Vous êtes ici : Accueil » Afrique centrale » Cameroun » Cameroun : Biya aux abois

Cameroun : Biya aux abois

D 2 juillet 2010     H 13:07     A Pierre Sidy     C 0 messages


Paul Biya a l’habitude de narguer les Camerounais-e-s. On a
déjà retenu de lui que « la conférence nationale est sans
objet » mais aussi que « tant que Yaoundé respire, le
Cameroun vit ! » Il n’y a pas longtemps, il a ourdi une rumeur sur
sa propre mort, pour faire une rentrée triomphale alors qu’il était
hors du pays. « Je vous donne rendez-vous dans 20 ans », avaitil
alors déclaré à son retour. Tout le monde a compris : « ma
présidence à vie ».

Mais la sérénité a commencé de changer de camp et Biya doit
forcer de plus en plus le trait. Ainsi, avec, fin décembre 2009,
L’Appel du peuple, un livre d’autocrate, prélude à ce qui sera son
annonce de candidature pour la prochaine présidentielle lors de
sa présentation des voeux de janvier dernier ! Présidentielle qu’il
n’exclurait pas, selon maints observateurs, d’anticiper pour
prendre de court les concurrents potentiels…. L’opération « Mains
propres » lancée en 2005 sous la pression des Etats-Unis pour
lutter contre la corruption au Cameroun est devenue en 2006
L’Épervier, instrumentalisé dans des règlements de compte dans
les cercles du pouvoir et visant à faire de Biya un candidat sans
véritable concurrent.

Dans le même temps, répressions et intimidations contre
mouvements civiques et sociaux battaient leur plein. Rappelons
que, du 23 au 29 février 2008 le Cameroun a été le théâtre d’un
mouvement social d’ampleur, à la fois « émeute de la faim » et
soulèvement populaire à caractère politique : la conjonction de la
provocation 15 jours plus tôt (à l’occasion de finale de la
CAN2008 de football à laquelle le Cameroun participait) d’une
hausse des prix des carburants et des denrées alimentaires et du
projet de modification constitutionnel pour prolonger le mandat
de Biya au pouvoir par une rééligibilité sans limite et en lui
assurant l’immunité à vie. En grève contre la hausse du prix du
carburant, la population a pris d’assaut les rues des principales
villes des cinq provinces du Sud avec des revendications socioéconomiques,
civiques et politiques.

Dans ce contexte, les forces de sécurité se sont livrées à une
répression sanglante contre la population et ont commis de
graves violations des droits de l’Homme, causant la mort de
quelques 140 personnes, le Rapport de l’Observatoire national
des droits de l’Homme évoquant des exécutions sommaires de
civils. Des milliers de personnes ont été arrêtées arbitrairement pendant et après ce mouvement social et traduites en justice.
Aucune commission d’enquête n’a été constituée afin d’établir la
vérité sur cette répression violente et disproportionnée.
Illustration parlante du verrouillage totalitaire du système Biya, le
10 avril 2008 (donc moins de deux mois après la répression du
soulèvement populaire de février) l’Assemblée nationale adoptait
comme attendu le projet de loi sur la révision constitutionnelle
avec 157 voix pour, 5 contre et 15 non votant-e-s.
Le cas du chanteur populaire
« Ndjinga Man »-Lapiro (Afriques
en Lutte n°6), auteur du tube
« Constitution constipée », est
exemplaire de l’amplification de
l’arbitraire et du harcèlement
ciblés… Il était doublement chargé
pénalement : un premier dossier
datant de 2004 pour destruction de
barrière et coups et blessures et le
second de 2008 pour avoir attisé
les « émeutes ». Dans le second, Lapiro fut condamné à trois ans
ferme et 280 millions de francs CFA de dommages et intérêts. Sa
peine ayant été confirmée par la Cour d’appel, Lapiro qui a
toujours clamé son innocence est toujours écroué à Douala.
Le musèlement de la presse et les intimidations et
persécutions contre les journalistes se multiplient aussi. Rien
qu’en février-mars 2010, trois journalistes ont été arrêtés,
inculpés « de faux et d’usages de faux » et écroués. Puis il y eut
le décès en détention à la prison centrale de Yaoundé, dans la
nuit du 21 au 22 avril, de Cyrille Germain Ngota Ngota, dit Bibi
Ngota, directeur de publication de l’hebdomadaire Cameroun
Express… « après tortures et privation de soins », notent
plusieurs websites et journaux camerounais : selon
camerounlibre.blogspot.com, il enquêtait avec deux confrères
encore incarcérés sur des supposés frais de commissions dans le
cadre de l’acquisition d’un bateau-hôtel par la Société nationale
des hydrocarbures du Cameroun.

Au final, un système verrouillé mais aux abois que semblent
lâcher les Etats-Unis et qui pousse les « chars » anti-émeutes
dans un quartier au moindre énervement pour un délestage
électrique ou une coupure d’eau. Les organisations populaires et
les forces progressistes devront être à la hauteur des enjeux.

Pierre Sidy