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Cameroun : la gérontocratie est-elle un régime politique crédible ?

D 11 septembre 2014     H 05:32     A     C 0 messages


Selon nos estimations, la moyenne d’âge des hommes du pouvoir au Cameroun est de 77 ans. Marcel Niat Njifendji, Président du Sénat âgé de 80 ans, est proche du pouvoir depuis 54 ans. Djibril Cavaye Yeguié, Président de l’Assemblée nationale âgé de 74 ans, est député depuis 1971 et au perchoir depuis 22 ans. Alexis Dipanda Mouelle, âgé de 79 ans, tient les rênes de la Cour suprême depuis 25 ans. Le Général René Claude Meka, chef d’Etat-major général des armées âgé de 75 ans, occupe les postes clés du dispositif sécuritaire depuis bientôt 40 ans. Martin Mbarga Nguélé, patron de la police âgé de 82 ans, est dans le commandement depuis 64 ans. Paul Biya âgé de 82 ans, est proche du pouvoir depuis 53 ans et Président de la république depuis 32 ans. La question qu’on a envie de se poser est de savoir s’il y a de la place pour les jeunes méritants au Cameroun. Le pays peut-il vraiment compter sur ces « vieillards » dits hommes d’expérience pour réaliser son émergence ?

Il faut dire que les choses n’ont pas toujours été ainsi. Le Cameroun est devenu un Etat gérontocratique. Paul Biya lui-même, jeune diplômé en 1961, a eu sa chance dans la haute administration à l’âge de 29 ans. Sans préjudice sur l’efficacité, la moyenne d’âge du premier gouvernement fédéral du 20 octobre 1961 était de 36,5 ans, celle du gouvernement du 12 juin 1970 de 38,5 ans, celle du gouvernement du 30 juin 1975 de 41,5 ans et celle du dernier gouvernement du Président Ahidjo (17 juillet 1980) de 43 ans. De nos jours, au moins deux faits permettent d’affirmer que la gérontocratie n’est pas crédible pour l’émergence du Cameroun. Il s’agit de la vacance de fait au pouvoir et des ravages du gâtisme.

La gérontocratie suppose la prépondérance des vieillards sur le pouvoir alors que, l’émergence suppose la productivité et la compétitivité. Désignant le Président Paul Biya, le journaliste américain Stephen Smith parlait de « vacancier au pouvoir » (Libération, 16 février 1995) en référence à la multiplication de ses « séjours privés » à l’étranger. En effet, le repos est au cœur des préoccupations politiques au moment où la recherche de la réactivité doit être de mise. Selon Frédéric Fankam dans son ouvrage Les révélations de Jean Fochivé, le chef de la police politique des présidents Ahidjo et Biya (pp. 239-240), « Biya serait sujet à des troubles de plus en plus réguliers » et son séjour prolongé à l’étranger ou dans son village natal serait justifié par des impératifs de santé. En moyenne, Paul Biya passe 120 jours par an hors du territoire national et 4 jours par semaine dans son village natal lorsqu’il est au pays. Entre mai et novembre 2008, il avait séjourné 82 jours à l’étranger, 48 jours de février à mai 2009, 124 jours d’août 2010 à août 2011. Du 1er décembre 2013 au 30 avril 2014 dernier, il a passé 41 jours hors de son pays et plus de 30 jours dans son village natal à Mvomeka. Dans ces conditions, il est difficile de dire que le Cameroun est bien dirigé.

Plus grave, Paul Biya répond aux abonnés absents aux rencontres africaines et autres forums économiques où les chefs d’Etat parlent de l’avenir du continent et positionnent leurs pays. Lors du 23ème sommet de l’Union Africaine à Malabo le 27 juin 2014, la presse panafricaine s’était exclamée : « un ministre s’assoit à la place de Paul Biya ». Pire, Paul Biya a la réputation de ne plus répondre au téléphone au grand désespoir de ses interlocuteurs. Tout cela fait dire que le Cameroun est sous pilotage automatique. L’inertie est érigée en mode de gouvernance et le pays avance sans conseil de ministres qui permet de coordonner l’action gouvernementale. Depuis bientôt 4 ans, le Cameroun a eu droit à un conseil en décembre 2011 et à un autre le 27 novembre 2012. La vacance au pouvoir est consommée même si elle n’est pas officiellement constatée conformément à la Constitution. Les guerres de positionnement occupent l’essentiel de la scène politique au moment où d’autres pays s’occupent de l’économie et du développement.

La gérontocratie suppose aussi une politique conservatrice avec la difficulté des vieux à modifier les structures de la société par nostalgie à ce qu’ils ont connu. Pourtant, l’émergence suppose l’innovation et la recherche des solutions efficaces. En ce qui concerne Paul Biya, il est déjà menacé par « la maladie de la vieillesse [gâtisme] ». A 82 ans, le Président Camerounais multiplie des maladresses verbales à chaque sortie médiatique. Par exemple, il a intervenu le 17 mai 2014 devant la presse à Paris au terme du « Sommet de Paris pour la sécurité au Nigeria » et le 02 août 2014 en prélude à sa participation au premier sommet Etats-Unis/Afrique, en provoquant un tollé au sein de l’opinion. Le Président a déclaré la guerre en terre étrangère à Boko Haram sans stratégie. Il s’est plaint de l’ennemi « pernicieux » qui attaque de « nuit [lorsque ses soldats dorment] » et en grand nombre là où ses soldats sont en petit nombre.

La gérontocratie suppose enfin des pertes de mémoire alors que l’émergence suppose la lucidité nécessaire pour la planification. On a l’impression que Paul Biya a des trous de mémoire et qu’il tient des propos qui menacent le peu de paix et de stabilité dont dispose le pays : « le Président remue le couteau dans la plaie ». Il emploie des procédés destructeurs (injures, mégalomanie et arrogance) à l’instar de : « On a eu à lutter contre ce même Nigeria pour Bakassi et avant, on a éradiqué les maquis (des mouvements révolutionnaires), on est venu à bout des villes mortes ; ce n’est pas le Boko Haram qui va dépasser le Cameroun ». Ces propos blessent la face du Nigéria qui a perdu politiquement et non militairement le conflit frontalier de Bakassi. Le Président viole aussi la loi N°91/002 du 23 avril 1991 portant amnistie des infractions et condamnations politiques au Cameroun (volonté d’oublier pour des raisons de paix et de stabilité). Plus grave, il pose un acte de provocation à travers l’évocation du maquis dont les « héros » ont fait l’objet d’une réhabilitation par la loi N°91/022 du 16 décembre 1991 portant réhabilitation de certaines figures de l’histoire du Cameroun.

Pour toutes ces raisons, on peut dire que la gérontocratie gangrène le Cameroun. Le pays a besoin de personnes lucides et compétitives pour relever son économie et garantir la prospérité des populations.

Louis-Marie KAKDEU