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RDC : Protéger les civils à Beni contre les attaques

Près de 700 morts depuis le début des massacres il y a 2 ans

D 11 novembre 2016     H 05:49     A Human Rights Watch     C 0 messages


Des combattants non identifiés ont tué près de 700 civils dans une série de massacres qui ont débuté il y a deux ans dans le territoire de Beni, dans l’est de la République démocratique du Congo, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.

Dans l’attaque du 13 août 2016, l’une des plus vastes récemment perpétrées, des combattants ont tué au moins 40 personnes et incendié plusieurs habitations dans le quartier Rwangoma de la ville de Beni malgré la présence importante de soldats de l’armée congolaise et de casques bleus des Nations Unies.

« Il faudrait au gouvernement congolais et aux casques bleus de l’ONU une nouvelle stratégie pour protéger les civils à Beni et faire répondre de leurs actes les responsables de ces attaques » a déclaré Ida Sawyer, chercheuse senior sur l’Afrique à Human Rights Watch. « Après deux ans de massacres sauvages, de nombreux habitants de Beni vivent dans la crainte de la prochaine attaque et ont presque perdu tout espoir que quiconque puisse mettre fin au carnage. »

Les recherches effectuées par Human Rights Watch et des rapports crédibles d’activistes congolais et de l’ONU indiquent que des combattants armés ont tué au moins 680 civils au cours d’au moins 120 attaques menées dans le territoire de Beni depuis octobre 2014. Des victimes et des témoins ont décrit des attaques brutales dans lesquelles les assaillants assassinaient des personnes méthodiquement à la hache ou à la machette ou les abattaient par balle. Le nombre réel de victimes pourrait être beaucoup plus élevé.

Il n’est pas clairement établi qui perpétue ces attaques. Le gouvernement congolais accuse un groupe armé actif dans la région tandis que d’autres sources ont aussi mis en cause d’autres groupes et des officiers de l’armée dans certaines de ces attaques.

Les conclusions de Human Rights Watch reposent sur cinq missions de recherche effectuées dans le territoire de Beni depuis novembre 2014 et des interviews de plus de 160 victimes et témoins d’attaques ainsi que de responsables de l’armée et du gouvernement congolais, d’officiels de l’ONU, et d’autres.

Un garçon de 10 ans a déclaré avoir été pris en otage pendant l’attaque de Rwangoma et témoin de plusieurs meurtres : « Des hommes en uniforme militaire sont venus et m’ont emmené ainsi que mon grand frère et ma grand-mère. …Ils nous ont attachés et fait marcher avec eux. En chemin, ils ont commencé à tuer plusieurs d’entre nous, dont mon frère de 16 ans. Ils l’ont tué, comme quelques autres, avec des haches et des machettes. »

Les soldats de l’armée congolaise et les casques bleus de l’ONU ne se sont déployés dans la zone qu’une fois l’attaque terminée et les assaillants enfuis depuis longtemps.

Human Rights Watch a établi d’autres cas d’incidents dans lesquels l’armée alertée par des membres de la communauté n’est pas intervenue.

Dans l’un des cas, le 4 juillet 2016, quatre agriculteurs de la région ont averti l’armée de la présence suspecte d’hommes armés près de la ville d’Oïcha, à 30 kilomètres au nord de Beni. Les agriculteurs ont rapporté plus tard à Human Rights Watch ce que leur a répondu l’un des officiers : « Nous avons pris toutes les mesures nécessaires pour parer à toute éventualité. Rentrez chez vous mais n’en parlez à personne. N’effrayez pas les gens pour rien. » Le lendemain matin, des combattants non identifiés ont tiré des coups de feu à Oïcha. Plus tard, les corps de neuf victimes de coups de feu ont été trouvés près de deux positions de l’armée dans la ville.

Un officier de l’armée basé à Oïcha a expliqué à Human Rights Watch que certains soldats ont manifesté de la colère lorsque leur supérieur leur a ordonné de quitter une position proche et de ne pas combattre les assaillants pendant le déroulement de l’attaque.

De hauts responsables de l’ONU et de l’armée congolaise ont affirmé à maintes reprises que les attaques dans le territoire de Beni étaient menées par les Allied Democratic Forces (ADF, Alliance des Forces démocratiques), groupe rebelle islamiste dirigé par des ougandais et présent dans la région depuis 1996. La recherche de Human Rights Watch et les constatations du groupe d’experts de l’ONU sur la RD Congo, du Groupe d’Étude sur le Congo, basé à New York, et d’organisations de défense des droits humains congolaises indiquent cependant l’implication d’autres groupes armés et de certains officiers de l’armée congolaise dans la planification et l’exécution de quelques-unes de ces attaques.

Un grand nombre d’enlèvements au cours de ces dernières années sont imputables aux combattants ougandais et congolais des ADF, essentiellement à des fins de recrutement et de transport de marchandises a expliqué Human Rights Watch. Des civils détenus un temps dans des camps ADF ont relaté à Human Rights Watch qu’ils avaient vu des morts par crucifixion, des exécutions de ceux qui tentaient de s’échapper, et des personnes dont la bouche avait été cousue parce qu’ils auraient menti à leurs ravisseurs. En janvier 2014, l’armée congolaise a officiellement entamé une nouvelle phase d’opérations militaires contre les forces ADF avec un appui logistique limité de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RD Congo, la MONUSCO, et sa « Brigade d’intervention », force de 3000 membres créée mi-2013 pour mener des opérations militaires contre les groupes armés. La série de massacres a débuté plusieurs mois après que l’armée congolaise ait délogé les rebelles ADF de leurs principales bases.

Le groupe d’experts de l’ONU a conclu que le général de brigade Muhindo Akili Mundos, commandant de l’armée congolaise chargé des opérations militaires contre les ADF d’août 2014 à juin 2015, a recruté des combattants ADF, d’anciens combattants de groupes armés locaux connus sous le nom de Mai Mai, et d’autres pour établir un nouveau groupe armé. Ce groupe a participé à certains des massacres commis dans le territoire de Beni qui ont débuté en octobre 2014, selon le groupe d’experts.

Dans un rapport publié en mars 2016, le Groupe d’Étude sur le Congo a conclu que certains éléments de l’armée ainsi que des groupes armés autres que les ADF pourraient avoir pris part aux massacres.

Les forces responsables, les chaînes de commandement, et les motivations de ces attaques demeurent floues. Les partenaires internationaux de la RD Congo devraient soutenir des efforts crédibles du gouvernement visant à déterminer la responsabilité des attaques et à améliorer la protection des civils, a déclaré Human Rights Watch.

Vu la participation présumée de quelques officiers de l’armée congolaise aux massacres, la MONUSCO devrait assurer un total respect de la Politique de diligence raisonnable en matière de droits humains de l’ONU lorsqu’elle appuie les opérations de l’armée congolaise et retirer tout appui aux unités ou commandants qui pourraient être impliqués dans les attaques ou autres graves violations des droits humains. Les casques bleus devraient aussi améliorer les liens avec les communautés locales et se déployer immédiatement dans les zones menacées.

Human Rights Watch a encouragé la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) à recueillir des informations pour déterminer si une enquête dans les crimes qui auraient pu être commis dans la région de Beni serait justifiée. La CPI qui a ouvert une enquête en RD Congo en juin 2004, a compétence sur les crimes graves relevant du droit international commis sur le territoire congolais. Elle peut intervenir lorsque les tribunaux nationaux sont réticents ou incapables de poursuivre de graves crimes constituant des violations du droit international.

Les massacres fréquents perpétrés dans le territoire de Beni ont attisé la colère du peuple à l’égard du gouvernement congolais pour avoir échoué à arrêter les massacres. Cette colère a inspiré de nombreuses journées « villes mortes », marches pacifiques et certains incidents de « justice populaire. » Les manifestations contre les massacres de Beni ont, dans certains cas, été liées à celles contre le retard des élections et les tentatives de prolonger la présidence de Joseph Kabila au-delà de la limite constitutionnelle de deux mandats se terminant le 19 décembre. Dans de nombreux cas, le gouvernement et les forces de sécurité ont réprimé les manifestations de manière brutale.

« La RD Congo à présent empêtrée dans une crise politique plus large, le gouvernement est moins en mesure d’empêcher les attaques de Beni de prendre des proportions incontrôlables » a déclaré Ida Sawyer. « Une attention internationale soutenue de haut niveau est désormais indispensable pour aider à mettre fin aux massacres à Beni et pour identifier et traduire devant la justice les responsables de ces attaques. »