Vous êtes ici : Accueil » Afrique australe » Madagascar » Quelques avancées dans la lutte contre les violences liées au genre à Madagascar

Quelques avancées dans la lutte contre les violences liées au genre à Madagascar

D 11 janvier 2014     H 05:56     A IRIN     C 0 messages


ANTANANARIVO - Les efforts déployés pour enrayer la violence contre les femmes à Madagascar se heurtent aux réalités économiques et aux normes sociales qui régissent la vie d’une majorité de Malgaches. Si les officiers de police ont bénéficié d’une formation pour aider les femmes à porter plainte contre un partenaire violent, bon nombre d’entre elles éprouvent encore des difficultés à dénoncer les maltraitances.

« Nous essayons de briser le silence qui entoure les violences faites aux femmes à Madagascar », a dit Tolotra Andriamanana, chargée du programme Genre du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) à Madagascar. « Nous devons trouver un moyen de mettre fin à l’impunité ».

Il n’y a pas de statistiques nationales sur la prévalence des violences liées au genre, mais selon une étude menée en 2011 dans trois villes (Antananarivo, Diego et Toliara), environ 30 pour cent des femmes ont indiqué avoir été victimes de violences domestiques au moins une fois dans leur vie.

Rachael Pierotti, une chercheuse de l’université de Michigan, a analysé les données collectées dans le cadre des enquêtes démographiques et sanitaires menées à travers le monde. Elle a montré [ http://asr.sagepub.com/content/78/2/240.full ] que Madagascar était l’un des 3 pays sur 26 où le pourcentage d’hommes et de femmes qui refusent toute justification de la violence domestique a diminué entre 2003 and 2009.

Dans le cadre de la campagne ’Seize jours d’action contre la violence liée au genre’, les bénévoles de l’UNFPA et du programme des Volontaires des Nations Unies ont frappé à toutes les portes de la capitale, Antananarivo, pour informer les femmes de l’existence des centres judiciaires qui accueillent les victimes de violences domestiques, leur fournissent des conseils juridiques et leur offrent un soutien psychologique.

Rebeka*, 23 ans, s’est rendue dans l’un de ces centres, à Antananarivo, pour obtenir des informations sur la garde unique de sa fille. Elle fait partie du nombre restreint mais croissant de jeunes femmes instruites qui refusent d’endurer la violence de leur compagnon.

Après que son compagnon, aveuglé par la jalousie, l’a giflée, elle s’est fait délivrer un certificat médical. Elle l’a présenté aux policiers qui ont arrêté son petit ami et l’ont enfermé dans une cellule. « Quand j’ai vu l’état de la cellule, quand j’ai vu à quel point il avait peur, j’ai changé d’avis. Tout homme qui a vu ces cellules ne pourra plus jamais frapper sa femme », a-t-elle dit à IRIN, ajoutant que les tensions existant au sein du foyer étaient principalement liées au fait que son compagnon ne trouvait pas de travail.

« Après [cet] incident, nous avons vécu ensemble encore un mois. Mon compagnon avait toujours des crises de jalousie. Il frappait les murs, il appelait mon patron. Après ça, je suis partie », a-t-elle dit.

Un sujet tabou

La situation est très différente dans la société traditionnelle où les violences contre les femmes restent un sujet tabou. La société malgache traditionnelle prévoit seulement que les femmes victimes de violences peuvent exercer le droit de ’misintaka’, c’est-à-dire quitter temporairement le domicile conjugal. « Cela veut dire que la femme peut quitter le domicile conjugal si la situation tourne mal et aller s’installer ailleurs temporairement », a dit à IRIN Mme Andriamanana.

Mais il n’y a pas de centre d’accueil pour les femmes battues à Madagascar. Elles n’ont guère d’autres choix que de retourner chez leurs parents. « La famille n’hésitera pas à faire pression sur elle pour qu’elle retourne vivre auprès de son mari », a dit à IRIN Mme Andriamanana.

La femme qui accepte de parler de ses problèmes s’adresse, en général, au chef du fokontany (subdivision administrative de la commune), souvent l’ancien du village, qui entamera des négociations en son nom. Il est rare que ces discussions aboutissent.

L’étape suivante consiste à s’adresser à la justice et à la police, mais rares sont les femmes qui vont aussi loin. « Il faut un certificat médical pour poursuivre son mari en justice. Le certificat coûte 6000 ariarys (3 dollars) et bon nombre de femmes n’ont pas les moyens de payer cette somme », a dit Rhodia Ratovohery, une juriste du Centre d’écoute et de conseils juridiques (CECJ) d’Ankadifotsy, l’un des deux centres juridiques d’Antananarivo qui fonctionne grâce au financement des organisations non gouvernementales (ONG) et des agences des Nations Unies, y compris l’UNFPA.

Marie*, 36 ans, est passée par toutes ces étapes, en vain. Son mari, qu’elle a épousé il y a 14 ans, est gardien de sécurité. Il devient violent tous les quinze jours, lorsqu’il reçoit son salaire et va se saouler. « Je suis retournée chez ma famille à plusieurs reprises », a-t-elle dit. « Mais à chaque fois, je reviens [auprès de mon mari], car les enfants ont besoin de vivre avec leur père », a-t-elle dit à IRIN.

Marie, qui vend des légumes dans la rue, s’est plainte auprès du chef du fokontany. Son mari a signé un contrat et s’est engagé à ne plus jamais la frapper, mais il n’a respecté cet engagement que pendant deux mois. « Ensuite, je suis allée voir la police. Ils m’ont dit d’aller au tribunal et qu’ils le mettraient en prison tout de suite. Mais je ne veux pas que le père de mes enfants aille en prison à cause de moi », a-t-elle dit à IRIN. « S’il va en prison, qui nous nourrira ? Et j’ai peur que les enfants me haïssent pour l’avoir fait mettre en prison ».

Pas question pour Marie de demander le divorce, car elle pense qu’elle n’aura plus d’endroit où vivre. « Je veux juste qu’il arrête de me frapper », a-t-elle dit.

Elle est allée demander de l’aide au centre juridique et Mme Ratovohery a promis d’avoir une nouvelle discussion avec le mari. « Je parle de sanction », a-t-elle dit à IRIN. « Je luis dis que l’on peut le mettre en prison pour ça ou qu’il devra payer ». La loi malgache prévoit une peine de 10 ans de prison et une amende d’un million d’ariarys (500 dollars) pour les auteurs de violences domestiques, mais il est rare que la loi soit appliquée, car les femmes portent rarement plainte.

« Nous avons travaillé avec la police d’Antananarivo pour que ses femmes soient prises au sérieux », a dit Mme Andriamanana de l’UNFPA. « Et nous avons constaté une légère augmentation du nombre de femmes qui se présentent à la police. Le problème, c’est qu’elles sont peu nombreuses à poursuivre leur mari en justice. Les femmes sont dépendantes de leur mari, particulièrement lorsqu’il y a des enfants. Il n’y a pas de protection sociale, alors la femme craint de ne plus pouvoir nourrir ses enfants si son mari est envoyé en prison ».

Des efforts pour changer les attitudes

Les centres judiciaires se concentrent souvent sur les aspects psychosociaux de la violence. « Nous écoutons les femmes et nous leur expliquons qu’elles sont prises dans un cercle vicieux, que la violence reviendra encore et encore tant que la femme ne décidera pas d’y mettre fin en portant plainte contre son mari violent », a dit Mme Andriamanana.

« Les femmes de Madagascar doivent connaitre la loi », a dit Rebeka. « Les hommes pensent qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent quand ils gagnent de l’argent. Tant que l’homme paye, la femme ne se plaindra pas ».

L’UNFPA et les centres judicaires s’efforcent désormais de changer les attitudes de la société face aux violences liées au genre, espérant ainsi que davantage de femmes s’exprimeront et utiliseront les services qui sont mis à leur disposition. La semaine dernière, l’UNFPA a lancé un feuilleton radiophonique sur une radio locale, présentant en détails le parcours d’une femme qui porte plainte contre son mari violent.

Un foyer d’accueil d’urgence sera bientôt ouvert à Antananarivo. Les victimes de violences auront le droit d’y rester pendant 48 heures.

*Nom d’emprunt