collectif TANY appelle à la plus grande vigilance quant à la gouvernance minière et aux impacts des exploitations minières sur la population, pour que ces richesses participent au développement de l’ensemble des Malgaches.

1/ Spoliation des droits sur les terres

Certains articles du Code Minier actuel sont sources de spoliation des droits des populations sur les terres lors de l’installation de nouvelles sociétés minières car ils amènent les autorités de l’Etat à accorder la priorité aux projets des sociétés minières.

En vertu de l’article 3 du Code minier de 2005 (2), toutes les ressources minières, qu’elles soient en surface ou souterraines, sont propriété de l’Etat. L’application de cette loi pose problème, dans la mesure où les décisions des responsables de l’Etat et des autorités locales pénalisent souvent les populations au lieu de les protéger. (3)

Dans la série des faits accomplis, l’installation de nouvelles sociétés minières et des infrastructures nécessaires à leur projet a occasionné des expulsions et déplacements de populations. Les familles non détentrices de titre ou de certificat fonciers peuvent tout perdre. Les droits légitimes de la population sur les terres sont systématiquement ignorés. Les compensations et indemnisations ne suivent pas de règles justes, strictes et claires.

Des enquêtes sur le terrain menées sur le terrain en 2013 sur les carrés miniers exploités par la société Mainland Mining dans la région d’Analanjirofo ont par exemple montré que le mode de calcul de compensation des personnes qui ont dû céder leurs terrains pour l’extraction minière tient compte uniquement du nombre d’arbres ou de pieds d’ananas présents sur la parcelle mais pas de la surface des terres perdues. Pendant l’exploitation, la société ne paie ni frais de location ni impôt sur les terres. Et à la fin de la période d’exploitation, les terres sont prévues d’être rendues à l’Etat et non aux familles qui y travaillaient. (4)

La priorité accordée par l’Etat à l’attribution de terres aux sociétés minières au détriment de la population s’est manifestée aussi dans le cadre du projet d’exploration et d’exploitation du gisement de fer par la société chinoise WISCO. Les responsables étatiques ont titré au nom de l’Etat plus de 43 000 ha de terrains situés sur les communes d’Ambohipaky, (district de Soalala dans la région Boeny), d’Ankasakasa et de Bekodoka (district de Besalampy dans le Melaky), sans avoir prévenu les Maires ni les habitants. (5)

Quant aux parties du Code Minier et de la Loi sur les Grands Investissements Miniers relatives aux ristournes destinées aux collectivités décentralisées couvertes par le « périmètre du projet minier », elles ne sont pas toujours appliquées. Ainsi les communes où se déroulent l’extraction minière d’Ambatovy n’avaient pas perçu leurs parts de ristournes en 2013 (6) et n’ont toujours pas eu satisfaction malgré les précisions sur la répartition apportées par l’arrêté interministériel du 21 février 2014 (7), alors que cette grande compagnie a commencé à exploiter et à exporter depuis plusieurs mois.

2/ Impacts environnementaux

Les points de vue des sociétés minières, d’une part, de la population d’autre part, divergent concernant la notion d’environnement. Certains impacts environnementaux de l’industrie extractive ne font pas l’objet d’une attention suffisante de la part des sociétés minières.

La communication des sociétés minières agissant à Madagascar sur leurs projets et réalisations relatifs au reboisement et à la conservation des espèces animales – faune et flore, biodiversité - font l’objet d’une large diffusion dans le monde (8). Les plaintes exprimées par les riverains des sites d’exploitation et les témoins de passage portent par contre sur des impacts environnementaux des activités minières sur l’air, l’eau, le sol et la santé des habitants environnants.

◊ Un sujet majeur actuel concerne la radioactivité. Afin d’obtenir son permis environnemental nécessaire à l’exploitation effective de l’ilménite, la société Toliara Sands effectue une consultation publique avec l’Office National de l’Environnement – ONE dans le Sud-Ouest. Alors que la présence de radioactivité sur certains composants des « produits cibles » est attestée dans le document « Consultation du public dans le cadre de l’évaluation du dossier d’étude d’impact environnementale du projet d’exploitation d’ilménite, du rutile et du zircon de Toliara Sands à Ranobe » sur le site de l’Office National de l’Environnement (9), les communautés locales consultées ne disposent pas du matériel et des méthodes de mesure scientifique qui leur permettraient d’évaluer l’importance et la nocivité de cette radioactivité avant et pendant l’exploitation (10).

◊ L’eau constitue un sujet important dans le cadre de l’industrie extractive, aussi bien en termes de disponibilité pour les communautés locales environnantes, qu’en raison de la pollution produite par l’ensemble des activités minières. A titre d’exemple, le Rapport de Développement Durable 2013 de la société Ambatovy (11) a mis en exergue seulement la biodiversité alors que celui de 2010 (12) développait des informations à visée rassurante sur divers aspects environnementaux. Ce changement soulève plusieurs questions concernant la réalisation du plan environnemental décrit sur le papier quelques années plus tôt :
 Qui contrôle le débit de pompage de l’eau des fleuves Mangoro et Ivondro, …, pour s’assurer que les quantités d’eau prélevées et le débit autorisés ne sont pas dépassés ? Quels sont les résultats ?
 A quel endroit exact sont déversés les rejets marins ? Qui contrôle la composition de cet effluent marin ?
 Pour la surveillance de la qualité de l’air et de l’eau, où sont déployées les stations de surveillance ? Comment s’effectue l’analyse des conséquences sur le sol et le sous-sol ?
 Quelles études ont été réalisées concernant le suivi des impacts actuels et des risques futurs liés à l’extraction à ciel ouvert et au parc de stockage des résidus à perpétuité, … (13) ?

Par ailleurs, alors que la société Ambatovy déclare avoir payé des redevances pour l’eau du fleuve Ivondro (14), des organisations de la société civile malgaches soulèvent à juste titre des questions sur les milliers de mètres cube d’eau consommés par la société à partir de tous les fleuves impliqués qui sont offerts gratuitement.

La mise en place de procédés et de protocoles de surveillance permettant des mesures scientifiques et indépendantes, de différents paramètres au niveau de l’air, des eaux de surface, des eaux souterraines, de l’eau de mer, des sols et du sous-sol, autour de tous les sites d’extraction minière, aux résultats desquels les citoyens auront accès, devient urgente. Des relevés statistiques manquent terriblement concernant l’évolution de la fréquence de certaines maladies dont la relation avec le voisinage d’une industrie extractive est connue ou suspectée dans le monde (10).

Le Collectif TANY réitère l’importance de la vérification régulière des effets des activités minières sur tous les aspects de l’environnement et par conséquent sur la santé de leurs employés et des habitants vivant aux alentours des mines.

Une attention particulière devra également être accordée aux impacts environnementaux et sanitaires des mines artisanales même si leurs conséquences sont d’une proportion incomparable à celles des grandes sociétés minières et même si les mines artisanales constituent une source de revenus relativement appréciable pour les petits exploitants. Ainsi, les réalités de l’industrie extractive à Madagascar mettent en évidence des impacts négatifs souvent importants engendrés sur les communautés hôtes et sur les populations directement affectées alors que les compagnies minières, l’Etat et certains bénéficiaires ne parlent que des retombées positives.

3/ Pour un moratoire sur la délivrance de permis d’exploitation

La délivrance de permis d’exploitation est actuellement suspendue à Madagascar. La Chambre des Mines réclame la levée de cette suspension.
Le Collectif TANY revendique un moratoire sur les permis miniers, c’est-à-dire un arrêt de l’attribution de permis d’exploitation pendant plusieurs années pour que les Malgaches - l’Etat avec l’ensemble de la population – prennent le temps
 de mettre en place une stratégie d’exploitation des ressources minières à long terme, bénéfique pour la nation entière,
 de procéder à la conception et à la mise en place d’une législation adéquate, plus avantageuse pour l’Etat et la population malgache, et plus protectrice de la santé publique,
 de créer et renforcer les institutions – au niveau de l’Etat et de la société civile - nécessaires à une bonne gouvernance des richesses minières,
 de préserver le potentiel minier pour une exploitation plus protectrice de l’environnement, plus rentable pour le pays et pour les générations à venir.

En effet, divers aspects de la législation malgache actuelle justifient le qualificatif donné par l’ONG Les Amis de la Terre à Madagascar, d’« eldorado des compagnies minières et pétrolières » (15). Le fait que, selon la presse, la Chambre des Mines ne fasse pas preuve d’enthousiasme vis-à-vis d’une modification du Code Minier confirme cette assertion (16). La notion de « stabilité » qui existe dans la convention d’établissement d’une grande société et dans la loi sur les grands investissements miniers – LGIM – et qui interdit de modifier les contrats lorsque les activités d’extraction seront florissantes, constitue en effet un privilège exceptionnel pour les investisseurs.

Les arguments justifiant les privilèges énormes accordés aux compagnies minières par les investissements « à perte » réalisés pendant la phase de construction devraient donc faire l’objet de pondération et de nuances de la part des décideurs.

Un renforcement des capacités des ressources humaines malgaches à tous les niveaux, s’avère urgent, incluant notamment :
 la capacité de négocier des contrats plus favorables à la partie malgache,
 la capacité de vérifier à toutes les étapes, la nature des divers produits extraits par chaque société minière,
 les moyens et le pouvoir de contrôler de manière permanente la quantité réellement produite,
 la possession et la maîtrise du matériel nécessaire à l’évaluation des différents types d’impact environnemental,
 l’acquisition de la conviction, des connaissances et de la volonté relatives à la notion de la répartition équitable des bénéfices avec l’ensemble de la population.

Une plus grande autonomie de l’Office National de l’Environnement vis-à-vis des sociétés qu’il est censé évaluer et une meilleure efficacité de cet organisme devront figurer parmi les priorités de l’Etat. L’implication des organisations de la société civile et des communautés locales hôtes des sociétés minières dans l’acquisition des diverses compétences requises pour discuter avec les compagnies minières de manière efficace et indépendante revêt une importance capitale.

La situation de la gouvernance minière à Madagascar actuelle montre une vulnérabilité de la population mais aussi un déséquilibre flagrant entre les sociétés minières et l’ensemble de la nation malgache. Face aux défis et aux dangers de l’exploitation minière, plutôt que de favoriser une dilapidation des ressources naturelles dans une politique d’extraction effrénée, le Collectif TANY exhorte les autorités et décideurs à préserver le patrimoine national et à procéder à des réflexions profondes sur le secteur avec l’ensemble des acteurs de la vie économique et sociale, mais pas uniquement avec les entreprises minières.

Le Collectif TANY souligne la nécessité d’une transparence dans l’utilisation des bénéfices actuels et futurs générés par le secteur minier et l’importance de la conception d’une stratégie économique de développement de tous les secteurs, incluant l’agriculture, s’appuyant sur les richesses minières, qui ne sont pas renouvelables.

Paris, le 1er novembre 2014

Le Collectif pour la Défense des Terres Malgaches – TANY
patrimoine.malgache@yahoo.fr

http://terresmalgaches.info

http://www.facebook.com/TANYterresmalgaches

Références

 (1) art 2 des statuts du Collectif pour la Défense des Terres Malgaches - TANY
 (2) art. 3 du Code minier 2005 : Loi n° 2005 – 021 portant modification de certaines dispositions de la Loi n°99-022 du 19 août 1999 portant Code Minier : « Tous les gîtes de substances minérales situés en surface, dans le sous-sol, les eaux et les fonds- marins du Territoire National sont propriétés de l’Etat. Ils relèvent de la compétence respective de l’Etat central, des Provinces Autonomes et des Collectivités Territoriales Décentralisées qui en assurent notamment la gestion et le contrôle selon les dispositions du présent Code. L’Etat assure le transfert progressif des compétences prévues par le présent Code aux Provinces Autonomes et aux Collectivités Territoriales Décentralisées au fur et à mesure de la mise en place effective des structures adéquates à leur niveau respectif. »
 (3) http://www.midi-madagasikara.mg/eco...
 (4) SIF, Re-Common, TANY, Les accaparements de terres à Madagascar - Echos et témoignages 2013 page 67
http://terresmalgaches.info/IMG/pdf...
 (5) Communiqué commun SIF-TANY du 13 septembre 2013 - Newsletter n°25 - http://terresmalgaches.info/spip.ph...
 (6) SIF, Re-Common, TANY, Les accaparements de terres à Madagascar - Echos et témoignages 2013 page 61
http://terresmalgaches.info/IMG/pdf...
 (7) Arrêté interministériel n° 8887/2014 du 21 février 2014
 (8) http://www.newsmada.com/index.php/c...
et Malika Virah-Sawmy "Mining and biodiversity offsets : A transparent and science-based approach to measure "no-net-loss"in Journal of Environmental Management 143 (2014) p.61-70 cite QMM-Rio Tinto
 (9) « Dans la zone du permis Ranobe, le niveau de rayonnements existants est naturellement élevé (d’un facteur 3-4) comparé à celui des zones situées en dehors de celle-ci en raison de la radioactivité naturelle des minerais cibles. En 2006, les carottes de forage provenant des activités d’exploration autour et sur le gisement ont été échantillonnées et analysées pour déterminer leur concentration en radionucléides. Les résultats ont montré un certain degré de variabilité : la teneur en uranium n’était pas très différente de celle des échantillons de surface de sol prélevés dans la concession minière lors de l’étude initiale de référence, mais celle du thorium était sensiblement inférieure » dans
http://www.pnae.mg/attachments/arti...
 (10) http://www.criirad.org/mines-uraniu... et http://www.criirad.org/mines-uraniu...
 (11) http://www.ambatovy.com/docs/wp-con...
 (12) http://www.ambatovy.com/docs/wp-con...
 (13) métaux lourds et autres
 (14) http://www.lagazette-dgi.com/index....
 (15) Madagascar, nouvel eldorado des compagnies minières ét pétrolières, Les Amis de la Terre – France, novembre 2012 : http://www.amisdelaterre.org/rappor...
 (16) http://www.constellation-business.c...
http://www.agencepresse-oi.com/les-...