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Pour un observatoire sur les fémicides à Madagascar

D 26 mai 2016     H 05:37     A Mireille Rabenoro     C 0 messages


En novembre 2015 la Rapporteure Spéciale des Nations Unies a appelé les Etats membres à s’engager dans la prévention des homicides de femmes en établissant un observatoire sur les fémicides. En quoi une telle entreprise apporterait-elle un mieux-être à la société malgache ?

En attendant l’autonomie des femmes

« Il importe particulièrement d’autonomiser les femmes », a déclaré le Secrétaire Général des Nations Unies devant nos sénateurs et députés réunis le 10 mai 2016.

Il ne se passe pas de jour sans que l’on apprenne par la presse le meurtre d’une femme, le plus souvent par son mari ou partenaire. Et les investigations du journaliste révèlent presque toujours que le mari était habituellement violent, que les voisins l’entendaient souvent insulter et battre sa femme, avant qu’il franchisse le pas : la tuer.

Pourquoi la femme habituellement maltraitée par son mari ne le quitte-t-elle pas ? Quelque part, il y a toujours l’idée que les enfants appartiennent à leur père, le chef de famille, et la mère se résoudra difficilement à se séparer d’eux. Mais si elle part avec eux, souvent elle n’aura pas les moyens de subvenir à leurs besoins, alors que la procédure est longue avant qu’un juge lui accorde le divorce et le droit à une pension alimentaire.

L’autonomie des femmes passe par l’éducation des filles. Nous avons atteint l’un des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) : la parité filles-garçons dans l’enseignement primaire. Mais dès la première année du secondaire, les filles commencent à se faire moins nombreuses. Cette tendance se confirmera : l’emploi dans le secteur formel est fortement dominé par les hommes. Ainsi, 38,4% seulement des postes d’encadrement et de fonctions techniques de la fonction publique et du secteur privé sont détenus par les femmes [1].

De la dépendance à la violence

D’après le Rapport de suivi des OMD 2012-2013, presque la moitié des hommes interrogés (45,2%) pensent qu’un mari a le droit de battre sa femme pour diverses raisons. Plus inattendu encore, les femmes pensent de même exactement dans la même proportion. L’enquête était représentative : elle portait sur quelque 4.900 hommes et 10.100 femmes répartis sur les 22 régions.

La violence est bien présente dans notre société, et elle est acceptée, justifiée jusque dans les familles par une idéologie selon laquelle les femmes, même arrivées à l’âge adulte, resteraient mentalement et moralement des enfants, que le mari aurait le devoir de corriger. Comme écrivait Alexandre Dumas fils en 1870, la femme serait « le seul être inachevé que Dieu ait permis à l’homme de reprendre et de finir ». Quelle arrogance…

Crise de valeurs et violence contre les femmes

Deux indices semblent particulièrement significatifs d’une crise de valeurs. D’abord, la jalousie est le motif le plus souvent évoqué pour le meurtre d’une femme. Mais le sang-froid dont font preuve les auteurs rend peu probable le crime passionnel. Aussitôt le meurtre commis, l’auteur disparait, soucieux d’échapper à la justice ; ou alors, dans le même souci, il maquille le meurtre en suicide, pendant le corps de sa victime aux rideaux de sa chambre. Ni scrupule ni regret : la vie de l’autre a bien peu de valeur.
Ensuite on a pu lire dans la presse dernièrement que tel policier, tel gendarme aurait utilisé son arme de service pour tuer sa femme. Selon quelles valeurs fonctionnent ces individus, qui tirent sans sommation sur un civil sans arme, a fortiori leur propre femme ?

La violence contre les femmes n’est pas une fatalité, elle se combat

D’après la Déclaration des Nations Unies sur l’Elimination de la Violence Contre les Femmes (1993), « la violence contre les femmes est une manifestation de rapports de force historiquement inégaux entre hommes et femmes. Ces rapports de force ont conduit à la domination des hommes sur les femmes et à la discrimination contre les femmes. La violence contre les femmes est l’un des principaux mécanismes sociaux qui maintiennent les femmes de force dans une position de subordination par rapport aux hommes ».

La violence contre les femmes est un phénomène social et culturel quasiment universel. Chez nous, le phénomène du fémicide, devenu assez courant pour figurer parmi les faits divers dans les medias, reste pourtant mal connu. Quelles sont les circonstances qui mettent le plus souvent en danger la vie des femmes ? Quel est le profil des meurtriers ? Le phénomène est-il urbain, rural ? Concerne-t-il les pauvres, les riches ? Quelles sanctions ont été appliquées aux meurtriers ? Les sanctions prévues par la loi sont-elles suffisamment dissuasives ?

Autant de questions, et beaucoup d’autres, auxquelles il nous faut donner des réponses, pour connaître le phénomène, et ainsi apprendre à le freiner. C’est urgent, parce qu’il semble en expansion.

Mireille Rabenoro

Notes

[1] République de Madagascar-Système des Nations Unies, Rapport national de suivi des OMD – 2010, p 37.

Source : http://www.madagascar-tribune.com/