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Pour protéger le climat de la planète, la France doit se désengager dusecteur d’exploitation forestière industrielle dans le bassin du Congo

D 11 décembre 2015     H 05:23     A     C 0 messages


L’importance et le rôle des forêts tropicales dans le changement climatique de notre planète ne sont plus à démontrer : elles constituent d’immenses puits de carbone et leur destruction dégage d’énormes
quantités de CO2. A l’échelle de la planète, près de 12 % des émissions des gaz à effet de serre sont dus à la destruction et la dégradation des forêts. [1] Les forêts offrent également des moyens de subsistance à des millions de personnes et abritent une biodiversité animale et végétale extrêmement riche. Parmi elles, les forêts du bassin du Congo, qui couvrent 200 millions d’hectares répartis dans les six pays forestiers d’Afrique centrale, représentent une valeur écologique exceptionnelle. Aujourd’hui, ce deuxième massif tropical de la planète est confronté à de graves menaces et la France a une part de responsabilité.

Depuis vingt ans, la France soutient en effet l’industrie du bois dans cette région, en partant du principe que si les entreprises forestières adoptent un certain nombre de règles et d’outils, notamment des « plans d’aménagement forestier », elles pourront gérer de manière durable leurs concessions forestières et contribueront au développement des pays producteurs. Depuis 1990, la France a ainsi mis à disposition, via l’Agence française de développement (AFD), plus de 120 millions d’euros de prêts et subventions aux sociétés forestières de la région, pour les aider à mettre en place les outils de « gestion durable ». [2]

Mais cette politique de soutien à l’industrie forestière se fonde sur des postulats erronés et a des résultats désastreux.

Il a été en plus démontré que l’exploitation forestière industrielle, même celle dite « sélective » (qui prélève seulement quelques essences) et même celle opérant avec des « plans d’aménagement forestier », endommage durablement la biodiversité et entraîne une vaste déforestation, comme l’indique l’expérience de l’Afrique de l’ouest. Une étude a même montré en 2014 que les concessions forestières de la République du Congo gérées par des entreprises dotées d’un « plan d’aménagement forestier », avaient des taux de déforestation plus élevés que les concessions sans plan d’aménagement. [3] Le manque de croissance, et même un recul qui se profile, des surfaces forestières certifiées du Forest Stewardship Council, indique que la certification n’a pas su pallier les défaillances de la gestion forestière sous forme de concessions ni surmonter les problèmes environnementaux posés par celle-ci. Par ailleurs, il est incontestable que la dégradation de ces forêts par une exploitation forestière industrielle, même certifiée, les rend plus vulnérables au changement climatique.

L’AFD s’est engagée à veiller à ce que dans le cadre de ses financements, les plans d’aménagement forestiers « ne conduisent pas à l’exploitation de forêts primaires ou anciennes ou habitats critiques ». [4] Elle s’est également engagée à s’assurer que « les aménagements forestiers, notamment à travers la création de pistes ne conduisent pas à ouvrir des axes de pénétration conduisant à la fragmentation des massifs forestiers mais prévoit au contraire la fermeture et la reconstitution du couvert forestier sur ces emprises après la phase d’exploitation ». Au regard de ses engagements, l’AFD devrait déjà garantir la non-exploitation forestière des grands paysages de forêts intactes. [5] Par ailleurs, d’autres priorités s’imposent si l’AFD tient à rester fidèle à sa mission de lutte contre la pauvreté et en faveur d’un développement durable.

Sur le plan économique et social, on se rend compte qu’aucun Etat forestier du bassin du Congo n’a réduit son taux de pauvreté grâce à l’exploitation industrielle de ses forêts. Au contraire : l’industrie du bois détruit progressivement l’écosystème « forêt » dont dépendent 75 millions de personnes et prive les communautés locales et autochtones de leurs droits fonciers et coutumiers. Les conflits entre les entreprises et les communautés environnantes sont nombreux.

En outre, les entreprises, qui sont pour la plupart d’origine européenne ou asiatique, ont pris l’habitude de chercher à augmenter leurs profits en violant les lois et en alimentant la corruption : depuis 15 ans, les rapports sur les nombreuses illégalités commises dans la filière bois s’accumulent, sans qu’aucune solution efficace n’ait été trouvée pour y mettre fin. Un audit de 2014 financé par l’Union européenne (UE) a montré qu’aucune entreprise évoluant au Cameroun n’était légale. [6] En République démocratique du Congo, en 2012, ce sont 90% des taxes forestières qui ne sont pas entrées dans les caisses de l’Etat en raison de l’évasion fiscale pratiquée par les sociétés forestières. [7] Les entreprises visées par les programmes d’aide de l’AFD, comme le Projet d’appui à la gestion durable des forêts (Pagef) en République du Congo, sont d’ailleurs réputées pour leurs nombreuses infractions au Code forestier.

Les conséquences de la mal gouvernance et du non-respect des lois et des droits peuvent être dramatiques : en République centrafricaine, les principales entreprises forestières actives en 2013 et 2014 se sont rendues complices de graves violations des droits de l’homme en raison de financements qu’elles ont donnés à des milices armées. [8]

A l’heure actuelle, le contexte de mauvaise gouvernance, l’inefficacité des outils choisis et les conditions écologiques de base des forêts du Bassin du Congo sont tels que les fonds publics français ne peuvent atteindre les objectifs de la France pour le secteur forestier de cette région. Il faut par ailleurs noter que le système d’évaluation des programmes de l’AFD apparaît faible et peu transparent. Certains projets, dont le Projet d’appui à la réalisation de plans d’aménagement forestier (Parpaf) en République centrafricaine, n’ont pas fait l’objet d’évaluation, et d’autres, dont l’évaluation de mi-parcours du projet « Appui à la gestion durable des forêts » (Agedufor) en République démocratique du Congo, ne sont pas publiées. Des faiblesses identifiées en 2011 dans un rapport d’évaluation des 20 ans d’intervention de l’AFD, comme le choix d’outils (sans garantie de durabilité) et les faibles retombées pour les populations locales, n’ont pas encore empêché la poursuite de ces programmes. [9]

Soulignons que les outils techniques que la France finance avec des fonds publics (de l’aide au développement) ne sont pas seulement inefficaces : en laissant croire qu’ils sont une solution, ils aident aussi les entreprises forestières à poursuivre leurs activités, nocives pour les forêts et les populations locales.

Etant donné tous ces faits et constats, nous croyons qu’il est irresponsable de continuer à promouvoir l’exploitation forestière industrielle et le commerce de bois tropical dans des écosystèmes forestiers vitaux comme les forêts du bassin du Congo. On ne peut pas atteindre un objectif de gestion durable et de lutte contre le changement climatique, en confiant des dizaines de millions d’hectares de forêts fragiles à des entités privées qui sont dans une logique commerciale et dont les activités ne sont foncièrement pas durables et ne fournissent pas des bénéfices équitables aux communautés locales. Alors que des bailleurs internationaux s’apprêtent à investir des centaines de millions d’euros dans des financements REDD+ dans le bassin du Congo, il apparaît d’autant plus important d’empêcher l’utilisation de fonds publics pour une exploitation industrielle moteur de déforestation et de dégradation forestière.

Alors que la France accueille à Paris la Conférence sur le climat COP21, il est urgent qu’elle revoie sa politique d’aide au développement concernant les forêts du bassin du Congo.

Pendant ce temps, la forêt se vide de ses ressources. Les forestiers eux-mêmes reconnaissent que le réservoir d’essences de leurs concessions est en train de s’appauvrir. [10] La crise climatique, elle, continue de s’aggraver.

Nous appelons :

 Le gouvernement français, à travers son aide publique au développement, à se désengager, par une sortie progressive selon un calendrier préétabli, de son soutien à l’industrie forestière dans le bassin du Congo, et à orienter ses actions et financements pour soutenir à la place des initiatives protégeant durablement les forêts tropicales et les communautés locales forestières. Le gouvernement français devrait soutenir des approches innovatrices et alternatives à la gestion durable des forêts, basée sur la reconnaissance des droits coutumiers et fonciers des communautés autochtones et locales, comme la foresterie communautaire ou la co-gestion des espaces forestiers.
 L’AFD à organiser une consultation publique, avec participation de la société civile, avant d’établir une nouvelle « feuille de route » de l’AFD pour les forêts du bassin du Congo. Par ailleurs, l’AFD doit garantir la non-exploitation forestière des grands paysages de forêts intactes, prioriser la protection de ces zones de forêts intactes, et s’engager à ne pas soutenir des entreprises dont des rapports indépendants pointent des illégalités, complicités avec des violations de droits de l’homme ou non-respect du consentement libre, préalable et éclairé des populations autochtones et locales. L’AFD devrait également renforcer le système d’évaluation indépendante de ses projets, sa transparence (publication de tous les rapports d’évaluation des projets de l’Agence) et améliorer les processus de consultation de la société civile. ^
 La France à s’opposer à la levée du moratoire sur de nouvelles concessions forestières en République démocratique du Congo, en reconnaissance des problèmes de durabilité et de gouvernance, et pour permettre le pilotage d’autres modèles de gestion forestière permettant la sécurisation des droits des communautés locales et la préservation de l’écosystème. La France à veiller à ce que les fonds français mis à disposition pour les forêts tropicales à travers la COP21, FLEGT et le processus REDD + ne soient pas utilisés pour subventionner l’exploitation forestière industrielle via le modèle inefficace et failli de « gestion durable des forêts ».

SIGNATAIRES
 Brainforest Gabon
 Centre d’Appui à la Gestion Durable des Forêts Tropicales (CAGDFT) RDC
 Global Witness
 Greenpeace France
 Organisation Congolaise des Ecologistes et Amis de la Nature (OCEAN) RDC
 Rainforest Foundation UK
 Rainforest Foundation Norvège
 Réseau Ressources Naturelles RDC (platform of 256 Congolese NGOs)
 RoadFree
 Francis Hallé, botaniste, auteur de « Plaidoyer pour la forêt tropicale » (Actes Sud)
 Dominick A. DellaSala, Chief Scientist and Forest Ecologist, Geos Institute US

[1] IPCC (2014), Climate Change 2014 : Mitigation of Climate Change. Contribution of Working Group III to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Edenhofer, O., R. Pichs-Madruga, Y. Sokona, E. Farahani, S. Kadner, K. Seyboth, A. Adler, I. Baum, S. Brunner, P. Eickemeier, B. Kriemann, J. Savolainen, S. Schlömer, C. von Stechow, T. Zwickel and J.C. Minx (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA,

[2]Secteur forestier dans le bassin du Congo : 20 ans d’intervention de l’AFD, Samyn J.M. & al., Agence française de développement, 2011.

[3] Foreign capital, forest change and regulatory compliance in Congo Basin forests, J S Brandt et al, Environmental Research Letters, 2014.

[4] Cadre d’Intervention Transversal Biodiversité 2013-2016, AFD.

[5] http://www.intactforests.org/

[6] « Évaluation de la conformité des documents associés au processus d’attribution de chaque titre forestier en vigueur au Cameroun », EGIS-BDPA-OREADE BRECHE, 2014.

[7] Rapport Global Witness, « Les forêts de RDC victimes d’une grande braderie », octobre 2013.

[8] Rapport Global Witness, « Bois de sang : comment l’Europe a aidé à financer la guerre dans la République centrafricaine », juillet 2015.

[9] Par exemple, le document d’évaluation de la politique de l’AFD a noté : « Les connaissances scientifiques actuelles ne permettent pas encore de garantir que les choix techniques opérés [par l’industrie forestière] (…) permettront bien une gestion durable de la ressource. L’impact de l’intervention humaine dans un milieu naturel complexe est loin d’être maîtrisé et les résultats de la recherche mettront encore plusieurs années avant de pouvoir fournir toutes les données d’analyse nécessaires. ». Secteur forestier dans le bassin du Congo : 20 ans d’intervention de l’AFD, Samyn J.M. & al., Agence française de développement, 2011.

[10] Rapport Cyclope 2014. Voire aussi entretien avec une entreprise forestière dans La semaine africaine, 28 mars 2011.