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Burundi : Arrestation de Bob Rugurika, un éminent journaliste de radio

D 30 janvier 2015     H 05:49     A Human Rights Watch     C 0 messages


Les autorités burundaises ont arrêté un éminent journaliste le 20 janvier 2015, quelques jours après que sa station de radio a diffusé une série de reportages d’investigation sur le meurtre en septembre 2014 de trois religieuses italiennes âgées au Burundi. Ces reportages contenaient des allégations sur l’implication de hauts responsables des services de renseignement dans l’attaque contre le couvent.

Les autorités burundaises n’ont fourni aucune preuve pour justifier la détention du journaliste, Bob Rugurika, directeur de la Radio publique africaine (RPA), et devraient immédiatement le libérer.

Le 22 janvier 2015, Rugurika a été placé en détention dans une cellule d’isolement sans autorisation de recevoir des visites.

« L’arrestation de Rugurika et les poursuites dont il fait l’objet semblent être une tentative pour le réduire au silence et empêcher sa station de radio d’enquêter et de diffuser des informations sur des sujets sensibles », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique. « Le système judiciaire burundais ne devrait pas être utilisé pour museler la liberté des médias. »

L’arrestation de Rugurika s’inscrit dans une tendance d’attaques gouvernementales contre la liberté d’expression, prenant particulièrement pour cible les journalistes, les militants de la société civile et les membres de partis politiques. Ces attaques ont connu une escalade à l’approche des élections qui doivent se tenir en mai au Burundi.

Dans l’une des émissions de radio consacrées au meurtre des religieuses, la RPA interviewait un homme qui affirmait avoir participé à l’attaque. Il prétendait que de hauts responsables des services de renseignement et des forces de sécurité étaient impliqués dans l’organisation de l’attaque.

Des journalistes de la RPA ont indiqué à Human Rights Watch que la station de radio avait contacté ces responsables avant les émissions, et que ceux-ci avaient affirmé qu’ils n’étaient pas au courant des allégations et qu’ils ne souhaitaient pas faire de commentaires.

Les avocats de Rugurika et les représentants du parquet ont indiqué à Human Rights Watch qu’il sera probablement mis en accusation pour complicité d’assassinat, entraves à l’administration de la justice par la violation du secret d’instruction, recel d’un criminel et manquement à la solidarité publique.

Le procureur de Bujumbura Mairie a déclaré à Human Rights Watch le 21 janvier que Rugurika pourrait être considéré comme complice dans l’assassinat des religieuses parce qu’il avait rencontré un des auteurs présumés de ce crime mais n’en avait pas informé les autorités ni ne l’avait livré afin qu’il soit arrêté. Le procureur a ajouté que bien qu’un homme arrêté peu après les meurtres aurait avoué les crimes, l’instruction judiciaire était encore en cours et l’interview par la RPA d’une autre personne soupçonnée d’être impliquée pourrait entraver l’enquête.

Le 19 janvier, Rugurika a reçu une convocation du parquet lui demandant de fournir des éclaircissements sur le dossier de l’assassinat des religieuses italiennes et de « produire devant le ministère public l’un des criminels à [sa] disposition. »

Dans la matinée du 20 janvier, des agents du parquet ont interrogé Rugurika sur ses méthodes d’investigation, entre autres choses. Il a été arrêté dans l’après-midi, sur la base d’un mandat émis par le procureur, et emmené à la prison de Mpimba à Bujumbura, la capitale. Le procureur a indiqué à Human Rights Watch que Rugurika subirait d’autres interrogatoires dans les prochains jours.

Dans la matinée du 22 janvier, Rugurika a été transféré à la prison de Muramvya, à une trentaine de kilomètres de Bujumbura. Il a été placé en cellule d’isolement et des visiteurs n’ont pas été autorisés à le voir. Le directeur de la prison de Muramvya a refusé de donner aux collègues de Rugurika qui tentaient de lui rendre visite les raisons pour lesquelles il avait été transféré et n’était pas autorisé à recevoir des visites. Le directeur de la prison de Mpimba n’a pas non plus voulu expliquer à Human Rights Watch pourquoi Rugurika avait été transféré.

« Nous sommes très préoccupés par la détention de Rugurika à l’isolement », a déclaré Daniel Bekele. « Les autorités devraient immédiatement lui accorder l’accès à des visites et garantir son bien-être en prison. »

Le droit international des droits humains, notamment la Charte africaine sur les droits de l’homme et des peuples et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, tous deux ratifiés par le Burundi, indique clairement que la détention préventive devrait constituer l’exception et non la règle. Les autorités burundaises n’ont fourni aucune preuve de la nécessité de maintenir Rugurika en détention.

Le Burundi dispose de médias indépendants actifs ayant une forte tradition de journalisme d’investigation. La RPA est l’une des stations de radio les plus écoutées, disposant de correspondants dans tout le pays. Elle diffuse fréquemment des informations considérées comme critiques à l’égard du gouvernement, notamment des comptes-rendus détaillés de violations présumées des droits humains et des interviews de victimes et de leurs familles, ainsi que de présumés auteurs de ces violations. Le gouvernement accuse la RPA d’être un instrument de l’opposition politique.

Rugurika, qui était le rédacteur en chef de la RPA avant d’en devenir le directeur en 2014, a été menacé à maintes reprises en lien avec des reportages de la RPA sur d’autres sujets sensibles. De hauts responsables du gouvernement l’ont menacé personnellement, et le Conseil national de la communication, l’organisme d’État qui règlemente les médias, a adressé des avertissements à la station de radio. Des agents du gouvernement ont également menacé plusieurs membres importants du personnel et journalistes de la RPA.

Des journalistes travaillant pour d’autres stations de radio et pour des journaux ont également été intimidés, et certains ont été arrêtés, pour avoir rendu compte d’abus présumés commis par le gouvernement. Nombre d’entre eux, notamment Rugurika, ont été convoqués pour interrogatoire à maintes reprises par les autorités. Malgré ce harcèlement persistant, les journalistes n’ont pas hésité à documenter et à rendre compte de sujets controversés.

« Dans une tentative désespérée pour obtenir une victoire électorale, le parti au pouvoir au Burundi attaque ses critiques les plus éminents, en les prenant un par un », a déclaré Daniel Bekele. « En tentant de museler la RPA, il espère peut-être se débarrasser de l’une de ses principales bêtes noires. »

En mai 2014, un défenseur éminent des droits humains, Pierre Claver Mbonimpa, a été arrêté à la suite d’une interview donnée à la RPA alléguant que des jeunes Burundais étaient armés et envoyés pour un entraînement militaire en République démocratique du Congo, pays frontalier du Burundi. Il a été mis en accusation pour atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’État et détenu pendant quatre mois. Il a été libéré en septembre pour raisons de santé mais il attend encore d’être jugé.

En août, le Conseil national de la communication a mis en garde la RPA, la sommant de cesser de diffuser des interviews de personnes prétendant disposer d’informations appuyant les allégations de Mbonimpa. Celui-ci est président de l’Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH), l’une des critiques les plus éloquentes et respectées à l’égard du bilan du gouvernement en matière de droits humains.

En juin 2013, le Burundi a adopté une nouvelle loi sur la presse restreignant les libertés des médias. Entre autres choses, cette loi limite les sujets pouvant être couverts par les journalistes, criminalisant potentiellement les reportages sur des sujets tels que l’ordre public et la sécurité.

Les autorités burundaises devraient assurer un équilibre approprié et équitable entre la liberté des médias, notamment la liberté des journalistes d’enquêter sur les crimes et d’en rendre compte, et la garantie de l’intégrité des enquêtes criminelles.

Dans sa Déclaration de principes sur la liberté d’expression en Afrique, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples stipulait en octobre 2002 : « Toute restriction à l’exercice de la liberté d’expression doit être fixée par la loi, servir un intérêt légitime et être nécessaire dans une société démocratique. »

Les autorités burundaises n’ont montré aucun motif pour lequel l’emprisonnement de Rugurika est soit proportionné soit nécessaire. Sa détention équivaut donc à une violation du droit à la liberté d’expression et du droit à l’information du public, inscrits dans la Charte africaine sur les droits de l’homme et des peuples.

Rugurika devrait être remis en liberté tandis que les autorités poursuivent leurs enquêtes sur l’assassinat des religieuses. S’il doit être mis en accusation, il devrait être présenté sans délai devant un juge.

« Les autorités burundaises devraient mener des poursuites à l’encontre des personnes responsables de l’assassinat des religieuses, et non s’en prendre à des journalistes qui rendent compte de l’incident », a conclu Daniel Bekele.