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Le C2D : Contrat de domination et d’endettement

D 29 octobre 2016     H 05:25     A Owen Chartier, Pauline Imbach     C 0 messages


Après la célèbre « APD » (Aide publique au développement), l’incontournable « PPTE » (Initiative Pays pauvres très endettés), le redoutable « DSRP » (Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté), la formidable « IADM » (Initiative d’allègement de la dette multilatérale), la louable ZSP (Zone de solidarité prioritaire), le C2D, Contrat de désendettement et de développement, est le dernier né des « outils de lutte contre la pauvreté ». Dans la novlangue développementiste, le C2D consiste en un « refinancement par don » et complète l’initiative PPTE. Les C2D représentent un volume financier prévisionnel d’environ 3,7 milliards d’euros. Vingt-deux pays sont concernés par ce contrat |1|. Pour les pays dont la dette bilatérale française est importante, le C2D est largement présenté comme « une opportunité historique de contribuer à réduire durablement la pauvreté » |2|.

Pour bien comprendre le C2D, prenons l’exemple du Cameroun. La dette extérieure du Cameroun est de 3,672 milliards de dollars en 2012 et le service de la dette (remboursement des intérêts et du capital) est de 234 millions en 2013. Avec le C2D, le Cameroun continue de rembourser la France qui reverse la somme reçue dans des projets ciblés de développement au Cameroun. Ce système est contrôlé par l’Agence française de développement (AFD) qui suit les orientations du DSRP. Sur la période 2006-2016, 863,6 millions d’euros doivent ainsi être injectés dans des projets focalisés dans les secteurs dits prioritaires : éducation, santé, agriculture, développement urbain, etc.

Le C2D : contrat de domination

Le C2D est présenté comme la promotion d’un dialogue constructif entre les autorités françaises et camerounaises ainsi qu’entre les deux sociétés civiles. Mais comme le souligne Jean-Marc Bikoko, président de la Centrale Syndicale du secteur public, en 1999, la mise en place des DSRP au Cameroun devait recevoir un large appui de l’opinion publique. Or ces projets ne correspondaient pas aux besoins réels des populations.

Aujourd’hui, on constate que ces DSRP sont un échec puisque la pauvreté s’est aggravée en alimentant la dette publique |3|. Si, comme le signale le syndicaliste, les organisations de la société civile occupent une place au sein des comités d’organisation et de suivi des programmes, dans les faits, ce sont bien les autorités françaises qui, à travers l’AFD, gardent la mainmise sur le choix et le déroulement des projets. A travers son « avis de non-objection », l’AFD possède un droit de veto sur tous les projets C2D. Ainsi, le pouvoir décisionnel de l’agence française subordonne celui du gouvernement camerounais, et nie par là même la souveraineté des peuples.

Le C2D : contrat d’endettement

Selon l’AFD, pour prétendre aux marchés C2D, toute entreprise soumissionnaire devrait rassurer le maître d’ouvrage sur sa capacité à respecter ses engagements en produisant des garanties sur ses moyens financiers humains et matériels. Mais les règles fixées sont telles qu’elles éliminent de fait toutes les entreprises camerounaises. « Mieux, ce règlement particulier est une violation flagrante des lois de la République, notamment les dispositions légales sur le régime d’octroi des marchés publics au Cameroun » |4|. Ainsi, la France, qui « reste le premier investisseur étranger au Cameroun avec une centaine de filiales employant quelque 30 000 personnes et plus de 200 entreprises appartenant à des ressortissants français dans tous les secteurs d’activité » |5|, assure ses marchés. En 2006, le président de la Commission Indépendante contre la

Discrimination et la Corruption (CICDC) soulignait que « les financements passés des infrastructures, qui constituent aujourd’hui le gros de la dette censée être annulée, prouvent que notre pays a payé trop cher, souvent le triple du coût réel des travaux réalisés ». Sur ce point Jean-Marc Bikoko cite l’exemple de la construction de la SONORA |6|, la raffinerie de pétrole, qui a alourdi la dette publique sans rien apporter à la population. Techniquement la SONORA ne peut pas raffiner le pétrole lourd produit au Cameroun ! Il faut donc importer le pétrole que la SONORA raffine, ce qui est le comble pour un pays producteur. Selon un rapport de la CICDC, 70 % de la dette camerounaise « a été généré par les grands travaux d’infrastructures réalisés par des entreprises étrangères dans des conditions de manipulation et d’ententes illicites » |7|. Les C2D s’inscrivent pleinement dans la logique de l’aide liée, mécanisme dont les effets dévastateurs pour les pays du Sud sont désormais connus.

On ne développe pas, on se développe

Derrière les effets d’annonces, il n’y a donc rien à attendre de réjouissant de ces contrats. La clé se trouve ailleurs : il s’agit de rompre radicalement avec ce système. Il est essentiel de sortir de la logique du développement et de le combattre car il incarne la domination coloniale et constitue un puissant outil de la Françafrique. Comme le rappelait l’historien burkinabè Joseph Ki-Zerbot « On ne développe pas, on se développe ».

Pour que le peuple camerounais retrouve sa souveraineté, il est essentiel qu’il refuse de payer les dettes qu’on lui réclame. La dette camerounaise est en très grande partie odieuse car elle n’a pas servi les intérêts de la population mais ceux des multinationales étrangères et des nantis camerounais avec la complicité des dirigeants français. Faut-il encore rappeler que Paul Biya a été réélu en 2011 pour son sixième mandat en réunissant modestement 78 % des suffrages et que pour cela il avait au préalable modifié la constitution…

Si les Camerounais doivent se mobiliser pour refuser le paiement de la dette, nous devons en France agir en solidarité avec eux et exiger l’annulation des créances françaises à l’égard du Cameroun et l’abandon des politiques françafricaines !

Pauline Imbach , Owen Chartier

Notes

 1. La Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Congo, la RDC, la Guinée, le Mozambique, Madagascar,
la Mauritanie, le Burundi, le Ghana, le Rwanda, l’Ouganda, la Tanzanie, Sao Tomé et Principe,
la Sierra Leone, le Liberia, le Soudan et cinq pays hors ZSP (la Bolivie, le Nicaragua, le
Honduras, le Malawi et le Myanmar).
 2. http://www.ambafrance-cm.org/spip.php?page=mobile_art&art=697
 3. « L’audit de la dette publique camerounaise, une nécessité démocratique », interview de
Jean-Marc Bikoko réalisée par Françoise Wasservogel, http://cadtm.org/L-audit-de-la-dettepublique
 4. Survie, « Cameroun : A fleur de presse - Juin 2006 – Françafrique », http://survie.org/billets-d-afrique/2006/148-juin-
2006/article/cameroun-a-fleur-de-presse-juin
 5. http://www.ambafrance-cm.org/spip.php?page=mobile_art&art=356
 6. « L’audit de la dette publique camerounaise, une nécessité démocratique », interview de Jean-Marc Bikoko réalisée par Françoise
Wasservogel, http://cadtm.org/L-audit-de-la-dette-publique
 7.Survie, « Cameroun : A fleur de presse - Juin 2006 - Françafrique », http://survie.org/billets-d-afrique/2006/148-juin-2006/article/camerouna-fleur-de-presse-juin

Source : http://www.cadtm.org/