Vous êtes ici : Accueil » Afrique centrale » Gabon » Gabon : Présidentielle du 27 août, un dictateur affaibli prêt à l’emporter

Gabon : Présidentielle du 27 août, un dictateur affaibli prêt à l’emporter

D 9 août 2016     H 05:31     A Régis Marzin     C 0 messages


Le Gabon est dans le noyau dur des dictatures en termes d’alternance, même si le régime n’est pas dans les dictatures les plus violentes. Il n’y a eu aucune alternance au Gabon de famille de président et de parti au pouvoir depuis 1967, ce qui place le pays en tête du classement du nombre d’années sans alternances cumulées au niveau président et parlement en Afrique : 104 ans au total, 49 ans pour la famille Bongo et 55 ans pour le PDG (ex BDG), juste avant le Togo, 96 ans (49+47), et le Cameroun, 90 ans (34+56). Selon la règle des élections présidentielles en dictatures sans alternance possible (en dehors des 2 ou 3 exceptions), une alternance au Gabon est improbable. Ali Bongo est indéniablement un chef d’Etat très affaibli, mais un autre chef d’Etat assez affaibli, au Togo, en avril 2015 a réussi à passer le cap d’une nouvelle élection sans démocratie. Ali Bongo semble avoir un électorat plus réduit que celui de Faure Gnassingbé.

Selon cette même règle, dans cette élection à un tour, un scénario probable serait un nouveau passage d’Ali Bongo autour de 40% face à plusieurs candidats dont deux candidats opposants principaux. Ces 40% seraient alors constitués, d’une part de votants réels, d’une autre part de votants mineurs et ‘étrangers’ issus d’enrôlements contestés dans le fichiers électoral, de résultats en plus le jour du vote par bourrages d’urnes et falsification des procès verbaux, et de résultat supplémentaires ajouté à la compilation des procès verbaux à la CENI, résultats qui seraient validés par la Cour constitutionnelle soumise au chef de l’Etat sortant.

Le fichier électoral actuel, non actualisé depuis 2013, correspond selon la société civile gabonaise à ce scénario. La CENI dite CENAP n’est pas indépendante, elle est aussi physiquement dans un bâtiment du ministère de l’intérieur éloigné du centre ville. La date du 27 août permet d’échapper aux regards internationaux. La Cour constitutionnelle n’a pas changé depuis 2009, toujours présidée par la Marie-Madeleine Mborantsuo, et devrait a priori suivre les consignes du pouvoir comme à la dernière présidentielle[1]. Le scénario est connu, mais, pour les opposants la possibilité de prévenir les fraudes éventuelles, ou une partie d’entre elles, n’est pas assurée.

Les deux principaux candidats de l’opposition sont connus : Jean Ping et a priori Casimir Oyé Mba de l’Union nationale pour le Front uni de l’opposition, plutôt que Moukani Iwangou de l’UPG loyaliste. Le Front uni de l’opposition de 2014 s’est divisé en 2 à suite à la candidature de Jean Ping, sorti du système ‘Bongo’ seulement depuis fin 2013, et toujours lié à la famille des Bongos par son mariage avec Pascaline Bongo et les questions pétrolières. Il est difficile d’estimer l’électorat de Jean Ping, très connu à l’international, ce qui est peut-être trompeur. Auparavant la population rejetait les politiciens et, maintenant, est surtout fragmentée entre plusieurs leaders.

La mise en œuvre de la biométrie par Gemalto avant les législatives en 2013 a été contestée au niveau du prix et de la réalisation[2]. Depuis, le nom de la société apparaît moins. Une nouvelle plainte contre Gémalto du Conseil représentatif des associations noires de France (Cran), du célèbre activiste gabonais Marc Ona et et de Jean-Jacques Eyi Ngwaa, a été déposée à Paris le 10 mars 2016 pour « corruption passive et active d’agents publics étrangers ou internationaux ».

Le 18 juin, en conférence à Paris, Casimir Oyé Mba a demandé un audit du « dispositif électoral »[3]. Pour l’instant, le débat sur processus électoral s’est beaucoup centré sur la question des candidatures, sur la dispersion de l’électorat sur plusieurs candidats d’opposition comme en 2009, et sur l’affaire de l’acte de naissance d’Ali Bongo[4]. L’affaire des faux actes de naissance est centrale au niveau de la communication de l’opposition depuis 2 ans, sans certitude sur la possibilité d’empêcher la candidature. Un volet de l’affaire lié à l’héritage d’Omar Bongo se déroule en France[5]. Certains gabonais sont partisans de la stratégie ‘Destitutions, Transitions, Elections’(DTE). Au minimum, cette stratégie désacralise le chef d’Etat et sa famille dans la population, et casse un ‘fatalisme’ inconscient monarchiste.

Une mission de l’organisation américaine National Democratic Institute (NDI) est passée au Gabon début juin et a repris des recommandations de la société civile et des partis d’opposition, dont, « des mesures concrètes pour renforcer la confiance des candidats et des partis politiques dans la fiabilité du fichier électoral par exemple par un audit dont les résultats seront rendus publics », un dialogue des politiques, la possibilité d’observer la société civile sur tout le territoire, ou la transparence de la compilation[6].

Fin mars, le Gabon a accepté le principe d’une mission d’observation européenne[7], et fin avril une mission exploratoire s’est rendue à Libreville[8]. Pour l’instant, l’Union européenne envoie des observateurs sans insister sur la satisfaction de conditions préalables nécessaires au processus électoral.

L’affaiblissement progressif d’Ali Bongo depuis son coup d’Etat électoral de 2009, aidé par l’exécutif français[9], a conduit le Gabon dans une situation paradoxale. On a rarement vu un président de dictature aussi affaibli à tout niveau, mais la règle des élections sans alternance en dictature, fait penser qu’il trouvera les moyens de s’imposer. Dans ce cas, le Gabon, entrerait dans une situation de crise d’autant plus forte que le coup d’Etat électoral se répète et que 104 années sans alternance se sont déjà accumulées entre Bongos et PDG.

Régis Marzin, Paris, pour Tribune d’Afrique

 [1] https://regardexcentrique.wordpress.com/2015/01/02/gabon-du-coup-detat-electoral-de-2009-au-depart-anticipe-dali-bongo/
 [2] Dossier Biométrie R.Marzin : https://regardexcentrique.wordpress.com/2015/06/10/la-biometrie-electorale-en-afrique-dossier/
 [3] http://regismarzin.blogspot.fr/2016/06/18-juin-2016-paris-gabon-casimir-oye-mba.html
 [4] http://www.marianne.net/election-presidentielle-au-gabon-ali-bongo-faussaire-100244170.html
 [5] http://www.jeuneafrique.com/mag/338594/societe/gabon-juge-francaise-enquete-de-lacte-de-naissance-dali-bongo-ondimba/
 [6] 3 juin 2016, https://www.ndi.org/declaration-preliminaire-gabon-french
 [7] http://jeanping.org/le-gabon-accepte-lobservation-des-elections-en-2016-par-lunion-europeenne/
 [8] http://gabonreview.com/blog/presidentielle-2016-mission-exploratoire-de-lue-a-libreville/
 [9] https://regardexcentrique.wordpress.com/2015/01/02/gabon-du-coup-detat-electoral-de-2009-au-depart-anticipe-dali-bongo/

Extrait de ‘Congo-Brazzaville, Djibouti, Tchad, Guinée Equatoriale : les élections sans démocratie de mars et avril 2016, et le processus de démocratisation du continent africain’, Régis Marzin, 5 juillet 2016, https://regardexcentrique.wordpress.com