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La France et le génocide des Tutsi au Rwanda

La complicité française résumée

D 26 mars 2011     H 14:29     A Survie     C 0 messages


La bienveillance dont ont bénéficié jusqu’à maintenant les présumés génocidaires rwandais présents sur notre sol et la lenteur des procédures engagées contre des militaires français ne sont peut-être pas sans lien avec la politique menée par notre pays vis-à-vis du Rwanda de 1990 à 1994. Politique secrète, mise en œuvre par un petit cercle de hauts responsables politiques et militaires, sous la houlette de François Mitterrand. Politique criminelle puisqu’elle conduisit à soutenir ceux qui préparaient, puis commettaient le génocide des Tutsi, avant de leur permettre d’échapper à leur châtiment.

Les autorités françaises savaient

Les autorités françaises étaient informées de la possibilité d’un génocide des Tutsi rwandais dès l’automne 1990, comme le prouvent notamment un télégramme diplomatique de l’attaché de défense et le témoignage de l’ambassadeur de France à Kigali devant la Mission d’Information Parlementaire de 1998. Les officiers français intégrés à la hiérarchie militaire rwandaise entre 1990 et avril 1994, jusqu’au plus haut niveau (conseiller du chef d’Etat-major des Forces armées rwandaises) savaient que le régime Habyarimana mettait en place un système d’auto-défense civile visant à enrôler la population dans la lutte contre « l’ennemi », c’est-à-dire, aux yeux du régime, le Front Patriotique Rwandais (FPR) et les Rwandais tutsi. Pourtant, sachant cela, les autorités françaises ont continué à soutenir le régime rwandais après les premiers massacres de Tutsi commandités par le pouvoir dans plusieurs régions du pays entre 1990 et 1993 : livraisons d’armes, formation des soldats des Forces armées rwandaises (FAR) et des miliciens Interahamwe, appui direct au combat. Sans ce soutien décisif, il est très probable que le régime Habyarimana aurait été militairement vaincu par le FPR, et que, par conséquent, le génocide des Tutsi n’aurait pas eu lieu. Lorsque le génocide est déclenché, en avril 1994, les autorités françaises ont eu immédiatement conscience de la nature des événements. En témoigne l’ordre d’opération d’Amaryllis (opération d’évacuation des Français et des Européens), daté du 8 avril 1994, qui indique que se déroule à Kigali depuis la veille « l’élimination des opposants et des Tutsi ». Le gouvernement français n’a cependant nullement enjoint à nos soldats de secourir les victimes. Au contraire, il a donné l’ordre de ne pas montrer aux médias « des soldats français n’intervenant pas pour faire cesser des massacres dont ils étaient les témoins proches ».

Soutien français aux génocidaires

Le 21 avril 1994, la France, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, a, comme les autres grandes puissances, voté la réduction drastique du contingent de Casques bleus, abandonnant les Rwandais tutsi à leur sort tragique. Le 27 avril 1994, les plus hautes autorités françaises ont reçu à Paris deux des pires extrémistes hutu, responsables du génocide en cours. Jérôme Bicamumpaka, ministre des Affaires étrangères du Gouvernement intérimaire rwandais (GIR), et Jean-Bosco Barayagwiza, sont accueillis à l’Elysée par Bruno Delaye, conseiller Afrique de François Mitterrand, et à Matignon par Edouard Balladur, Premier ministre, et Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères. La France reconnaissait ainsi de fait le Gouvernement intérimaire rwandais, couverture politique du génocide. Elle fut le seul pays occidental à le faire. Du 9 au 13 mai 1994, le lieutenant-colonel Rwabalinda, conseiller du chef d’Etat-major des Forces armées rwandaises qui encadraient le génocide, a rencontré à Paris le général Jean-Pierre Huchon, chef de la Mission militaire de coopération. Pendant toute la durée du génocide, ce même général Huchon a reçu régulièrement le colonel Kayumba, directeur du service financier du ministère rwandais de la Défense. Celui-ci a organisé six livraisons d’armes aux tueurs entre le 18 avril et le 19 juillet 1994.

Le 22 mai 1994, devant l’avancée des troupes du FPR, le Président rwandais par intérim, Théodore Sindikubwabo, adresse une lettre à François Mitterrand : « Le Peuple Rwandais Vous exprime ses sentiments de gratitude pour le soutien moral, diplomatique et matériel que vous lui avez assuré depuis 1990 jusqu’à ce jour. En son nom, je fais encore une fois appel à Votre généreuse compréhension et à celle du Peuple Français en, vous priant de nous fournir encore une fois Votre appui tant matériel que diplomatique. » A cette date, au moins un demi-million de Tutsi ont déjà été massacrés au Rwanda…

Les ambiguïtés de l’opération française Turquoise

Comment le chef d’un Etat en train de commettre le crime des crimes a-t-il pu se sentir autorisé à solliciter l’aide de la France ? Est-ce en réponse à cette demande que le Président Mitterrand trouve urgent, à la mi-juin 1994, d’intervenir afin de mettre fin aux massacres, alors qu’il n’avait pas jugé bon de le faire en avril ? La Zone Humanitaire Sûre créée par l’opération Turquoise à l’ouest du Rwanda est immédiatement utilisée comme refuge par les auteurs du génocide, en passe d’être défaits militairement par le FPR. Face à cette situation, l’ambassadeur Yannick Gérard envoie un télégramme à Paris le 15 juillet 1994 en indiquant : « […] dans la mesure où nous savons que les autorités portent une lourde responsabilité dans le génocide, nous n’avons pas d’autre choix, quelles que soient les difficultés, que de les arrêter ou de les mettre immédiatement en résidence surveillée en attendant que les instances judiciaires internationales compétentes se prononcent sur leur cas. » Les responsables et les auteurs du génocide (soldats des FAR, miliciens…) présents dans la Zone Humanitaire Sûre mise en place par Turquoise n’y sont pas arrêtés. Au contraire, ils sont laissés libres d’aller se réfugier au Zaïre, impunément, avec armes et bagages. Le numéro d’octobre 1994 de la revue de la Légion étrangère, Képi blanc, écrit même que « l’état-major tactique [de Turquoise] provoque et organise l’évacuation du gouvernement rwandais vers le Zaïre » . Le colonel Théoneste Bagosora, principal artisan du génocide, avait déjà été évacué par nos soldats début juillet.

Ce n’est pas tout. Non contentes d’avoir permis aux génocidaires d’échapper à leur châtiment, les autorités françaises maintiennent leur alliance avec eux après le génocide en leur fournissant de la nourriture, des armes, un entraînement militaire… A l’été 1995, le gouvernement français refuse même de satisfaire la demande du gouvernement belge d’arrêter et d’extrader le colonel Bagosora qui faisait, comme d’autres génocidaires de premier plan, des séjours dans notre pays. Théoneste Bagosora a été condamné pour crime de génocide par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) en décembre 2008.

Complicité française

Au regard de ces faits, il apparaît bel et bien que les autorités françaises ont rendu notre pays coupable de complicité de génocide. En effet, selon la jurisprudence du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) : « […] [U]n accusé est complice de génocide s’il a sciemment et volontairement aidé ou assisté ou provoqué une ou d’autres personnes à commettre le génocide, sachant que cette ou ces personnes commettaient le génocide, même si l’accusé n’avait pas lui-même l’intention spécifique de détruire en tout ou en partie le groupe national, ethnique, racial ou religieux, visé comme tel. » Les autorités françaises n’ont pas voulu le génocide des Tutsi du Rwanda. Au nom de calculs géopolitiques relevant du prétendu « domaine réservé » du chef de l’Etat, elles ont consenti sans états d’âme à la préparation puis à l’exécution du massacre de près d’un million d’êtres humains. Une fois le crime accompli, elles n’ont pas rompu leur alliance avec les assassins. François Mitterrand a pu dire à des proches, à l’été 1994 : « Vous savez, dans ces pays-là un génocide, c’est pas trop important ».

Il a fallu attendre 1995 pour que le premier magistrat de notre pays reconnaisse la participation du régime de Vichy au génocide des juifs d’Europe. Mais la République française n’a toujours pas admis avoir recouru systématiquement à la torture en Algérie, un demi-siècle après les faits… Alors, combien de temps faudra-t-il encore pour que la complicité de la France dans un deuxième génocide – celui des Rwandais tutsi – soit officiellement reconnue ?

Pour aller plus loin : La complicité de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda, Survie, L’Harmattan, 2009.

(1) : Affaire Bagilishema, Chambre de Première instance du TPIR , 7 juin 2001, paragraphe 71.