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Retour à l’ajustement structurel néolibéral et mobilisations populaires

D 15 mai 2017     H 04:38     A Jean Nanga     C 0 messages


Frappés par la chute du pétrole, les chefs d’États de la Communauté économique et monétaire des États d’Afrique centrale (CEMAC) ont exclu une dévaluation du franc CFA. Ils ont décidé de faire appel au FMI.

C’est en général sous de bons auspices que les six États membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC : Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad) (1) ont passé la première décennie du XXIe siècle. Sans être la plus performante des sous-régions africaines, selon les critères d’appréciation en néolibéralisation, elle affichait en moyenne une croissance du PIB appréciée par les institutions du capital international – interétatiques à l’instar du FMI et de la Banque mondiale, privées comme le cabinet McKinsey – avec un taux d’endettement public extérieur assez viable, des réserves de change assez importantes, un revenu national brut par habitant parmi les plus élevés pour le Gabon et la Guinée équatoriale. Seuls la Centrafrique et le Tchad appartenaient alors à la classe des pays les moins avancés. La deuxième décennie était annoncée, par les experts, plus performante, en dehors de l’instabilité politique survenue en Centrafrique avec le renversement du régime de François Bozizé (2012), dont la remontée de la croissance du PIB était alors bien appréciée. Les différents États avaient, selon la mode actuelle, fixé leur agenda pour l’émergence (par exemple : 2025 pour le Gabon, 2035 pour le Cameroun) – ce qui semble plus aisé que pour le développement, renvoyant aux économies-sociétés occidentales plutôt qu’au Brésil ou à l’Afrique du Sud (2).

Sommet extraordinaire

Mais, en cette deuxième moitié de la décennie, dans une Afrique pourtant encore considérée comme « bien partie » (3) la réalité s’avère différente dans la CEMAC : tous les États sont confrontés à une croissance des tensions budgétaires, voire un marasme économique. C’est ainsi que, alors que quelques mois auparavant le ministre gabonais de l’Économie, Régis Immongault, affirmait de façon assez péremptoire : « en ce qui concerne l’idée d’un programme d’ajustement structurel, pour l’instant ce n’est pas envisageable pour le gouvernement », la présidence du Cameroun a annoncé, l’avant-veille d’un sommet extraordinaire des chefs d’État de la CEMAC convoqué à Yaoundé le 23 décembre 2016, la nécessité d’un « ajustement vigoureux et structuré » (4) des économies de la sous-région, confirmé comme « ajustement structurel et vigoureux » (5) à l’issue de la rencontre. Retour à l’ajustement structurel néolibéral, à la nocivité sociale consubstantielle, comme le prouve déjà la « recette de l’anticipation » (6) que subissent les classes populaires au Tchad, depuis fin août 2016 et qui pourrait révéler, à celles/ceux qui gobaient le discours de célébration de la croissance des PIB africains, la nature de celle-ci.

Le 23 décembre s’est tenu à Yaoundé, sur convocation du président en exercice de la CEMAC, le chef de l’État camerounais, Paul Biya, un sommet extraordinaire des chefs d’État de la CEMAC, dont la photo qui semble officielle représente les six chefs d’État encadrés d’un côté par le ministre français de l’Économie et des Finances, Michel Sapin, de l’autre par la directrice du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde. Disposition protocolaire, sans doute, mais qui exprime d’une certaine façon la situation de ces États : une fondamentale hétéronomie économique, une tutelle quasi permanente de l’ancienne métropole coloniale, la France – exception faite pour la Guinée équatoriale, ancienne colonie espagnole – et des institutions financières internationales. Un sommet extraordinaire qui « avait pour objectif d’examiner la situation économique et monétaire dans la zone CEMAC et d’adopter des mesures appropriées visant à juguler les effets néfastes du double choc pétrolier et sécuritaire, sur les économies de la sous-région » (Communiqué final du Sommet).

Car quatre de ces six États sont principalement dépendants de la rente des hydrocarbures. À la veille de la baisse brutale du prix du baril du pétrole la situation se présentait ainsi : Congo (50 % du PIB, 80 % des exportations, 75 % de contribution au budget), Gabon (45 %, 70 %, 50 %), Guinée équatoriale (85 %, 90 %, 85 %), Tchad (20 %, 90 %, 70 %). La production est essentiellement le fait des transnationales. Producteur aussi, le Cameroun a une part des hydrocarbures bien moindre que celle des autres (10 %, 50 %, 20 %). Quant à la Centrafrique, essayant de sortir de trois ans de troubles ayant livré l’économie aux seigneurs de guerre, il n’est pour le moment question que d’exploration des ressources pétrolières. Le Cameroun et le Tchad ont, par ailleurs, à supporter les effets de la guerre avec boko haram, nuisant aux échanges commerciaux de ces deux pays avec le Nigeria voisin. Des facteurs de la crise actuelle relevant en grande partie de leur insertion dans l’économie capitaliste mondiale (l’exportation des matières premières, principalement de l’extractivisme), auxquelles s’ajoute la kleptomanie incurable des classes gouvernantes, avec leur lot de capitalistes subordonnant la gestion de l’État principalement à leurs intérêts individuels et clientélaires, avec un degré d’irrationalité inapte à résoudre les problèmes qui en résultent. Ainsi, pour les plus difficiles, le recours à l’expertise néocoloniale internationale, en général celle des institutions de Bretton Woods, s’avère inévitable.

Dévaluation du franc CFA retardée

Parmi les mesures adoptées au cours du sommet – en fait, préparées sous forme de recommandations par les missions antérieures du FMI, concernant aussi bien chaque État que la communauté économique et monétaire (7) –, il y en a une qui est présentée comme une victoire des chefs d’État : la non-dévaluation de la monnaie communautaire, le franc CFA.

Rappelons qu’il s’agit d’une monnaie partagée par quatorze États africains, les six de la CEMAC et les huit de l’Union économique et monétaire de l’Ouest africain (UEMOA : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo). C’est un héritage de la colonisation française – exception faite de la Guinée équatoriale ancienne colonie de l’Espagne ayant adhéré en 1985 et de la Guinée-Bissau ancienne colonie du Portugal l’ayant fait en 1997. Créé en 1945, l’ancien Franc des colonies françaises d’Afrique occidentale et d’Afrique équatoriale (du département de la Zone franc, comprenant alors aussi le Franc métropolitain et le Franc des colonies françaises du Pacifique) est finalement devenu dans l’Afrique dite post-coloniale, le Franc de la coopération financière en Afrique centrale (CEMAC) et le Franc de la Communauté financière africaine (UEMOA), ayant respectivement pour instituts d’émission la Banque centrale des États de l’Afrique centrale (BEAC) et la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) – deux sous-zones monétaires. La non-interchangeabilité entre le FCFA de la CEMAC et celui de l’UEMOA à partir de 1993 – chacun ne pouvant être utilisé que dans la sous-région d’émission – fait qu’il s’agit en fait de faux jumeaux (8). Ces deux banques sous-régionales africaines – dans lesquelles la représentation française aux instances décisionnaires détient un veto – sont rattachées au Trésor français, où elles possèdent chacune un compte d’opération dans lequel sont déposés 50 % (100 % d’abord, puis 65 % jusque dans la première moitié des années 2000) de leurs réserves de change, en échange de la garantie de convertibilité illimitée en franc français, puis en euro.

Ces deux monnaies sous-régionales avaient une parité fixe avec le franc français (métropolitain) au sein de la Zone franc, jusqu’à la dévaluation de 50 % en janvier 1994. Cette dévaluation avait été présentée comme décidée par les États africains de la Zone franc avec leur « partenaire », en fait leur tuteur métropolitain, l’État français, et dont les effets devaient être socialement positifs pour les producteurs de ces sociétés là. La parité fixe avec le franc français était considérée comme défavorable au FCFA à certains moments, le surévaluant, rendant ainsi les exportations des économies de la zone CFA non compétitives – face aux économies voisines, évidemment. Mais les effets se sont plutôt avérés nocifs. La dévaluation s’est produite alors que les États surendettés étaient en train de rembourser une dette libellée en dollars : il fallait mobiliser plus de FCFA pour la même dette. Elle a eu de graves répercussions sur les classes populaires, comme il en est de façon générale des mesures d’ajustement structurel néolibéral. Car derrière la décision de l’État français, il y avait les institutions de Bretton Woods et leur ajustement structurel néolibéral dont la dévaluation relevait normalement de la première phase dite de stabilisation économique à court terme (9). Le retard de la dévaluation – dont la nocivité des effets sur les classes populaires était prévisible – s’expliquant en fait par la crainte que suscitait le vent de la revendication démocratique soufflant en Afrique depuis la fin des années 1980.

Le franc français ayant disparu, l’existence de la zone franc est conservée par ces monnaies sous-régionales – et la monnaie des Comores (déclarées « indépendantes » de la France en 1976), le franc comorien, ayant son propre institut d’émission, la Banque centrale des Comores – arrimées à la monnaie européenne, l’euro, par l’intermédiaire de la France.

On ne peut pas dire de ces États qu’ils sont monétairement souverains, car le FCFA exprime toujours la « servitude » à l’égard de la France (10), profitant non seulement à l’État français et au capital français installé dans ces deux sous-régions, mais aussi à leurs alliées objectives, les classes dirigeantes (et exo-dirigées) de la CEMAC et de l’UEMOA. Situation néocoloniale que des voix officielles ont de temps à autre dénoncée. Le françafricain président gabonais Omar Bongo considérait les comptes d’opération comme une aide des États africains de la zone franc à la France, à laquelle l’utilisation des sommes déposées rapporte des intérêts. Il n’y a pas bien longtemps, c’est l’économiste libéral, alors président du Sénégal, Abdoulaye Wade qui se plaignait de la difficulté des États de l’UEMOA à financer certains de leurs projets : « J’ai trop de récriminations contre notre Banque centrale. Je ne l’ai pas caché, je l’ai souvent dit (…). On est en train de chercher l’argent pour financer l’agriculture alors que nous avons de l’argent qui dort quelque part. C’est même incroyable » (11). Plus récemment, c’est le Tchadien Idriss Déby Itno – n’ayant pas habitué à des sautes d’humeur contre le néocolonialisme françafricain – qui, confronté à une impossibilité pour l’État tchadien d’accéder, sans l’aval français, à plus de fonds tchadiens déposés à la BEAC, appelait, à l’occasion du 55e anniversaire de la proclamation de l’indépendance du Tchad (août 2015), à faire « que réellement dans les faits cette monnaie soit la nôtre, pour que nous puissions, le moment venu, faire de cette monnaie qui permet à tous ces pays qui utilisent encore le FCFA de se développer (…). Il y a des clauses qui sont dépassées (…). Ces clauses tirent l’économie africaine vers le bas, ces clauses ne permettront pas de se développer avec cette monnaie-là » (12). Ce qui entrait en résonance avec l’audibilité acquise par la critique du FCFA par des altermondialistes de ces deux sous-zones monétaires, quelques économistes africain·e·s, des associations particulièrement actives dans la dénonciation de la politique africaine de la France, à l’instar de Survie. Avec une certaine amplification ces dernières années, au cours desquelles il a été question, de temps à autre, d’une autre dévaluation.

Certes, dans cette phase néolibérale de la mondialisation capitaliste, la critique adressée par les économistes libéraux/libérales africain·e·s (13) au FCFA est avivée. Elle concerne sa parité fixe avec l’euro, considérée comme un facteur de la non-compétitivité des exportations des économies des deux sous-zones. Cette critique de la monnaie néocoloniale françafricaine telle que menée actuellement relève de ce que le philosophe allemand Hegel nommait l’« entêtement », c’est-à-dire « la liberté qui se fixe à une singularité » – en finir avec cette monnaie néocoloniale – « mais se maintient dans la servitude » que constitue le capitalisme, surtout en sa phase néolibérale. Les autres économies/sociétés africaines à monnaie nationale demeurent néanmoins sous domination impérialiste capitaliste. Les classes populaires n’y sont pas en situation moins défavorable. Ainsi, il s’agit d’une critique nationaliste (sous-régionale ou panafricaine), mais d’un nationalisme bourgeois, car elle évacue la question de la nature de « l’économie » – soit pour le profit, soit pour le bien-être de l’ensemble de la société – ainsi que celle de la nature de la démocratie qui lui est liée : quels mécanismes de participation effective à la prise des décisions pour le bien-être collectif, de contrôle permanent de la gestion du vivre ensemble égalitaire (dans l’espace national, comme dans le sous-régional, régional, etc.) ? Le sommet extraordinaire de Yaoundé s’est, d’ailleurs, tenu en pleine période de promotion médiatique de l’ouvrage Sortir de la servitude monétaire. À qui profite le franc CFA ? (14), récemment publié sous la coordination entre autres de l’économiste Kako Nubukpo (ancien cadre de la BCEAO, jusqu’en 2015 ministre de la Prospective du président togolais Faure Gnassingbe qui l’a remercié suite à sa critique du FCFA, actuellement directeur de la Francophonie économique et numérique à l’Organisation Internationale de la Francophonie – cette institution bien qu’intégrant la Belgique, le Canada, le Luxembourg, la Suisse, etc. – n’est-elle pas dans ses anciennes colonies africaines un mécanisme du néocolonialisme français ?), y compris dans les pages Afrique de grands journaux parisiens, assez conscients de l’inscription de la critique, généralement, dans le paradigme économique capitaliste (15).

Sommet françafricain (de reconquête)

À la veille d’un sommet Afrique-France (Bamako, 13-14 janvier 2017) s’inscrivant dans la dynamique de reconquête du terrain perdu en Afrique, y compris dans ses anciennes colonies (16), manifestée aussi à cette occasion par l’implication médiatisée du président du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) (17) –, l’État français était-il en mesure de soutenir une mesure (la dévaluation monétaire) qui mécontenterait un regroupement d’États françafricains (dont la dette extérieure serait automatiquement gonflée) ? Dans la CEMAC, la Chine est devenue ces dernières années la première fournisseuse du Congo, du Cameroun, de la Guinée équatoriale, la troisième du Gabon. En Centrafrique, elle continue auprès de Faustin-Ange Touadéra l’opération de charme commencée sous la présidence de François Bozizé (18). Les prêts chinois, qu’ils soient concessionnels ou non, aident ces États à continuer certains travaux d’infrastructure, tout en alourdissant évidemment leur dette. La Chine – qui ne se prétend pas démocratique – est un partenaire idéal pour ces autocrates, car ne s’y manifeste pas une partie de la société civile exerçant une pression sur le gouvernement concernant le respect des « valeurs démocratiques » par des dirigeants africains. Il a été remarqué qu’au cours de ce Sommet Afrique-France, promettant une croissance de « l’aide française au développement », il n’a pas été question du respect de la « démocratie », à la différence des sommets précédents au cours desquels François Hollande avait porté la tunique mitée de la France défenseur universel des droits humains et du respect de la « démocratie », dont les dirigeants de la sous-région sont des violateurs patentés.

À l’exception de Faustin-Ange Touadéra de la Centrafrique, récemment élu – néanmoins ancien Premier ministre du président françafricain déchu en 2003 François Bozizé (coupable d’avoir amorcé une dissidence à l’égard de la métropole) – les autres chefs d’État sont parmi ceux qui battent le record de longévité illégitime au pouvoir (Obiang Nguema 38 ans ; Biya 35 ans ; Sassou 33 ans ; Déby 27 ans ; et Ali Bongo qui continue depuis 2009 quatre décennies de règne de feu son père, Omar Bongo). L’année 2016 a été celle du tripatouillage constitutionnel et de la fraude électorale évidente (Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad) (19) – les élections au Cameroun auront lieu en 2018. Ces autocrates kleptomanes peuvent se targuer d’avoir ridiculisé le chef de l’État français prétendant veiller au respect de la « démocratie ».

En s’abstenant cette fois-ci de rappeler « la démocratie », le président Hollande a aussi tenu compte du rôle militaire joué par ses « partenaires » : le Gabon (avec sa traditionnelle base militaire française des « éléments français du Gabon »), le Cameroun (« premier partenaire de la France en matière de coopération de sécurité et de défense » en Afrique centrale et dans le golfe de Guinée (20), selon le ministère français des Affaires étrangères), ainsi que le Tchad (qui abrite le QG du dispositif Barkhane, mission militaire française, supposée lutter contre le terrorisme dans la zone sahélienne).

« Bonnes résolutions » néolibérales

Quant aux autres mesures, elles ont été présentées comme des « bonnes résolutions » (21) par quelques journalistes de cette presse économique africaine, propagandiste de la croissance du PIB africain, acquise corps et âme à l’idéologie d’un développement capitaliste néolibéral. Ces « efforts d’ajustement sur les plans intérieur et extérieur, assortis de réformes structurelles adéquates » (selon le Communiqué final de ladite session extraordinaire) ne sont rien d’autre que ce qui est ressassé depuis près d’un an dans les rapports de mission du FMI, concernant aussi bien chacun des États – en fonction de l’intensité locale de la crise et du degré de laxisme à l’égard de la « bonne gouvernance » (néolibérale) – que la CEMAC. Entre autres il est question :

• de « promouvoir la migration progressive vers le financement par les marchés de capitaux, en substitution des financements directs de la Banque centrale » ;

• d’« ajustements budgétaires nécessaires à un rééquilibrage maîtrisé, judicieux et progressif de leurs finances publiques » ;

• d’« améliorer substantiellement le climat des affaires en zone CEMAC » ;

• d’« intensification des mesures et des actions en faveur de la diversification de leurs économies pour les rendre moins vulnérables aux chocs exogènes, et plus compétitives face à la libéralisation des échanges commerciaux dans un monde ouvert ».

Même si pour Christine Lagarde, ce n’est « plus le FMI de papa » (22) – ce qui a été traduit dans le langage du chef de l’État congolais : « la perspective de discussions bilatérales entre chacun des États de la CEMAC et le FMI n’était pas un programme d’ajustement structurel tel que nous en avions connu dans le passé, mais un simple accompagnement technique devant permettre à chaque pays de la zone, et ce sans contrainte ni restriction d’aucune sorte, d’amorcer son redressement en tenant compte des spécificités de sa situation » (23) – il n’en demeure pas moins que ces mesures, qui viennent longtemps après la vague initiale des programmes d’ajustement structurel particulièrement brutaux des années 1980-1990, visent un renforcement de la soumission des États de la CEMAC à l’ordre néolibéral.

Par exemple, les « marchés de capitaux » doivent se réjouir déjà de ce qui doit s’organiser en leur faveur. Des États de la CEMAC comme le Congo et le Gabon (plus présent) sont sur le marché obligataire depuis 2007, le Cameroun depuis 2015. Le dernier emprunt congolais (fin 2016) a été encouragé par le FMI. Les investisseurs doivent se frotter les mains pour l’amélioration à venir du climat des affaires dans cette sous-région, que le Doing Business de la Banque mondiale considère comme une très mauvaise élève, sans qu’y soient particulièrement protégés les droits des travailleur.e.s exploité·e·s. Les codes du travail ayant déjà été révisés largement en faveur du Capital pendant la première vague d’ajustement structurel néolibéral.

Ce qu’il y a de nouveau, c’est la mission de suivi de l’ajustement structurel par le Programme des réformes économiques et financières de la CEMAC (PREF-CEMAC), créé lors du précédent sommet extraordinaire (Malabo, juillet 2016) et présidé par le chef d’État congolais. En espérant que les institutions de ladite communauté vont se distinguer de celles des États qui en nomment les dirigeants, constituant une espèce de clientèle adepte de la « reconnaissance du ventre » (J. Chirac). Si déjà ces États arrivent à obtenir de certaines représentations ou bureaux locaux des institutions onusiennes, voire financières internationales – dirigés par des non-nationaux, dont la bonne moralité n’est pas garantie (24) – la rédaction des rapports aux statistiques fantaisistes, que peut-il en être des supposés technocrates sous-régionaux redevables à ces autocrates ? Va-t-on voir, au nom de l’« optimisation fiscale » (évoquée dans le communiqué final du Sommet de Yaoundé), les services fiscaux des États procéder au redressement fiscal des entreprises des dignitaires de ces régimes (habiles à transformer une part importante de l’argent public en capital privé) et les coquins d’investisseurs étrangers qui leur sont proches ? La CEMAC va-t-elle s’installer à l’avant-garde de la lutte contre les paradis fiscaux dans le monde, vu que les noms de certains de ces dignitaires apparaissent par exemple dans les Panama Papers ? Alors que chaque année qui passe prouve qu’il n’y a aucune réelle volonté des États capitalistes du centre, des institutions financières internationales, de combattre (ne parlons pas d’éradiquer) la fraude fiscale, malgré toute la salive usée et tout le papier gaspillé pendant des rencontres internationales sur-médiatisées. Il en est autant du « blanchiment d’argent » : « Le Secrétaire permanent du GABAC [groupe d’action contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme en Afrique centrale] a fait état des difficultés rencontrées par son institution dans la mise en œuvre des missions qui lui sont confiées. Celles-ci proviennent essentiellement de l’absence de moyens dont disposent les Agences nationales d’investigation financière (ANIF). » (25) Des dirigeants délinquants/criminels économiques peuvent-ils favoriser la lutte effective contre la délinquance ou la criminalité économique ?

Toutefois, cette nouveauté, le suivi assuré par le PREF-CEMAC ne lui confère pas, évidemment, un quelconque statut d’alter ego (dans la sous-zone) du FMI, institution cardinale de la domination néolibérale, avec qui les États ont « décidé d’ouvrir et de conclure à brève échéance, des négociations bilatérales (…) pour mieux structurer les efforts d’ajustement (…), les accompagner vers une sortie de crise et les aider à mettre en place des conditions d’une relance vertueuse et durable de leurs économies » (Communiqué final, 23 décembre 2016).

« Recette [tchadienne] de l’anticipation »

Ce qui pourrait aussi être pris pour une différence entre le FMI d’aujourd’hui, prétendant avoir tiré des leçons des premiers programmes d’ajustement structurel, et le « FMI de papa », c’est le souci que semble exprimer l’idée d’une « impérieuse nécessité de conduire des politiques budgétaires ciblées en matière de dépenses publiques afin de préserver les acquis sociaux dans un contexte d’extrême fragilité économique et financière ». Ce que le FMI semble avoir oublié d’appliquer, avec ses partenaires de la troïka, en Grèce (sous ajustement structurel) ou en Égypte (où le prêt qu’il vient de lui octroyer doit avoir entre autres conséquences la suppression de la subvention de certains produits de première nécessité).

C’est sans conséquences que les institutions de Bretton Woods semblent se soucier depuis les années 1990 de la paupérisation résultant de leurs politiques – la devise de la Banque mondiale étant même, sans rire, d’« œuvrer pour un monde sans pauvreté ». En effet, même l’ambition assez modeste de « réduction de la pauvreté » ayant succédé, à la fin du siècle passé, aux « filets de sécurité sociale », ne s’avère rien d’autre qu’un cynique cache-misère. Le FMI ne s’est pas mis à encourager la construction des hôpitaux publics, des écoles publiques, pratiquant réellement la gratuité, avec du personnel qualifié aux salaires décents, de bons ratios personnel soignant/patients, enseignants/apprenants. Les « ajustements budgétaires nécessaires à un rééquilibrage maîtrisé, judicieux et progressif de leurs finances publiques » auxquels se sont engagés les chefs d’État de la CEMAC ne peuvent favoriser que le contraire.

Ce qu’éprouvent déjà, et de nouveau, les classes populaires tchadiennes, avec la « recette de l’anticipation ». Pour les fonctionnaires cela signifie baisse des revenus, suite à une réduction à 50 % de leurs indemnités, et accumulation d’arriérés de salaire. Pour les étudiants, il s’agit de passer toute une année académique (2016-2017) sans que leur soit versé un seul mois de bourse. Aussi modique qu’elle soit, elle permet aux étudiants des classes populaires de survivre. Et, pour toutes les classes populaires, il y a la hausse des impôts sur des denrées de première nécessité. Cela se passe dans un Tchad qui est depuis 2014 en « Facilité élargie de crédit » du FMI (l’ancienne Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance), une « aide » (comprendre un prêt) sans intérêt censée viser, entre autres, la préservation des « dépenses sociales et les autres dépenses prioritaires », selon le FMI (26). Rappelons que le Tchad est parmi les derniers pays au monde en matière d’indice du développement humain du PNUD (qui n’est pourtant pas la meilleure façon de mesurer le bien-être multidimensionnel dans une société). En parlant d’« anticipation » au lendemain du Sommet de Yaoundé, le président tchadien a indiqué que ces mesures, qui s’inscriront dans l’« ajustement structurel et vigoureux » à négocier, dureront bien plus longtemps que les dix-huit mois annoncés à leur adoption.

Les autres États ne manqueront pas également de toucher aux dépenses sociales.

L’État de Guinée équatoriale qui a gelé les salaires des fonctionnaires depuis 2015, suite à son entrée en récession, sera sans doute appelé à faire davantage en matière d’ajustement budgétaire, avec pour effet beaucoup plus de pauvreté dans la société. Car, si la Guinée équatoriale a un revenu national brut par habitant le plus élevé de l’Afrique dite subsaharienne, c’est en même temps en ayant les deux tiers de la population vivant sous le seuil de pauvreté, à la différence du vice-président et fils du président dont le train de vie symbolise très bien la vulgarité consumériste, par mimétisme sot de « la vraie vulgarité bourgeoise » (27) des stars du show-business international, se prenant pour du raffinement dans ces kleptocraties néocoloniales. Vulgarité, en l’occurrence, maculée de sang.

Au Congo, vient d’être effectué un recensement des fonctionnaires – il existerait des « fantômes » percevant un salaire – dans la perspective d’une réduction de la masse salariale, considérée comme inévitable en ajustement structurel. Mais sera-ce suffisant ? L’échéance des élections législatives dans les prochains mois ne rend pas propice l’annonce de mesures de baisse des salaires, de gel des effets financiers des avancements, etc. Le programme de distribution gratuite des antirétroviraux qui devrait désormais être financé par l’État est à l’arrêt.

Au Gabon, où un mois de salaire a été payé avec retard entre les élections et le Sommet de Yaoundé, le Premier ministre a annoncé, quelques jours avant le démarrage de la Coupe d’Afrique des Nations de football, qu’il ne sera pas procédé à la baisse des salaires, mais sans avoir convaincu celles et ceux qui sont déjà mobilisés, ne voulant pas payer la facture à la place de celles et ceux qui ont vénalement profité de la soi-disant croissance.

Luttes sociales

En effet, le Sommet de Yaoundé s’est tenu au cours d’un deuxième semestre 2016 assez mouvementé dans la sous-région. En dehors de la Centrafrique, où se manifeste encore sporadiquement la violence commencée en 2013, de la Guinée équatoriale, où pour développer son « holding, Abayak » et ses « parts dans tous les secteurs économiques » (28), l’autocrate a pu se faire réélire, en avril, à 97 %, sans susciter une mobilisation populaire, grâce à son dispositif répressif dissuasif (29), et du Congo, où la contestation a pris fin avec la situation militaire confuse et meurtrière qui a commencé à Brazzaville et s’est installée depuis dans le département du Pool voisin (30), les trois autres pays de la sous-région sont entrés dans la nouvelle année sous le signe de la mobilisation populaire.

Cameroun, où la situation économico-financière est la moins critique malgré la baisse des recettes douanières occasionnée en quelques mois d’Accord de partenariat économique intérimaire avec l’Union européenne (31), la vague actuelle de revendication d’un retour au fédéralisme s’avère avant tout une dénonciation des injustices sociales, de la discrimination sur base linguistique, déclenchée par les enseignants de la partie anglophone contre l’État camerounais sous domination francophone. Il semble, malheureusement, que cette dimension sociale n’a pas bénéficié d’une solidarité effective en zone francophone, considérée plutôt comme unitariste. Ce qui risque de nuire aux éventuelles réactions unitaires qu’exigeraient les attaques antisociales de la part du gouvernement de Biya. Même si la veille d’une année électorale tendrait plutôt à rendre prudente la fraction au pouvoir.

Au Tchad, l’annonce des « seize mesures », quelques mois après la victoire – considérée comme frauduleuse et suivie d’une interdiction de manifestations publiques – d’Idriss Déby à l’élection présidentielle, a provoqué une mobilisation des syndicats, des associations citoyennes, des partis politiques rejetant le fait de vouloir faire porter par les classes populaires une partie du fardeau résultant de la mauvaise organisation de l’économie nationale en général, de la mauvaise gestion des revenus pétroliers, en particulier. Car la baisse du prix du baril de pétrole et Boko Haram ne sont pas des explications suffisantes pour ce mouvement contestataire. La situation financière ne permettant pas de payer les salaires des fonctionnaires à partir de septembre, devant entraîner un cumul des arriérés, les syndicats enseignants soutenus par le syndicat des étudiants, ont déclenché une grève. La marche des femmes de l’Union des syndicats du Tchad, prévue pour le 8 novembre 2016, a été empêchée par le pouvoir, qui s’est peut-être rappelé que la manifestation populaire ayant chassé Blaise Compaoré du pouvoir avait été précédée par une marche populaire de femmes. Quatre mois de grève, très suivie, au cours desquels se sont joints aux syndicats enseignants, ceux de la santé, de la magistrature, paralysant la Fonction publique, revendiquant en chœur le paiement des arriérés de salaire, de la pension des retraités, le retrait des mesures les concernant ainsi que les étudiants, la libération des activistes incarcérés. À la mi-janvier 2017, la grève a été suspendue pour un mois.

C’est deux semaines après le vote d’une nouvelle loi restreignant le droit de grève, non reconnue par les syndicats, conscients du rapport des forces en leur faveur, que ces syndicats ont démocratiquement décidé la trêve d’un mois (prolongée de deux semaines à la mi-février 2017) devant permettre au gouvernement de réfléchir à d’autres solutions que celles de l’ajustement structurel. Le refus par le Mouvement d’éveil citoyen (plateforme d’associations de défense des droits humains, de partis politiques, d’indépendants, etc., créée en fin décembre 2016 et soutenant le mouvement social) de respecter son interdiction annoncée par le ministre de l’Intérieur augure du type d’accueil qui sera réservé à l’entêtement du gouvernement à attaquer les acquis sociaux et les libertés.

Au Gabon, la contestation du résultat de la présidentielle d’août 2016, pour cause de fraude, a été meurtrièrement réprimée par le régime d’Ali Bongo, sans toutefois arriver à faire plier un peuple lassé de l’emprise des Bongo sur le pays. Ainsi, parallèlement à la mobilisation de l’opposition politique, les syndicats enseignants du secteur public avaient déclenché une grève, boycottant la rentrée scolaire retardée d’un mois. La Convention nationale des syndicats du secteur de l’éducation (Conasysed), en grève illimité depuis la rentrée, l’a reconduite en fin novembre 2016. Les enseignants revendiquent l’amélioration de leurs conditions de travail – avec le soutien des élèves qui l’ont, par exemple, exprimé dans les rues des principales villes le 21 février : de meilleures conditions de travail pour une vraie scolarité. Comment peut-on enseigner et apprendre dans des classes de cent cinquante élèves (du primaire en terminale) ? Une situation qui est bien antérieure à la baisse du prix du baril du pétrole. Elle relève plutôt d’un mépris des classes populaires, dont les enfants ne peuvent aller qu’à l’école publique, par un chef d’État ayant d’autres priorités : « Pendant 7 ans sous la présidence de M. Ali Bongo Ondimba, les gouvernements successifs n’ont construit aucune école, aucun collège d’enseignement secondaire, aucun lycée et aucune université alors que dans le même temps 863 milliards de FCFA (environ 1/3 du budget national sur un exercice) ont été consacrés à l’organisation de compétitions sportives » (32). En cette période présentée comme de difficultés financières, l’égocentrisme d’un individu et de sa cour (soutenus ici par l’entreprise Total, elle aussi en mal d’image), éloignés des difficultés quotidiennes d’un peuple qu’ils prétendent représenter, fait prévaloir le sport – participant en bonne place dans le dispositif du spectaculaire marchand abrutisseur – non seulement sur l’école publique, mais aussi sur d’autres secteurs sociaux d’une grande importance : « les 463 milliards FCFA de budget alloués à l’organisation de la CAN 2017 [Coupe d’Afrique des Nations, de football] dépassent les budgets affectés à l’éducation nationale, la santé et les constructions de logements et équipements collectifs, qui s’établissent à 441 milliards FCFA en 2016 (…). Le budget de la CAN 2017 est demeuré constant malgré le ralentissement de la croissance économique tandis que les budgets des programmes prioritaires ont tous subi des coupes variant de – 6 % pour l’éducation nationale à – 42 % et – 43 % pour la santé et l’agriculture » (idem, p. 28). Une part de ces milliards alourdit la dette publique du Gabon. Un mépris de classe. La Dynamique unitaire syndicale (une quarantaine de syndicats), constituée pour dénoncer les injustices sociales et réagir à l’ajustement structurel à venir et dont la grève se poursuit, a appelé, avec d’autres, au boycott de la CAN 2017. Ainsi, l’ouverture de cette compétition s’est faite dans un stade, nouvellement construit, à moitié vide. Signe d’une certaine détermination populaire à ne pas céder à la diversion, à ne pas accepter de payer la facture d’une gestion des richesses nationales et de l’État pendant quatre décennies, ayant servi à l’enrichissement scandaleux d’une famille (Bongo), propriétaire de la holding Delta synergie, la pieuvre capitaliste gabonaise (33). Le syndicat des magistrats entré en grève en novembre 2016 vient de la lever à la mi-février 2017.

Vers l’éclosion d’une nouvelle conscience sociale ?

La première vague d’ajustement structurel néolibéral avait favorisé la « démocratisation » dans une Afrique dominée par des régimes de monopartisme et d’inégalités/injustices sociales criardes. Dans l’Afrique centrale, de l’actuelle CEMAC, elle n’avait pas vraiment ébranlé les autocrates au pouvoir. Exception faite au Congo RDC où, après une conférence nationale souveraine, suivie d’une transition dé-présidentialisée, l’ancien autocrate avait été battu électoralement en 1992. Mais, cinq ans plus tard (1997), il est finalement revenu au pouvoir, à l’issue d’une guerre cofinancée par la France de la cohabitation Chirac-Jospin et de la pétrolière Elf, aidée par l’Angola. Une « démocratisation » vendue par le complexe idéologique capitaliste néolibéral (des politologues aux organisations de la « société civile » en passant par les institutions financières internationales) comme « économie de marché et multipartisme » accompagnés d’une « société civile » dynamique se conformant à cette définition de la démocratie. Ainsi, dans cette ambiance de la « fin de l’histoire », le multipartisme s’est réalisé, dans cette sous-région, comme coexistence du parti de l’autocrate avec une opposition, en général acquise à l’économie capitaliste – avec parfois des situations conflictuelles exprimant la volonté et le refus d’une alternance dans le contrôle du « gâteau ».

Ce consensus sur le capitalisme a accentué l’accumulation capitaliste, aux dépens des trésors publics, par la fraction politico-affairiste de l’autocrate, l’essor de capitalistes locaux, des facteur et expression de la croissance des inégalités et des injustices sociales dénoncées au cours des luttes évoquées ci-dessus.

Celles-ci, prémisses des luttes contre la nouvelle vague de l’ajustement structurel, annoncent-elles l’éclosion d’une nouvelle conscience sociale dans les classes populaires qui contestera non seulement les conséquences sociales nocives de l’ajustement structurel néolibéral, mais amorcerait la critique systématique du capitalisme, de l’impérialisme, dont relève ledit ajustement tout comme le FCFA ? Une nouvelle conscience sociale qui ne s’en prendrait pas qu’à l’autocratie capitaliste locale – en attendant l’alternance des fractions politiques capitalistes, comme cela se fait ailleurs en Afrique – car toute alternance devrait normalement s’accompagner d’un audit de la dette publique. Une conscience, qui combattrait aussi les structures sous-régionales d’intégration du panafricanisme capitaliste (l’Union africaine prépare actuellement une Zone de libre-échange continental, sur le modèle de celles existant ou se négociant ailleurs dans le monde). Ainsi que le capitalisme, aussi bien central traditionnel, dont l’impasse actuelle ne peut qu’avoir davantage de graves répercussions dans nos sociétés, que le capitalisme émergent : le ralentissement de la locomotive chinoise n’ayant pas été étranger à la baisse des cours du pétrole et d’autres matières premières exportées d’Afrique, avec la probabilité des risques plus graves à l’horizon. Capitalisme qui – il faut toujours le rappeler, vu la force persuasive de sa machine ou son complexe idéologique – est naturellement producteur/reproducteur des injustices et inégalités sociales, y compris entre les genres, autant qu’écocide.

Une telle éclosion d’une nouvelle conscience sociale dans les classes populaires exigerait la construction de solidarités dans l’action et la réflexion entre organisations des classes populaires (rurales et urbaines), de différents types, à l’instar du Mouvement d’éveil citoyen du Tchad ou de la Dynamique unitaire syndicale du Gabon. Des solidarités pour éviter de reproduire les situations post-Ben Ali et post-Moubarak. Des solidarités, non seulement dans l’espace national, mais aussi dans la sous-région, voire au-delà.

Aux questions du Franc CFA, de la nouvelle vague d’ajustement structurel communautaire, des Accords de partenariat économique avec l’Union européenne (34), de la Zone de libre-échange continental, les classes populaires, leurs organisations, devraient apporter des réponses solidaires « sous-régionales » s’inscrivant dans un internationalisme (africain, mondial) écologique et émancipateur des exploités et des opprimés. ■

Jean Nanga*

* Jean Nanga est correspondant d’Inprecor en Afrique centrale. Cet article a été écrit pour la revue Viento Sur (http://vientosur.info/).

Notes

 1. Il s’agit d’un regroupement économique et monétaire dont les six membres font par ailleurs partie d’un regroupement (non monétaire) plus large dit Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) avec l’Angola, le Burundi, la République démocratique du Congo et São Tomé-et-Principe.
 2. Plus ambitieux que ses compères, Denis Sassou Nguesso (Congo) a néanmoins dénommé son projet post-électoral « La Marche vers le développement ».
 3. Sanou Mbaye (interviewé par Mamadou Moussa Ba), « L’Afrique bien partie », BBC, 17 juin 2016, http://www.bbc.com/afrique/region/2016/06/160613_mbaye
 4. « Paul Biya invite les chefs d’État de la Cemac à Yaoundé en vue d’un ajustement vigoureux et structuré », Agence Ecofin, 22 décembre 2016, http://www.agenceecofin.com/gestion-publique/2212-43393-paul-biya-invite-les-chefs-de-l-etat-de-la-cemac-a-yaounde-en-vue-d-un-ajustement-vigoureux-et-structure.
 5. « La CEMAC s’accorde pour un “ajustement structurel et vigoureux” », Xinhua, 24 décembre 2016, http://french.china.org.cn/foreign/txt/2016-12/24/content_39975397.htm.
 6. C’est ainsi que le chef de l’État tchadien a nommé (cf. ses vœux à la nation, à l’occasion du nouvel an 2017) les seize mesures d’urgence, prises en août 2016 et censées contribuer au redressement des finances publiques, qui frappent, entre autres, les salaires des fonctionnaires et la bourse des étudiants. Elles ont anticipé les mesures budgétaires de l’ajustement structurel néolibéral.
 7. Cf. les rapports du FMI (disponibles sur http://www.imf.org), en particulier le dossier Rapport du FMI N° 16/277, « Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale. Les politiques communes des États membres : Communiqué de presse ; Rapport des services du FMI ; et Déclaration de l’Administrateur », août 2016 ; Parfait N. Siki et Joseph Roland Djotié, « FMI préconise ajustements structurels / At loggerheards with IMF », CEMAC Business avec Le Quotidien de l’Économie, 1er novembre 2016, http://www.cemacbusiness.com/2016/11/01/cameroun-fmi-preconise-ajustements-structurels-at-loggerheads-with-imf/.
 8. Depuis quelques années, les deux sous-zones négocient l’interchangeabilité de leurs monnaies.
 9. Cf., par exemple, Éric Toussaint, la Finance contre les peuples. La Bourse ou la vie, Paris/Genève/Liège 2004, Syllepse/CETIM/CADTM, p. 310-311.
 10. Joseph Tchundjang Pouemi, Monnaie, servitude et liberté. La répression monétaire de l’Afrique, Paris, Jeune Afrique, 1985.
 11. « Charge du président Wade contre la BCEAO », Les Afriques, 22 février 2010, http://www.lesafriques.com/index2.php?option=com_content&task=view&id=22433&pop=1&page=0&Itemid=80 ; « Franc CFA : échanges croisés Wade-Lagarde sur les garanties », Les Afriques, 14 mai 2010, http://www.lesafriques.com/index2.php?option=com_content&task=view&id=24309&pop=1&page=711&Itemid=227 ; Claude d’Almeida (ancien cadre de la BCEAO, auteur du Devenir du Franc CFA, 2000 ; interviewé par Hance Guèye), « Reserves de la BCEAO : Wade a raison », Les Afriques, 1er juin 2010, http://www.lesafriques.com/l-africain-de-la-semaine/reserves-de-la-bceao-wade-a-raison.html?Itemid=308?articleid=24724.
 12. Cité par Cheikh Dieng, « Idriss Déby appelle les pays africains à se débarrasser du Franc CFA », Afrik.com, 14 août 2015, http://www.afrik.com/idriss-deby-appelle-les-pays-africains-a-se-debarrasser-du-franc-cfa.
 13. Par exemple, la nouvelle vague critique du FCFA, post-dévaluation de 1994, est le fait, entre autres, de l’économiste ivoirien Mamadou Koulibaly (ancien ministre des Finances sous la présidence du Général Robert Guéï et ancien président de l’Assemblée nationale sous le régime de Laurent Gbagbo), d’un point de vue néolibéral assumé, envisageant entre autres, après le démantèlement de la zone FCFA, « des banques (…) privées et indépendantes et (…) [d]es banques centrales [aya]nt la liberté de mettre en œuvre des politiques monétaires crédibles », Mamadou Koulibaly (entretien avec Ruth Tete et Soh Tadieu), « “La France exploite l’Afrique par le biais du franc CFA” » New African, 11 février 2008.
 14. Kako Nubukpo, Martial Ze Belinga, Bruno Tinel, Demba Moussa Dembele, Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. À qui profite le franc Cfa ? Paris, La Dispute, octobre 2016. La critique, post-dévaluation, la plus médiatisée dans les milieux panafricanistes étant celle de Nicolas Agbohou, Le franc CFA et l’euro contre l’Afrique, Paris, Éditions Solidarité mondiale A.S., 1999.
 15. Il s’agit grosso modo d’une opposition entre nationalistes critiques de la zone FCFA mais pro-capitalistes (néolibéraux) et capitalistes au pouvoir dépourvus de quelque fibre nationaliste, encore attachés à cette servitude monétaire.
 16. Jean Batou, « Le redéploiement de l’impérialisme français en Afrique et la sidération humanitaire de la gauche », Inprecor n° 601/602, janvier-février 2014, p. 33-43.
 17. Pierre Lepidi, « Le Medef affine sa politique africaine en vue du sommet Afrique-France de Bamako », le Monde, 5 décembre 2016, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/12/05/le-medef-affine-sa-politique-africaine-en-vue-du-sommet-afrique-france-de-bamako_5043667_3212.html.
 18. « Faustin Touadéra, grand VRP de la Chine », la Lettre du Continent, 18 janvier 2017, p. 7.
 19. Au Gabon où il y a eu une mission d’observation de l’Union européenne (MOE) pendant l’élection présidentielle d’août 2016. Son Rapport final met en doute la victoire d’Ali Bongo, après avoir constaté que : « Dans le Haut-Ogooué où la Moe a relevé un processus de consolidation particulièrement opaque et des anomalies au niveau des commissions électorales, le taux de participation tel que publié par le MdI [ministère de l’Intérieur] est de 99,93 %, avec 95,47 % des suffrages, pour le président sortant. Le taux de participation au niveau national, sans le Haut-Ogooué, s’évalue à 54,24 % (…) Il est à noter que les résultats de cette province ont inversé la tendance constatée par la mission sur la base des résultats annoncés par les gouverneurs des huit autres provinces du pays. Ces anomalies mettent en question l’intégrité du processus de consolidation des résultats et du résultat final de l’élection. » Cf. aussi, par exemple, Jean Ping (interviewé par Christophe Châtelot), « Les Français ont torpillé la position de l’Europe sur les résultats de l’élection », le Monde, 9 novembre 2016,
 20. Le golfe de Guinée est cette zone côtière atlantique et pétrolifère qui va de l’Angola au Liberia dans laquelle la France et les États-Unis ont décidé de jouer les gendarmes contre les pirates qui attaquent les plateformes pétrolières, voire les tankers.
 21. « Les 21 bonnes résolutions des chefs d’État de la CEMAC pour sortir la sous-région du marasme économique », Agence Ecofin, 26 décembre 2016, http://www.agenceecofin.com/gestion-publique/2612-43452-les-21-bonnes-resolutions-des-chefs-d-etat-de-la-cemac-pour-sortir-la-sous-region-du-marasme-economique. Comme pour s’adapter au jargon néolibéral utilisé pour les économies de l’Union européenne, un analyste économique africain, Mays Mouissi, a intitulé son article consacré au dit sommet « CEMAC : Non à la dévaluation du FCFA, oui à l’austérité », mays-mouissi.com, 26 décembre 2016, http://www.mays-mouissi.com/2016/12/26/cemac-non-a-devaluation-fcfa-oui-a-lausterite/. « Austérité » est moins connoté en Afrique (en Amérique dite latine et en Asie aussi) que « ajustement structurel ».
 22. Christine Lagarde (interviewé par Alain Faujas), « Nous ne sommes plus le FMI de papa », Jeune Afrique, 29 mai 2014, http://www.jeuneafrique.com/9590/economie/christine-lagarde-nous-ne-sommes-plus-le-fmi-de-papa/.
 23. « Compte rendu du Conseil des ministres du 31 décembre 2016 ». À la différence du l’endettement critique des années 1980, le taux d’endettement des États de la CEMAC est actuellement en moyenne en dessous du plafond fixé par la communauté (70 % du PIB), et du taux d’endettement africain actuel de 65 %. Seul le Congo (78 % des recettes dépendent des hydrocarbures) est à 78 % du PIB, le pire de la CEMAC, alors que le Cameroun, première économie de la CEMAC, est à 38 %, le Gabon 50,1 % et la Guinée équatoriale a le taux le plus bas : 25 % (estimation pour 2016).
 24. Rappelons que la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, a été reconnue, par la justice française, délinquante « par négligence », en tant que ministre des Finances, de l’Économie et de l’Emploi de la France sarkozienne : « en résumé, Christine Lagarde avalise le vol de 403 millions d’euros dans les caisses de l’État, et, en ressort avec un casier judiciaire vierge, un blason redoré et demeure à la tête d’une des institutions financières les plus puissantes au monde », CADTM France, CADTM Belgique, « Procès Lagarde, la culpabilité version business class », Politis, 22 décembre 2016, http://www.politis.fr/articles/2016/12/proces-lagarde-la-culpabilite-version-business-class-36034/
 25. Communauté Économique et monétaire de l’Afrique centrale, Communiqué final de la 13e session ordinaire de la Conférence des chefs d’État de la CEMAC, Djibloho (Guinée équatoriale), 17 février 2017, p. 8.
 26. Fiche de la Facilité élargie de crédit sur le site du FMI : http://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/ecff.htm.
 27. La Canaille, « Monsieur Madame », CD La nausée, L’Autre Distribution, 2014. Voir également la deuxième partie de l’enquête de Ken Silverstein (« Teodorin’s World », Foreign Policy, Mar/Apr 2011, p. 54-62) traduite par Slate (Bérengère Viennot), « Le monde selon Obiang fils, entre Lamborghini et escort-girls », SlateAfrique, 6 mai 2011 (mis à jour le 3 janvier 2017), http://www.slateafrique.com/1851/guinee-equatoriale-le-monde-selon-teodorin-2.
 28. « Teodorín Obiang, le fils gâté qui siphonne son pays », Courrier international (traduction d’un article de El País), 12 avril 2012, http://www.courrierinternational.com/article/2012/04/12/teodorin-obiang-le-fils-gate-qui-siphonne-son-pays.
 29. Andrés Esono Ondo, « La ilegalidad es para el regimen de Obiang como el agua para el pez », La Verdad, n° 79, 14 de julio 2016, http://www.asodeguesegundaetapa.org/andres-esono-ondo-la-ilegalidad-es-para-el-regimen-de-obiang-como-el-agua-para-el-pez-la-verdad-no-79-14-de-julio-2016/ ; Collectif de solidarité avec les Luttes sociales et politiques en Afrique, « Processus électoral sans démocratie en Guinée équatoriale », 22 avril 2016, http://www.afriquesenlutte.org/afrique-centrale/guinee-equatoriale/article/processus-electoral-sans.
 30. Cf. Jean Nanga, « Tripatouillage constitutionnel et consolidation meurtrière d’un népotisme capitaliste », Inprecor n° 633/634 de novembre-décembre 2016.
 31. Le Cameroun ayant une production agricole exportée vers l’Union européenne avait conclu, en solitaire, un APE intérimaire qui est entré en vigueur en août 2016. Un mois plus tard les pertes en recettes douanières – marchandises en provenance de l’UE entrant sans droits de douane au Cameroun – ont été officiellement évaluées à 51 millions de FCFA (environ 77 000 €).
 32. Mays Mouissi (superviseur), Gabon : état des lieux et impacts de la crise post-électorale, novembre 2016, p. 13 : https://drive.google.com/file/d/0B7zW-AbMZkU8WnZ1NUlJUk5wX2M/view
 33. Fénéon & Delabrière Associés, Audition des participations Delta Synergie. Rapport de mission, 15 avril 2012, 256 p. Il s’agit d’un « audit juridique des participations détenues par la Société Delta Synergie [Holding de la famille Bongo] dans le cadre de la succession du défunt Président Monsieur Omar Bongo ». Il est précisé : « Strictement personnel & confidentiel ». Publié par Mediapart.fr il est aussi disponible gratuitement à : http://www.mays-mouissi.com/wp-content/uploads/2015/04/Audit-des-participations-Delta-Synergie.pdf.
 34. L’Union européenne, opposée à toute renégociation, exerce un chantage sur les cinq États de la CEMAC qui n’ont pas encore ratifié les Accords de partenariat économique (APE) avec l’UE. Mais même les prédateurs des trésors publics au pouvoir sont effrayés par l’immensité des pertes en recettes douanières qu’occasionnerait l’entrée en vigueur de ces accords ainsi que par la compétitivité des marchandises exportées par l’UE. « Ces pertes seraient très lourdes, passant de 41,5 M€ en 2016 à 586 M€ en 2022, 1,027 Md€ en 2029 et 1689 Md€ en 2050 et les pertes cumulées bondiraient à 2,227 Md€ en 2022, 8,120 Md€ en 2029 et 36,404 Md€ en 2050 » selon Jacques Berthelot, « Pertes de recettes douanières de la CEMAC dues à l’APE avec l’UE28-RU », SOL, 11 février 2017. Par ailleurs, les APE opposent, au sein du capital local – celui des kleptocrates compris – des États de la CEMAC, les secteurs qui exportent vers l’UE et ceux qui produisent pour le marché local – menacés par la libre entrée des marchandises (compétitives) en provenance de l’UE.

Source : http://www.inprecor.fr