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RDC : « corruption, prédation, répression », le triptyque congolais

D 10 août 2017     H 09:57     A Christophe RIGAUD     C 0 messages


Joseph Kabila a réussi à se maintenir au pouvoir depuis plus de 16 ans grâce au pillage systématique des ressources du pays et au siphonnage des recettes de l’Etat. Le tout, en muselant ses opposants politiques et en réprimant dans le sang les mouvements de contestation. Une stratégie payante… pour combien de temps ? ...

L’agence de presse américaine Bloomberg, le Groupe d’Étude sur le Congo (GEC) et l’ONG Global Witness viennent successivement de jeter une lumière crue sur la fortune colossale et tentaculaire de la famille Kabila dans un pays parmi les plus pauvres de la planète. Un mécanisme de prédation financière qui, couplé à une répression féroce de toute opposition, a permis au président Joseph Kabila de s’accrocher à son fauteuil depuis 16 ans, et ce, même après la fin officielle de son dernier mandat, le 19 décembre 2016. Un « système Kabila » qui s’inscrit dans un contexte de corruption généralisée, ordinaire et structurelle. En 2017, la RDC fait toujours partie des 20 pays les plus corrompus du monde. Un vrai « scandale » pour Transparency international, qui estime que « les besoins élémentaires des citoyens ne sont pas satisfaits. » Pour le président de l’ONG anti-corruption, José Ugaz, « la population se couche tous les soirs le ventre vide à cause de la corruption, alors que les puissants et les corrompus jouissent d’un mode de vie somptueux en toute impunité ». Des puissants, qui en RDC, gravitent autour du président Joseph Kabila et de sa famille.

80 sociétés, 71.000 hectares de terres agricoles…

Dans un impressionnant rapport publié en juillet 2017, le Groupe d’Étude sur le Congo (GEC), avec le soutien du Pulitzer Center on Crisis Reporting, s’est penché sur le business de la famille Kabila depuis l’arrivée au pouvoir de Joseph en 2001 après l’assassinat de son père. Et la fortune du clan Kabila se chiffrerait en dizaines de millions de dollars ! Selon le GEC, le chef de l’Etat et ses proches sont propriétaires, partiellement ou en totalité, de plus de 80 sociétés. Le rapport apporte un éclairage précis des intérêts économiques de Joseph Kabila, mais aussi de sa femme, Olive Lembe, et de leurs enfants, de sa soeur Jaynet et de son frère Zoé, tous deux également députés nationaux.

Le président Kabila possède directement, et par le biais d’une entreprise lui appartenant ainsi qu’à ses enfants, plus de 71.000 hectares de terres agricoles. Deux entreprises, propriétés de la famille Kabila, ont acquis des licences d’exploitation de mines de diamants sur un territoire de plus de 720 kilomètres le long de la frontière avec l’Angola. Jaynet Kabila détient 4,8% des parts dans l’un des plus grands réseaux de téléphonie mobile du pays, alors que Zoé possède des entreprises qui ont été engagées pour l’exploitation de gisements miniers parmi les plus riches du monde. On retrouve des entreprises du clan Kabila dans presque tous les secteurs de l’économie congolaise : l’agriculture, les mines, le secteur banquier, l’immobilier, les télécommunications et les compagnies aériennes.

Mais l’empire Kabila s’étend également bien au-delà du Congo. La famille possède des biens immobiliers en Afrique du Sud et en Tanzanie, et certaines des sociétés sont enregistrées au Panama, à l’île Niue ou… au Luxembourg. Certaines entreprises contrôlées par la famille Kabila ont conclu d’importants contrats avec le gouvernement congolais, mais plus étonnant, avec la Banque mondiale et les Nations unies ! Reste à savoir si ces institutions, et notamment les bailleurs internationaux, étaient au courant des liens entre ces sociétés et le président Kabila. Les conflits d’intérêts semblent pourtant notoires dans le cas de Jaynet Kabila qui s’est vu octroyer par le ministère des Mines congolais plus de licences d’exploitation que ne l’autorise le Code minier du pays. Et toujours selon le rapport, « au moins une entreprise de la famille était impliquée dans un accord d’extraction de cuivre controversé en 2011, ce qui a conduit le Fonds monétaire international (FMI) à suspendre son programme de prêt d’un demi-milliard de dollars à la RDC ». Enfin, certaines sociétés du clan Kabila sont protégées ou surveillées par les membres de la Garde républicaine (GR), ce qui est probablement « en dehors du mandat légal de cette force » note le Groupe d’Etude sur le Congo.

… « qu’une partie immergée de l’iceberg »

Dans la famille Kabila, l’agence de presse Bloomberg s’est particulièrement intéressé à Zoé Kabila, le frère cadet du président, et député national. Ses sociétés interviennent dans la construction de routes, le commerce de diamants, l’extraction de cuivre… et ont gagné des millions de dollars grâce à des joint-ventures et à des contrats de sous-traitance dans le secteur minier. C’est notamment le cas de la société Sicomines, « partie prenante dans un accord d’exploitation minière de 6,2 milliards de dollars passé avec la Chine, prévoyant l’exploitation des mines congolaises en contrepartie de la construction des principales infrastructures ».

Le plus incroyable, c’est que les documents qui ont permis au GEC de remonter la piste du business de la famille présidentielle repose principalement sur des sources publiques, accessibles à tous ! Ces chiffres sur la fortune du clan Kabila ne sont « qu’une partie immergée de l’iceberg » selon le rapport, et constituent donc « une évaluation partielle des intérêts commerciaux » des proches du chef de l’Etat congolais. Le GEC n’a, par exemple, pas comptabilisé « plusieurs grands ranchs, des bâtiments, des sociétés de médias et des entreprises commerciales qui sont considérés par beaucoup comme appartenant à la famille ». Les chercheurs du centre d’étude n’ont pas pu obtenir les documents prouvant qu’il s’agissait bien des propriétés du camp Kabila.

Un tiroir-caisse nommé Gécamines

Si le rapport du GEC dénonce l’incroyable fortune accumulée par les Kabila depuis l’arrivée au pouvoir de Joseph, il apparaît « évident que des membres de l’élite de toutes les tendances de la classe politique ont abusé de leur position pour s’enrichir personnellement. » Une corruption à tous les étages dont le symbole s’appelle Gécamines, la plus importante entreprise minière congolaise et véritable « tiroir-caisse de la République ». De tout temps, la première entreprise du pays est considérée comme la « vache à lait » du pouvoir. De Mobutu, qui confondait les recettes de l’entreprise avec ses comptes personnels, à Kabila qui a toujours placé un homme de confiance à la tête de la Gécamines. L’actuel président s’appelle Albert Yuma, et sa gestion est dans le viseur de Global Witness qui a épluché les comptes du géant des mines. L’ONG affirme ce mois-ci que le Trésor national congolais a perdu plus de 750 millions de dollars en revenus miniers entre 2013 et 2015.

Des millions évaporés dont une partie au moins « a été répartie entre plusieurs réseaux de corruption liés au régime du président Joseph Kabila » accuse Global Witness. Albert Yuma dirige le comité d’audit de la Banque centrale de RDC et la Fédération des entreprises congolaises (FEC) et, selon un haut responsable de la direction de la Gécamines interrogé par l’ONG, « ne rend compte qu’au président de la République. » La Gécamines serait « une coquille vide » d’après un fonctionnaire du ministère des Mines interrogé par Global Witness. « Le pillage se fait à ciel ouvert. Les décisions viennent du sommet et nous ne pouvons rien ».

Les raisons du maintien au pouvoir de Kabila ?

Toutes ces allégations sont réfutées en bloc par Kinshasa. Le rapport de Global Witness qui ne serait « qu’une compilation d’amalgames et de données sur le président Kabila, faisant volontairement une lecture à l’envers des chiffres » pour le ministre congolais des Mines, Martin Kabwelulu.

Concernant la fortune de Zoé Kabila, le député a répondu sur son compte Twitter que l’enquête de Bloomberg ne visait qu’à nuire au chef de l’Etat. « Les détracteurs (de Joseph Kabila) publient des infos notoires, en y ajoutant des mensonges » se défend le frère cadet du président. Pour le porte parole du gouvernement Lambert Mende, Zoé et Jaynet Kabila ont le droit de faire des affaires, « ne travaillant (à l’Assemblée nationale) que six mois par an (sic) ». Des explications un peu courtes au vue des documents publiés par le GEC, Bloomberg et Global Witness.

L’immense fortune du président congolais et de ses proches, jumelé à un important réseau d’affaires international pourrait expliquer les raisons pour lesquelles Joseph Kabila refuse de quitter le pouvoir, alors que son dernier mandat s’est achevé le 19 décembre 2016. C’est l’analyse d’Ida Sawyer, la directrice pour l’Afrique centrale de Human Rights Watch (HRW), qui explique également que la prédation et la corruption généralisées en RDC permettent également de comprendre « pourquoi l’extrême pauvreté et le sous-développement persistent dans un pays aussi bien pourvu en ressources naturelles. » Mais pour se maintenir au pouvoir depuis plus de 16 ans, Joseph Kabila et sa majorité ont besoin d’une autre arme que l’argent de la corruption pour s’attirer le soutien des caciques du pouvoir et débaucher régulièrement des opposants politiques : la répression.

Plus de 3.000 morts dans les Kasaï

Interdiction de manifester, fermeture de médias proches de l’opposition, procès politiques d’opposants, arrestations arbitraires, emprisonnements extra-judiciaires, exécutions sommaires, découvertes de plusieurs dizaines de fosses communes… l’appareil répressif du pouvoir congolais tourne à plein régime pour cadenasser toutes les velléités de contestation et les voix dissonantes. Dernier exemple en date : la manifestation de l’opposition du 31 juillet 2017 pour protester contre la non tenue des élections cette année.

Selon les ONG internationales, au moins 128 personnes ont été interpellées à Kinshasa, Goma, Lubumbashi ou Butembo. 13 journalistes ont été interrogés, leurs matériels confisqués et des photos effacées. Mais en janvier 2015 ou pendant les manifestations de fin 2016 pour demander au président Kabila de quitter le pouvoir, comme l’exige la Constitution, les forces de sécurité ont réprimé ces mouvements de contestation dans le sang : une centaine de morts ont été recensés.

Dans les Kasaï, les attaques de la milice Kamuina Nsapu contre le pouvoir central ont été mâtées dans la violence avec « une utilisation disproportionnée de la force » selon l’ONU. L’Eglise catholique a dénombré plus de 3.000 morts depuis l’automne 2016 et les Nations unies ont découvert plus de 80 fosses communes dans ces provinces. Deux experts de l’ONU et des agents recruteurs de la Commission électorale (CENI) y ont également été assassinés. Ces violences, qui ont jeté sur les routes plus d’un million de déplacés, ont considérablement retardé l’enrôlement des électeurs du Kasaï.

…comme Mobutu

Cette violence d’Etat qui permet certes de terroriser la population et de l’empêcher de se soulever contre le pouvoir central ou de manifester dans les rues, permet également d’entretenir un chaos savamment orchestré et retarder ainsi la tenue des élections… objectif ultime du président Joseph Kabila. Des évasions massives de prisonniers et des attaques mystérieuses, notamment dans la capitale congolaise, comme le 14 juillet dernier au marché central, plaident pour cette stratégie de l’instabilité permanente. Un artifice qui permettrait au pouvoir en place (et qui souhaiterait le rester) d’instaurer l’Etat d’urgence.

Un dispositif qui pourrait servir de prétexte à renvoyer l’élection présidentielle aux calendes grecques et à réprimer davantage les manifestations politiques. Une stratégie payante puisque 8 mois après la fin de son mandat, Joseph Kabila est toujours bien accroché à son fauteuil et l’élection présidentielle, prévue par l’accord politique de la Saint-Sylvestre en décembre 2017, ne pourra pas se tenir dans les délais. Seule question sans réponse pour le moment : comment de temps pourra tenir Joseph Kabila au pouvoir sans organiser d’élections ? Le dernier président congolais a avoir utilisé le fameux triptyque « corruption, prédation, répression » pour se maintenir au pouvoir s’appelle Mobutu. Il y restera 32 ans… mais finira par être chassé.

Christophe RIGAUD

Source : http://afrikarabia.com/