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Cameroun : Le Manidem et les élections présidentielles

D 22 juin 2011     H 04:36     A     C 0 messages


Anicet Ekané. Le programme, les peurs et les espoirs du candidat du Manidem à l’élection présidentielle de 2011.

Commençons par l’actualité. Avec le mauvais résultat et la qualification hypothéquée à la Can, manifestement l’opium du peuple va manquer à la campagne ?

Vous me donnez l’occasion de dénoncer avec la plus grande vigueur la répression policière macabre à la fin du match contre le Sénégal. Quoi de plus normal que les Camerounais manifestent leur mécontentement à la suite de l’échec programmé, par des dirigeants incompétents des Lions indomptables. Tout, vraiment tout, a été mis en œuvre pour aboutir à cet échec. Nous attendons ardemment les démissions des responsables de cet échec. Nous espérons des sanctions contre les responsables des morts de Yaoundé. Trop c’est trop.

Comment se porte le Manidem à la suite de la crise qu’on a connue au sommet de ce parti ?

Les crises font partie de vie des grandes organisations. Les choses se sont tranquillement passées tranquillement dans le cadre des statuts et règlements intérieurs du parti. On n’a cesse de le dire. En réalité, ce qui s’est passé, c’est le fait que l’ancien président démissionnaire a voulu gérer le parti en dehors de ses statuts qui ne donnent pas de fonctions ou d’attributs particuliers au président. Nous travaillons en intelligence collective. Le Manidem est le seul parti où le président n’a pas de possibilité d’agir à sa guise. Il a une voix comme tout le monde. L’ancien président s’était un peu égaré des règles de fonctionnement du parti. Tout est rentré en ordre.

Donc, pas de séquelles ?

Non. D’autant plus qu’il a démissionné avec trois camarades, dont un qui veut revenir au parti. Le parti en est sorti renforcé. Ce sont les crises qui renforcent les organisations. Cela nous a permis de voir à quel point le ciment idéologique et politique chez nos militants est important, pour qu’il n’y ait pas d’égarement. Cela nous a permis de mesurer le degré de sympathie que nous avons auprès des Camerounais.

Tout va bien au sein du Manidem. Pourquoi le candidat s’appelle Ekané Anicet, et on autrement ?

C’est une question qui revient régulièrement. Quand je démissionnais de la tête du parti, j’avais clairement indiqué que je sortais pour me concentrer à autre chose. Nous fonctionnons en intelligence collective. On définit les tâches, on met l’homme qu’il faut, pour accomplir la tâche qu’il faut faire. Chaque camarade a des atouts et des handicaps. Nous essayons, dans la mesure du possible, de mettre chacun là où il a de sérieux atouts, afin de rendre service au parti et au pays.

C’est pratiquement la même rengaine au Rdpc, à l’Udc, au Sdf… Y a-t-il un candidat naturel au Manidem ?

Non. Le candidat naturel, c’est par déduction le président. Mais moi, je ne suis plus président du parti. Le candidat naturel, tel qu’il est perçu dans les autres partis, ce n’est pas la même chose chez nous. Nous devions passer par les primaires. Deuxièmement, au départ, il y avait quatre candidats, mais le consensus a prévalu puisqu’on a travaillé en intelligence collective. En réalité, le candidat du parti est un instrument du parti.

C’est la deuxième fois que vous comptez solliciter le suffrage des Camerounais…

En 1997, Andzé Tsoungui a refusé notre dossier sous le prétexte fallacieux qu’il ne l’avait jamais vu. On a fait un recours auprès de la Cour suprême et il a continué à dire qu’il ne l’avait jamais vu. Pourtant notre dossier avait été déposé au même moment où le Rdpc. C’est finalement en 2004 que j’ai participé pour la première fois à l’élection présidentielle.

S’il vous était demandé de faire le bilan de votre participation à la présidentielle ?

Selon des observateurs avertis, nous avons fait la meilleure campagne dans les médias et ailleurs. Nous étions les premiers à sortir un programme, alors que le Rdpc s’est précipité à sortir les fameuses « grandes ambitions » dont on se demande aujourd’hui, si ce n’était pas les « grandes illusions ». Nos voix de l’Extrême-Nord ont été détournées vers le candidat du Rdpc. Les scores publiés en 2004, n’ont rien à voir avec les véritables scores des candidats. Ce n’est pas avec ces résultats qu’on peut jauger de l’importance ou de la qualité d’une campagne. Nous avons fait une bonne campagne en 2004. Celle de 2011 sera meilleure que celle de 2004. Nous avons accumulé beaucoup d’expérience ; le parti s’est renforcé ; on a beaucoup plus de cadres.

Qu’est ce qui fait la particularité de la prochaine élection présidentielle ?

Le contexte sociopolitique risque de la rendre heurtée. Les contradictions au sein du pouvoir font en sorte que les dangers peuvent provenir même du régime. L’image qu’on a prise lors du lancement officiel de notre candidature (le…. dernier à l’hôtel Hilton de Yaoundé, ndlr), c’est celle du Titanic qui coule, pendant que les membres de l’équipage s’attèlent à renforcer les trous existants. Ce naufrage peut avoir des répercussions sur la vie d’un pays. Nous sommes à un tournant où, manifestement, tout le monde pense que le président Biya devrait passer la main. Nous le lui avons demandé officiellement. Or, son entourage s’attèle à renforcer l’idée qu’il faut qu’il reste contre vents et marées. Le contexte international voudrait que tous ceux qui ont fait plus de 10 ans au pouvoir ont beaucoup de mal à expliquer à leurs amis occidentaux pourquoi ils veulent s’accrocher au pouvoir. Depuis un certain temps, on observe une fébrilité du pouvoir après les révolutions au Maghreb.

Cette fébrilité n’a pas lieu d’être dans une « démocratie apaisée »…
En dehors des rapports d’homme à homme, rien n’a changé. La moindre manifestation est réprimée. La nature du régime fait en sorte que c’est une dictature déguisée, même si le régime abhorre des oripeaux de la démocratie.

Restons sur la présidentielle. Comment expliquez-vous cette sorte de démotivation observée de la part de la population ?

Lors de la présentation du candidat du Manidem, j’ai pris l’exemple du Titanic qui coulait pendant que l’orchestre jouait et que les passagers dansaient. Il y a une différence entre être fort et avoir conscience de sa force. Aucun pouvoir n’a pu résister à la mobilisation d’un peuple. Forcément, le peuple aura raison de l’oppresseur. La déception de l’élection de 1992, suite rapports incestueux que Fru Ndi entretient avec Paul Biya, crée une ambiance qui n’est pas de nature à enthousiasmer les Camerounais pour la prochaine présidentielle. Les résultats antérieurs ont été contestés. Elecam semble, à priori, avoir été crée fondamentalement pour assurer les faveurs du candidat du pouvoir. Cela a crée les conditions de démobilisation. Mais, c’est à nous de convaincre les Camerounais que, malgré toutes les institutions, le peuple doit être en ordre de bataille.

Comparée aux présidentielle de 1992, 1997 et 2004, les partis de l’opposition sont aussi en sommeil en cette période pré-électorale. Une candidature unique de l’opposition est-elle possible ?

Pas du tout. Le principal obstacle que nous avons au Cameroun, c’est justement l’existence de l’écran que constitue le Sdf. Je crois que le Sdf, aujourd’hui, joue manifestement contre l’alternance au Cameroun. S’il y a des gens qui doivent être absolument battu à cette élection présidentielle, ce sont les candidats naturels du Rdpc et du Sdf, Paul Biya et John Fru Ndi.

L’idée d’une candidature unique de l’opposition s’effrite au fil des scrutins et, dans le même temps, les scores électoraux des candidats issus de l’opposition diminuent. Quelle réflexion cela vous suscite ?
En 1992, il n’y a pas eu un congrès pour désigner Fru Ndi. Mais les Camerounais se sont portés en majorité vers lui, parce que sa candidature représentait, d’après eux, celle qui pouvait apporter le changement. Lorsqu’on parle de candidature unique de l’opposition, c’est factice, administratif et superficiel. De 1990 à nos jours, les Camerounais ont eu le temps de voir plus clair. La situation politique s’est clarifiée. Au lieu de parler de candidature unique, il faut parler de candidature forte de l’opposition. Cette candidature forte de l’opposition, ce sont les Camerounais qui la détermineront en fonction de leur jugement. L’idée d’une candidature unique s’effrite parce que celui qui l’avait incarnée continue à décevoir les Camerounais. Manifestement, les Camerounais ont compris que ça ne sert à rien de se mobiliser derrière ces leaders qui ne donnent pas de gage.

Parlons de votre candidature. Qu’est ce qui vous fait croire que vous allez gagner cette élection ?

Tout va se jouer dans l’isoloir, pendant le décompte des voix, et lors de la proclamation des résultats. Ce sont les Camerounais qui diront qui doit être président. Tout dépend d’eux.

Qu’est ce que vous avez comme atout face à d’autres qui ont pour eux des réseaux, de l’argent, des partis mieux implanté… ?

Les réseaux mafieux, sectaires, ésotériques, n’ont jamais en réalité gagné une élection. Sinon il n’y aurait pas l’appendice de la répression. La plupart des candidats pensent que ce sont les réseaux extérieurs qui vont les installer au pouvoir. Les avatars régionaux empêchent souvent certains d’aller au-delà de certaines réflexions. On parle d’autres soutenus par la France ou les Etats-Unis. Nous pensons que le changement viendra des Camerounais, et non de l’extérieur. Nous sommes le seul parti qui a toujours été aux côtés des Camerounais.

Que répondez-vous à ceux qui pensent que la présidentielle est, pour vous, simplement une occasion de bavarder et vous faire un peu d’argent ?

Vous savez que nous sommes régulièrement présents sur la scène politico-sociale tout au long de l’année. Donc, on n’attend pas la campagne pour bavarder. C’est vrai que ce sont des périodes intenses de médiatisation politique. Pour ce qui est de l’argent de la campagne, c’est très facile. Si c’était le cas, on n’aurait pas fait la campagne comme on l’a fait en 2004. Nous sommes allés dans tout le Cameroun. Le gouvernement a donné 16 millions ; il y a 23 800 bureaux de vote au Cameroun. Imaginez qu’on ait deux scrutateurs par bureau de vote et qu’on leur donne 1000 F cfa par jour. En 2004, le pouvoir a versé une partie de la contribution financière trois jours avant l’élection, et une autre partie 15 jours après. Ce n’est pas cet argent qui a permis au Manidem de faire la campagne. Nous avons des bons de souscriptions qui permettent aux populations de participer à notre campagne.

Vous vous présentez comme le candidat des patriotes. Cela fait penser à Laurent Gbagbo. Au Cameroun, qu’est-ce qui distingue un dirigeant « patriote » d’un autre ?

Le patriote c’est celui qui aime son pays. Ceux qui sont au pouvoir ont bien montré qu’ils n’aiment pas le pays. Les Français ont installé leurs valets à la tête du Cameroun jusqu’aujourd’hui. La françafrique, ce n’est pas une invention du Manidem. Ce qui nous distingue des autres, c’est que toute la classe politique au pouvoir est de la famille aujoulatiste, qui a participé à l’’éclosion d’une classe pro-française au Cameroun. De l’Uc à l’Unc, ceux qui ont dirigé ce pays sont, pour la plupart, de ce sillage. Aujourd’hui il n’y a que la famille upéciste qui peut assurer un véritable changement au Cameroun.

Dans votre programme de campagne, vous parlez de remettre à plat les institutions. Que reprochez-vous aux institutions actuelles ?

Les institutions actuelles ne sont pas issues d’un débat entre les Camerounais. Le Cameroun a été un Etat par décision française. Les Français ont refusé de donner le pouvoir au véritable mouvement nationaliste qui s’est battu pour l’indépendance. Les constitutions ont été adoptées aux forceps, d’abord sous la dictature d’Ahidjo et ensuite sous le régime de Paul Biya. Jamais on n’a permis des débats sur ce que doit être ce pays. Cela a eu pour conséquence que ce pays fonctionne sous tutelle. Il faut tout remettre à plat.

Prenons l’exemple de la constitution. Que lui reprochez-vous ?

La constitution camerounaise est le résultat d’un forceps qui a crée l’Etat néocolonial au Cameroun. Notre programme prévoit une transition qui va déboucher sur une constitution adoptée par référendum. On va remettre à plat l’Etat qui est mafieux, brigand.

Quelle serait la forme de l’Etat ? Fédéral, unitaire, décentralisé… ?

Nous sommes pour un Etat largement décentralisé à quatre régions économiquement viables : le grand littoral, le grand nord, le grand ouest et grand sud. Avec des pouvoirs accrus pour les régions. Il est question de fédérer les énergies. Pas de créer des bantoustans dirigés par des groupes mafieux. Mais la forme définitive de l’Etat sera adoptée après les états généraux de la nation, et par référendum.

Dans le cadre de cette « remise à plat », comment s’articulerait, par exemple, les rapport entre l’exécutif et l’armée qui, en Afrique n’aime pas trop s’éloigner du pouvoir ?

L’armée camerounaise est une armée néocoloniale. Elle est bâtie pour réprimer le peuple. La situation de l’Afrique est une situation particulière. Une armée au service de la Nation est complètement différente d’une armée au service du pouvoir. Elle est là pour assurer la pérennité du régime. Il faut réformer l’armée pour la mettre au service de la Nation.
Si vous êtes élu, vous comptez sortir de la zone franc…
Le Franc Cfa est l’un des corsets de la dépendance des pays africains vis-à-vis de la France. C’est une monnaie assujettie à l’euro. Il faut couper ce cordon ombilical et créer au moins une monnaie régionale, avec les 14 pays africains assujettis au Franc Cfa.

Pourquoi rompre avec le Franc cfa alors que l’heure est aux regroupements. L’Europe, par exemple doit une partie de sa force à sa monnaie commune…

Il faut créer une monnaie régionale ou sous-régionale en Afrique. L’Euro n’est pas rattaché au dollar. Il faut une monnaie africaine ou, au moins régionale. Elle va favoriser l’intégration de ces pays et leur développement, puisque la monnaie est par essence un instrument de développement économique. On ne peut pas assurer un développement de l’Afrique si on est toujours assujettie à la France.*

Quelques observateurs pensent que le chef de l’Etat pourrait ne pas présenter sa candidature. Imaginons que, du fait de son âge avancé Paul Biya soit frappé d’une incapacité à gouverner…
Je suis très inquiet. L’incapacité du chef de l’Etat à gouverner risque de créer un désordre. Un désordre issu du régime. Tous les brigands à Kondengui, New-Bell vont se réveiller. Lorsque les brigands se réveillent ce n’est pas pour mettre de l’ordre, mais du désordre. Nous comptons sur la maturité des Camerounais à ne pas se laisser emballer dans des opérations bizarres. De toute manière, il faudrait que ces gens là passent sur nos cadavres pour réinstaller un autre Etat mafieux.

D’où viendrait le « désordre » du moment où la constitution dit clairement comment les choses doivent se passer en cas de vacances au sommet de l’Etat ?

Les institutions camerounaises sont factices. Cavaye Yeguié Djibril tient son pouvoir du prince et de l’entourage du prince. Il ne lui reviendrait jamais l’idée de braver l’entourage du prince au cas où le prince ne serait pas là. Tous ceux qui ont été mis à l’écart rêvent d’une revanche terrible. La transition constitutionnelle au Cameroun n’a pas de beaux jours devant elle. En cas d’incapacité, les lendemains seront tristes si le peuple camerounais ne fait pas attention, et ne soutient pas fermement et largement les forces patriotiques qui, elles seules, peuvent sauver notre pays.

En cas de « désordre » notre salut pourrait venir de la « communauté internationale ». Non ?

La communauté internationale ne peut pas aimer notre pays. Elle l’a montré à plusieurs reprises. C’est à l’Onu que les nationalistes ont connu la plus grande opposition, lorsqu’il a fallu décider de l’indépendance du Cameroun. Leur intérêt serait que le Cameroun soit dirigé par quelqu’un qu’ils auront choisi, comme ils l’ont fait en Côte d’Ivoire. Peut-être que la fin de ce mythe de l’Occident qui choisit ses dirigeants en Afrique se produira au Cameroun. Comme d’autres analystes, vous allez certainement avoir la surprise de votre vie en octobre prochain, un patriote au sommet de l’Etat, Anicet Ekane.

Source : http://www.quotidienlejour.com