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En RCA, les organisations humanitaires peinent à atteindre toutes les personnes dans le besoin

D 9 janvier 2014     H 05:49     A IRIN     C 0 messages


BANGUI/BOSSANGOA - Plus de la moitié des 4,6 millions d’habitants de la République centrafricaine (RCA) ont besoin d’aide humanitaire à cause du chaos qui a suivi le coup d’État. Environ 415 000 personnes ont été déplacées et un nombre incalculable de personnes vivent dans la peur des violences sectaires de plus en plus brutales.

En mars, quelques milliers de rebelles, d’anciens mercenaires et de criminels de droit commun, majoritairement musulmans, regroupé au sein d’une alliance autobaptisée « Seleka » (« coalition » en sango), se sont emparés de la présidence et ont installé au pouvoir le premier dirigeant musulman du pays, Michel Djotodia.

Officiellement démantelée, l’alliance reste cependant active. Ses effectifs ont augmenté, atteignant les 25 000 combattants, accusés de multiples exactions, dont des actes de torture, des viols, des assassinats et le recrutement de milliers d’enfants-soldats.

Les organisations d’aide humanitaire n’ont pas été épargnées par leurs exactions. En septembre, deux travailleurs humanitaires d’ACTED ont été accusés d’espionnage quand des combattants de la Seleka ont découvert leurs téléphones satellites à Bossangoa, dans le nord du pays. Ils auraient été torturés à mort. À Bangui, des voitures de travailleurs humanitaires ont été saisies sous la menace d’armes à feu. [ http://www.acted.org/fr/deux-travailleurs-humanitaires-centrafricains-acted-tu-s-en-r-publique-centrafricaine-7-septembre-20 ]

Selon un travailleur humanitaire, qui a demandé à garder l’anonymat car il n’était pas autorisé à s’exprimer publiquement, essayer de travailler dans des endroits où subsistent d’anciens membres de la Seleka s’apparente à un jeu de roulette russe.
« Ils ne respectent pas la vie. Ils se contentent de détruire », a-t-il dit.

Leurs recrues les plus récentes - environ 6 000 enfants - seraient droguées avant d’être livrées à elles-mêmes pour commettre des atrocités, a-t-il dit. « Il y a beaucoup d’enfants drogués ici. Ils tirent et tuent sans émotion. »

Les attaques ont conduit à la création de groupes d’autodéfense autobaptisés « anti-balaka » ou « anti-machete ». Leurs membres appartiennent à la majorité chrétienne du pays et ont été accusés de s’en prendre à des civils musulmans non armés et à d’anciens rebelles. D’anciens militaires fidèles à l’ex-président, François Bozizé, se joignent parfois à eux. [ http://www.irinnews.org/report/99216/religious-violence-and-the-seeds-of-hate-in-car ]

Le 6 décembre, Valerie Amos, la coordinatrice des secours d’urgence des Nations Unies, a fait part de ses préoccupations concernant la situation en RCA après qu’une centaine de personnes ont été tuées en 24 heures. Elle a appelé « tous ceux impliqués dans les violences à respecter la protection des civils et à assurer leur sécurité, et à respecter leurs obligations au titre du droit international humanitaire et des droits de l’homme. Ils doivent assurer un accès libre et illimité afin que les organisations neutres et impartiales puissent apporter une assistance humanitaire ».

Des besoins médicaux considérables

Médecins Sans Frontières (MSF) et le Comité international de la Croix-Rouge sont maintenant les deux seules organisations humanitaires à s’aventurer sur les routes, qui sont en proie à des groupes armés qui mettent de plus en plus en doute la neutralité des organisations humanitaires.
MSF dirige un service de consultation à l’hôpital de Bossangoa et a récemment mis en place dix centres de santé dans les deux camps pour personnes déplacées. En effet, malgré le taux élevé de maladies, de nombreuses personnes avaient trop peur de parcourir 200 mètres le long de la route pour chercher de l’aide.

« Pendant les 14 premiers jours, nous avons reçu plus de 4 000 enfants de moins de cinq ans et quelques adultes et nous avons traité 3 200 cas de paludisme », a dit à IRIN Heather Thomson, coordinateur des services médicaux de MSF Belgique.

Selon MSF, le paludisme est la première cause de mortalité de cette crise et tue silencieusement de milliers de personnes cachées dans brousse, souvent sans provisions. Autour de Boguila, au nord-ouest du pays, le personnel de MSF a traité près de 95 000 patients contre le paludisme entre janvier et octobre, mais ne peut pas atteindre la majorité des habitants, qui vivent cachés.

« La crise humanitaire qui touche les personnes vivant dans la brousse est particulièrement grave en ce qui concerne le paludisme. Les anciens combattants de la Seleka ont pillé de nombreux hôpitaux et pharmacies dans le nord, souvent aussi récemment qu’au mois de septembre, laissant des communautés entières sans le moindre médicament », a dit Peter Bouckaert, spécialiste des situations d’urgence pour Human Rights Watch (HRW).

Si les décès dus au paludisme sont « les plus visibles » parmi les populations déplacées, « le pillage complet de la plupart des centres de santé et des pharmacies en milieu rural par les anciens membres de la Seleka a également interrompu les traitements du VIH/SIDA », a-t-il dit.

« Avec un taux de prévalence du VIH/SIDA de 13,5 pour cent chez les adultes, l’interruption complète des programmes d’ARV [antirétroviraux] en RCA va bientôt commencer à alourdir le bilan des morts, déjà bien entamé par le paludisme. »

M. Bouckaert a parlé à IRIN de Placide Yamini, infirmier à Ndjo, dont la soeur est décédée du paludisme 48 heures à peine avant la visite de HRW. Les gens ne peuvent que « vivre et mourir comme des animaux ici », aurait dit M. Yamini.

« L’efficacité d’un infirmier dépend de l’accès aux médicaments [...] Avant, nous nous occupions des malades du sida, mais après la destruction du centre médical par les anciens membres de la Seleka en septembre, on ne peut plus rien faire pour eux. Tant de personnes souffrent. Plus personne ne prend ses médicaments », a dit M. Yamini à HRW.

« L’ensemble de la population, soit 4,6 millions de personnes, est affectée par l’actuelle situation complexe de crise, tandis que les besoins ont considérablement augmenté », est-il écrit dans un rapport publié à la suite d’une réunion des hauts responsables des affaires humanitaires des Nations Unies et de l’Union européenne. [ http://www.google.com.uy/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0CCUQFjAA&url=http%3A%2F%2Fwww.ceeac-eccas.org%2Findex.php%3Foption%3Dcom_content%26view%3Darticle%26id%3D306%3Areunion-ministerielle-de-haut-niveau-sur-la-crise-humanitaire-en-republique-centrafricaine-et-la-reponse-internationale%26catid%3D12%3Aintegration-humaine-paix-securite%26Itemid%3D181&ei=LFumUqKzHIigkQfO14CYBA&usg=AFQjCNHqQyPYm8Qu2K7i3PcMwFNcS4iUIA&bvm=bv.57752919,d.eW0 ]

« En République centrafricaine, 1,3 million de personnes ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence en raison des troubles civils », a signalé jeudi l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Leur nombre s’élevait à 1,1 million il y a un mois.

Une aide humanitaire menacée

Atteindre les nombreuses personnes dans le besoin pose de sérieux problèmes sécuritaires, logistiques et financiers aux organisations d’aide humanitaire intervenant en RCA. Un grand nombre d’entre elles sont basées à Bangui, alors que les zones les plus sévèrement touchées se trouvent en province.

Amy Martin, responsable du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) en RCA, a dit à IRIN que les nouvelles autorités de facto du pays n’avaient imposé aucune restriction quant aux zones d’intervention des ONG. Mais les agences des Nations Unies se sont fixé leurs propres limites en raison de la criminalité et des « groupes armés qui ignorent et ne respectent pas les travailleurs humanitaires et les principes humanitaires qui sous-tendent leurs activités, notamment celui d’apporter de l’aide à toutes les personnes touchées par une crise », a-t-elle dit.

« Il est donc très difficile pour nous de mener à bien nos missions et d’apporter de l’aide dans un contexte où nous sommes remarqués pour aider les gens indépendamment de leur religion, leur ethnicité ou leur appartenance religieuse. »

Selon Christian Mulamba, directeur national de l’International Medical Corps (IMC), les opérations humanitaires sont entravées par « d’importantes difficultés ».

« L’insécurité continue de limiter l’ampleur et la portée des interventions humanitaires dans l’ensemble du pays. Nous devons quotidiennement analyser la situation sécuritaire », a-t-il dit.

« Cela, combiné à l’absence d’état de droit et aux attaques contre le personnel et les biens humanitaires, empêche l’aide d’atteindre les personnes dans le besoin et de sauver des vies. Les services sociaux essentiels, tels que les soins de santé, l’éducation, l’eau et l’assainissement, dont la fourniture dépend grandement des organisations humanitaires, sont donc gravement compromis. »

M. Bouckaert, de HRW, a dit à IRIN que les organisations caritatives étaient confrontées à « des menaces constantes contre leur sécurité et un niveau accablant de besoins de la part des populations déplacées ». C’est pourquoi « la réponse humanitaire actuelle se limite presque exclusivement aux capitales des provinces et aux villes de taille similaire », alors que la majorité des habitants sont isolés dans des zones reculées.

Selon lui, les membres des missions de recherche de HRW le mois dernier « étaient littéralement les premiers travailleurs humanitaires à atteindre certaines de ces populations » après des mesures logistiques et des négociations « difficiles » avec les anciens membres de la Seleka et les anti-balaka, qui avaient bloqué les routes et démoli des ponts.

« Le niveau de souffrance que nous avons trouvé était absolument terrible. Presque toutes les familles rencontrées avaient perdu des membres récemment à cause du paludisme ou d’autres maladies. »

Besoins alimentaires

La majeure partie des violences se déroulant dans les régions du nord, qui sont le grenier du pays, la malnutrition devrait grimper en flèche à l’arrivée de la période de soudure.

Housainou Taal, le représentant du Programme alimentaire mondial (PAM) en RCA, a prié « les différents groupes armés à respecter les droits des civils et assurer un accès humanitaire pour que [les] employés [du PAM] puissent atteindre les personnes qui ont désespérément besoin d’aide ».

L’IMC, qui intervient dans les provinces de l’est, a récemment découvert que dans certaines zones de la préfecture de la Haute-Kotto, le « taux de malnutrition atteint 15,8 pour cent, une proportion classée comme "critique" par l’Organisation mondiale de la santé ».

« De plus, la crise a des conséquences sur le traitement des enfants souffrant de malnutrition, car l’insécurité entrave l’accès des organisations humanitaires et le transport des denrées alimentaires de première nécessité », a dit Laura Jepson, chargée de communication de l’IMC.

Les zones dépourvues de dispensaires dépendent de l’hôpital de Bria, à 40 km de distance, et il reste seulement deux unités de santé mobiles de l’IMC pour couvrir 11 communautés, soit environ 18 000 habitants.

Financements insuffisants

L’appel consolidé des Nations Unies « est financé à moins de 50 pour cent, davantage de financements sont donc nécessaires pour permettre à la communauté humanitaire de sauver des vies », a dit Laura Fultang, la porte-parole d’OCHA.

Jusqu’à présent, le PAM a aidé 250 000 personnes depuis janvier, mais l’organisme est confronté à un manque à gagner de 20 millions de dollars.

« Même avant les récents bouleversements politiques, les services de santé étaient loin de répondre aux besoins de la population. La dernière crise aggrave encore davantage cette situation déjà désespérée, car les centres de santé sont pillés et vandalisés ; l’interruption de la chaîne d’approvisionnement entraîne un manque de fournitures médicales et de médicaments essentiels ; et l’insécurité empêche le personnel de santé et les patients de se rendre dans les centres de santé », a dit M. Mulamba, de l’IMC.

Le président, M. Djotodia, a récemment admis à Al Jazeera qu’il ne pouvait pas contrôler les anciens combattants de la Seleka. Le 5 décembre, il a rallongé de quatre heures le couvre-feu pour les habitants de Bangui à la suite d’une nuit d’affrontements qui a fait de nombreux morts par balle ou par coups de machette. Le couvre-feu s’étend maintenant de six heures du soir à six heures du matin. La plupart des organisations humanitaires ont déjà adopté un couvre-feu à partir de 17 h 30. [ http://www.aljazeera.com/news/africa/2013/11/evidence-massacre-uncovered-car-2013117671860551.html ]

M. Djotodia a cependant balayé du revers de la main les avertissements selon lesquels les violences pourraient se transformer en génocide. Selon lui, les dizaines de milliers de personnes qui se sont réfugiées auprès de la mission catholique de Bossangoa ne l’ont fait que pour recevoir gratuitement de la nourriture et de l’eau. [ http://www.reuters.com/article/2013/11/30/us-centralafrican-president-interview-idUSBRE9AT0AD20131130 ]

En attendant, la population fuit face à l’escalade de la violence. Sur les 150 km qui séparent Bossangoa de Bangui, les maisons rasées et pillées sont nombreuses. « Les besoins des personnes touchées par le conflit continuent d’augmenter, notamment pour ceux qui se cachent dans la brousse et qui n’ont pas suffisamment accès à des abris, de la nourriture et de l’eau et qui sont exposés au paludisme et aux attaques des groupes armés », a dit M. Mulamba.

« L’approche humanitaire actuelle n’atteint pas les centaines de milliers de personnes qui se cachent avec terreur dans la brousse près de leur village, c’est une grave défaillance à laquelle il faut remédier d’urgence », a dit M. Bouckaert.

« Les gens qui vivent dans la brousse veulent rester près de leurs champs, où ils ont planté de la nourriture, et nous ne pouvons pas nous attendre à ce qu’ils prennent tous le peu de choses qu’ils possèdent et s’engagent dans un dangereux voyage vers les plus grandes villes. Nous devons leur apporter les fournitures humanitaires vitales dont ils ont besoin, notamment des médicaments », a-t-il dit, car certains professionnels de la santé locaux sont restés avec leurs proches, mais ont besoin de fournitures médicales que seuls les travailleurs humanitaires internationaux peuvent distribuer.

« Tout homme [local] quittant ces zones de guerre et passant par des postes de contrôle d’anciens membres de la Seleka est considéré comme anti-balaka et s’expose, au mieux, à la détention et, au pire, à une exécution immédiate », a-t-il dit.