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De l’aide d’urgence au relèvement précoce dans le nord de l’Ouganda

D 19 janvier 2013     H 05:55     A IRIN     C 0 messages


GULU - De nombreuses 4x4 appartenant à des organisations non gouvernementales (ONG) sillonnent le nord de l’Ouganda. C’était déjà le cas pendant les deux décennies de guerre qui ont embrasé la région, mais au lieu d’acheminer l’aide d’urgence, les véhicules servent désormais aux activités économiques de centaines de milliers d’anciens déplacés.

« Aujourd’hui, je conduis ces employés de terrain spécialisés dans le secteur agricole au village de Paicho pour qu’ils jettent un oeil sur les récoltes de nos producteurs de céréales », a dit à IRIN Patrick, chauffeur pour l’Agence d’aide à la coopération technique et au développement (ACTED).

Quelque 7 000 petits exploitants de la région d’Acholi, dans le nord de l’Ouganda, participent au programme d’Achats au service du progrès (P4P, pour Purchase for Progress), une initiative du Programme alimentaire mondial (PAM) visant à aider les producteurs de céréales. Ce projet coïncide avec le Plan national de paix, de redressement et de développement, financé par des bailleurs de fonds, qui en est actuellement à sa deuxième phase.

Selon le PAM, les agriculteurs participant au P4P ont gagné plus de 280 000 dollars depuis que le programme a débuté, en 2010.

Lutter contre la pauvreté

Les programmes comme le P4P sont les bienvenus dans cette région désormais paisible, mais toujours extrêmement pauvre. Selon le rapport du ministère des Finances sur le niveau de pauvreté du pays en 2012, 40 pour cent des habitants d’Acholi sont en situation de « pauvreté absolue ». Ils ne sont que quatre pour cent dans la capitale, Kampala.

« La paix est rétablie et les rebelles de la LRA [Lord’s Resistance Army ou Armée de résistance du Seigneur] sont encore en fuite en dehors du nord de l’Ouganda. Mais la prospérité échappe toujours aux populations d’ici, qui ont été touchées par la guerre », a dit à IRIN Martin Ojara Mapenduzi, président du district de Gulu. « Dans les communautés réinstallées, seulement quelques-uns ont une meilleure situation et parviennent à répondre aux besoins de leur famille en matière d’éducation, de santé et de nutrition. »

Grâce à des programmes de déminage menés par des organisations comme le Groupe danois de déminage, des terres arables auparavant inaccessibles sont libérées pour les activités agricoles, qui sont la principale source de revenus pour 80 pour cent de la population.

« Ce déminage a changé ma vie, car j’ai maintenant accès à mes terres. J’ai planté deux acres [0,8 hectare] de maïs et de haricots cette saison et j’ai récolté cinq sacs de maïs et deux sacs de haricots », s’est réjoui Peter Ogero, un habitant du village d’Agoro, dans le district de Nwoya. « Je pense que cette récolte va me permettre de nourrir ma famille jusqu’à la prochaine. »

Il estime cependant qu’il serait dans une situation financière encore meilleure s’il bénéficiait d’une aide supplémentaire sous forme de semences à haut rendement et d’outils agricoles.

Difficultés

Pourtant, les programmes de relèvement précoce ont connu des difficultés. Les principaux bailleurs de fonds, dont le Royaume-Uni et l’Irlande, ont suspendu leur aide directe au gouvernement ougandais à la suite d’un énorme scandale de corruption au sein du Bureau du premier ministre, responsable du Plan national de paix, de redressement et de développement. Selon les experts, cela ne sera pas sans conséquence pour certains programmes de la région.

D’après Stephen Oola, directeur de recherche et responsable de campagne du Refugee Law Project, une grande partie des projets de relèvement précoce ont pour cible des régions qui n’ont pas été touchées par la guerre qui a opposé le gouvernement et la LRA pendant vingt ans.

« La plupart des programmes de relèvement précoce mis en ouvre dans le nord de l’Ouganda sont les meilleurs instruments de changements qui existent, mais ils laissent à désirer, car leur application est biaisée et ils ont été étendus pour couvrir des régions en dehors du nord de l’Ouganda, au-delà des zones touchées par le conflit comme les districts de Mbale et de Masindi », a-t-il dit.

Selon M. Oola, plusieurs problèmes font obstacle au relèvement dans les communautés rétablies - surtout dans celles qui ont été déplacées dans des camps pendant de longues périodes. Il a notamment cité les conflits fonciers, la mauvaise qualité des routes, les services sanitaires et scolaires insuffisants et l’incapacité à assurer aux populations rurales un soutien agricole et des moyens de subsistance. « L’administration du programme de relèvement nécessite un contrôle suffisant et une évaluation adéquate afin de permettre aux gens de prendre les bonnes décisions pour résoudre les problèmes et les obstacles au processus », a-t-il dit.

« Les dégâts se lisent encore très clairement sur les visages des habitants, car le véritable problème qui affecte leur bien-être n’a pas été résolu », a ajouté M. Oola.

Bien que la vie se soit améliorée pour M. Ogero et sa famille, ils ont toujours un accès limité aux services essentiels. « Je dois faire un kilomètre à pied pour aller chercher de l’eau. Les écoles et le centre de santé sont loin pour mes enfants », a-t-il dit.

Besoin d’une meilleure gestion

Selon une analyse menée en octobre 2012 par le Refugee Law Project sur la politique gouvernementale concernant les déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP), la plupart des habitants considéraient que le Plan national de paix, de redressement et de développement et d’autres programmes - dont le Fonds d’action sociale pour la région nord de l’Ouganda, financé par la Banque mondiale, et les services nationaux de conseil agricole - étaient gangrenés par la corruption et le favoritisme. Nombreux étaient ceux qui pensaient que « chaque programme favorisait les riches et les proches des administrateurs qui disposaient du pouvoir de choisir les bénéficiaires ».

Un article publié en août 2012 par le groupe de réflexion Institut de développement d’outre-mer (Overseas Development Institute, ODI) a remarqué que les programmes de relèvement précoce et de soutien des moyens de subsistance dans le nord ne comportaient pas d’« évaluation rigoureuse des impacts ». Ce document a notamment souligné le manque de recherches et « le peu de documentation concernant les initiatives menées par les habitants eux-mêmes pour se remettre du conflit ». Il a également noté que certains habitants parmi les plus vulnérables étaient exclus des nombreux programmes de relèvement et de développement mis sur pied dans la région.

« Les programmes ne ciblent plus les populations vulnérables, mais les groupes "viables" - ceux qui ont des ressources et peuvent mettre à profit ces opportunités pour produire un surplus pour le marché », ont expliqué les auteurs. « Cette approche laisse à l’écart de nombreuses personnes qui, pour une raison ou pour une autre, ne peuvent pas tirer parti de ces opportunités ».

Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le PAM et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont récemment mené à terme un Programme de relèvement précoce pour le nord de l’Ouganda. Dans la région de Lango, une évaluation à mi-parcours a conclu que les programmes de relèvement précoce avaient un effet positif durable et enseignaient notamment aux communautés comment mieux gérer leurs ressources. L’étude a cependant révélé la nécessité d’une plus grande coordination, de meilleurs systèmes de contrôle et de stratégies plus adaptées pour permettre aux autorités locales de reprendre le flambeau.

Selon des organisations d’aide humanitaire apportant un soutien psychosocial aux populations, les programmes de relèvement doivent être accompagnés d’initiatives offrant des conseils post-traumatiques et une protection sociale aux communautés. « Dans cette communauté, nous remarquons une absence des structures de protection sociales nécessaires », a dit Birke Lingenfelder, un psychologue clinicien participant à un programme de traitement des traumatismes dans la région. « Vous savez qu’une société qui souffre toujours de traumatisme ne fonctionne jamais, car le comportement de la population dépend du relèvement et du développement. »

Selon l’article de l’ODI, « il est clair que le dénuement provoqué par une exposition répétée à de graves abus, une perte de biens, un accaparement ou une privation des terres ou même la perte de main-d’ouvre familiale en raison de la guerre contribue en grande part à l’incapacité de s’adapter et de se remettre pleinement. »

Selon de hauts fonctionnaires, malgré les difficultés, le paysage économique du Nord a connu d’importants changements et les efforts visant à sortir la région de la pauvreté vont se poursuivre. « Le changement exige du temps et des ressources. Le gouvernement s’est engagé et fait tout ce qu’il faut pour les habitants du nord de l’Ouganda », a dit à IRIN Rebecca Otengo, la ministre chargée de cette région.

Source : http://www.irinnews.org/