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L’approche de l’offensive en RDC suscite la crainte de retombées humanitaires

D 13 janvier 2015     H 05:10     A IRIN     C 0 messages


KAMPALA - Alors que les forces armées de la République démocratique du Congo (RDC) et les soldats de maintien de la paix des Nations Unies planifient de s’attaquer à l’une des plus anciennes insurrections du pays, la question des civils suscite l’inquiétude et l’on s’interroge sur la sagesse d’une telle opération, prévue pour début 2015.

Seuls quelque 200 membres des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) ont jusqu’à présent obtempéré à l’ultimatum de désarmement expirant le 2 janvier, et ont suivi le programme de démobilisation et de réintégration.

« À expiration de l’ultimatum, il ne sera plus temps de dialoguer. Nos forces armées [FARDC] et leurs partenaires [MONUSCO, la mission des Nations Unies] lanceront une offensive militaire pour désarmer les FDLR par la force », a dit le porte-parole du gouvernement congolais, Lambert Mende, à IRIN.

Le porte-parole militaire de la MONUSCO, le lieutenant-colonel Felix Prosper Basse, a confirmé que la force de maintien de la paix des Nations Unies « prendrait part aux opérations contre les combattants des FDLR aux côtés des FARDC à expiration du délai imparti, le 2 janvier 2015. Un processus de préparation et de planification est en cours afin de nous acquitter du mandat dont nous a investi le Conseil de sécurité des Nations Unies ».

« Nous réitérons aux FDLR nos injonctions de se rendre pacifiquement à la MONUSCO, aux FARDC ou à la PNC [police nationale], et de prendre part au processus DDRRR [désarmement, démobilisation, réintégration, rapatriement et réinstallation] afin d’éviter un désarmement par la force et des morts inutiles. »

Les FDLR, qui rassembleraient quelque 1 400 combattants, ont été fondées par d’anciens membres dirigeants de la milice hutu Interahamwe, qui ont fui l’est de la RDC après s’être rendus responsables de la plupart des massacres du génocide rwandais de 1994. On trouve désormais de nombreux ressortissants congolais dans leurs rangs.

« Toute action militaire devrait tenir compte de la chose suivante », a signalé Jason Stearns, le directeur du Congo Research Group de l’université de New York. « Lorsque les Nations Unies et l’armée congolaise ont lancé une offensive contre les FDLR en 2009, cela s’est soldé par le déplacement d’un million de personnes et à la mort de milliers d’autres ».

Les travailleurs humanitaires de l’est de la RDC partagent l’inquiétude de M. Stearns.

« Toute action militaire risque d’engendrer des conséquences humanitaires. Dans l’est du Congo, l’une de nos plus grandes craintes est une intensification des déplacements, dans des régions déjà accablées par les besoins d’un très grand nombre de personnes déplacées », a dit Frances Charles, responsable plaidoyer auprès de World Vision en RDC, à IRIN.

Les provinces du Nord et du Sud Kivu accueillent environ 1,4 million de personnes déplacées à l’heure actuelle.

Des risques pour la population civile

« L’offensive prévue comporte un degré de risque élevé, en particulier pour les populations civiles. Des mesures doivent être mises en place par la MONUSCO et les FARDC pour garantir que la planification et la conduite des opérations limitent le tort causé aux civils. Tout doit être fait pour limiter et contrôler les violations des droits de l’homme liées aux opérations », a-t-il dit.

Florent Mehaule, le chef de l’antenne du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) au Sud-Kivu, a dit que les travailleurs humanitaires de cette province « étaient convaincus que les opérations militaires prévues contre les FDLR auraient des retombées s’agissant de la protection des civils et des déplacements forcés, avec l’impact correspondant sur les besoins humanitaires ».

« Au Sud-Kivu, l’un des problèmes clés pourrait être l’accès humanitaire, du fait de contraintes physiques et sécuritaires. Concernant ces dernières, une telle offensive risque fort de contrarier la moindre tentative de négociation de l’accès avec les groupes armés. En plus des difficultés d’accès, la faible présence humanitaire dans les secteurs où l’opération militaire est susceptible d’avoir lieu rendra difficile une mise à l’échelle rapide de vastes interventions humanitaires le cas échéant », a-t-il ajouté.

Son homologue au Nord-Kivu, Annarita Marcantonio, a mis en garde contre le risque « d’une recrudescence possible des attaques, pillages et représailles de la part des FDLR, et que les civils se retrouvent au cour des hostilités ».

OCHA et les organisations d’aide humanitaire de l’est de la RDC travailleraient avec la MONUSCO au développement d’un plan de contingence pour la protection des civils en cas d’attaque militaire contre les FDLR.

M. Mende, le porte-parole du gouvernement, a dit : « La population est au courant. Nous avons fait des annonces [à la radio] les incitant à quitter les secteurs où les FDLR sont présentes, étant donné que nous prévoyons de lancer cette offensive ».

Pour M. Charles, « il ne fait aucun doute que la population doit être mieux protégée, mais l’approche militaire n’est pas une solution en soi. Nous devrions davantage mettre l’accent sur une approche plus vaste, plus globale pour la paix et la stabilité à long terme qui font cruellement défaut ici ».

À la question de savoir si l’alliance des forces de la RDC et de la MONUSCO aura le dessus sur les FDLR, Thierry Vircoulon, directeur projet d’International Crisis Group pour l’Afrique centrale, a répondu à IRIN : « Je crois que la question n’est pas "Réussira-t-elle ou échouera-t-elle ?", mais plutôt "Les conditions politiques et militaires sont-elle réunies pour une telle opération, et quel est le type d’opération nécessaire pour contrer les FDLR ?" »

« Je dis cela parce que du point de vue du Conseil de sécurité des Nations Unies il semblerait qu’il faille reproduire le même type d’opération [que celle menée en novembre 2013 contre le M23]. Ce serait une grossière erreur », a-t-il dit.

« D’un point de vue militaire, le problème posé par les FDLR est très différent de celui du M23, or il semblerait que la pensée dominante soit d’appliquer la même stratégie. Une offensive militaire ne suffira pas à anéantir les FDLR parce que le groupe est dispersé du Nord au Sud Kivu et composé de petites unités de combattants capables de battre en retraite dans la brousse facilement », a-t-il dit.

« La configuration tactique est donc totalement différente que pour le M23. Et étant donné que les FDLR sont intégrées au sein des communautés, celles-ci risquent d’être prises dans les affrontements et d’être victimes de violentes représailles de la part des FDLR, comme avec l’ADF [Forces démocratiques alliées].

« Ceux qui prévoient une opération contre les FDLR devraient s’interroger : poursuivre les FDLR dans la brousse mettra-t-il fin à cette menace ? Même si l’opération réussit, viendra-t-elle à bout des FDLR ? Certainement pas, si c’est une opération unique », a-t-il mis en garde.

Du point de vue politique, M. Vircoulon a dit : « L’opération ne suscite pas encore de consensus solide. La Tanzanie, qui représente le gros de la brigade d’intervention, y reste opposée. Et si la Tanzanie refuse de participer, l’Afrique du Sud ne veut pas y aller seule et endosser l’entière responsabilité. On sait bien que dans le cadre d’une mission de maintien de la paix, les pays fournissant les troupes comptabilisent les pertes à la fin de la journée, quoi qu’en dise le Conseil de sécurité des Nations Unies. Par conséquent, l’environnement politique de l’opération est problématique dans sa globalité, contrairement à celle visant le M23 ».

Tisser des alliances

Tandis que la fin de l’ultimatum approche, il semblerait que les FDLR soient actuellement en train de se regrouper, de recruter, de mobiliser un soutien politique et de nouer des alliances militaires avec les groupes armés congolais, et constituent toujours une menace pour la sécurité de la région, d’après lerapport du projet américain Enough en date du 18 novembre.

Les éléments de preuve des experts des Nations Unies et les résultats de six mois de recherche de Enough Project sur le terrain, en RDC, suggèrent que la stratégie actuelle des FDLR vise à sa réorganisation dans trois domaines : générer plus de revenus qu’elles échangent contre des armes et des munitions, mobiliser un soutien politique afin de tenter d’acquérir davantage de légitimité, et s’organiser afin d’éviter une défaite militaire en tissant des alliances et en recrutant de nouveaux combattants.

Le rapport indique que cette milice - responsable de graves violations des droits de l’homme qui font l’objet de sanctions des Nations Unies - continue de générer des revenus principalement en troquant de l’or à travers le Nord-Kivu et l’Ouganda, ainsi qu’en produisant et en troquant illégalement du charbon de bois du parc national des Virunga, un commerce estimé à 32 millions de dollars américains par an.

« Le groupe utilise une partie de ces recettes pour se procurer des munitions et des armes auprès d’officiers de l’armée congolaise [les FARDC], avec qui il continue de collaborer et d’échanger des renseignements », dit le rapport. M. Mende dément ces allégations.

Tactiques

Le rapport note que la stratégie actuelle des FDLR est cohérente avec le schéma traditionnel qu’elles emploient chaque fois qu’elles sont confrontées à la pression militaire.

« Selon ce schéma, le groupe promet de se désarmer et réitère ses ambitions politiques d’être reconnu comme un parti d’opposition rwandais. Les FDLR profitent ensuite de tout sursis accordé pour se regrouper en tissant des alliances militaires et en intensifiant ses activités économiques et le recrutement », est-il dit dans le rapport.

Ces dernières années, les FARDC et les FDLR ont uni leurs forces à diverses reprises contre des ennemis communs.