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Les forces de sécurité de la RD Congo répriment des manifestants utilisant des sifflets

D 22 décembre 2016     H 05:07     A Human Rights Watch     C 0 messages


En fin de journée le mardi 20 décembre, Human Rights Watch a confirmé qu’au moins 26 personnes ont été tuées lors de manifestations tenues ce jour-là à Kinshasa, Lubumbashi et dans d’autres villes de la RD Congo.

La République démocratique du Congo est devenue une poudrière, où des manifestants équipés de sifflets font face aux forces de sécurité, et des groupes armés se mobilisent alors que le mandat du président Joseph Kabila est arrivé à échéance. Human Rights Watch a confirmé que les forces de sécurité ont tué au moins trois personnes mardi matin dans la capitale, Kinshasa, et des dizaines de personnes ont été arrêtées depuis lundi matin, dernier jour des deux mandats consécutifs du président Kabila autorisés par la Constitution.

À partir de 22 heures environ lundi, le « son des sifflets » a retenti dans de nombreux quartiers de Kinshasa. Des groupes ont investi les rues, sifflant pour signifier à Kabila que son temps au pouvoir se terminerait à minuit. Un « concert de sifflets » a également été entendu dans plusieurs parties de la ville de Lubumbashi, dans le sud du pays.

Dans les deux villes, militaires et forces de police ont été largement déployés et ont tiré des coups de feu dans certains quartiers pour disperser les manifestants qui utilisaient des sifflets. Le nombre réel de victimes est difficile à déterminer et les signalements sont toujours en cours de vérification. Beaucoup de témoins nous ont parlé de recherches maison par maison menées par les soldats de la Garde républicaine, des jeunes étant arrêtés à leur domicile, et de points de contrôle inhabituels où les forces de sécurité arrêtent des personnes sur les routes, les interrogent sur de possibles liens avec l’opposition politique, confisquant argent et téléphones portables. Les manifestations au son des sifflets – et la répression – ont été très soutenues dans les quartiers de Selembao, Mont Ngafula, Kimbangu, Ngiri-Ngiri, Ndjili, Masina, Matete et Lemba à Kinshasa et dans le quartier de Kenya à Lubumbashi.

Tôt mardi matin, le leader de l’opposition de longue date et président du parti de l’Union pour la Démocratie et le Progrès social (UDPS) et de la coalition Rassemblement, Étienne Tshisekedi, a transmis un message vidéo posté sur YouTube, dans lequel il lance « un appel solennel au peuple congolais à ne pas reconnaître [...] l’autorité illégale et illégitime de Joseph Kabila et à résister pacifiquement [à son] coup d’État ».

D’autres manifestations ont éclaté depuis dans de nombreuses parties de Kinshasa et de Lubumbashi. Les forces de sécurité ont répondu dans de nombreux secteurs en tirant à balles réelles et en lançant des gaz lacrymogènes. Nous avons reçu de nombreux signalements de personnes tuées et blessées mardi matin par les forces de sécurité, et nous travaillons encore à en vérifier l’exactitude. Et les signalements d’arrestations se poursuivent.

À Kinshasa, des manifestants ont brûlé le siège du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) au pouvoir. Et certaines informations indiquent que des manifestants ont frappé des agents de police à Lubumbashi.

Les « villes mortes » de lundi

Les manifestations qui ont commencé lundi soir sont intervenues après ce qui s’est avéré être une « ville morte » ou grève générale largement suivie à Kinshasa et dans d’autres villes le dernier jour du mandat de Kabila. Militaires, policiers et agents des services de renseignements ont été largement déployés dans les villes du pays – notamment Kinshasa, Goma, Lubumbashi, Bunia, Beni, Walikale, Kindu, Uvira, Kalemie, Mbuji-Mayi, Mbandaka et Lisala – dans une tentative manifeste de réprimer les manifestations. De nombreux résidents n’ont pas envoyé leurs enfants à l’école et sont restés chez eux, alors que les magasins et les bureaux étaient fermés.

Certaines personnes ont tout de même tenté de manifester. Dans la ville de Beni, dans l’est du pays, les forces de sécurité ont tiré en l’air pour disperser les manifestants, mais un manifestant a été blessé par une balle perdue. Human Rights Watch a reçu des rapports dignes de foi selon lesquels plus de 100 personnes auraient été arrêtées lundi, dont 41 à Goma, 28 à Kinshasa, 19 à Bunyakiri, 5 à Bukavu et une à Kalemie. La plupart des personnes ont été arrêtées alors qu’elles manifestaient, organisaient des manifestations, étaient simplement rassemblées dehors, ou simplement parce qu’elles portaient du rouge – symbolisant la « carte rouge » adressée à Kabila.

Onze membres de la coalition de partis d’opposition Rassemblement ont été arrêtés tandis qu’ils marchaient pacifiquement dans la rue dans le centre de Goma. Il s’agissait notamment de représentants de l’Engagement pour la Citoyenneté et le Développement (ECiDé), du Mouvement social pour le Renouveau (MSR), du Parti national pour la Démocratie et le Développement (PND) et de l’UDPS. Ils ont été arrêtés en présence d’une équipe d’observateurs des droits humains des Nations Unies et ont été transférés à la prison des services de renseignements de la police. Plus tard, les observateurs des droits humains se sont vu refuser l’accès aux personnes arrêtées.

L’activiste de LUCHA Fabrice Mutsiirwa a été arrêté à Goma lundi à 9 heures environ. Il est actuellement détenu dans le bureau du maire. Un autre activiste de LUCHA, Adolf Miruho, a été arrêté mardi matin, alors qu’il rendait visite à Fabrice. Un troisième activiste de LUCHA, Bienfait Katalanwa, a été enlevé dimanche par quatre hommes habillés en civil et relâché lundi soir.

À Kinshasa, les forces de sécurité ont été déployées en grand nombre à l’extérieur de l’université de Kinshasa, empêchant les étudiants de manifester pendant un affrontement qui a duré plusieurs heures lundi matin. Dans l’après-midi, les autorités à Kinshasa ont arrêté Franck Diongo, président du parti d’opposition Mouvement Lumumbiste Progressiste (MLP) et membre du Rassemblement, après qu’il ait, avec ses collègues, appréhendé trois hommes qui, selon Diongo, étaient des soldats de la Garde républicaine portant des vêtements civils. Diongo a expliqué qu’il craignait qu’ils n’aient été envoyés pour l’attaquer.

Tôt le lundi matin dans la ville de Butembo, dans l’est du pays, des combattants de milices ont affronté les forces de sécurité, faisant 13 morts selon les informations, dont un Casque bleu. À Manono dans l’ancienne province de Katanga, au moins 40 personnes ont été blessées lors d’une attaque présumément menée par une milice batwa lundi dans la nuit, d’après l’ONU. Des combats ont été rapportés le mardi entre une milice et l’armée congolaise dans la ville de Kananga, dans le sud du pays. Il est trop tôt pour connaître les circonstances exactes de ces attaques, mais la mobilisation accrue des groupes armés dans le contexte politique instable du pays est très évidente.

Dans le cadre d’une répression plus large des médias, les autorités ont coupé, lundi matin, les signaux de deux médias d’information congolais proches de l’opposition, Canal Congo TV (CCTV) et Radio Liberté Kinshasa. Le signal de Radio France Internationale (RFI), le média d’information international le plus important en RD Congo, est coupé à Kinshasa depuis le 5 novembre dernier. Le signal de RFI dans la ville voisine de Brazzaville est brouillé depuis le 18 novembre.

Au milieu de tout cela, à 23 h 45 lundi – alors que le bruit des sifflets, le tintamarre à coups de casseroles et ustensiles de cuisine et les slogans scandés pour le retrait de Kabila s’intensifiaient – la présentatrice des actualités d’une chaîne de la télévision nationale publique en RD Congo a annoncé que Kabila avait signé un décret, nommant près de 60 nouveaux ministres pour former un gouvernement dirigé par le Premier ministre Sami Badibanga. Le nouveau gouvernement inclut uniquement des membres de la coalition au pouvoir de Kabila et des partis de l’opposition qui ont participé au dialogue national soumis à la médiation de l’Union africaine. Les membres de la coalition Rassemblement et d’autres partis de l’opposition qui ont seulement pris part au dialogue en cours encadré par l’Église catholique n’ont obtenu aucun poste.

L’annonce faite à minuit a peut-être eu pour but de détourner l’attention des appels croissants au retrait de Kabila, tout en montrant aussi que le pays est toujours gouverné. Certains l’ont également considéré comme un affront, voire un rejet, vis-à-vis du Rassemblement et des pourparlers sous médiation de l’Église catholique.

Dans une autre tentative évidente de préserver l’impression que tout est sous contrôle, le conseiller diplomatique de Kabila, Kikaya Bin Karubi, a tenu une conférence de presse à Kinshasa lundi après-midi, lors de laquelle il a déclaré que « le président Kabila sera encore au pouvoir demain ». Il a indiqué que « seule la population peut faire pression sur Joseph Kabila » et qu’« à ce [qu’il] sache, elle ne le fait pas ».

De même, lundi, trois experts de l’ONU ont appelé les autorités à lever les restrictions « abusives » sur les manifestants, notamment une interdiction contraire à la loi et une répression sur les réseaux sociaux. « La répression ciblée des voix dissidentes de la société civile et des défenseurs des droits humains est contraire aux principes démocratiques », ont déclaré les experts. « Si la société civile n’est pas autorisée à exercer les droits à la liberté d’expression, à la liberté d’association et à la réunion pacifique, les manifestants vont inévitablement recourir à la violence, pour laquelle seules les autorités devront être blâmées. » Le gouvernement de France a aussi exprimé son inquiétude lundi face à la détérioration de la situation des droits humains dans le pays.