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Cameroun : « Le Ministère du Commerce est complice de la spoliation des consommateurs »

Interview de Paul Gérémie Bikidik, président du bureau exécutif du RACE

D 16 mars 2011     H 05:29     A Paul Gérémie Bikidik     C 0 messages


En février 2008 après le soulèvement des populations camerounaises, les autorités avaient pris un certain nombre de mesures, quel bilan faites vous aujourd’hui de ces mesures prises par le gouvernement ?

A travers une déclaration commémorative rendue public le 18 Février 2011 et au nom du mouvement consumériste national, le RACE a salué la mémoire de tous les compatriotes tombés durant ces premières émeutes de la faim de l’histoire de notre pays. Cela dit, dans les faits, hormis l’augmentation de 15% des salaires des fonctionnaires, aucune des mesures décidées par le gouvernement le 07 Mars 2008, c’est-à-dire aux lendemains de cette révolte sociale inédite, n’a été appliquée. Depuis Février 2008, les prix des denrées de première nécessité n’ont pas changé, certains connaissent même une augmentation vertigineuse. Officiellement, le taux d’inflation oscille autour de 5%, mais tout le monde sait que ce chiffre ne traduit pas la réalité de la hausse des prix. Dans nos marchés, l’inflation atteint et dépasse parfois les 50%, l’électricité et l’eau sont toujours autant inaccessibles. 03 ans après ces violentes manifestations contre la vie chère, l’immense majorité des consommateurs continue à souffrir le martyr en silence, à la fois confrontés à une inflation exponentielle et à la baisse implacable de leur pouvoir d’achat. Il est clair que le gouvernement a lamentablement échoué à remplir l’une de ses plus importantes missions régaliennes qui est d’assurer le bien-être du consommateur.

S’il fallait faire un rapport de responsabilité, comment est ce que vous le présenteriez ?

Compte tenu des mauvaises orientations économiques, de l’inertie endémique, de la corruption, bref de l’absence d’une vision prospective sur les questions relatives à la consommation, cet échec patent incombe bien entendu à l’ensemble du gouvernement camerounais. Toutefois, les responsables directs de ce fiasco sont avant tout les relais administratifs, donc le tout premier est le ministère du commerce, chargé d’appliquer les directives gouvernementales. Les consommateurs ont accumulé plusieurs griefs contre le ministère du commerce dirigé par M. Luc Magloire Mbarga Atangana. D’autant plus que pour expliquer la pénurie chronique des produits de consommation de base et la hausse vertigineuse des prix des denrées observées ces derniers mois dans nos marchés, le ministre du commerce, n’hésite pas à invoquer des arguties faciles, se faisant volontiers le porte-voix des importateurs et autres producteurs. Il s’est illustré par son incapacité visible à prononcer et appliquer la moindre véritable sanction contre les nombreux opérateurs économiques véreux, passés maitres dans l’art de la filouterie douanière, de l’arnaque et de la spéculation à outrance. Et pourtant, l’article 3 de la loi N°90/031 du 10 Août 1990 régissant l’activité commerciale au Cameroun dit clairement ce qui suit : « L’activité commerciale doit s’orienter vers l’amélioration de la qualité de vie ainsi que la satisfaction des besoins du consommateur, tant au niveau des prix que de la qualité des biens et services offerts… » Au lieu d’appliquer cette disposition législative, le ministère du commerce a semblé servir les intérêts des opérateurs économiques au détriment des consommateurs. Tous les droits sont reconnus aux opérateurs économiques, le soutien aux usagers se limitant uniquement à une litanie de discours démagogiques et autres annonces médiatiques pompeuses. Toutes ces pratiques indues alimentent un sentiment d’injustice chez les consommateurs et font peser de lourds soupçons de collusion d’intérêts maffieux et de complicité dans la spoliation des usagers. Nous dénonçons cette duplicité. Pour tous ces manquements, le RACE demande la démission du ministre du commerce.

Il y a quelques jours la président de la république a créé une structure en charge de gérer les produits de grande consommation au Cameroun, est ce qu’on peut dire que l’Etat reconnait les manquements ?

Je suppose que vous faites allusion à la MIRAP (la Mission de Régulation des Approvisionnements des Produits de grande consommation) créé le 1er Février dernier par le Président de la République. Pour nous, cette décision traduit sans doute la préoccupation du Chef de l’Etat sur la pénurie chronique des produits de consommation courante, mais, elle manque de pertinence. C’est une réponse administrative inopportune qui ne règle rien au fond et n’offre aucun gage d’efficacité. On ne peut pas parler de la MIRAP sans faire le procès du ministère du commerce. La création d’une telle structure consacre l’échec et disqualifie de facto ce ministère sur les questions relatives à la consommation au Cameroun. Nous craignons par-dessus tout que la MIRAP ne soit qu’un nouvel instrument bureaucratique, un nouveau terrain d’expérimentation des arrangements mesquins au service des opérateurs économiques véreux et d’une poignée de fonctionnaires concussionnaires de l’administration en charge du commerce et d’autres départements ministériels concernés par ce décret. En cette année de l’élection présidentielle, la MIRAP apparait plus comme une mesure électoraliste qu’une véritable solution au problème récurrent de la vie chère au Cameroun.

Et que répondez-vous au fait que la société civile ne soit pas au premier plan de ces combats, aux côtés du gouvernement ?

Aucun changement fondamental ne peut s’opérer dans un pays sans une société civile forte et structurée. Dans notre pays, la société civile qui reste essentiellement formelle, c’est-à-dire n’ayant aucune prise réelle sur les masses populaires, a été volontairement confinée à un rôle ingrat de faire valoir. Cette situation plombe toute démarche vers un changement qualitatif. Toutefois, malgré cette politique d’aliénation délibérée orchestrée par les pouvoirs publics dans le but de retarder le plus longtemps possible l’émergence d’une société démocratique faite de citoyens libres, certaines organisations agissent dans le sens du réveil des consciences. Le RACE revendique son appartenance à cette société civile dynamique véritablement citoyenne. Nous sommes persuadés que le développement économique et la cohésion sociale sont tributaires d’une culture citoyenne et patriotique. En restant suffisamment mobilisée et organisée, à défaut d’obtenir des pouvoirs publics l’implication formelle dans la prise des décisions qui les concernent, la société civile peut influencer la gouvernance dans notre pays et imposer un contrôle citoyen des politiques publiques dans les secteurs économique, social et même politique.

Mercredi 23 février dernier de nombreux partis politiques ont manifesté, notamment à Douala, en souvenir des « Martyrs » de février 2008, est ce que ce combat est aussi le vôtre ?

La lutte pour l’accès au droit entre en droite ligne dans le combat pour la justice sociale, c’est un combat citoyen qui devrait impliquer chacun d’entre-nous. Je vous rappelle que le soulèvement populaire survenu en Février 2008 était avant tout une « révolte du ventre vide et du mal-être du consommateur ». En tant qu’organisation de défense des droits et de protection des intérêts économiques et sociaux des consommateurs, nous sommes directement concernés par la commémoration de ces évènements tragiques. Nonobstant mon statut d’acteur social, c’est en tant que membre du bureau politique du MANIDEM, que j’ai pris une part active à l’organisation et à l’appel à manifestation du 23 Février 2011, mot d’ordre lancé par le MANIDEM et d’autres formations politiques. En tout état de cause, le consommateur que je suis, s’oppose à une société inamovible qui méprise et ignore ses droits fondamentaux. Il faut dire que 03 ans après, les causes des émeutes de Février 2008 sont encore là aujourd’hui. Nous pensons que pour éviter un nouveau chaos à notre pays, il est temps que les politiques prennent toute la mesure de cette situation potentiellement explosive et apportent une réponse juste et durable à la demande sociale actuelle. Dans le cas contraire, j’ai la conviction que les mêmes causes produiront fatalement les mêmes effets.

S’il vous était donné de gérer la situation de la consommation au Cameroun ? Quelle serait votre stratégie ?

Pour garantir la disponibilité des denrées de base et lutter efficacement contre la vie chère, le RACE propose une solution en 07 points : 1- Renforcer le pouvoir du consommateur face aux producteurs et aux distributeurs par l’adoption d’un statut légal du consommateur ; 2- Améliorer le pouvoir d’achat des consommateurs par la revalorisation des salaires des fonctionnaires et des petits salariés du privé. 3- Créer en lieu et place de la MIRAP, un Conseil National de la Consommation (CNC), sorte d’organe consultatif chargé de conseiller le gouvernement sur toutes les questions relatives à la protection des intérêts des consommateurs ; qui devront y être fortement représentés par les organisations de défense des droits des consommateurs. 4- Identifier et geler les prix de certains produits de consommation dite de masse. 5- Réduire de moitié le prix du kWh, en sachant que l’électricité représente près du tiers (30% plus précisément) du budget d’un ménage camerounais moyen. 6- Procéder à une forte détaxation et à une défiscalisation ciblée de certaines activités de production, d’importation et de commercialisation des produits de grande consommation. 7- Engager véritablement et sincèrement la lutte contre la spéculation par un contrôle assidu des prix préalablement homologués et renforcer l’arsenal de répression des fraudes.

Propos recueillis par Idriss Linge

Source : http://www.camereco.com