Vous êtes ici : Accueil » Afrique centrale » Congo Kinshasa » L’Espagne et la République Démocratique du Congo

L’Espagne et la République Démocratique du Congo

D 13 juin 2011     H 04:24     A Augustin Vellaso     C 0 messages


Le rôle de l’Espagne dans l’origine des conflits et des tragédies qui secouent le Congo depuis les années 1960, est peu connu. Et pourtant, rappelle Augustin Velloso, aux côtés de la Belgique et des Etats-Unis, ainsi que des entreprises extractives multinationales du Katanga, « elle aura collaboré d’une part au prolongement de l’impérialisme nord-américain en Afrique, d’autre part aux graves violations des Droits de l’homme au Congo ». Surtout du fait de son soutien à Tshombé.
Par le truchement de son Directeur général de Coopération extérieure, le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération (Maec) espagnol publie des rapports relatifs aux pays avec lesquels l’Espagne entretient divers types de relations. Dans ces rapports figurent des données relatives auxdits pays ainsi que d’autres portant sur l’historique de leurs relations respectives avec l’Espagne. La parution du mois d’avril 2008 traite de la République Démocratique du Congo (Rd Congo)

Ledit rapport fait état des « visites des personnalités espagnoles en Rdc, vice-versa ». Effectuée en 1965, la toute première visite paraît avec un bref énoncé : « 4-6-65 Moïse Tshombé, Premier Ministre ». Seulement, huit ans après, le 20 mars 1973, date à laquelle le ministre de la Communication et des transports effectue un voyage en Espagne, il n’est effectué aucun voyage officiel. Du côté de l’Espagne, aucun voyage à vocation commerciale n’est effectué jusqu’au 8 mai 1974 ; le 2 décembre de la même année, un ministre, celui du Commerce, y effectue, pour la première fois, un voyage. La Royauté, quant à elle, y organise son premier voyage le 19 novembre 1983.

Jusqu’au 28 janvier 2008, il n’existe aucun traité socle de Coopération. Les voyages officiels sont peu nombreux et moins importants, mais il est à noter que celui de Tshombé, via la Maec, n’est pas le premier qu’il effectua en Espagne. De ces relations, anciennes d’une cinquantaine d’années, paraissent ironiquement deux autres, effectués avec le consentement de Franco, bien que ces derniers soient les voyages les plus importants - en même temps qu’ils furent décisifs pour le développement de la tragédie qui perdure encore en Rdc.

Autant que de l’étape que Tshombé fit en Espagne en 1963, le Maec reste muet sur son séjour postérieur en 1966. Ces deux visites trouvaient leur fondement dans les évènements survenus en Rdc en 1960 et les années suivantes.

La Rdc est proclamée indépendante le 30 juin 1960, avec Patrice Lumumba comme Premier ministre. La Belgique, puissance colonisatrice, reconnaît formellement l’indépendance mais s’évertue, tapie dans l’ombre, à agir contre le nouveau statut de l’ancienne colonie. Stratégie habituelle ! Par la suite et de connivence avec les États-Unis, au grand mépris de son élection démocratique, ils complotèrent la chute de Lumumba par tous les moyens ; y compris l’assassinat !

Le 11 juillet, Moïse Tshombé, chrétien et anticommuniste, président du Katanga, la plus riche des provinces de la République du fait de la quantité considérable de ses ressources minérales, s’érige en associé local de l’impérialisme contre l’indépendance de la Rdc et proclame la sécession de la province. Il s’agit d’une alliance qui vise à contrôler le pouvoir politique ainsi que les bénéfices économiques de la province dans un premier temps, puis l’étendre au reste du pays.

La réponse favorable de la Belgique à la sollicitude du soutien militaire de Tshombé a pour corollaire le gel des relations entre les deux Etats. De fait, Lumumba demande l’intervention de l’Onu.

Le 6 septembre 1960, le quotidien Abc met en doute la capacité du gouvernement de Lumumba à rétablir l’unité nationale (tout en entretenant un silence autour de l’alliance impérialiste contre la Rdc) et relève la position avantageuse de Tshombé (position qu’il doit à ladite alliance) ; alors que, dans le pays, les conflits s’accentuent.

Depuis toujours, la préoccupation de Abc, en syntonie avec la politique des Etats-Unis, était moins l’assaut impérialiste contre l’indépendance de la Rdc et son gouvernement démocratiquement élu, comptant avec la participation d’un collaborationniste en quête d’intérêt personnel au détriment du peuple congolais, que le profit tiré de la situation trouble en Rdc afin de déclarer qu’ « il faut contrer l’intervention soviétique »

Voici la manière dont est présenté l’argument dans le quotidien : « Le gouverneur de New York, Nelson Rockefeller, déclara publiquement qu’en cas d’intervention de l’Union soviétique au Congo, les États-Unis engageront également une action, mais sous le commandement des Nations Unies. Si nous défendons la liberté, nous devons être prêts à lutter pour elle tant en Corée qu’au Congo, en Hongrie, en tout lieu où elle se trouve menacée. Il est de notre devoir de protéger les forces de la liberté. Je ne pense pas que dans cette situation, les Soviétiques ont agi avec foi. »

Ces opérations, présentées sous la forme de lutte pour une liberté durable, de révolution de couleur et de guerres contre l’axe du mal, la capture, il y a cinquante ans, de Lumumba, par le colonel Mobutu, en est un corollaire. Ce dernier le livra, menotté, au Katanga où il sera torturé et assassiné avec deux de ses compagnons. Pouvons-nous dire que ceci s’est déroulé sans compter avec la participation de Tshombé, en date du 17 janvier 1961 ?

Quelques temps après, Abc fait rebondir son discours anticommuniste, dont on se sert de nos jours comme alibi d’une autre guerre, cette fois orientée contre la menace islamiste. Le 23 juin 1961, Abc informe que Tshombé déclara être parvenu à un accord avec le général Mobutu, afin de former un front commun contre le communisme. Il ajouta qu’il existe tout un accord militaire visant à réorganiser les forces armées congolaises, ainsi que celles du Katanga, sans l’aide des Nations-Unies. Aussi déclara-t-il la subsidiarité des Nations Unies du fait de la disponibilité du général Mobutu, en qui on voit un hombre digne de confiance.

Avec l’aide de la Belgique, des États-Unis ainsi qu’avec les divisions et la non opérationnalité des autres membres d’autre part, Tshombé essaye de se défaire politiquement et militairement de l’Onu. Cependant et en fin de compte, la sécession du Katanga s’achève des années après, lorsque l’Onu parvint à contrôler la région. Tshombé sort du pays et s’installe en Espagne. Sans doute le Maec est-il au courant de ce voyage, de ses motivations ainsi que de l’action de Tshombé en Espagne, d’ailleurs rendue publique à l’étranger.

Abc ne manque pas d’insulter tous les morts et victimes de la guerre organisée par Tshombé et juge important de diffuser, le 9 janvier 1963, les déclarations des auteurs du crime : « Un sénateur américain, Thomas Dodd, du Connecticut, déclarait il y a peu : L’assaut contre le Katanga est un acte d’agression inhumain et flagrant du néo-impérialisme de l’Onu. L’initiative de l’Onu qui, militairement, intervient dans un pays afin de forcer son unification et l’obliger à accepter un modèle de Constitution, établit un précédent extrêmement dangereux susceptible susciter un désastre moral et politique. »

À peine une semaine après la déroute des troupes de Tshombé face à l’Onu, le 21 janvier 1963, le quotidien Abc publie trois opinions relatives à cette situation, le 10 du même mois. Ces trois points de vue sont contraires à la légalité internationale ainsi que celle de la Rdc. Le cas des États-Unis est celui qui, le plus, nous interpelle : « Le Comité d’aide nord-américain aux combattants de la Liberté du Katanga, publia une demande dont l’objet est l’élection par le Congrès de fonds nécessaires pour armer le Katanga. Votez tôt et généreusement les fonds nécessaires, afin de leur envoyer les armes sollicitées ». Tel est l’appel conjoint des républicains et des démocrates.

De Madrid, Tshombé organise son retour au pouvoir en Rdc. Il se trouve dans un espace privilégié : loin de l’Afrique noire et proche des services diplomatiques (spécialistes de l’espionnage) des Etats-Unis et de la Belgique. Le 25 juin 1964, il rencontre le ministre belge des Affaires étrangères, en compagnie de l’ambassadeur pour les États-Unis à Bruxelles ; après quoi, il emprunte un vol pour la Rdc. Le jour suivant, Abc publie que la première visite consistait en un entretien d’une demi-heure tandis que la seconde se réclamait de courtoisie. Dès son arrivée en Rdc, Tshombé est fait Premier ministre d’un gouvernement de coalition.

L’Espagne ne semble pas être seulement le lieu où se réfugie l’assassin de Lumumba et de ses deux proches compagnons, le principal responsable de milliers de morts, blessés et déplacés de la Rdc après la sécession du Katanga. Elle constitue également la plate-forme à partir de laquelle vont s’organiser de nouvelles agressions incluant la participation de l’Espagne dans le martyr - qui perdure - en Rdc.

Par le biais de la chaîne de radio de Kinshasa, le gouvernement de la Rdc accusa Tshombé de diriger, depuis Madrid, les offensives de ses troupes sur Kisangani, ville que ces dernières rasent en tuant les habitants tout en brûlant leurs cases. Ainsi, la Rdc devint le théâtre de tous types d’actions : révoltes, assauts, assassinats et vols. Comme à l’accoutumée, ces conflits sont présentés en Occident avec la texture de luttes tribales (aujourd’hui élevées au grade de conflits ethniques), alors qu’est entretenu le silence sur le rôle de ces espions et des multinationales qui extraient des richesses inestimables en Rdc.

Il suffit d’un voyage de Tshombé en Italie pour qu’Abc publie, le 10 décembre 1964, un joyau journalistique assumant l’apologie du génocide entretenu par l’Occident, alors que le Pape, dans une croisée agile contre le communisme, le dénonce avec véhémence. Cet article aura pour auteur José Salas, correspondant de Abc à Rome. Simultanément, dans les rues de la capitale, les communistes italiens distribuent des tracs dans le but de s’opposer à la visite de « celui qui invita les mercenaires étrangers à exterminer son propre peuple ». Aussi affirment-ils que « le gouvernement sera pris pour comptable de sa collaboration permettant pour cette présence infâme sur notre sol ». Ils exigent « l’expulsion immédiate de Tshombé de l’Italie ». A ceci, le correspondant d’Abc réagit en ces termes : « En partance pour les Etats-Unis, l’escale de Rome se justifie par son intention à y rencontrer Paul VI. »

Après tant de pertes en vies humaines et d’inestimables dégâts matériels en Rdc, Abc estime nécessaire de noter qu’ « au demeurant, Tshombé est l’unique personne d’Afrique centrale à s’être formellement opposée au carnage des Européens qui s’y déroulait ». La responsabilité, il est clair, n’est donc pas celle de Tshombé, car « au moment d’établir la vérité, le communisme se révèle comme un outil au service d’attitudes qui, très peu, se rapportent à la civilisation. » En plus, insiste le journal, « quelles que soient les caractéristiques personnelles et politiques de Moïse Tshombé, la problématique oscille entre la protection des victimes et la complicité d’avec les assassins (…) »

La réalité que la presse internationale refuse volontairement de voir est que Mobutu s’est, tout d’abord, débarrassé de Lumumba et a choisi de négocier avec Tshombé, le président Kasavubu et les puissances étrangères, jusqu’à ce qu’arrive le moment d’en faire autant avec ces derniers.

Après un coup d’Etat contre Kasavubu, il accuse Tshombé de trahison. Pris de panique et voulant échapper à la mort, celui-ci retourne en Espagne en 1966. C’est de là que se produit son déclin politique. Il meurt dans une prison en Algérie. La fin des visites de Tshombé en Espagne et l’accession au pouvoir de Mobutu, avec le soutien des Etats-Unis, marquent le début d’un ballet de visites en Espagne - d’abord de Mobutu, ensuite de son épouse puis des membres de son gouvernement. Jusqu’ici, leur passage en Espagne est présenté comme une escale pour un vol en direction de la Belgique ou des États-Unis.

En fait, bien que traitant individuellement avec Tshombé ou Mobutu, il est à noter qu’au premier chef se trouve l’alignement de l’Espagne derrière l’impérialisme nord américain dont elle se fait l’allié infaillible dans tous les conflits. Mais 50 ans après ces conflits politiques, alors que se poursuit la tragédie de la Rdc, nulle part il n’est rendu public le véritable rôle joué par l’Espagne.

Même si de nombreuses publications sont parues sur le thème, l’accès à l’information ne se fait pas sans difficulté du fait de la censure. Le plus hallucinant est que cela soit possible pendant que le monde vit à l’ère de l’Internet ! Outre ses visites de courtoisie et ses voyages d’agrément, celui qui désire savoir les mobiles des voyages de Tshombé en Espagne, ainsi que dans bien d’autres capitales européennes en 1963, n’a docn qu’à faire recours, parmi tant d’autres sources, aux information rendues publiques par International Affairs : revue publiée alors en Urss. Cependant, la recherche ne portera pas de fruit eu égard au la nature anémique des informations fournies par Wikipédia et Google au sujet de ladite revue. La seule note de présentation substantielle y paraissant à son sujet est la suivante : « A communist propaganda vehicle ». Autant que Abc, ces outils d’information et de communication dissimulent leur haine viscérale contre les communistes.

Dans tous les cas, même avec le peu d’informations disponibles, l’Espagne occupe une position très critiquable. Aux côtés de la Belgique, des États-Unis et des entreprises extractives multinationales du Katanga, elle aura collaboré d’une part au prolongement de l’impérialisme nord-américain en Afrique, d’autre part aux graves violations des Droits de l’homme au Congo. Pour cause, elle permit à Tshombé de s’installer à Madrid, non pas avec un statut de réfugié mais comme homme politique actif, alors que ce dernier n’avait jamais renoncé ni à son passé de criminel encore moins à ses projets de même nature.

Il est impossible d’évaluer le mal causée par cette collaboration honteuse. Ceci est un secret de polichinelle : la Rdc, de tout temps, a été est un territoire martyrisé par les puissances étrangères. Et dans ce manège tragique, comme complice des auteurs du désastre, l’Espagne à une importante part de responsabilité. Il ne serait pas insensé de croire que toute négation d’hospitalité à Tshombé, de la part de l’Espagne, mieux une dénonciation auprès de l’Onu, eurent sans doute rendu différent le sort de la Rdc. L’Espagne en aurait tout au moins bénéficié. Le maintien de la vassalité de celle-ci part rapport aux États-Unis implique sa participation active à la réalisation des actions étrangères contraires à ses propres intérêts, partant, contraires à la réglementation internationale ainsi qu’au droit des peuples à lutter contre l’impérialisme.

Ce passé dont l’Espagne ne peut se proclamer le mérite interpelle à plus d’un titre. Après la transition politique entre la droite et la gauche, l’histoire pro impérialiste de l’Espagne suit inéluctablement les voies du fascisme. Ce pays soutenait la politique impérialiste des Etats-Unis, opérant derrière le masque de l’anticommunisme. Le duo continue à mener, de nos jours, le même combat dont les actions se déclinent en lutte contre l’islamisme. Sont visées, dans ces combats sans merci, les faveurs de toute nature accordées par l’Empire. De même qu’il y a bien des années, la presse, aussi, y contribue. Alors que les gouvernements envoient des troupes armées, elle s’occupe de produire, de relayer et de renforcer la propagande des analystes sur le terrain. Tout se passe afin que gagnent conjointement la religion catholique et la démocratie sociale.

Augustin Vellaso

Source : http://pambazuka.org

* Agustín Velloso Santisteban, UNED - Facultad de Educación - Dpto. Hª de la Educ. y Educ. - Traduction de l’espagnol au français par François Désiré Mbesse Akamse