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Gabon : Sur la situation du pays

D 5 octobre 2012     H 05:58     A Paulette OYANE-ONDO     C 0 messages


Exposé présenté au cours des Assises de l’Opposition à Mouila qui viennent d’avoir lieu du 7 au 9 septembre 2012.

Mesdames et Messieurs les Présidents et représentants des partis politiques,

Messieurs les représentants et membres de la société civile,

Mesdames et Messieurs et surtout Chers Amis,

Je veux d’emblée doublement vous remercier très chaleureusement.
D’abord, pour l’à propos de ces assises ainsi que des thèmes choisis dont l’actualité qui n’est plus à démontrer justifie qu’on se retrouve ici aujourd’hui, à Mouila.
Je veux vous dire merci également de m’avoir convié à vous donner mon point de vue j’allais dire personnel, mais objectif sur la question de la crise politique dans notre pays et la nécessité de la tenue d’une Conférence Nationale Souveraine(CNS) comme condition pour en sortir.
Je centrerai donc mon propos, comme vous m’y avez invité, sur la question des éléments justifiant la tenue de la CNS et de la nécessité politique de cette dernière.

Alors. Il est toujours difficile, voire hasardeux (d’un point de vue intellectuel) de prétendre présenter en quelques lignes les positions relatives à l’intérêt et la nécessité d’aller à la CNS, tant la litanie est longue de raisons qui justifient l’impérieuse nécessité de la tenue de telles assises. Mais mon propos n’est pas de lister ni détailler de manière exhaustive de telles raisons, mais simplement de souligner brièvement et rapidement les enjeux et les défis qui rendent inéluctable la tenue de la CNS.

Pour bien évaluer la portée de ces enjeux et de ces défis, il me semble qu’il convient d’exposer deux traits essentiels qui peuvent soutenir une telle exigence démocratique.
Il convient d’exposer sommairement les éléments qui en sous-tendent l’urgence. C’est l’objet de la première partie de mon exposé que j’ai opportunément et simplement intitulé : l’état des lieux du pays (I).

Mais, cette première approche ne suffit pas en elle-même à justifier notre exigence. Il faut encore démontrer en quoi ladite CNS ne constitue pas un simple adjuvant aux concertations habituelles, mais est au service de la construction d’un pacte social rénové.

J’exposerai donc brièvement, dans la deuxième partie de mon propos, en quoi le projet de la CNS est l’instrument essentiel de la fondation de la démocratie et le renouveau d’une République en souffrance qu’est le Gabon (II).

I- Etat des lieux de la situation de crise au Gabon

Mon propos n’est pas ici de vous assommer avec un catalogue de choses précises que chacun sait par ailleurs, ni de faire le compte de ce qui repose sous le catafalque. Je voudrais seulement prendre quelques exemples édifiants qui expliquent la crise politique ouverte que chacun de nous peut observer.

Chacun convient que la crise politique qui secoue le Gabon est d’abord une crise morale. La manifestation la plus spectaculaire de cette crise morale s’illustre certes dans la question du refus épidermique de la transparence électorale mais aussi du refus de la transparence dans la conduite de l’action publique. Or, la force d’une République repose sur le principe de la transparence.

S’agissant de la compétition électorale dans une République, c’est par le vote des électeurs, par le suffrage universel que s’exerce la souveraineté et que s’acquière la légitimité par l’acceptation des citoyens de se soumettre à une autorité librement consentie. On ne peut à cet égard continuer durablement à mépriser le vote des populations et espérer dans le même temps qu’elles continuent à se soumettre à une autorité qui ne provient pas de son libre consentement. Les deux ne vont pas ensemble.

On sait depuis Rousseau que sur le plan des principes « toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle : ce n’est point une loi. C’est un mensonge ».
Or, il est impossible en pratique, et l’histoire est là pour en témoigner, de construire un pays sur la base du mensonge. Quiconque dénie à ses concitoyens le droit d’avoir accès à la vérité trahit la République en faisant bon marché des principes élémentaires de la démocratie.

Parce qu’elle est l’âme d’un pays, d’une Nation et le socle de l’Etat de droit, la Constitution doit être stable et fiable. Or, ce qui nous sert de constitution au Gabon ne remplit aucune de ses caractéristiques. Au fil d’incessantes révisions dictées par le seul calcul de confisquer le pouvoir, la constitution à la gabonaise est tout sauf un texte qui donne l’égalité des droits, qui défend la justice, le libre vote, qui protège la propriété et la famille. Au contraire, son application et son interprétation personnelle par le juge qui est, en principe, chargé de la faire respecter en a fait un instrument qui protège les privilèges du régime, qui justifie l’existence de féodalités et la société ordinale de privilèges indus qui gangrènent notre pays. Alors que la constitution doit être pour le peuple une garantie dirigée contre la tyrannie des pouvoirs héréditaires, elle est au contraire considérée au Gabon comme l’instrument de légitimation de tous les abus du Prince et de sa Cour contre le peuple. Elle est donc devenue un facteur d’insécurité juridique et politique au lieu d’être un outil de protection des libertés et droits fondamentaux. On est alors en droit de ce se demander quelle est la valeur de ce qui fait aujourd’hui office de constitution ? La réponse est sans aucun doute : Aucune ! Elle n’a même pas une valeur symbolique.
Or, Solon, le père de la démocratie athénienne martelait que la « Cité est bien gouvernée quand les citoyens obéissent aux magistrats et les magistrats aux lois » Et par loi il faut entendre la règle de droit.
À cette aune, la Cour constitutionnelle gabonaise et les autres institutions constitutionnelles comme par exemple le Conseil National de la Communication sont totalement discréditées et n’ont plus aucune légitimité autre que celle qu’elles se donnent elles-mêmes et qui flotte sur le corps social sans jamais le toucher ou le pénétrer en profondeur.

Face à cette situation, la question qui se pose est : Doit-on détourner la tête et continuer notre chemin en espérant que les choses changeront d’elles-mêmes ?
La réponse est évidemment, non.

L’Etat de droit, c’est la promesse que nul ne peut être accusé, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par le droit et selon les principes et procédures équitables, et non par l’arbitraire de juges qui reçoivent les ordres venant d’ailleurs.
L’Etat de droit c’est la promesse que tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement, sans autre entrave que sa déontologie et les atteintes prescrites par le droit et dûment constatées par le juge.
L’Etat de droit, c’est la promesse que la force publique est instituée pour l’avantage de tous et non pour l’utilité politique de ceux à qui elle est confiée pour de basses manœuvres d’intimidations et de répressions d’adversaires politiques.
La question qui se pose est : Notre pays obéit-il à cette promesse ?
La réponse est évidemment, non.
Bien au contraire, on observe chaque jour un rétrécissement du champ des libertés et des droits visant à exclure et à priver des parties entières de la population gabonaise de participer légitimement au débat public. Comme c’est le cas de l’ordonnance n° 009/PR/2011 modifiant, complétant et abrogeant certaines dispositions de la loi n° 7/96 du 12 mars 1996 portant dispositions communes à toutes les élections politiques. Il en est de même du principe qui soumet la création d’un parti politique ou de n’importe quelle association, tout comme le droit de s’exprimer et de manifestement publiquement et pacifiquement dépendent exclusivement de la bonne volonté ou pas de vos adversaires politiques, de leur pouvoir discrétionnaire.

Dans ces conditions, on ne saurait parler de pluralisme.
Comment peut-on jouir effectivement de ses libertés publiques reconnues si leur exercice est soumis à la discrétion de ses adversaires politiques ?
Qui oserait croire que l’alternance démocratique serait possible dans ces conditions ?

Chacun le sait, et on n’a pas attendu que le Président Obama le dise, que la force d’une République, d’un Etat plus généralement d’ailleurs, repose sur les Institutions fortes, solides, neutres et impartiales. Une institution n’est pas fortes parce qu’elle asphyxie, étouffe et oppresse le citoyen. Une institution forte est une institution capable de résister aux pressions de toutes sortes pour protéger l’intérêt général. Or, dans notre beau pays, l’Etat, au sens sociologique et administratif du terme, est un corps mort. Un corps privatisé qui a disparu derrière l’épaisseur des ambitions personnelles de ceux qui étaient temporairement chargés de le conduire à bon port. Ces individus ne font plus qu’un qu’avec l’Etat. L’Etat est devenu eux-mêmes et eux-mêmes personnifient l’Etat. Une telle confusion est le signe certain de l’arbitraire, de l’injustice, et de l’impunité.

Et d’ailleurs l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, qui semble-t-il est incorporé au préambule de ce qui nous sert de « constitution » considère pourtant que tout Etat dans lequel cette séparation des pouvoirs n’est pas effective ne possède en réalité pas de constitution.

Dans le langage d’aujourd’hui, on traduirait « Constitution » par « Etat de droit », c’est-à-dire un Etat qui respecte les règles de droit qu’il a pris l’engagement devant le peuple et le concert des nations de respecter.

La force et l’efficacité d’une démocratie c’est le mérite, c’est l’égalité. Or, chacun sait que dans notre admirable pays, ce ne sont pas le talent et la vertu qui font les carrières et les hommes, mais la faveur du Prince qui a rétabli la vénalité des charges à travers la floraison de structures et de postes qui font office de vrai gouvernement, qui ne sont contrôlés par aucun contre-pouvoir, aucun citoyen pas même les gens dont c’est la mission en théorie, et qui n’ont d’autre utilité que de caser les courtisans unis par le mépris du principe selon lequel tout travail mérite salaire, et de détourner les fonds publics faisant voler en éclat les aspirations collectives.

La question qui se pose est : Pendant combien de temps devons-nous continuer à fermer les yeux sur le malaise d’une société dont le moteur de l’organisation politique, sociale, administrative et économique est l’apartheid ethnolinguistique ?

Mais rassurons-nous. La crise aiguë de nos institutions n’est pas une fatalité. C’est pas le sens de l’histoire. Cette crise se résume simplement au fait que les Institutions ne poursuivent pas les buts d’intérêt général, mais visent plutôt à autoriser de façon permanente la survie d’une famille, d’un clan à la tête de l’Etat.
La question qui se pose est : Devons-nous continuer à le tolérer sans réagir ?

Dans cet inventaire sommaire des ingrédients, des fondements de la crise , il est inutile que j’aborde la question de la misère dans notre pays si riche, si prospère. C’est juste un grand déshonneur pour notre pays et une partie importante de la crise actuelle y puise sa source.

On le voit. Le Gabon est un pays démoralisé, malade, gangréné par la misère et anesthésié par la peur du lendemain. La République est en souffrance partout. Oui, le système gabonais est en faillite !
Comment le pays pourrait-il dans ces conditions décoller sans un débat public sérieux qui traite sans fard les choix primordiaux des gabonais ?
Justement l’objet de la CNS est de reconfigurer notre pays livré à des baronnies qui le pressurent et le laissent en jachère, sans horizon, sans perspectives, sans espoirs, simplement condamné à tourner en rond, à errer dans le désert, si vous préférez, comme nous sommes un pays de forêt, à errer dans les bois ayant perdu la boussole.
La question qui se pose est : Jusqu’où ? Jusqu’à quand ?

Nul besoin de forcer le trait, il suffit de prendre la mesure des quelques exemples que je viens d’exposer pour s’accorder sur la nécessité pour notre pays de s’interroger sur lui même. Il faut lui donner des raisons d’espérer en dissipant les incertitudes et les gros nuages noirs qui planent au-dessus de nos têtes. Face à cette grave crise qui marque une béance profonde entre les uns et les autres, il est temps de proposer aux Gabonais un New Deal, une nouvelle donne dans la mesure où c’est tout bonnement la survie du corps social qui est en jeu.

Pourquoi la CNS ? Parce qu’il est impossible de faire quoi que ce soit de sérieux à ce jour dans notre pays sans le souffle, la spiritualité, sans lui donner un supplément d’âme.
Et pourtant, que de réticences pour accepter cette vérité d’évidence ! Ces attitudes sont à rebours de la cohésion nationale et du jeu démocratique parce que le temps du dialogue n’est jamais un temps inutile. Au contraire, c’est un temps efficace. Et, il est douteux que l’on puisse faire l’économie de discussions approfondies sur l’ensemble des problématiques auxquelles notre pays est confronté.

La liberté n’est qu’illusion dans un pays qui n’a ni constitution, faute de séparation et de contrôle des pouvoirs, ni Etat de droit, compte tenu du naufrage de toutes les institutions.

Le travail est une chimère quand les privilèges et les statuts vont de paire avec la ségrégation selon l’origine ethnique et géographique et en exacerbant les pulsions tribales.

Bien plus qu’une simple concertation, la CNS doit prendre la forme d’un examen de conscience face à la nécessité des gabonais de se réapproprier leur destin. Elle est l’ultime occasion de faire prévaloir la réforme sur l’insurrection. Au-delà des attaches partisanes, elle oblige chacun à prendre position sur la question cardinale d’une évolution au fil de l’eau ou d’une rupture brutale, douloureuse et incertaine.

A l’aune de ces premières réflexions, il faut convenir que la clé du redressement est donc à chercher dans l’organisation d’une CNS pour renouer le fil brisé du destin du Gabon. Car, pour rendre aux gabonais confiance et fierté, il faut éclater la bulle de mensonge dans laquelle le pays se trouve enfermé depuis les espoirs déçus des années 90, mensonge qui consiste à revendiquer son adhésion aux principes de la démocratie et de l’Etat de droit, sans en respecter le moindre des principes élémentaires.

Une fois qu’on a fait l’état des lieux de notre pays, il convient également de s’interroger sur le sens et la légitimité que l’expression de la CNS peut avoir sur les principes de la démocratie : La CNS est-elle bien une émanation, voire la quintessence de la démocratie ? Ou au contraire, la CNS menace-t-elle les principes de la démocratie ? En quoi la CNS peut-elle être un instrument démocratique ?

II – La CNS, un instrument de fondation et de légitimation de la démocratie

Au-delà de la démonstration de cet état de crise ouverte et donc la justification de la nécessité d’une CNS, comme instrument permettant de mettre fin à cette crise, la CNS est sans conteste un instrument démocratique. Elle peut même être regardée dans certains cas comme la forme suprême, ou à tout le moins, comme un instrument majeur de légitimation de la démocratie. Or, nul ne devrait avoir peur de la démocratie. On ne peut pas se proclamer démocrate et refuser de s’y soumettre quand l’occasion s’y prête.

Mes chers amis, Mesdames et Messieurs,

La question de savoir si la CNS est un instrument de création, de fondation de la démocratie se nourrit d’expériences historiques et théoriques.

Historiquement, ce type de mécanisme a toujours émergé comme un instrument de rationalisation et de rupture des excès d’anciens systèmes arrivés en fin de cycle. Mais c’est surtout la révolution française qui a posé les fondements historiques de cette conception. L’histoire de la révolution française enseigne que c’est à partir du moment où le Tiers-État a été pénétré du sentiment de son droit et de sa mission, qu’il a adopté la motion de Sieyès et qu’il s’est proclamé Assemblée nationale. C’est à partir de cet acte fondateur que les états généraux du 1er mai 1789 ont été convoqués. Et c’est cet événement qui a mené à la chute de la monarchie absolue et installer corrélativement la République.

Cela signifie bien que l’histoire de la démocratie n’est pas le monopole des Monarques, des Présidents, des ministres et autres autorités. Elle est avant tout, et elle est d’ailleurs surtout, écrite par des sans voix, des sans visages, des sans grades et des sans-le-sou.
Qui peut croire sérieusement que l’on peut impunément et durablement se contenter de discourir avec soi-même, son clan, sa caste, sa chapelle pour faire la démocratie ?

Chers amis, même Socrate, le père, j’allais dire le Christ des philosophes, qui a été désigné par l’oracle de Delphes comme étant « le plus sage des hommes » est allé dialoguer avec ses concitoyens. Perplexe, il n’a dit ni oui ni non à l’Oracle après cette prédiction. Qu’a-t-il fait ? Il est parti interroger l’ensemble de la société athénienne, les riches et les esclaves, les érudits et les analphabètes, les sages et les fous. Il a questionné tous les savoirs, techniques, religieux, sophistes, traditionnels et moraux. C’est cela la définition de la démocratie et c’est cela la CNS.
Cet exemple montre l’importance du peuple, la place du dialogue avec le peuple dans la construction de la démocratie.

Au demeurant, en permettant directement une participation plus large de l’ensemble des corps intermédiaires, la CNS est un instrument de création et de fondation de la démocratie. Si on prend la démocratie au sens étymologique du terme comme désignant
le gouvernement (pas au sens institutionnel ou même constitutionnel) de tous, autrement dit, la souveraineté collective par opposition à l’aristocratie et à la monocratie, on s’aperçoit que dans le cas du Gabon, seule l’organisation d’une CNS permettrait au Gabon de se doter d’une constitution démocratique dans la mesure où, selon la formule de Thucydide, le pouvoir serait « entre les mains non d’une minorité, mais d’une majorité ». C’est d’ailleurs dans ce sens courant de « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » que l’on continue à définir le mieux la démocratie.

Voilà le dessein de l’exigence de la CNS : redonner le pouvoir aux Gabonais, à chaque Gabonaise, et à chaque Gabonais. Parce que la démocratie implique autre chose que des élections au demeurant frauduleuses de supposés représentants. Elle implique la participation de tous pour que le riche et le pauvre aient les mêmes droits. Tel est d’ailleurs le sens de la formule consensuelle de Talleyrand qui a finalement été retenue lors de la discussion et la rédaction de l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, selon lequel : « Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, » à la formation de la Loi, expression de la volonté générale.

Et si l’on prend appui sur ces métaphores, on voit assez mal quel démocrate pourrait s’opposer à l’idée d’une CNS – instrument de la volonté générale – qui est forcément un grand moment d’expression démocratique. C’est le triomphe de la liberté. Car chacun sera assuré de pouvoir faire entendre ses convictions et ses valeurs. Cette liberté est capitale pour la démocratie. Et, corrélativement, chacun sait que la démocratie est un abri sûr pour la liberté puisque c’est dans ce terreau qu’elle bourgeonne et qu’elle s’épanouit. La liberté n’est pas un concept essentiel d’une démocratie. C’est le concept essentiel de la démocratie. C’est son point de départ et son horizon. Refuser la mise sous tutelle, oser penser par soi-même est la promesse de la démocratie. Car « la liberté est la fin suprême de l’Histoire universelle. Pour elle ont été faits tous les sacrifices sur le vaste autel de la terre dans le long cours du temps ».

Du reste, la liberté est l’autre nom de la démocratie. La quête de la liberté est le cœur du projet de la démocratie et qui est au fondement de toutes les révolutions. Sur le plan philosophique et historique, la liberté n’est pas simplement une valeur. C’est le fondement, « la clé de voûte » au sens kantien de toutes les valeurs. C’est la condition qui rend possible les idées du juste et de l’injuste.

En dehors de ces expressions, la CNS se conçoit aussi comme un instrument de construction de la démocratie à partir du moment où c’est la satisfaction d’un but d’intérêt général qui est visé. Or, la volonté générale – qui est à la fois le fondement et la finalité de la CNS – tend toujours comme le soutient Rousseau à l’intérêt général.

L’intérêt général renvoie donc à des valeurs sociales, juridiques, économiques et politiques collectives. C’est en cela qu’il a été une préoccupation essentielle de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui fait référence à l’intérêt général au travers des notions telles que le « bonheur de tous » ou « l’utilité commune ».
Le Préambule, l’article 1 ou encore l’article 12 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen expriment justement l’idée que poursuivre les buts d’intérêt général c’est se conformer aux principes de la démocratie. Car, la délibération, le dialogue est l’ossuaire de la démocratie. Et l’intérêt général est le principe protecteur des droits et des valeurs dans une démocratie. Poursuivre l’intérêt général c’est être proprement démocrate, en faire fi c’est faire l’exacte inverse de ce qu’exige une démocratie. Et c’est au nom de l’intérêt général - critère déterminant de l’action publique dans une démocratie – que doivent se tenir les assises de la CNS.

C’est pourquoi la CNS creuset de la construction de notre horizon démocratique est un préalable. Ce rassemblement, ce pluralisme d’inspirations qui fera travailler ensemble de manière trans-partisane les femmes et les hommes est le point clé de la reconstruction du pays. C’est pourquoi la constitution et le droit ne sont justes que s’ils résultent de la délibération politique du peuple. Souverain. En ce sens, le dialogue induit par la CNS ne peut être considéré comme une barrière ou une limite à la démocratie, il en constitue au contraire une modalité incontournable, la condition sine qua non d’institutions justes et impartiales.

Mes très chers amis, mesdames et messieurs,

Les Gabonais sont mûrs pour reprendre leurs affaires en main. Ils mesurent pleinement la crise existentielle que traverse notre pays. Car, nul ne peut aujourd’hui contester sérieusement l’ampleur de la crise qui dévaste notre pays. Crise institutionnelle. Crise juridique de la règle de droit dans la certitude qu’a le citoyen qu’elle n’est jamais appliquée. Crise fonctionnelle du système politique. Crise matérielle avec la grande pauvreté qui gangrène notre société et la misère solidement accrochée à sa locomotive. Crise morale avec l’exacerbation des pulsions stigmatisantes de certaines communautés et du dénigrement de pans entiers du peuple gabonais. Les lourds nuages noirs que nous voyons à l’horizon ne vont pas se dissiper tous seuls.

La seule question qui vaille aujourd’hui porte sur le redressement du pays. Travestir la vérité est le pire des services à rendre à notre pays et aux gabonais. Au plan pratique c’est inutile car les gabonais sont loin d’être aussi sots que le présume l’armée des opportunistes prompts à marteler qu’il n’y a pas de crise. Au plan des principes c’est inadmissible car cela postule que les gabonais sont incapables de comprendre les difficultés de leur pays et d’en débattre, puis de les surmonter en assumant les risques des changements nécessaires.

Chers amis, un pays c’est une architecture. Comme une maison. Dans ce sens, « une société commence d’exister lorsque tout le monde sait, à l’intérieur comme à l’extérieur, ce qui est le plus important et pour quelle destination. Quelles sont les colonnes de l’édifice – qui le tiennent - , quelles sont ses élévations qui le haussent, quels sont ses planchers et ses murs qui le sécurisent, quels sont ses toits qui le protègent, ses portes et ses fenêtres qui l’ouvrent, l’éclairent et l’aèrent ». C’est cela la tâche de la CNS qui veut remettre l’essentiel à sa place. Le redressement est indispensable. Un redressement qui débute comme dans toutes les sociétés, par un débat public ouvert. Il est vital que les choix fondamentaux du pays soient exposés, expliqués et tranchés par tous les gabonais, sauf à évoluer vers l’ingouvernabilité, synonyme de son implosion à terme désormais rapprochée. Car, on sait qu’un pays « qui n’a pas les moyens de sa réforme n’a pas non plus les moyens de sa conservation. »

Ne nous limitons plus à dresser des rapports. Ne donnons pas cette fois-ci raison à Rabourdin cet employé de bureau dépeint par Balzac (dans l’une de ses scènes de la vie parisienne) qui pronostiquait que la France allait « se ruiner en de si beau rapports, et disserter au lieu d’agir ».

À ce stade je ne peux résister à l’envie de partager avec vous cette pensée de Soljenitsyne quand il déclare que : « la part essentielle de notre liberté est intérieure, elle dépend de notre volonté. Si nous cédons nous-mêmes à la corruption, nous n’avons plus le nom d’homme ». Oui mes chers amis, « il faut savoir ce que l’on veut. Quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire. Quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire. ». Car, le prix que nous payons pour garder les apparences en l’état est trop fort. Mes chers amis, nous portons avec nous, ici et maintenant, les destinées du Gabon et de sa liberté. Militons pour une nouvelle donne, allons à la CNS. Portons cette grande idée, cette force morale. À défaut d’agir par certitude de réussir, agissons par conviction du devoir.

Je vous remercie.

Maître Paulette OYANE-ONDO
Présidente du CDDH Gabon

Source : http://www.koaci.com