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Le Gabon entre dans une terreur durable

la communauté internationale face à sa responsabilité historique concernant la démocratie en Afrique

D 1er octobre 2016     H 05:22     A Régis Marzin     C 0 messages


Le processus de démocratisation de l’Afrique stoppé depuis 2005 ne pourra reprendre qu’en Afrique centrale. Après la Centrafrique en 2014, les yeux sont tournés vers le Congo Kinshasa en 2016 et 2017, et vers le Gabon actuellement.

C’est bien la communauté internationale qui a poussé Jean Ping à suivre la voie de la cour constitutionnelle alors que cette « tour de pise » était soumise à Ali Bongo. Dans le même temps, elle a accompagné favorablement l’Union africaine qui s’impliquait sachant que celle-ci soutient régulièrement les dictateurs lors des élections. Encore une fois, le jeu de la légalité dans l’illégalité d’un régime non démocratique a été promu par respect pour la souveraineté des Etats, même si le cercle vicieux et le danger d’aporie finale étaient bien identifiés.

En Afrique, en 2016, 22 dictateurs durablement établis côtoient 22 présidents élus selon les règles de la démocratie. Depuis le 27 décembre 2002 au Kenya, depuis 13 ans et demi, aucun dictateur africain stable n’a accepté de perdre une présidentielle[1]. Le continent est à l’équilibre et attend la bascule qui arrivera un jour par usure des dictatures et vieillissement des présidents à vie. Le président du Botswana vient de demander au président du Zimbabwe, 93 ans, de quitter le pouvoir. Mais qui osera demander aux vieux seigneurs féodaux Paul Biya, Idriss Déby, Obiang Nguema et leur jeune imitateur Ali Bongo de laisser vivre en paix l’Afrique centrale ? Partout ailleurs en Afrique, les présidents en démocratie ont peur des dictateurs ou les remercient pour l’aide militaire dans des conflits. Le président tchadien, très soutenu par François Hollande et Jean-Yves Le Drian depuis 5 ans fait peur en Afrique.

Il y avait déjà les Missions d’observation factices de l’Union africaine qui, en 2016, viennent de cautionner les coups d’Etat électoraux au Tchad et à Djibouti[2]. Idriss Déby, au nom de l’Ua, vient d’innover par l’invention de la délégation de juristes de dernière minute pour finaliser un coup d’Etat électoral.

La délégation des juristes n’a pas été présentée officiellement. Des journalistes ont donné deux noms sur cinq. La présence ou non d’un juriste du Cap-vert et d’un juriste du Niger, qui aurait pu donner une connotation ‘démocratique’, à condition que les personnalités en question soient irréprochable et non liées aux dictatures, n’a pas été confirmée. Au moins trois personnes dites ‘juristes’ ont participé à la mascarade de la cour constitutionnelle, le président de la cour constitutionnelle tchadienne, un membre de la cour constitutionnelle togolaise, sans nom, et le chef de délégation Mohamed El-Hacen Ould Lebatt.

Le mauritanien Mohamed El-Hacen Ould Lebatt, ancien ministre mauritanien des Affaires étrangères en 1997 et 1998, est représentant spécial de l’Ua en Centrafrique depuis février 2016, et a été envoyé spécial de l’OIF au Tchad de 2008 à Février 2016. Le 3 mars 2016, en quittant le Tchad, il a déclaré à la sortie d’une audience avec Idriss Déby : « Je suis venu dire au revoir et me mettre à l’écoute de ses analyses, ses vues et ses conseils pertinents et éclairants sur la région de façon générale qui sont articulés sur le renforcement de la réconciliation, de la paix, de la sécurité, du système démocratique et du développement économique et social dans toute la région CEMAC »[3]. On ne peut être plus clair.

Surtout, ce diplomate mauritanien a travaillé sur l’accord politique de 2007 entre le pouvoir et les démocrates tchadiens, qui n’a jamais été correctement appliqué, puisque des élections fraudées et aux résultats inversées continuent de s’organiser depuis au Tchad, et il a participé au suivi de cet accord. Il a, aussi, « afin de renouer le dialogue entre les parties,… été dépêché (au Tchad par l’OIF ) à plusieurs reprises en 2012 »[4]. Il est intervenu en amont des élections de 2016 en travaillant quelques années auparavant pour le PNUD, à la demande du gouvernement tchadien, sur l’introduction de la biométrie[5]. Il est contact régulier avec le chef d’état tchadien.

Le président de la Cour constitutionnelle tchadienne est Nagoum Yamassoum. Il est compris par les tchadiens, et selon le journaliste Makaila Nguebla, comme « le spécialiste en charge des fraudes électorales au service d’Idriss Déby Itno depuis 1996 ». Concernant le membre de la Cour constitutionnelle togolaise, faut-il rappeler comment Faure Gnassingbé se maintient au pouvoir au Togo par des élections fraudées ? Le chef de file de l’opposition togolaise, Jean-Pierre Fabre, l’a fait le 14 septembre en saluant par ailleurs, « la lutte du peuple gabonais pour faire échec à la tentative de coup de force électoral »[6].

Au Tchad, en avril 2016, Idriss Déby a réalisé son inversion de résultat, alors qu’en réalité, il ne passait même pas au second tour, en empêchant la compilation et le contrôle des Procès verbaux au niveau des sous-préfectures et préfectures, et en faisant transporter, sans respecter l’article 73 du code électoral, les Procès verbaux directement des bureaux de votes à la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) parallèle à Ndjaména en passant par le siège de son parti le MPS, où une grande partie des Procès verbaux ont été remplacés par des faux[7].

Après le coup d’Etat électoral d’avril 2016, accepter le président de la Cour constitutionnelle tchadienne au Gabon, revenait à faire contrôler des criminels électoraux par un autre criminel électoral, tous étant spécialisés dans les mêmes techniques de fraudes. Le reste de la délégation de l’Ua ne permettait pas de faire contrepoids. La communauté internationale qui n’a pas fait le nécessaire au Tchad sur la qualité du processus électoral s’est trouvée subitement le 22 septembre confrontée au mélange du traitement des crises électorales tchadienne et gabonaise.

C’est dans une opacité totale, comme président annuel de l’Ua, qu’Idriss Déby a imposé des mercenaires électoraux pour empêcher la communauté internationale de s’opposer à l’inversion de résultat au Gabon. Il a agit rapidement en contournant les pressions internationales précédentes qui l’obligeait à une concertation sur le choix de la délégation. Son objectif au côté d’Ali Bongo est sans doute de diviser la communauté internationale en jouant sur sa priorité, très peu explicite dans cette crise, mise sur le bilan des victimes au travers de la « responsabilité de protéger les populations » et sur les difficultés des diplomates internationaux à établir une relation transparente et basée sur la démocratie avec l’Ua.

Le 9 septembre, le commissaire à la Paix et à la Sécurité de l’Ua, Smaïl Chergui, au micro de la BBC avait parlé de « crédibiliser l’exercice de la Cour constitutionnelle », de « recomptage prévu par la constitution ». Mais suite au début des travaux de la Cour constitutionnelle, il n’a plus été visible. Selon RFI le 12 septembre[8], « La mission Ua-Onu terminée, Smaïl Chergui ira(it) rendre compte à Idriss Déby, le président en exercice de l’UA, pour envisager l’arrivée à Libreville de chefs d’Etats africains. ». Dans le potentiel conflit entre réformateurs de l’Ua, s’ils existent, et ‘fatalistes’ soumis aux dictatures, Idriss Déby a repris le dessus.

La même semaine, l’Ua montrait son mépris du droit international naissant au XXIe siècle, en s’attaquant à la Cour Pénale Internationale (CPI) à l’ONU. Selon Human Right Watch le 23 septembre 2016, « En janvier, l’UA a décidé de mandater son Comité à composition non limitée sur la CPI pour élaborer une « stratégie globale » incluant le retrait de la CPI. Le Comité s’est réuni le 11 avril et a identifié trois conditions qui, selon lui, devraient être remplies pour que l’UA n’appelle pas au retrait. Ces conditions incluaient une demande d’immunité accordée aux chefs d’État en fonction ainsi qu’aux hauts fonctionnaires déférés devant la CPI. »[9]

En 2013 et début 2014, Idriss Déby a tenté d’imposer la dictature en Centrafrique, en soutenant au maximum la prise de pouvoir à Bangui des rebelles de la Séléka Michel Djotodia et Noureddine Adam[10]. Il en a été empêché quand l’ONU, poussé par l’exécutif français, a décidé de déployer les casques bleus. Il essaye maintenant de maintenir la dictature au Gabon, une revanche après son échec en Centrafrique, qui pourrait lui permettre de freiner la démocratisation de l’Afrique centrale, si personne ne l’arrête de nouveau.

Réunis cette semaine à New-York, à l’Assemblée générale de l’ONU du 20 au 26 septembre, les grands acteurs internationaux ont assez peu parlé de l’Afrique. Ils ont surtout parlé de la Libye, qui concerne l’Europe en raison des migrations, un peu de la RDC ou du Mali, mais pas publiquement du Gabon. Ban Ki-Moon a attendu le 23 septembre pour « souligner que les instigateurs ainsi que les auteurs de violences devront répondre de leurs actes » et « demander aux parties prenantes d’exprimer leurs différends de manière pacifique ». Il était déjà trop tard après le coup d’Idriss Déby. Le secrétaire général des Nations-Unies n’a donné aucune indication sur la manière pour l’opposition de faire face à la violence politique et militaire de l’Etat. Quand la situation est bloquée et dominée par la force, seul un arbitrage international très ferme peut empêcher un coup d’Etat électoral de placer le pays dans une violence structurelle pour une durée indéterminé.

L’Onu a déjà été ridiculisée par Sassou Nguesso en octobre 2015 pendant la réalisation du coup d’Etat constitutionnel. S’apprête-t-elle à se plier aux volontés d’Ali Bongo soutenu par Idriss Déby au Gabon, alors qu’un an après le désastre au Burundi, 6 mois après l’aveu d’impuissance au Congo Brazzaville, en RDC, le ‘dialogue national’, qui n’a pas été organisé de manière inclusive par Edem Kodjo et l’Ua, périclite.

L’Union européenne a signé avec l’Etat gabonais un accord pour l’arrivée de la Mission d’observation. Mais cet accord a été foulé du pied par le gouvernement gabonais : le MOE-Ue « n’a eu qu’un accès très limité au processus de recours et de contentieux »[11]. Au passage à l’étape de la cour constitutionnelle, au cours de négociations très peu transparentes, l’Ue a été poussé à se plier aux méthodes de l’Ua, pourtant reconnue comme un frein à la démocratisation. Il ne faudra jamais oublier que Jean Ping comme la MOE-UE avait accepté l’idée de ne pas pouvoir démontrer toutes les fraudes d’Ali Bongo pour ne se baser que sur les Procès Verbaux qu’il possédait et qui démontraient déjà sa victoire. En particulier les fraudes massives du Haut-Ogooué basé sur un gonflement du fichier électoral ne pouvaient pas être facilement démontrées sans que cela n’empêche de démontrer la victoire de Jean Ping. En réalité, la victoire de Jean Ping dans un processus électoral normal aurait largement dépassé les quelques pourcents discutés dans la province du Haut-Ogooué.

A partir de la nuit du 23 au 24 septembre, en raison de la présence de MOE-UE, la déclaration du SEAE était très attendue. Le 24 septembre à 16h43, Federica Mogherini et Neven Mimica, ont accepté la défaite du soutien à la démocratie en déclarant[12] : « la confiance du peuple gabonais concernant l’intégrité du processus électoral peut, légitimement, être mise en doute », mais en ajoutant que « L’action de l’Union Africaine et des Nations Unies sera importante pour aider les parties gabonaises dans la recherche d’une solution pacifique et juste. L’UE est prête à soutenir ces efforts. En vue des futures élections, le besoin d’une réforme du système électoral s’impose, de façon à le rendre plus crédible. » Cette conclusion renvoie aux habituels communiqués du SEAE d’acceptation d’impuissance face à une mascarade électorale. N’est-ce pas une déclaration précipitée alors que l’Ue se sentait prise au piège dans le théâtre de la légalité factice qui entoure les élections factices en dictature, mais n’avait pas encore envisagé toute les options ? Cependant, quels états-membres européens étaient prêts à continuer de s’engager avec l’Ue dans un exercice de diplomatie structurant pour la relation entre l’Union européenne et l’Union africaine ?

Par sa déclaration du 24 septembre, l’exécutif européen laisse le peuple gabonais seul face à la Garde Républicaine. Le fait de renvoyer vers l’Ua quand celle-ci vient de le pousser vers la dictature de niveau élevé pour une longue période, sera interprété comme un discours cynique. Le fait de faire espérer des progrès quand la défaite présente de la démocratie coupe la route à tous progrès futur, sera aussi compris à plus long terme comme un discours malsain et décalé de l’enjeu géopolitique réel.

Le travail de la mission d’observation vient ainsi d’être mis à la trappe avec les honneurs. Il n’est pas question pour l’instant de bilan des victimes, de sanctions, en particulier selon l’accord de Cotonou ou au travers des Nations-Unies. Par ce texte, le SEAE commence par aller contre les avis formulés au parlement européen le 13 septembre, le parlement ne pourra pas facilement repositionner l’Ue correctement. La déclaration révèle de l’indifférence, un peu d’improvisation, et sans doute une gestion des priorités qui se détourne des discours officiels sur la démocratie. En outre, la question de la sécurité des membres de la MOE-UE s’est posée en cours de route dans un pays sous contrôle militaire criminel.

Le Gabon pourrait logiquement rejoindre le Togo, lui aussi sans limitation du nombre de mandat dans la constitution, dans le cercle vicieux de l’impunité et des élections fraudées qui permettent d’échapper aux sanctions pénales. A partir de maintenant, la situation du Gabon ne pourra plus que se détériorer, et l’énergie nécessaire pour le sortir de la prise d’otage par régime anachronique et un clan mafieux ne fera qu’augmenter.

Engagé maintenant dans une frilosité impuissante, le SEAE pousse aussi le reste de la communauté internationale vers un renoncement. Cela paralysera également son action auprès de l’Ua si elle l’envisage de l’aider à poursuivre le processus de démocratisation continental. Une discussion ouverte à plus long terme ne peut pas trop s’éloigner de l’affirmation régulière du respect des règles.

Sans le savoir sans doute, Federica Mogherini et Neven Mimica viennent de commencer à sacrifier l’ensemble du travail de soutien européen à la démocratie en Afrique. Cette politique européenne de soutien à la démocratie en Afrique était déjà dans une impasse. L’assistance électorale, inefficace, risque d’être démantelée. Les missions d’observations européennes sont condamnées à l’échec puisque qu’aucun dictateur ne veut d’une observation qui pourrait l’empêcher de gagner et le cas gabonais va aggraver ce paradoxe. Les milliards du Fond Européen de Développement (Fed) issus des impôts européens sont engloutis dans un grand nombre de projets sans que l’équilibre entre les politiques de ‘paix et sécurité’, ‘développement’ et ‘démocratie et état de droit’ soit établi. Les populations en Erythrée et au Soudan fuient leurs dictatures vers l’Europe sans que l’Ue réussisse à agir.

L’Europe se décrédibilise au Gabon comme elle s’était décrédibilisée au Togo à cause de Louis Michel entre 2005 et 2010, dans une défaite politique historique que les populations africaines interpréteront. C’est aussi la technique d’influence douce et large, pour ne pas dire budgétaire, le soft-power, qui est confronté à une réalité trop dure pour elle, logiquement incompatible.

Autre conséquence grave, immédiate, après l’abandon des démocrates par le SEAE de l’Ue le 24 septembre, l’Onu perd un partenaire qui lui donnait de la crédibilité et son argument principal pour continuer. Sans l’Ue et sa MOE-UE, l’Onu redevient impuissante.

Dans le même temps, alors que le ministre des affaires étrangères français Jean-Marc Ayrault était très actif pour le respect des règles démocratiques, les déclarations françaises, se sont arrêtées le 9 septembre. Est-ce le poids de la guerre au Mali en 2013 et du lobby militaire pro-Déby en France joue encore ?[13] Le gouvernement français peut-il s’opposer au président tchadien ? Au Gabon même, que deviendra la base militaire française amenée à collaborer avec une armée terrorisant durablement la population, dans un pays de plus ? L’image de l’armée française, si elle en a une, est déjà assez dangereusement écornée par sa présence au Tchad, à Djibouti et en Côte d’Ivoire. Comme l’a indiqué le 21 septembre, l’avocat de Jean Ping à Paris, Eric Moutet, l’armée française est déjà impliquée pour « non-assistance » lors de l’attaque du QG du 31 août à quelques centaines de mètre de la base française.

Le 24 septembre en soirée, après l’Ue, le Ministère des affaires étrangères français a déclaré[14] « La France constate que l’examen des recours n’a pas permis de lever tous les doutes. » Il « demande également à ceux qui continuent de contester les résultats de récuser l’action violente et de poursuivre leurs revendications selon des voies qui ne remettent pas en cause la paix et le bien-être du pays » et « souhaite continuer de se concerter avec ses partenaires africains, européens et internationaux. » Reprenant en soirée le message de l’Ue, le gouvernement français reconnait par ailleurs que le conflit n’est pas terminé.

L’ambassade des USA, elle, dit dans l’après-midi, avant l’Ue[15] : « Même si la décision de la Cour peut sembler problématique pour certains, il est temps, à présent, de panser les blessures d’un pays divisé ce, pour le meilleur avenir possible pour tous ces citoyens ». La déclaration est naïve, désintéressée, compatible avec la priorité américaine sur le Congo Kinshasa.

Le 24 septembre, les déclarations des USA, de l’Ue et du gouvernement français, vont globalement dans le sens de l’acceptation du coup d’Etat électoral : la victoire d’Ali Bongo n’est pas reconnue officiellement mais elle est acceptée indirectement. Les acteurs internationaux refusent de dire qu’après un tel processus électoral, Ali Bongo n’est pas un président acceptable. Les USA se débarrassent du sujet. Le SEAE de l’UE admet son échec et renvoie vers l’Ua et l’Onu. Le gouvernement français est dans un paradoxe : il admet que le conflit reste ouvert, mais ne s’avancent pas sur les conséquences de la certitude de l’inversion du résultat et du crime contre l’humanité qui l’accompagne.

Le fait que la communauté internationale ait trop mis l’accent sur la cour constitutionnelle et sur l’Ua alors qu’il était probable que ces deux acteurs iraient ensuite dans le sens du coup d’Etat électoral, implique indirectement ces acteurs internationaux dans le coup d’Etat électoral, sans qu’ils en mesurent encore les conséquences. Restent maintenant en suspens les points de la stabilité du Gabon à moyen terme, de la compréhension pour les populations africaines de la gestion internationale du conflit, de la légitimité institutionnelle internationale d’un pouvoir issu de deux coups d’Etat électoraux en 2009 et 2016 et passible de sanctions et poursuites judiciaires.
Idriss Déby a réussi un coup de maître en jouant du mélange entre sa position de chef d’Etat tchadien influent dans la guerre contre le terrorisme dans le Sahel et de sa position de président de l’Ua. Il a visé la faille dans le camp du soutien à la démocratie, la soumission par principe du fonctionnement de la communauté internationale aux principes de subsidiarité (action au niveau inférieur en priorité : l’Onu donne la priorité à l’Ua) et complémentarité (processus consultatif de prise de décisions et respect des processus régionaux : l’Ue laisse l’Ua prendre les décisions en Afrique). Pour cela, il a pu profiter de l’ambiguïté de la politique africaine française très influente en Europe, favorable à une modernisation démocratique tout en étant soumise à une logique militaire : Idriss Déby avait avant d’agir une marge de manœuvre suffisante face au gouvernement français.

Ali Bongo s’est de son côté chargé de la possibilité de dépasser au niveau de l’Onu la souveraineté de l’Etat gabonais : il a neutralisé le scénario d’une intervention au nom de la Responsabilité de protéger les populations. Pour se faire, il a empêché les enquêtes des media sur les massacres, coupé internet, plus précisément en feinté de couper et de rouvrir tout en gardant coupé l’essentiel des flux gabonais, ceux des réseaux sociaux, et il a renvoyé le débat vers le processus électoral. Il a surtout joué au maximum de la priorité de la communauté internationale mise sur une légalité officielle et souveraine, quand bien même elle s’appuierait sur de la criminalité et conduirait bientôt à un Etat failli ingouvernable supplémentaire. Car Ali Bongo a gagné seul avec un clan réduit, et son parti, le PDG, ex parti-unique n’est plus que l’ombre de lui-même. L’Etat a commencé à muter en régime militaire clanique sur le modèle du Tchad, entre pourrissement politique dans le style togolais après 2005 et instabilité provisoire d’un régime rejeté par la population, à la manière centrafricaine en 2013.

Comme en Centrafrique avec la Séléka, le cerveau du chef militaire tchadien célèbre pour ses massacres dans les années 80 et 90[16], ne génère que des structures de pouvoir basé sur la force, illégitimes, structures anachroniques, forcément instables et qui vont vers des crises. En Centrafrique, Michel Djotodia et Noureddine Adam ont tenu un an. En 2016, Ali Bongo et Idriss Déby attendent peut-être le retour de Nicolas Sarkozy au pouvoir pour passer la vérité historique au karcher et stabiliser leur pouvoir durablement.
Pour l’instant, comme les opposants congolais en mars 2016, se sont retrouvés seuls face à l’armée congolaise – depuis Jean-Marie Mokoko croupit en prison dans la plus grande indifférence -, les démocrates gabonais et la population se retrouvent maintenant seuls face à la Garde Républicaine et à la terreur de l’Etat.

Idriss Déby et Ali Bongo ont placé la communauté internationale face à ses responsabilités et ses contradictions historiques. Malgré les obstacles y compris dans le Conseil de sécurité des Nations-Unies, elle aurait pourtant la possibilité de taper du poing sur la table. A l’inverse, privilégier un fonctionnement de principe, au travers des résolutions de crises soumises aux principes de subsidiarité et complémentarité, c’est-à-dire, en pratique, laisser l’Ua enfoncer l’Afrique centrale dans un pourrissement féodal, conduit plus globalement à sacrifier le soutien à la démocratisation de l’Afrique. Si cela se confirme, cela jouerait ensuite quelques années, le temps que qu’un nombre suffisant de pays transite vers la démocratie et provoque une bascule continentale.

En 2016 encore, quelques dizaines de morts avant l’élection au Congo Brazzaville et à Djibouti n’ont pas suffit pour déclencher des sanctions internationales. Au Gabon, les chiffres les plus crédibles tournent entre 50 et deux cents morts. La communauté internationale plus impliquée sur le processus électoral n’a pas mis l’accent sur le bilan des massacres perpétrés par le gouvernement gabonais. La théâtralisation du recours à la CPI par les gabonais a atteint un comble pervers avec la supercherie de la demande d’enquête du gouvernement gabonais, qui a réagit à la multiplication des témoignages sur les massacres des forces de l’ordre et aux plaintes déposée à Paris au pôle génocide et crime contre l’humanité du Tribunal de grande instance de Paris[17].

Malgré la coupure d’internet, car internet est toujours coupé tant que les réseaux sociaux sont coupés, les informations sortent du pays. Le Gabon ne peut devenir la Corée du Nord de l’Afrique au niveau internet. Les données finiront par arriver en grande quantité. Le nombre de victimes sera un jour correctement estimé et le bilan plus amplement documenté.

A l’échelle du continent africain, face à une situation bloquée, à la perspective d’une multiplication des conflits électoraux, plutôt que de faire comme si l’outil de dissuasion de la CPI fonctionnait, alors que cet outil a été presque détruit en Côte d’Ivoire en 2011[18], la communauté internationale pourrait de manière urgente créer des alternatives spécifiques pour les crimes associés au processus électoraux, qui pèsent plus lourd que des crimes simples, et prendre des dispositions préventives fermes sur la qualité des processus électoraux au niveau technique. Avant d’être l’objet de débat politique essentiel, les processus électoraux en Afrique sont d’abord des processus techniques qui devraient être abordés de manière technique.
Les démocrates africains sont peu soutenus, faute de droit international dans le domaine des processus électoraux, mais la fabrication d’un fichier électoral, la rédaction d’un procès verbal, la confection d’un tableau de résultat, une compilation dans une préfecture de département ou de province, la publication des résultats sur un bureau de vote ou sur internet, peuvent être considérées comme des étapes normalisées identiques quel que soit le pays. La considération des préalables au démarrage du processus électoral au niveau état de droit permettrait également de préparer l’augmentation de la qualité technique des processus électoraux dans les dictatures africaines[19].

La communauté internationale a souvent agi trop tard quand le mal était fait, quand la crise était déjà là. Elle a appris autour de 2010 à prévenir les coups d’Etat militaires, elle a appris depuis les années 90 à stopper des crises violentes à leur démarrage, à limiter le nombre de morts à quelques cinquantaines, mais n’a pas encore appris à prévenir les conflits électoraux en amont. Pourtant, plus les populations réclameront la démocratie, plus les dictateurs et leurs clans seront menacés, plus ils se défendront, plus ils montreront la vraie nature des dictatures africaines contemporaines. La crise gabonaise illustre parfaitement l’absence de prise en compte internationale préventive de la qualité technique des processus électoraux correctement soutenue par une action diplomatique.

Régis Marzin, journaliste et chercheur indépendant,

Paris, 24 septembre 2016

Source : https://regardexcentrique.wordpress.com

***
[1] Au Zimbabwe, Mugabe a été forcé d’accepter provisoirement une victoire de l’opposition dans des législatives.

[2] R Marzin, 5.7.16, https://regardexcentrique.wordpress.com/2016/07/05/les-elections-sans-democratie-de-mars-et-avril-2016-en-afrique/

[3] 3.3.16, https://www.presidence.td/fr-news-2408.html

[4] http://www.francophonie.org/IMG/pdf/rapport_sg_2012-2014.pdf

[5] http://plan-paix-onu.blogspot.fr/2016/07/moroccoleaks-la-situation-au-tchad.html

[6] http://www.anctogo.com/cap-2015-salue-la-lutte-du-peuple-gabonais-pour-faire-echec-a-la-tentative-de-coup-de-force-electoral-14518

[7] Régis Marzin, Paris, 5.7.16 modifié le 20.9.16, Congo-Brazzaville, Djibouti, Tchad, Guinée Equatoriale : les élections sans démocratie de mars et avril 2016, et le processus de démocratisation du continent africain,
https://regardexcentrique.wordpress.com/2016/07/05/les-elections-sans-democratie-de-mars-et-avril-2016-en-afrique/

[8] http://www.rfi.fr/afrique/20160912-phase-decisive-crise-postelectoral-gabon

[9] https://www.hrw.org/fr/news/2016/09/23/onu/union-africaine-rejeter-lappel-au-retrait-de-la-cpi

[10] Régis Marzin, 5.3.14, https://regardexcentrique.wordpress.com/2014/03/05/influence-et-implication-didriss-deby-en-centrafrique-de-mi-2012-a-janvier-2014/

[11] http://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage/10413

[12] http://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage/10413

[13] R Marzin 9.7.13, https://regardexcentrique.wordpress.com/2013/07/09/la-politique-africaine-francaise-sous-influence-militaire/

[14] http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/gabon/http-publication-diplomatie-gouv-fr-fr-dossiers-pays-gabon-evenements-4489/article/gabon-proclamation-des-resultats-de-l-election-presidentielle-24-09-2016

[15] https://french.libreville.usembassy.gov/pr-09242016fr.html

[16] Tchad 2013 : la réhabilitation impossible d’un dictateur notoire, R Marzin, 16.12.13, 2. Massacres, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, https://regardexcentrique.wordpress.com/2013/12/16/tchad-2013-la-rehabilitation-impossible-dun-dictateur-notoire/

[17] http://regismarzin.blogspot.fr/2016/09/21-septembre-2016-paris-gabon.html

[18] Nicolas Sarkozy qui a aidé Ali Bongo à prendre le pouvoir en 2009, a aussi oublié de s’occuper correctement de la Libye…

[19] https://electionsafrique.wordpress.com/2016/05/04/congo-brazzaville-djibouti-tchad-le-cercle-vicieux-des-processus-electoraux-sans-democratie/