Vous êtes ici : Accueil » Afrique centrale » Gabon » Gabon – Lettre ouverte à l’Ue, l’Onu et l’Elysée : Demande d’action des (...)

Gabon – Lettre ouverte à l’Ue, l’Onu et l’Elysée : Demande d’action des Nations-unies et de l’Ue pour la démocratie au Gabon

D 10 octobre 2016     H 12:19     A Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politique en Afrique     C 0 messages


Lettre ouverte à l’attention de :

 Ban Ki-Moon, Secrétaire général des Nations-unies
 Mme Federica Mogherini, Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité‎, vice-présidente
 François Hollande, Président de la République française

Objet : Demande d’action des Nations-unies et de l’Union européenne pour la démocratie au Gabon

 Monsieur le Secrétaire général des Nations unies,
 Madame la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité‎,
 Monsieur le Président de la République française,

Depuis 2009, le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique, à Paris, soutient la démocratie en Afrique. L’année 2016, avec 14 présidentielles et 10 législatives en Afrique[1] déterminera la suite du processus de démocratisation du continent, démarré en 1990 et presque bloqué depuis 2005. En 2016, dans sept pays où une présidentielle a été ou sera organisée, Ouganda, Congo Brazzaville, Djibouti, Tchad, Guinée Equatoriale, Gabon, Gambie, les chefs d’Etat sortants ont enlevé aux processus électoraux leur valeur démocratique. La crise électorale au Gabon met en évidence le rôle des acteurs internationaux. Par cette lettre, le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique propose une réaction internationale à la hauteur de l’enjeu maintenant visible.

Le coup d’Etat électoral de 2016 au Gabon

Au Gabon, depuis 1967, la famille Bongo et le Parti Démocratique Gabonais (PDG) dirigent le pays[2]. Accumulant les élections fraudées, ils l’empêchent de se démocratiser. Comme dans les autres dictatures africaines, une alternance grâce à un processus électoral au Gabon était improbable, malgré l’impopularité du chef de l’Etat sortant et son électorat réduit. En amont du scrutin, l’absence d’accord et de dialogue entre pouvoir et opposition sur le processus électoral suffisait pour permettre de prévoir des fraudes et une inversion de résultat en faveur d’Ali Bongo. Cela était confirmé par la répression : près d’une trentaine de membres de l’opposition et de la société civile ont fait l’objet d’arrestations entre le 9 et le 23 juillet.

Cependant, l’alliance de l’opposition du 16 août 2016, a placé le chef de l’Etat sortant dans une situation de faiblesse inédite dans un pays non-démocratique. Avant le 16 août, face aux trois candidats principaux de l’opposition[3], Ali Bongo prévoyait de s’imposer par un score construit autour de trois étapes de fraudes. Un score fraudé prévisible d’Ali Bongo aurait alors été constitué, « d’une part de votants réels assez réduite, d’une autre part de votants étrangers et d’enrôlements contestés dans le fichiers électoral[4], puis de résultats supplémentaires le jour du vote par bourrages d’urnes et falsification des procès verbaux, et enfin, de pourcentages supplémentaires ajouté à la compilation des procès verbaux à la Commission électorale nationale autonome et permanente (CENAP), avec la complicité d’une Cour constitutionnelle soumise au chef de l’Etat sortant »[5].

Après l’alliance du 16 août, face à un électorat de l’opposition uni et croyant en une victoire, ces méthodes de fraudes ne suffisaient plus et la nouvelle configuration ont obligé Ali Bongo à prendre des risques, alors qu’il avait déjà accepté l’observation de l’Union européenne. Jusqu’à présent, les présidents non-‘démocratiquement élus’, n’ont accepté les observations européennes, que s’ils avaient la certitude de pouvoir les neutraliser, pour qu’elles se restreignent à des recommandations d’amélioration, souvent inutiles à plus long terme. Une mission d’‘observation’ de l’Union africaine, probablement factice comme au Tchad et à Djibouti en 2016[6], s’est ajoutée[7]. Celle-ci ne jouera quasiment aucun rôle, d’autant plus que son rapport ne sera rendu public que si les autorités gabonaises le souhaitent.

L’opposition autour de Jean Ping a pu montrer facilement que l’ensemble de ces fraudes très visibles dans le Haut-Ogooué ont permis à Ali Bongo d’inverser le résultat final. La mission d’observation européenne a pu constater cette inversion. Tenue par les règles de protocoles, il n’était pas de son ressort de désigner le vainqueur mais de montrer si les règles étaient respectées. La MOE-UE, le 25 septembre, a regretté que[8] « la Cour constitutionnelle n’ait pas été en mesure de rectifier de manière satisfaisante les anomalies observées lors du recensement des votes. »

En proclamant de faux résultats, la Cour constitutionnelle s’est permis de refuser de suivre les exigences de l’Onu, de l’Ue, et de Smaïl Chergui le Commissaire de l’Union africaine à la paix et à la sécurité. L’Ua a, au dernier moment, fait venir avec l’accord de la Cour une délégation de juristes en dehors de tout dialogue. Certains de ces juristes sélectionnés par Idriss Déby, sont eux-mêmes mis en cause dans d’autres coups d’Etat électoraux et fraudes massives, au Tchad en 2016[9] et au Togo en 2015[10]. Idriss Déby, soutenus par d’autres présidents, a outrepassé son mandat à l’Ua pour travailler pour ses intérêts. Il a, au nom de l’Ua, commencé à entrainer la communauté internationale dans une fausse légalité, au travers de la légitimation des décisions d’institutions non-démocratiques et la validation diplomatique de l’inversion du résultat d’une élection.

En 2013 déjà, Idriss Déby montrait qu’il était prêt à toutes les extrémités pour aider à se maintenir les régimes non-démocratiques en Afrique centrale, qui sont menacés par l’exigence des populations d’élections correctement organisées. Le 14 février 2014, François Hollande a fait venir le président tchadien à Paris pour lui imposer de retirer ses soldats de Centrafrique alors qu’ils y étaient manifestement pour soutenir la Séléka[11], accusée de nombreux massacres, et cette décision a permis d’aller ensuite vers une transition démocratique en Centrafrique. Aujourd’hui, au-delà du questionnement sur l’Ua, une seconde fois, une position ferme contre la conception d’un pouvoir issu de la force militaire sur le modèle tchadien, serait nécessaire.

Le coup de force de la Cour constitutionnelle des 22 et 23 septembre 2016 soutenu par le président tchadien a été suivi d’une absence de prise de responsabilité de la communauté internationale. Celle-ci n’a pas condamné l’instruction par la Cour constitutionnelle du recours déposé par Jean Ping menée de manière opaque et en violation de plusieurs dispositions légales, et n’a pas réitéré son exigence d’une vérification correcte et transparente du vote en fonction d’une confrontation des Procès verbaux des bureaux de vote, en particulier dans le Haut-Ogooué. En outre, le gouvernement gabonais est allé jusqu’à mettre sur écoute téléphonique les membres de la mission d’observation européenne et a tenté d’empêcher cette mission de réaliser correctement son observation[12].

En 2016, la réaction internationale face aux élections fraudées et coup d’Etat électoraux en Afrique

En 2016, au niveau des élections présidentielles uniquement, la communauté internationale a été confrontée au soutien de l’organisation des élections de fin de guerre en Centrafrique, à une mascarade en Ouganda, à un coup d’état électoral, c’est-à-dire un processus électoral avec inversion du résultat final, précédé d’une révision anticonstitutionnelle violente de la constitution, au Congo Brazzaville, à un coup d’Etat électoral violent à Djibouti, à un coup d’Etat électoral au Tchad, à une mascarade sans aucune valeur en Guinée Equatoriale, à un coup d’Etat électoral très violent au Gabon. Elle soutient l’organisation d’un scrutin de suite de Guerre en Somalie. Elle observe la préparation d’une mascarade en Gambie. Elle accompagne politiquement, sans ménager ses efforts, la République démocratique du Congo vers une transition démocratique.

En amont du scrutin, ces présidents et leurs partis, au pouvoir depuis des durées anormales, parfois de manière familiale, et, pour beaucoup, après la suppression imposée des limitations du nombre de mandats présidentiels, ont rendu impossible toute alternance. Ils empêchent par la répression les populations, la société civile et les partis démocratiques, de s’y opposer. Depuis le 27 décembre 2002 au Kenya, aucun président arrivé au pouvoir et se pérennisant au pouvoir en dehors des règles de la démocratie, n’a accepté de perdre une présidentielle.

En Afrique centrale, en dehors de Sao-Tomé et Principe, les populations et les partis d’opposition attendent une démocratisation depuis 1990, et surtout depuis 2005, depuis que le processus de démocratisation continental est bloqué et que les exemples électoraux négatifs s’accumulent. Les chefs de l’Etat pour la plupart âgés ont accumulé les élections fraudées et aux résultats inversées. Plus, ces présidents et leurs clans seront menacés par des élections, plus ils se défendront violemment. Au Congo Brazzaville, en RDC, au Gabon, la violence est aussi celle du clan qui n’est pas en position de négocier l’après alternance. L’Afrique centrale va vers des tensions prévisibles entre populations et pouvoirs.

La communauté internationale a appris à empêcher les coups d’Etat militaires. Intégrant la Responsabilité de protéger les populations, intervenant au démarrage des crises, elle a appris à limiter la gravité des conflits armés et la hauteur des bilans des victimes de crises. Le cas du Burundi en 2015 a montré la limite actuelle de cette prévention. Cependant, la communauté internationale n’a jamais expérimenté correctement la prévention dissuasive des coups d’Etat électoraux. Les inversions de résultats d’élection génèrent pourtant des victimes par dizaines et parfois par centaines. Le nombre des victimes de la Garde républicaine au Gabon n’a pas encore été correctement estimé[13]. Si les nombres de rébellions et de guerres autres que celles menées contre des groupes terroristes, diminuent, le nombre de massacre d’Etat dans des conflits électoraux augmentent sans que la communauté internationale n’ait mis en place des mécanismes de prévention et de dissuasion adaptés.

Les victimes des Etats lors des coups d’Etat électoraux ont une importance politique particulière. Elles signalent l’entrée d’un pays dans un cercle vicieux d’impunité, de répression, et d’élection fraudée pour garantir l’impunité. L’exemple du Togo après les massacres de 2005 est à ce titre éclairant. Djibouti pourrait également suivre cette trajectoire après le massacre de fin 2015 précédent le coup d’Etat électoral.

UA, UE, ONU : analyse des réactions internationales face au coup d’Etat électoral au Gabon

En n’exigeant pas au Gabon, au-delà de l’exercice illégal de la Cour constitutionnelle, une vérification réelle des Procès verbaux des bureaux de vote, la communauté internationale a commencé à entrer dans la fausse légalité des dictatures africaines. Se faisant, elle entraine le Gabon dans ce même cercle vicieux d’impunité, de répression, et d’élection fraudée pour garantir l’impunité, pour une durée indéterminée. Le premier coup d’Etat électoral de 2009 avait déjà commencé à pousser le pays sur cette voie[14]. Elle renvoie ainsi la population à elle-même, pour résister à la dictature, au risque d’aboutir à un pourrissement non maîtrisé.

La communauté internationale se met en position d’être responsable de ce pourrissement pour avoir poussé Jean Ping à recourir à la Cour constitutionnelle puis l’avoir ensuite abandonné après la manipulation d’Idriss Déby et de la cour constitutionnelle. Cet abandon se fait alors que des exécutifs seront bientôt renouvelés en France, aux USA, à l’ONU, à l’UA, et que plusieurs décideurs n’auront pas à gérer la suite de la crise. Cela risque de rappeler bientôt la Libye abandonnée et la France changeant de pouvoir exécutif, après 2011.

La communauté internationale tente de respecter les principes de subsidiarité et de complémentarité : en Afrique, l’Onu et l’Ue donne la priorité à l’Ua. Ces principes sont appliqués maintenant plus ou moins correctement dans le cas des crises sécuritaires et militaires. Ils ne fonctionnent pas du tout sur les conflits électoraux parce que l’Ua n’est pas composée d’une majorité d’Etats dont les chefs seraient élus selon les règles de la démocratie. Ces principes nécessiteraient que l’Ua soit moteur sur l’Etat de droit, la légalité, et la démocratie. Elle est, au contraire, reconnue actuellement pour sa passivité ou l’irrespect de la démocratie. En théorie, ces principes ne fonctionneront correctement que quand l’UA sera composée d’une majorité d’Etats démocratiques.

L’Ue, souvent prise comme exemple, a pris le temps de se construire patiemment. La communauté internationale n’a pas laissé le temps à l’Ua de se construire effectivement dans un processus la reliant progressivement aux populations et à l’ensemble des composantes politiques. La construction de l’Ua s’est faite en parallèle d’un processus de démocratisation qui n’a démarré qu’en 1990, pour arriver seulement en 2016 à la proximité d’un équilibre entre démocraties et dictatures. Des présidents arrivés par les guerres, les coups d’Etat, et l’ingérence néocoloniale française, sont toujours au pouvoir, après de nombreuses élections fraudées.

En attendant, l’utilisation des règles de subsidiarité et de complémentarité au profit de l’Ua conduit au Gabon à permettre la solidarité des chefs d’Etat non-élus démocratiquement. Si comme au Gabon, cela empêche la démocratisation d’un pays alors, ces principes utilisés à contre-emploi empêchent également le processus de démocratisation continental de redémarrer. Ce ‘malentendu’ va conduire à une augmentation rapide des tensions entre les populations et les chefs d’Etat, en particulier en Afrique centrale.

En outre, comme la politique française en Afrique, l’Ua a mis la priorité sur les guerres et la gestion sécuritaire des crises, priorité qu’elle pouvait maintenir sans conflit entre présidents correctement élus et présidents se maintenant par des élections fraudées. Cette priorité est justifiée mais elle s’accompagne malheureusement d’un abandon du débat à l’Ua sur la démocratie, qui aurait dû continuer. Cette priorité sans contrepartie donne un avantage aux présidents qui sont des chefs militaires même s’ils ne sont pas élus démocratiquement. Elle participe à ralentir la modernisation de l’Ua sur la démocratie et l’Etat de droit.

La règle de la Responsabilité de protéger les populations, discutée fréquemment au Conseil de sécurité de l’Onu, se trouve également questionnée. Quelle est la prise en compte du bilan des victimes des coups d’Etat électoraux ? La tension va augmenter entre les populations et chefs d’Etats accumulant les élections fraudées. En Afrique centrale, la crise gabonaise concomitante d’un nouveau massacre à Kinshasa précède d’autres crises. Comment finiront par quitter le pouvoir Idriss Déby, Paul Biya, Téodoro Obiang Nguéma, ou Sassou Nguesso, si ce n’est pas par des alternances par les urnes ? Dans quel état finiront leurs pays après la mort de certains au pouvoir ? La règle de la Responsabilité de protéger les populations appliquée officieusement au travers de l’accompagnement du maintien des pouvoirs déjà en place à condition qu’ils réussissent à limiter le bilan de leurs victimes, ralentit la démocratisation, parce que la communauté internationale n’a jamais fixé comme priorité, d’exiger la qualité technique des processus électoraux, de manière préventive et dissuasive.

Le suivi de l’application de la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance est abandonné ou sans effet. L’Accord de Cotonou se trouve en difficulté. L’Ua attaque la Cour pénale internationale sans avoir au préalable proposé d’améliorer la prévention des crimes, en particulier des massacres d’Etat au cours des coups d’Etat électoraux. Tous ces éléments participent de l’impossibilité de la reprise d’un processus de démocratisation continental arrêté depuis 2005.

Au cours d’un conflit électoral, face à un dictateur, les populations africaines n’attendent rien de l’Ua. Elles connaissent la faible valeur politique des missions d’observation de l’Ua, malgré un début de valeur technique. La population et la presse gabonaises parlent à peine de l’intervention des pseudo-juristes de l’Ua, membres de Cour constitutionnelle ayant participé à d’autres élections aux résultats inversés ou amis d’Idriss Déby, dans l’exercice de la Cour constitutionnelle gabonaise, parce que cette intervention hypocrite a été considérée comme un soutien trop évident. Mais, une partie de la communauté internationale a accepté d’être piégée par respect d’un protocole international inadapté à la situation nationale, en levant ses exigences sans contreparties.

Dirigée par Idriss Déby, avec le soutien d’autres présidents, dont certains se sont montrés à l’investiture, y compris les présidents du Sénégal, du Mali et du Niger, l’Ua, en réalité très divisée en interne, a, au final, soutenu l’exercice d’une Cour constitutionnelle hors des règles de la démocratie. Seule la présidence de l’Ua a d’abord accepté de suivre Ali Bongo dans son coup d’Etat électoral, observé correctement par l’Ue. Accepter de cautionner cette manipulation dans la fausse légalité, implicitement, ou explicitement comme l’ont fait Michaelle Jean pour l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) le 26 septembre[15], et le Ministre des affaires étrangères français, Jean-Marc Ayrault, le 29 septembre[16], pour des acteurs internationaux, revient à glisser vers une certaine complicité dans le crime électoral et à pousser le reste de la communauté internationale vers l’acceptation d’une fausse légalité de dictature issue de précédents actes illégaux et criminels.

L’hypothèse d’une réconciliation entre auteurs du coup d’Etat électoral et victimes des massacres n’aurait jamais dû être énoncée. Elle renforce un pouvoir d’Ali Bongo maintenant illégal, en fonction du droit gabonais. Elle est contraire à la réalité du terrain. Elle sous-estime la motivation de la population à trouver des méthodes de résistances face à la dictature.
Le 24 février 2016, à Bujumbura, le Secrétaire général des Nations-Unies, Ban Ki-moon a déclaré[17] « Nous devons cesser d’accorder la priorité à la gestion des crises et nous tourner vers une culture d’action précoce et de diplomatie préventive ». En ce sens, le coup d’Etat électoral au Gabon, marque un nouvel échec pour la communauté internationale, l’Ue et l’Onu en particulier. Eviter de se contenter de gérer les crises électorales a posteriori, éviter de prévenir les conflits électoraux sous l’influence de présidents qui se moquent de la démocratie, ne peut se faire qu’en soutenant encore plus clairement, plus globalement et surtout plus fermement la démocratie. Cela implique de mettre politiquement l’accent sur la qualité technique des processus électoraux.

Les démocrates et populations africaines observent si la communauté internationale arrive ou non à dépasser ses contradictions, et s’interrogent sur sa volonté de soutenir réellement la démocratie. En particulier, alors que l’Ue rationalise sa politique migratoire, les populations s’interrogent sur l’avenir de la relation Europe-Afrique. L’Ue continuera-t-elle d’accompagner l’Afrique vers la démocratie ? Cela impliquerait de débloquer un processus de démocratisation africain arrêté, au travers d’une politique européenne plus ferme et construite autour de nouvelles initiatives.

Au Gabon, la mission d’observation européenne a produit un travail de qualité exceptionnelle. Ce travail d’abord technique a été correctement soutenu politiquement, même si le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), au final, s’en est remis à l’ONU et à l’UA. Mais cette mission européenne, pourrait aussi bientôt symboliser l’échec de la politique européenne de soutien à la démocratie en Afrique. Un abandon européen au Gabon aurait des conséquences qui n’ont pas encore été évaluées. La réaction du Parlement européen est maintenant attendue.
C’est pourquoi le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique recommande au Secrétariat général des Nations-Unies, au Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE) de l’Union européenne et au gouvernement français, de :

Concernant le Gabon :
 Dénoncer le rôle de la Cour constitutionnelle dans le coup d’Etat électoral d’Ali Bongo,
 Reconnaître la victoire de Jean Ping suite au refus de la Cour constitutionnelle de respecter l’exigence de confrontation des Procès Verbaux des bureaux de votes dans un recomptage réalisé dans un cadre contradictoire, en présence des deux parties,
 Exiger la libération de tous les prisonniers politiques,
 Menacer de sanctions personnelles les principaux responsables du coup d’Etat électoral et des massacres, en fonction entre le 31 août 2016 et le 2 octobre 2016 : Ali Bongo Ondimba, Marie-Madeleine Mborantsuo, présidente de la Cour constitutionnelle, Mathias Otounga Ossibadjouo, alors ministre de la Défense nationale, Pacôme Moubelet Boubeya, alors ministre de l’Intérieur, Alain Claude Bilie By Nze, ministre de la communication, le général Grégoire Kouna, chef de la Garde Républicaine,
 Faire adopter au Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies une résolution en vue de diligenter une enquête sur les massacres commis par les forces armées gabonaises depuis le 31 août 2016[18],
 Soutenir le travail de la Cour pénale internationale,
 Réévaluer la coopération française, en particulier militaire, et la coopération européenne suite au coup d’Etat électoral, en particulier pour l’Ue en entamant la procédure de consultation prévue dans l’accord de Cotonou, y compris à l’article 96,
 Exiger des autorités gabonaises de respecter la liberté de manifester, la liberté d’expression la liberté de s’organiser politiquement.

Concernant les élections qui suivront dans des pays non-démocratiques et sans alternance :
 Prendre des initiatives pour que les processus électoraux des législatives au Congo Brazzaville, au Tchad et au Gabon, soient organisés dans le respect des règles de la démocratie, en insistant en particulier sur le découpage des circonscriptions au niveau desquels existent des déséquilibres géographiques anormaux, source potentielle ou probable d’inversion de majorité.
 Promouvoir la nécessité de conditions préalables indispensables à un processus électoral :
absence de répression de l’opposition,
état de droit préalable minimum : liberté de la presse, liberté de manifester, liberté de s’organiser pour la société civile et les partis politiques,
dialogue inclusif avec l’opposition,
consensus sur la composition d’une Commission électorale indépendante neutre,
consensus sur la méthode de fabrication du fichier électoral,
possibilité de contestation légale auprès d’une Cour indépendante incontestée,
 Exiger un strict respect des droits humains,
 Soutenir les oppositions politiques face à des propositions de dialogue avec le pouvoir dans des conditions unilatéralement fixées par ce pouvoir alors que celui-ci refuse les règles de la démocratie,
 Prendre globalement position sur l’absence d’alternance et de qualité des processus électoraux dans les pays sans limitation du nombre de mandats présidentiels, en particulier dans les pays où se préparent des scrutins probablement non-démocratiques,
 Nommer des envoyés spéciaux et diplomates ayant mandat de travailler à la démocratisation de l’Afrique pour des négociations internationales inclusives et transparentes, tant que l’absence de démocratie générera des conflits qui impliqueront la communauté internationale,
 Proposer en amont pour prévenir les crises électorales un accompagnement international du processus électoral mixte politique et technique, en plus des Missions d’Observations électorales,

Pour l’Ue, face au non-respect des conditions préalables indispensables à un processus électoral et en cas de processus électoral en dehors des règles démocratiques,
 considérer les possibilités de sanctions selon l’article 96 de l’Accord de Cotonou et définir les modalités de sanctions économiques pour rétablir une conditionnalité partielle de l’aide associée à la qualité des processus électoraux, n’affectant pas directement les populations,
 Tenir compte des inversions de résultats des scrutins, présidentiels ou législatifs, de l’historique des élections depuis 1990, dans le traitement diplomatique et politique des processus électoraux.

Concernant l’Union africaine et sa relation avec l’Union européenne et les Nations-Unies,
 Considérer les capacités de l’Union africaine (Ua) à intervenir en fonction de l’état d’avancement du processus de démocratisation du continent africain, et de l’équilibre du moment entre régimes démocratiques et régimes non-démocratiques,
 Eviter de cautionner toute dérive vers de la fausse légalité basée sur de la fausse légalité préalable, entre autres, en donnant de la valeur à des institutions comme les Cours constitutionnelles de pays sans alternances et sans démocratie réelle,
 Eviter que les principes de subsidiarité et de complémentarité appliqués entre l’Ua, l’Ue et l’Onu ne soient détournés pour soutenir des régimes non-démocratiques au cours de coups d’Etat électoraux,
 Amorcer un dialogue avec l’Ua sur la qualité technique des processus électoraux, en considérant par une méthode inclusive les demandes des partis d’opposition pour accélérer la démocratisation du continent,
 Mettre au calendrier des négociations internationales sur le respect de la qualité des processus électoraux en Afrique, en particulier sur l’indépendance et le caractère inclusif et technique des Commissions électorales, la qualité des fichiers électoraux, la qualité de la compilation des résultats issus des Procès verbaux, la possibilité de contestation légale auprès de Cours indépendantes incontestables, et la mise en œuvre d’accompagnements internationaux mixte politique et technique,

Dans le cadre de négociations internationales, reconsidérer la Responsabilité de protéger les populations dans le cas des conflits électoraux pour éviter que la crainte d’un alourdissement du bilan des victimes ne conduise à accepter le maintien d’un régime non-démocratiques au travers d’une élection fraudée ou d’un coup d’Etat électoral.

Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique,

Paris, 7 octobre 2016

12 signataires : Ca suffit comme cà ! (Gabon), Union pour le Salut National (USN, Djibouti), Fédération des Congolais de la Diaspora (FCD, Congo Brazzaville), Mouvement pour la Restauration Démocratique en Guinée Equatoriale (MRD), Union des Populations du Cameroun (UPC), Collectif des Organisations Démocratiques et Patriotiques de la Diaspora Camerounaise (CODE, Bruxelles et Paris), Rassemblement National Républicain (RNR, Tchad), Forces vives tchadiennes en exil, Amicale Panafricaine, Afriques en lutte, Parti de Gauche, Europe Ecologie les Verts (EELV).
* * *
 [1] Avec 2 présidents élus par un parlement, Synthèse agenda des élections en Afrique 54 pays 2015-2016 :
https://regardexcentrique.files.wordpress.com/2012/08/151203syntheseagendalectionsafrique2015-2016limitationnombremandats.pdf
 [2] Avec le Togo, le Gabon est en tête du classement du nombre d’années sans alternances cumulées au niveau président et parlement en Afrique, 5.3.1 https://regardexcentrique.wordpress.com/2016/03/30/apres-26-ans-de-democratisation-dictature-et-democratie-bientot-a-lequilibre-en-afrique/
 [3] Jean Ping, Guy Nzouma Ndama d’Héritage et Modernité, et Casimir Oyé Mba de l’Union nationale
 [4] Plainte contre Gémalto et qualité fichier électoral, Marc Ona, 3.3.15, Paris, http://regismarzin.blogspot.fr/2015/06/3-mars-2015-paris-conference-de-presse.html
 [5] Présidentielle du 27 août au Gabon : la répression augmente avant un probable coup d’Etat électoral, Collectif solidarité avec les luttes sociales et politiques en Afrique, 31.7.16, https://electionsafrique.wordpress.com/2016/08/01/presidentielle-du-27-aout-au-gabon-la-repression-augmente-avant-un-probable-coup-detat-electoral/
 [6] Régis Marzin, 5.7.16, https://regardexcentrique.wordpress.com/2016/07/05/les-elections-sans-democratie-de-mars-et-avril-2016-en-afrique/
 [7] Des observateurs de l’OIF et du NDI seront également présents, http://www.rfi.fr/afrique/20160729-gabon-observateurs-internationaux-elections-scrutin
 [8] http://eeas.europa.eu/election-observation-missions/eom-gabon/10432/la-moe-regrette-que-la-cour-constitutionnelle-nait-pas-t-en-mesure-de-rectifier-de-manire-satisfaisante-les-anomalies-observes-lors-du-recensement-des-votes_fr
 [9] https://electionsafrique.wordpress.com/2016/05/04/congo-brazzaville-djibouti-tchad-le-cercle-vicieux-des-processus-electoraux-sans-democratie/
 [10] https://electionsafrique.wordpress.com/2015/05/19/togo-election-presidentielle-et-soutien-international-a-la-democratisation-de-lafrique/
 [11] https://regardexcentrique.wordpress.com/2014/03/05/influence-et-implication-didriss-deby-en-centrafrique-de-mi-2012-a-janvier-2014/
 [12] http://www.rfi.fr/emission/20161004-mariya-gabriel-deputee-ue-afrique-observateurs-presidentielle-gabon-bongo-ping
 [13] Le nombre de victimes estimé entre 50 et un peu plus de 200, corps retrouvés ou disparus, pourrait être encore plus lourd.
 [14] R Marzin, 2.1.15 https://regardexcentrique.wordpress.com/2015/01/02/gabon-du-coup-detat-electoral-de-2009-au-depart-anticipe-dali-bongo/
 [15] 26.9, http://www.francophonie.org/CP-SG-Gabon-resultats-47265.html
 [16] http://basedoc.diplomatie.gouv.fr/vues/Kiosque/FranceDiplomatie/kiosque.php?fichier=bafr2016-09-29.html#Chapitre12
 [17] http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=36687#.Vs9rQkC9E-g
 [18] à l’instar de ce qui a été envisagé pour le Burundi le 14 décembre 2015 :
http://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=16878&LangID=F, http://www.africa1.com/spip.php?article61618