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Les dilemmes du maintien de la paix en RCA

D 4 octobre 2014     H 05:41     A IRIN     C 0 messages


Les drapeaux ont flotté, la fanfare a joué et les bérets verts des soldats de l’Union africaine (UA) ont été remplacés par les bérets bleus des soldats des Nations Unies. La MISCA est officiellement devenue la MINUSCA. Pendant le transfert des responsabilités, la MINUSCA a publié sur Twitter : « Pour les Nations Unies, la priorité est de supporter le processus politique et de compléter la transition de la RCA », provoquant l’inquiétude parmi ceux qui croyaient que la priorité numéro un de la nouvelle force était de protéger les civils.

Alison Giffen, qui dirige le projet Civilians in Conflict au Stimson Center (un groupe de réflexion basé à Washington), ne croit pas qu’il faille tirer des conclusions du choix des termes d’un seul tweet, mais elle estime que la MINUSCA, comme d’autres missions de maintien de la paix, a trop d’éléments sur sa liste de priorités.

« À l’heure actuelle, nous en demandons beaucoup trop simultanément aux opérations de maintien de la paix », a-t-elle dit à l’occasion d’une rencontre qui s’est tenue à Londres la semaine dernière. « Nous leur demandons de prendre en charge la protection des civils, les élections, l’extension de l’autorité de l’État, la construction de l’État, et cela entraîne un éparpillement des ressources. La protection des civils représente également un défi parce que la mission de maintien de la paix doit réellement collaborer avec le gouvernement de l’État hôte, même lorsqu’il est lui-même impliqué ou responsable de violations. »

Le mandat confié à la MINUSCA par le Conseil de sécurité est ambitieux et exhaustif. La protection des civils figure effectivement en tête de la liste, suivie de l’appui à la mise en ouvre du processus de transition, la facilitation de l’acheminement de l’aide humanitaire, la promotion des droits de l’homme, la promotion de l’État de droit, le désarmement et la démobilisation et la protection du personnel des Nations Unies. Le document décrit 22 tâches prioritaires et cinq « tâches additionnelles », incluant l’appui à la réforme du secteur sécuritaire, lorsque les circonstances le permettront.

Mme Giffen a contribué à une édition du magazine Humanitarian Exchange consacrée à la RCA et publiée par le Réseau des pratiques humanitaires (Humanitarian Practice Network, HPN), basé à Londres. [ http://www.odihpn.org/humanitarian-exchange-magazine/issue-62/the-crisis-in-the-central-african-republic ]

Dans son article, elle prône l’adoption d’une approche soigneusement planifiée commençant par le déploiement de l’ensemble du personnel nécessaire à la protection des civils - les soldats de maintien de la paix, mais aussi les policiers et les civils. Elle recommande de procéder au recrutement rapide d’agents de liaison communautaire, idéalement des Centrafricains, pour faciliter la communication entre les communautés affectées par le conflit et les unités de la MINUSCA. Ces derniers pourront en effet aider les soldats et les policiers à comprendre les priorités des communautés en matière de sécurité et expliquer à ces communautés les activités et les limites de la MINUSCA.

Cette composante civile ainsi que l’adoption d’une approche plus globale font partie des forces des missions des Nations Unies. La MINUSCA dispose par ailleurs de ressources beaucoup plus importantes et d’une expertise beaucoup plus variée que la MISCA. Des contingents du Bangladesh, de l’Indonésie, du Maroc et du Pakistan intègrent actuellement la force de la MINUSCA, mais de nombreux soldats de l’Union africaine - des ressortissants du Burundi, du Cameroun, des deux Congo, du Gabon et du Rwanda - continueront aussi de servir en son sein, ce qui pourrait poser problème.

La confiance est essentielle

La confiance est essentielle pour protéger efficacement les civils. Or, certains éléments de la MISCA étaient considérés avec méfiance par une frange ou une autre de la population centrafricaine. Les Tchadiens - qui ont été particulièrement critiqués en raison de leur alliance avec les milices de la Séléka - sont partis, mais ceux qui restent ne sont pas nécessairement irréprochables.

« Ce n’est pas une nouvelle force de maintien de la paix », a dit à IRIN Véronique Barbelet, du Groupe de politique humanitaire. « C’est une réaffectation, un transfert de responsabilités. Je sais qu’ils sont passés par un genre de processus de vérification, mais cela ne change rien à la perception de la population. Ce qu’il faudrait faire dès maintenant, c’est de mener une enquête pour comprendre quelles sont les perceptions actuelles des différentes nationalités qui forment la MINUSCA. » Il s’agit, selon elle, d’un autre domaine dans lequel les agents de liaison communautaire pourraient contribuer à clarifier les malentendus.

« Ce qui était aussi problématique avec la MISCA, c’est que les contingents étaient déployés près de la frontière entre la RCA et leur propre pays. Les Tchadiens étaient stationnés dans le nord du pays, les Camerounais, dans l’ouest, et ainsi de suite. Et la perception était qu’ils devaient avoir un intérêt particulier, un intérêt personnel quelconque dans les communautés dans lesquelles ils étaient chargés du maintien de la paix. Je crois que cela va changer avec la MINUSCA et que c’est une très bonne chose », a-t-elle ajouté.

La neutralité et la perception de la neutralité représentent également un défi pour la MINUSCA, car elle doit également remplir la part de son mandat qui consiste à appuyer la mise en ouvre du processus de transition, ce qui inclut la planification d’élections. Selon Jenny McAvoy, directrice de la protection pour InterAction (un réseau composé d’ONG américaines et de leurs partenaires mondiaux), il faut que la MINUSCA soit perçue comme apportant son soutien à un processus plutôt qu’à tel ou tel acteur.

« Je pense qu’il faut absolument qu’elle réussisse à jouer un rôle de facilitateur et à laisser le rôle décisionnel aux acteurs locaux. La ligne entre les deux est extrêmement mince. Chaque contexte est différent, et la façon dont cet équilibre se manifeste dans un contexte particulier change aussi avec le temps. C’est un exercice quotidien d’ajustement et de réajustement. »

Et tout cela se déroule dans un pays couvert de forêts dont la population est très dispersée et dont l’infrastructure routière est peu développée. Plusieurs participants à la réunion de la semaine dernière ont souligné le fait que les menaces qui pèsent sur les civils centrafricains sont spécifiques, localisées, voire personnelles. Le conflit n’oppose pas simplement les musulmans aux chrétiens, une communauté entière contre l’autre, contrairement à ce qui a été dit dans les médias à ce sujet. Le caractère personnel des violences commises dans la capitale à la fin de l’année dernière - lorsque le conflit a atteint son paroxysme - est d’ailleurs particulièrement inquiétant. Des individus ont en effet été ciblés dans le cadre d’attaques de représailles. Et alors que la violence à Bangui était clairement visible, des violences semblables étaient commises ailleurs, à l’abri des regards.

Atteindre les endroits isolés

André Heller Pérache a récemment travaillé pendant un certain temps à Bangui comme chef de mission MSF. Selon lui, le problème avec les opérations de maintien de la paix et les efforts humanitaires, c’est qu’ils ne se rendent pas souvent au-delà des principales routes et agglomérations.

« La RCA n’est pas un pays urbain », a-t-il dit. « C’est un pays extrêmement rural. Des populations extrêmement diverses vivent dans de petits villages de 500, 2 000, 3 000 personnes. Lorsqu’il y a 10 000 habitants, il s’agit d’une grosse ville pour la RCA. Et lorsqu’il se passe quelque chose dans un village, une famine ou une épidémie par exemple, il n’y a personne sur place pour en être directement témoin. Et lorsqu’un village est incendié quelque part à l’extérieur des principaux épicentres de la violence, personne n’est là pour le voir ; personne n’est là pour aider à remettre les choses en place. Nous insistons donc sur l’importance de mettre tout en ouvre pour réussir à être présent un peu partout sur le terrain. »

La situation s’est apaisée, mais M. Pérache insiste sur le fait que le besoin de protection est toujours réel, que les violences n’ont pas cessé.

« Récemment, à Bangui seulement, nous avons reçu 31 victimes de violence en l’espace d’environ 12 heures. Des affrontements ont toujours lieu dans le quartier PK5 et dans le quartier PK12 ; l’une de nos équipes est restée coincée là-bas pendant toute une journée en raison de tirs nourris. Dix jours plus tôt, nous avions dû faire face à un autre massacre dans la ville de Bambari. Et avant cela, une attaque dans une église avait fait 17 blessés. De nouveaux villages sont incendiés chaque jour. C’est en cours, ça continue de se produire et c’est totalement chaotique. C’est un bazar énorme. »