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Les attaques de Boko Haram déclenchent une crise de l’éducation au Cameroun

D 25 mai 2015     H 05:27     A IRIN     C 0 messages


MAROUA - Dans le nord du Cameroun, des dizaines de milliers d’enfants - parmi lesquels de nombreux réfugiés en provenance du Nigéria voisin – sont déscolarisés en raison des attaques transfrontalières de Boko Haram.

« Le gouvernement et les agences d’aide humanitaire sont aux prises avec une situation d’urgence complexe », a dit Middjiyawa Bakari, le gouverneur de la région de l’Extrême-Nord, au Cameroun.

« Il demeure essentiel de dégager suffisamment de salles de classe, de professeurs et de formes d’aide variées pour les enfants déplacés à l’intérieur de leur propre pays », a-t-il dit.

Au nombre de ces enfants privés d’éducation, on comptabilise près de la moitié des 62 000 enfants déplacés à l’intérieur de leur propre pays du fait des attaques de l’insurrection nigérienne, qui a entraîné la fermeture de plus de 120 écoles depuis septembre.

Une partie des 74 000 Nigériens ayant fui le Cameroun depuis mars figure également parmi eux.

D’après le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), 60 pour cent de ces nouveaux arrivants sont des enfants.

Au moins 18 attaques de Boko Haram ont été signalées dans le nord du Cameroun depuis le début de l’année. Près de 100 000 Camerounais ont fui leur foyer, rapporte le HCR.

Les trois départements les plus gravement touchés sont ceux de Logone-et-Chari, Mayo-Sava et Mayo-Tsanaga, à la frontière avec le nord-est du Nigéria - là où les rebelles islamistes sont les plus actifs. Dans ces régions, 60 pour cent des écoles ont été abandonnées, 30 pour cent sont désormais investies par des personnes déplacées, et 10 pour cent ont été détruites ou pillées au cours d’attaques, d’après un rapport publié le mois dernier par le HCR.

Un fardeau supplémentaire

Dans les zones où les écoles sont restées ouvertes, les autorités encouragent la famille et les proches des enfants déplacés à les y inscrire afin qu’ils terminent leur année scolaire. Mais les défis sont nombreux.
Moumine Aloa, le directeur de l’école primaire publique Maroua Doualare I - où sont inscrits plus de 200 enfants déplacés - a dit à IRIN : « Ces enfants viennent ajouter aux difficultés que nous rencontrons déjà, car les déplacés ont des besoins plus spécifiques et plus urgents que les autres élèves. Ils sont nombreux à se présenter sans livre, bulletin scolaire ou test de niveau. Leur niveau scolaire est très faible », a-t-il dit.

Après une déscolarisation de plusieurs mois, les enfants ont souvent besoin d’heures de cours supplémentaires et parfois de soins psychosociaux pour parvenir à suivre en classe avec les autres élèves.

Une autre difficulté tient au fait que bon de nombre de familles ayant pris la fuite ont perdu leurs moyens de subsistance, et n’ont pas de quoi s’acquitter des frais de scolarité.

D’autres n’ont plus les papiers nécessaires à l’inscription. Le HCR estime que 59 pour cent des Camerounais déplacés ont perdu des documents importants.

Environ 38 pour cent des enfants déplacés ont été séparés de leur famille, et vivent à présent avec des proches qui ne peuvent pas ou ne souhaitent pas les envoyer à l’école.

Nombre d’enfants déplacés sont contraints de travailler pour survivre.

C’est le cas de Soulemanu Abba, 15 ans, qui a raconté à IRIN : « C’était facile pour moi d’aller à l’école lorsque je vivais à Fotocol [son village] parce que mes parents et amis étaient présents, et avaient suffisamment d’argent pour financer mes études. Mais depuis que je suis arrivé ici, je dois travailler pour gagner de quoi me nourrir ».

« Certaines classes accueillent plus de 200 élèves »
M. Abba a fui son domicile en octobre 2014, et vit désormais à Maroua où il vend de l’essence avec son oncle.

Son histoire est emblématique.

« J’aimerais pouvoir continuer l’école, parce que ce n’est le métier que j’imaginais pour gagner ma vie », a dit Mouktar Ismaila, 17 ans, qui conduit une moto taxi. « Beaucoup d’entre nous ont abandonné l’école, certains fuient Boko Haram et d’autres ne veulent tout simplement pas aller à l’école. »

« De nombreux élèves abandonnent l’école pour devenir des hommes, et c’est malheureux que la plupart d’entre eux perdent l’occasion unique de terminer l’école et de devenir des figures importantes de leur communauté », regrette M. Aloa, le directeur d’école.

L’éducation chez les réfugiés

À Minawao, le plus grand camp d’accueil pour réfugiés nigériens, on ne compte que trois écoles primaires et 21 salles de classe pour plus de 6 600 enfants en âge d’être scolarisés au primaire.

« Au-delà du fait que l’éducation est un droit humain fondamental pour tous les enfants, il est particulièrement important que les enfants réfugiés aillent à l’école parce ça permet de créer un sentiment de normalité, et de leur donner prise sur leur propre vie en améliorant leur capacité à transformer les obstacles en opportunités », a dit Isaac Luka, un juriste représentant des réfugiés.

Mais faute d’une école pour les accueillir, environ 40 pour cent des enfants en âge d’être scolarisés au primaire ou au secondaire passent leurs journées à s’affairer autour du camp, cherchant à gagner de quoi vivre, rapportent les autorités du camp.

« Les écoles sont surpeuplées », a dit Samuel Cameroun, qui travaille comme gérant adjoint au camp. « Certaines classes accueillent plus de 200 élèves, avec deux professeurs devant faire face à des enfants issus d’environnements très difficiles. Les agences d’aide humanitaire y mettent du leur, en construisant des salles de classe et des environnements adaptés aux enfants et en distribuant des fournitures scolaires, mais elles ne sont pas assez nombreuses au vu des besoins croissants. »

Le gouvernement a récemment dépêché 17 professeurs supplémentaires au camp, et recruté 34 nouveaux professeurs parmi les réfugiés, mais on compte encore 150 élèves pour chacun d’entre eux.

John Duige, un réfugié nigérien de 61 ans travaillant bénévolement comme professeur d’école primaire au camp de Minawao, a dit à IRIN : « J’ai l’obligation d’aider ces enfants […] il faut qu’ils aient l’opportunité d’étudier au Cameroun maintenant ».

C’est un travail difficile : la plupart des enfants réfugiés n’étaient pas scolarisés au Nigéria, et rares sont ceux qui parlent ou comprennent l’anglais. Ils parlent des dizaines de dialectes différents, si bien qu’il est presque impossible de trouver une langue commune dans laquelle enseigner.

Le HCR et l’UNICEF ont mis sur pied des tentes d’accueil adaptées gérées par des ONG locales, où une variété de jeux et d’exercices éducatifs complémentaires sont proposés aux enfants.

« L’éducation est une priorité pour la plupart des agences d’aide humanitaire, mais les enfants ont besoin de bien plus que cela pour oublier les traumatismes et les images d’atrocités qu’ils ont en tête », a dit M. Cameroun. « Ils ont besoin de davantage d’aires de jeu, de salles de classe et de soins psychosociaux dispensés par le biais d’activités organisées. »