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Processus électoral sans démocratie en Guinée équatoriale

D 22 avril 2016     H 14:00     A Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politique en Afrique     C 0 messages


Lettre ouverte à l’attention de :
 Mme Federica Mogherini, Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité‎, vice-présidente,
 John Kerry, secrétaire d’État des États-Unis d’Amérique
 Jean-Marc Ayrault, ministre des Affaires étrangères du gouvernement français
 José Manuel Garcia Margallo y Marfil, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération du gouvernement espagnol,

Objet : Demande de réaction au processus électoral sans démocratie en Guinée équatoriale

 Madame la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité‎,
 Monsieur le secrétaire d’État des États-Unis d’Amérique,
 Monsieur le ministre des Affaires étrangères du gouvernement français,
 Monsieur le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération du gouvernement espagnol,

Depuis 2009, le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique, à Paris, soutient la démocratie en Afrique. L’année 2016, avec 15 présidentielles et 13 législatives en Afrique[1] déterminera la suite du processus de démocratisation du continent africain, démarré en 1990 et globalement bloqué depuis 2005[2].

En 2016, huit élections de présidents sur 16[3] s’organisent en dehors des règles du jeu démocratique. En amont du scrutin, ces présidents et leurs partis, au pouvoir depuis des durées anormalement longues, parfois de manière familiale, et, pour beaucoup, après la suppression imposée des limitations du nombre de mandats présidentiels, ont rendu impossible toute alternance. Ils empêchent par la violence de la répression les populations, la société civile et les partis démocratiques, de s’y opposer.

Une présidentielle est organisée dans l’urgence en Guinée équatoriale le 24 avril 2016, alors que les regards sont encore tournés vers la République du Congo, Djibouti et le Tchad. Teodoro Obiang Nguema s’apprête à se faire réélire pour un quatrième mandat de 7 ans.

Le chef d’Etat équato-guinéen fait partie avec Denis Sassou Nguesso et José Eduardo dos Santos des plus anciens chefs d’Etat en exercice en Afrique, arrivés tous les trois au pouvoir en 1979, il y a 37 ans. Pendant le règne de son oncle Francisco Macías Nguema au pouvoir entre 1968 et 1979, d’abord après la tentative de coup d’État d’Atanasio Ndong Miyone en 1969 qui marqua le début de la dérive ultra-violente du régime, chef de la garde présidentielle et directeur des prisons, puis après 1975, à la tête des forces armées, il fût chargé de la répression. A ce titre, il reste co-responsable impunis des crimes et massacres commis. Renversant son oncle dans un coup d’Etat, il a prolongé la dictature au profit d’un même clan.

De grandes réserves de pétrole ont été découvertes au milieu des années 1990. Teodoro Obiang Nguema a pu se faire valoir au niveau international et a tenté de faire oublier son passé criminel. Il trouve depuis ses principaux partenaires économiques occidentaux en Espagne, en France et aux Etats-Unis d’Amérique, dont pour le pétrole, principalement, Exxon Mobil depuis 1995[4]. Il a aussi su jouer de la rivalité entre les BRICS[5] pour diversifier les partenaires économiques. Il a développé des relations commerciales avec la Corée du Nord.

Le pays est devenu riche au niveau des indicateurs économiques sans que la population n’en profite au niveau santé publique, éducation, infrastructures. Le climat des affaires est resté marqué par un haut niveau de corruption, l’accaparement des richesses par une caste de dirigeants, l’absence de liberté. Quelques infrastructures gigantesques ont alimenté les circuits de corruption. L’économie ne s’est pas diversifiée et se retrouve aujourd’hui exsangue en raison du bas prix du pétrole.

Teodoro Obiang Nguema a contourné les rares exigences démocratiques liées au commerce international par un théâtre électoral et des relations internationales opportunistes. La Guinée équatoriale a rejoint la zone Franc et la Francophonie. Le pays est l’un des rares pays qui s’est vu refuser l’aide européenne « faute d’acceptation sans réserve de l’article 11 sur la Cour pénale internationale par le pays »[6], mais il reçoit l’aide publique au développement de l’Espagne et de la France[7], et une aide militaire française, en particulier depuis l’inauguration en 2011, de l’Ecole navale à vocation régionale (ENVR) de Bata[8].

Un multipartisme a été formellement introduit en Guinée Equatoriale suite au referendum constitutionnel du 16 novembre 1991. Depuis le processus de démocratisation n’a pas avancé. Les conditions n’ont jamais été réunies pour des élections transparentes et crédibles. Depuis 1993, le président a à son actif 5 législatives et 3 présidentielles organisées en dehors des règles de la démocratie.

Les scores de Teodoro Obiang Nguema aux présidentielles, 1996 : 97.85%, 2002 : 97.06%, 2009 : 95,76%, rappellent les scores de Zine El Abidine Ben Ali et illustrent sa conception du multipartisme. Le chef d’Etat a façonné le paysage politique pour permettre de parler de multipartisme, mais il contrôle une opposition soumise à ses exigences. Il empêche par la loi la création de certains nouveaux partis, tout en créant lui-même des clones de parti d’opposition. Il influence l’organisation des opposants par la répression, privilégiant certains acteurs à certaines périodes. Il manipule au travers de divisions ethniques.

Ces dernières années, comme dans le reste de l’Afrique, le système s’est sophistiqué. La répression omniprésente s’est faite plus sournoise. Liberté et répression actuelles reflètent l’effet de 50 ans de répression et d’absence de libertés. Il n’y a pas beaucoup d’atteintes à la liberté de la presse puisqu’il n’y a pas de presse autre que celle officielle et contrôlée. Il n’y a pas non plus de forte répression de l’opposition visible comme dans d’autres pays parce que toute velléité d’échapper au contrôle est empêchée dès le départ. La société civile a été étouffée, interdite de représentation, d’expression. La population est dans l’impossibilité d’émettre des revendications. A l’approche de la présidentielle, des forces militaires du Zimbabwé utilisées comme force de l’ordre ont été observées[9].

En 2011, il a réformé la constitution en introduisant une limitation à 2 mandats de 7 ans – à la fin de son quatrième mandat en 2023, il aura 81 ans – et un poste de second vice-président pour son fils Téodorin – Teodoro Nguema Obiang Mangue – connus pour ses Biens mal acquis, convainquant tous les observateurs de sa volonté de préparer un passage de pouvoir familial.

Pour la présidentielle de 2016, le pouvoir a de nouveau construit une opposition faire-valoir pour afficher un processus faussement démocratique. Dans les faits, le Parti démocratique de Guinée équatoriale (PDGE) se comporte comme à l’époque du parti unique. Le processus électoral réduit au minimum est destiné à aboutir à une victoire identique aux précédentes. La véritable opposition, dont le parti Coalition restauratrice de l’Etat Démocratie (CORED)[10], fait front commun et appelle au boycott, ne voulant donner aucun crédit à un résultat issu d’un processus électoral sans aucune valeur[11].

Les populations d’Afrique centrale de mieux en mieux informées supporteront de moins en moins des présidents qui sur le modèle tunisien ne laisse aucune soupape pour limiter la pression du mécontentement populaire. Denis Sassou Nguesso vient d’utiliser les méthodes les plus violentes pour réaliser un coup d’Etat constitutionnel et électoral. Joseph Kabila persiste dans son refus de déclarer forfait en raison de la limitation à deux mandats présidentiels. La stagnation de la Guinée Equatoriale au stade du démarrage du multipartisme est un facteur supplémentaire d’instabilité régionale qui devrait aboutir à une crise supplémentaire dès que se concrétisera la transmission de pouvoir monarchique de Téodoro vers Téodorin Obiang Nguéma.

C’est pourquoi le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique recommande au Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE) de l’Union européenne, aux autorités françaises, espagnoles et américaines de :
ne pas reconnaitre le résultat du scrutin du 24 avril 2016,

condamner l’absence de démocratisation en Guinée Equatoriale depuis l’introduction du multipartisme,

partout en Afrique, promouvoir la nécessité de conditions préalables indispensables à un processus électoral :
 absence de répression de l’opposition,
 état de droit préalable minimum : liberté de la presse, liberté de manifester, liberté de s’organiser pour la société civile et les partis politiques,
dialogue inclusif avec l’opposition,
 consensus sur la composition d’une Commission électorale indépendante neutre,
 consensus sur la méthode d’élaboration du fichier électoral,
 consensus sur la méthode de compilation des résultats à partir des Procès verbaux des bureaux de vote,
 possibilité de contestation légale auprès d’une Cours indépendante incontestable,

amorcer un dialogue avec l’Union africaine (UA) sur le rôle et la qualité des missions d’observations électorale dans les pays non-démocratiques, sur l’application de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de l’Union africaine, et sur la qualité technique des processus électoraux, en fonction des principes de subsidiarité et la complémentarité, entre Union africaine (Ua), l’Union européenne (Ue), les Nations-Unies et les Communautés économiques régionales (CER) africaines, en considérant par une méthode inclusive les demandes des partis d’opposition pour accélérer la démocratisation du continent,

mettre au calendrier des négociations internationales sur le respect de la qualité des processus électoraux en Afrique, en particulier sur l’indépendance et le caractère inclusif et technique des Commissions électorales, la qualité des fichiers électoraux, la qualité de la compilation des résultats issus des Procès verbaux, la possibilité de contestation légale auprès de Cours indépendantes incontestables, et la mise en œuvre d’accompagnements internationaux mixte politique et technique.

Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique,
Paris, 20 avril 2016

Mouvement pour la Restauration Démocratique en Guinée Equatoriale (MRD), Alliance Nationale pour le Changement Ile-de-France (ANC-IDF, Togo), Union pour le Salut National (USN, Djibouti), Mouvement pour le Renouveau Démocratique (MRD, Djibouti), Union des Populations du Cameroun (UPC), Collectif des Organisations Démocratiques et Patriotiques de la Diaspora Camerounaise (CODE, Bruxelles et Paris), Forces vives tchadiennes en exil, Fédération des Congolais de la Diaspora (FCD, Congo Brazzaville), Afriques en lutte, Parti de Gauche, Europe Ecologie les Verts (EELV).

 [1] Avec 2 présidents élus par un parlement, Synthèse agenda des élections en Afrique 54 pays 2015-2016 : https://regardexcentrique.files.wordpress.com/2012/08/151203syntheseagendalectionsafrique2015-2016limitationnombremandats.pdf
 [2] 30.3.16, Régis Marzin, https://regardexcentrique.wordpress.com/2016/03/30/apres-26-ans-de-democratisation-dictature-et-democratie-bientot-a-lequilibre-en-afrique/
 [3] 15 présidentielles et une élection par un parlement,
 [4] http://www.worldoil.com/news/2015/11/02/equatorial-guinea-promotes-new-offshore-exploration-in-2016, http://www.equatorialoil.com/introduction.html, la société française Total est présente dans la « commercialisation de produits pétroliers et services associés (30 stations services), http://www.total.com/fr/en-guinee-equatoriale
 [5] Brésil, Russie, Inde et Chine
 [6] http://eeas.europa.eu/equatorial_guinea/index_fr.htm
 [7] http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/guinee-equatoriale/
 [8] http://www.france-guineeequatoriale.org/presence-francaise/la-cooperation-militaire/
 [9] 20.3.16, boycott CPDS : http://www.france-guineeequatoriale.org/elections-presidentielles-le-principal-parti-dopposition-choisit-le-boycott/
La coopération militaire entre les 2 pays date de 2004 : http://www.news24.com/Africa/Zimbabwe/equatorial-guinea-troops-to-receive-training-from-zim-army-report-20151109
 [10] http://www.coredge.org/
 [11] Les observations dont celle de l’Union africaine avec Yayi Boni et celle d’acteurs américains signalés par la communication officielle seront a priori inefficaces, inutiles, récupérées par le système dictatorial : http://www.guineaecuatorialpress.com/noticia.php?id=7578&lang=fr