Vous êtes ici : Accueil » Afrique australe » Madagascar » MADAGASCAR : Realpolitik françafricaine ?

MADAGASCAR : Realpolitik françafricaine ?

D 16 juin 2009     H 22:17     A Pierre Sidy     C 0 messages


Visiblement, après le coup d’État du 17 mars 2009 de
Rajoelina et des soldats mutins (anciens membres
revanchards de la garde présidentielle de l’« amiral
rouge » Ratsiraka en 2002), la Françafrique tâtonne et tergiverse
beaucoup, confrontée au maelström malgache. Ses
rétropédalages tiennent en fait compte de la remontée relative du
sentiment anticolonialiste, mais aussi de la conscience des
difficultés objectives, en cas d’emballement de la situation, à
évacuer la plus forte communauté d’expatriés et de binationaux
(23 000 personnes) du pré carré. Ajouter à cela que l’Afrique du
Sud et la SADC (Communauté d’Afrique australe) restent très
cohérentes et motivées dans leur dénonciation du coup d’État et
donc dans leur volonté de contrer l’influence française dans les
médiations internationales engagées.
Mais on commence à comprendre un
peu le quid de l’odeur de pétrole que
traînaient le coup d’Etat de Rajoelina et
l’implication de la France. Vus au JORF
n°303 du 30 décembre 2008, deux arrêtés
du ministre d’Etat, Borloo (Écologie, etc.),
en date du 22 décembre 2008 accordent à
différentes sociétés des permis de
recherches respectivement dits « permis de
Juan de Nova Est » (au profit de Nighthawk
Energy Plc, Jupiter Petroleum Juan de Nova
Ltd et Osceola Hydrocarbons Ltd, conjointes
et solidaires) et « permis de Juan de Nova
maritime profond » (au profit de Marex
Petroleum Corpration et Roc Oil Company Ltd, conjointes
et solidaires). Ces permis portent sur les fonds marins de
la zone économique exclusive (ZEE) française au large des côtes
de l’île de Juan de Nova, respectivement sur 9 010 km2 et
52 990 km2. Dans la donne actuelle, cet espace maritime de Juan
de Nova est partagé en trois ZEE : mozambicaine, française et
malgache. Des entreprises chinoises qui lorgnaient sur la ZEE
malgache avaient nettement – au détriment de Total – la faveur
de Ravalomanana avant sa chute. Juan de Nova fait partie des
îles éparses sur lesquelles Madagascar réclame, contre la France,
une souveraineté pleine depuis plusieurs décennies.
Le 26 mai, de l’Afrique du Sud où il est en exil, Ravalomanana
a désigné la France comme le commanditaire du coup d’Etat qui
l’a renversé : il l’a accusé de vouloir coloniser à nouveau
Madagascar et de « vouloir apporter une guerre tribale » dans la
Grande Ile. Cette gesticulation anti-française de Ravalomanana
est de bonne guerre mais, visiblement, constitue une surenchère
pour rassurer une base qui pourrait se disloquer suite à un refus,
au nom du réalisme, des alliés de la SADC de diligenter des
forces armées pour le rétablir au pouvoir.
Selon La Lettre de l’Océan Indien (du 23 mai 2009), le récent
voyage à Tripoli du président de la Haute Autorité de transition
(HAT), Rajoelina, pour tenter de se faire reconnaître par le
« guide » libyen, président en exercice de l’Union Africaine, a pu
bénéficier des bons offices de l’Elysée. Son conseiller spécial, le
Franco-Malgache Patrick Leloup, qui l’avait accompagné à Tripoli
a été débriefé par Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée.
Drivé par l’avocat Robert Bourgi, un des missi dominici du palais
sur l’Afrique, Leloup est bien en cour parmi les fractions de
l’actuel pouvoir de fait d’Antananarivo (barons ratsirakistes,
commission sécurité et défense de la
HAT, etc.). Mais, plus tôt, le compterendu
de la commission des affaires
étrangères de l’Assemblée nationale
du 6 mai 2009 nous apprend que la
France, par la voix du directeur
Afrique et Océan Indien du ministère
des Affaires étrangères et
européennes, a conseillé à Rajoelina –
« que nous avons aidé face à des
partenaires hostiles » (sic !) – de ne
pas se présenter (pour tirer son
épingle du jeu) à la future
présidentielle… Sous-entendu : au
profit d’un troisième larron comme
Rajaonarivelo, dernier Premier Ministre de
Ratsiraka mais qui a, plus qu’avant, des intérêts
tactiques partagés avec Ravalomanana, même si ce dernier –
durant son règne – l’a fait condamner pour délits financiers…
Reste à savoir si certains soutiens de Rajoelina vont accepter que
celui-ci soit réduit ainsi à un simple marchepied.
Enfin, les protagonistes de cette crise et leurs parrains, dont
la Françafrique pour certains, sont contrariés par l’engagement à
contre-courant des surenchères politiciennes de la société civile
organisée. Regroupant la grande majorité des plateformes et
réseaux syndicaux et citoyens, le CCOC (Collectif des citoyens et
des organisations citoyennes), par exemple, pousse depuis sa
création, en mars dernier, et dans une démarche de « neutralité
engagée » à une sortie de crise négociée, consensuelle et
inclusive « qui préserve l’intérêt de la population ». Wait and
see !

Pierre Sidy