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Rwanda : il faut maintenant briser le silence !

D 8 avril 2016     H 12:56     A     C 0 messages


Malgré quelques avancées, dont l’ouverture prochaine d’un deuxième procès – en vingt-deux ans ! – contre deux génocidaires vivant en France, l’inauguration de lieux de mémoire (un à Paris), c’est le silence qui continue de prédominer au plus haut niveau de l’Etat sur les responsabilités de certains Français dans le génocide contre les Tutsi au Rwanda, qui a fait plus de 800 000 victimes entre avril et juillet 1994.

Le 7 avril 2015, la présidence de la République annonça la déclassification des archives relatives à l’engagement de la France au Rwanda entre 1990 et 1995 de l’Elysée, du ministère des affaires étrangères, du ministère de la défense et de l’Assemblée nationale. Un an après, aucune archive du ministère des affaires étrangères, ni du ministère de la défense ni de l’Assemblée nationale n’a été déclassifiée.

Seuls quelques documents, épars, minutieusement sélectionnés et ne contenant aucune information sur les responsabilités relatives au génocide, ont été déclassifiés par l’Elysée.

Appareil d’Etat instrumentalisé

Il y a quelques semaines, quarante-trois parlementaires français, de tous bords politiques, de l’Assemblée nationale comme du Sénat, parmi lesquels les chefs d’importants partis, d’anciens ministres, la présidente de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale et la vice-présidente de la commission des affaires étrangères du Sénat, soutenus par quarante-trois parlementaires européens venus de dix-sept pays, se sont adressés au ministre des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, pour solliciter un rendez-vous et lui demander la constitution d’une délégation ministérielle afin de participer, le 7 avril à Kigali, aux commémorations du génocide contre les Tutsi.

M. Ayrault a refusé de rencontrer ces parlementaires. L’exécutif a rejeté leur proposition, refusant même de prendre langue avec les autorités rwandaises à ce propos. Depuis que le Mouvement antiraciste européen (EGAM) a lancé l’initiative « Génocide contre les Tutsi : la vérité, maintenant ! » dans laquelle s’est engagée la jeunesse associative, politique et syndicale de France, d’Europe et du Rwanda, le ministère des affaires étrangères a purement et simplement supprimé la subvention qu’il lui attribuait annuellement pour ses actions en France et ailleurs en Europe – le secrétariat d’Etat aux affaires européennes poursuivant quant à lui son soutien.

Ainsi, comment ne pas comprendre que l’appareil d’Etat est instrumentalisé afin d’intimer le silence sur le génocide contre les Tutsi au Rwanda et qu’un coup est porté à l’ensemble de la lutte contre le racisme, l’antisémitisme, les discriminations raciales et le négationnisme sur tout le continent, au moment même où cette lutte est plus nécessaire que jamais ? Pourquoi tant de violence ? Pourquoi tant de silence ? Cela suffit.

A agir comme ils le font, les plus hauts dirigeants français d’aujourd’hui endossent de funestes responsabilités qui ne sont pourtant pas les leurs, mais celles de certains de leurs prédécesseurs des années 1990. Ils perpétuent ce silence qui démultiplie la souffrance des rescapés, qui porte atteinte au fonctionnement démocratique des institutions, qui fait transmission des idéologies qui ont conduit au massacre et empêche la justice de faire son travail. C’est pourquoi il faut briser ce silence.

Concrètement, cela signifie :

Pour le président de la République, par exemple à l’occasion de la journée de commémoration du génocide du 7 avril, énoncer un discours de vérité qui dise les lourdes responsabilités de certains, alors placés au plus haut niveau de l’appareil d’Etat dans leur collaboration avec le régime génocidaire avant, pendant et après le génocide contre les Tutsi au Rwanda en 1994.

Ce discours de vérité doit être accompagné d’actes symboliques forts, comme la constitution de la délégation ministérielle pour les commémorations au Rwanda demandée par les parlementaires.

La déclassification de toutes les archives, sans exception, relatives à l’engagement de la France au Rwanda entre 1990 et 1995, notamment toutes celles concernant l’opération « Turquoise », clé du soutien apporté au régime génocidaire.

Cela permettra à la justice de pouvoir faire son travail, en particulier de se pencher enfin sur les cas d’anciens hauts responsables, dont certains continuent d’être influents dans la vie politique française. Cela permettra également aux journalistes et aux historiens d’approfondir la connaissance de l’événement.

Pour le ministère des affaires étrangères, cesser d’entraver, par les moyens cités plus haut, l’action de la société civile engagée pour l’énonciation de la vérité sur le génocide contre les Tutsi au Rwanda en 1994. Cela contribuera à mettre un terme à l’instrumentalisation de l’appareil d’Etat au bénéfice de l’impunité de quelques-uns.

Ce sont là des actes simples, évidents dans une démocratie, mais qui, compte tenu du silence qui prédomine depuis plus de vingt ans au plus haut niveau de l’Etat, sont d’une impérieuse nécessité. Ce serait cela, l’honneur de la France.

Signataires :

Benjamin Abtan, président du Mouvement antiraciste européen (EGAM) ; Bernard Kouchner, ancien ministre des affaires étrangères, fondateur de Médecins sans frontières et de Médecins du monde (France) ; Bernard-Henri Lévy, écrivain et philosophe (France) ; Dominique Sopo, président de SOS Racisme (France) ; Marcel Kabanda, président d’Ibuka-France ; Richard Prasquier, vice-président de la Fondation pour la mémoire de la Shoah (France) ; Marie Darrieussecq, écrivaine (France) ; Guillaume Ancel, ancien lieutenant-colonel, engagé dans l’opération « Turquoise » (France) ; Kim Campbell, ancienne première ministre du Canada, présidente du World Movement for Democracy (Canada) ; Noël Mamère, député écologiste de Gironde, maire de Bègles (France), C215, Street Artiste (France), Ara Toranian, coprésident du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France (CCAF), rédacteur en chef des Nouvelles d’Arménie (France), Danielle Auroi, députée écologiste du Puy-de-Dôme, présidente de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale (France) ; Nadia Gortzounian, présidente de l’Union générale des arméniens de bienfaisance-Europe (Europe) ; Advija Ibrahimovic, porte-parole des Femmes de Srebrenica ; Jean-Christophe Lagarde, président de l’UDI, député de Seine-Saint-Denis, maire de Drancy (France) ; Cécile Duflot, députée écologiste de la 6e circonscription de Paris, ancienne ministre du logement et de l’égalité des territoires, coprésidente du groupe EELV à l’Assemblée nationale (France) ; Pierre Laurent, sénateur communiste de Paris, secrétaire national du Parti communiste français (France) ; Damien Abad, député Les Républicains de l’Ain (France) ; Barbara Romagnan, députée PS de la 1e circonscription du Doubs (France) ; Patrick de Saint-Exupéry, journaliste et écrivain (France) ; Aurélien Sebton, président des Jeunes UDI (France) ; Cécile Germain et Victor Vauquois, secrétaires fédéraux des Jeunes écologistes (France) ; Géraldine Guilpain, présidente des Jeunes radicaux de gauche (France) ; Nordine Idir, secrétaire général du Mouvement des jeunes communistes (France) ; Laura Slimani, présidente des Jeunes socialistes européens (Europe) ; Sacha Reingewirtz, président de l’Union des étudiants juifs de France (France) ; William Martinet, président de l’Union nationale des étudiants de France (France) ; Zoïa Guschlbauer, présidente de la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (France) ; Samya Mokhtar, présidente de l’Union nationale lycéenne (France) ; Jean de Dieu Mirindi, président de l’Association des élèves et étudiants rescapés du génocide (AERG) (Rwanda) ; Charles Habonima, président du Groupe des anciens élèves et étudiants rescapés du génocide (GAERG) (Rwanda) ; Yannick Piquet, président des Jeunes socialistes bruxellois (Belgique) ; Aurélie Filippetti, ancienne ministre de la culture et de la communication, députée PS de la première circonscription de la Moselle, (France) ; Nathalie Goulet, sénatrice UDI de l’Orne, vice-présidente de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (France) ;
Louis Michel, ancien ministre des affaires étrangères, député européen, groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (Belgique) ; Miguel Angel Moratinos, ancien ministre des affaires étrangères d’Espagne (Espagne) ; François Morel, humoriste (France) ; Fanélie Carrey-Conte, députée PS de la onzième circonscription de Paris (France) ; Zineb El Rhazoui, journaliste (France) ; Adam Michnik, ancien dirigeant de Solidarnosc, fondateur et rédacteur en chef de Gazeta Wyborcza (Pologne) ; Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers (France) ; pasteur Gratien Mitsindo, Juste du Rwanda ; Hervé Féron, député PS de Meurthe-et-Moselle, maire de Tomblaine (France) ; Meyer Habib, député UDI de la 8e circonscription des Français établis hors de France (France) ; Peter Meiwald, député au Budestag (Allemagne) ; Frank Engel, député européen, groupe du Parti populaire européen (Luxembourg) ; Boris Zala, député européen, groupe des Socialistes et démocrates (Slovaquie) ; Julie Ward, députée européenne, groupe des Socialistes et démocrates (Grande-Bretagne) ; Hélène Bidard, adjointe à la maire de Paris, chargée de l’égalité femmes-hommes, de la lutte contre les discriminations et des droits humains (France) ; Fadéla Amara, ancienne secrétaire d’Etat chargée de la politique de la ville (France) ; Gaspard Kalisa, Juste du Rwanda (Rwanda) ; Rafaëlle Maison, professeur de droit public à l’université Paris-Sud (France) ; Alain Grabarz, dirigeant de l’Hachomer Hatzaïr (France) ;
Michel Boujenah, comédien, humoriste (France) ; Sonia Rolland, comédienne, réalisatrice (France) ; Danis Tanovic, cinéaste (Bosnie-Herzégovine) ; Yves Ternon, historien (France) ; Geneviève Gaillard, députée PS de la 1re circonscription des Deux-Sèvres (France) ; Annette Becker, professeur à Paris-Ouest Nanterre (France) ; Elie Chouraqui, cinéaste (France) ; Leo Cogos, porte-parole de Saut Jeune (France) ; Stéphane Crusnière, député fédéral PS (Belgique) ; Andrew Mitchell, député conservateur (Royaume-Uni) ; Laurette Onkelinx, cheffe de groupe PS à la Chambre, vice-présidente du PS, présidente du PS bruxellois (Belgique) ; Jovan Divjak, ancien général commandant le premier corps d’armée de l’armée de la République de Bosnie et d’Herzégovine, défenseur de Sarajevo assiégée, directeur exécutif d’Education Builds Bosnia and Herzegovina (Bosnie et Herzégovine) ;
Gaël Faye, auteur, compositeur, interprète, slameur (France) ; Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (France) ; Marie-Odile Godard, professeure à l’université de Picardie Jules-Verne, SHSSC et écrivaine (France) ; Merja Kyllönen, députée européenne Groupe confédéral de la gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique (Finlande) ; Michèle Rivasi, députée européenne, groupe des Verts/Alliance libre européenne (France) ; Bart Staes, député européen, groupe des Verts/Alliance libre européenne (Belgique) ; Scholastique Mukasonga, écrivaine (Rwanda) ; Pap Ndiaye, professeur des universités, directeur du département d’histoire Sciences Po (France) ; Joël Giraud, député radical de gauche de la 2e circonscription des Hautes-Alpes (France) ; Gasana Ndoba, consultant en droits de la personne, Kigali (Rwanda) ; Séta Papazian, présidente du collectif VAN (Vigilance arménienne contre le négationnisme) (France) ;
Mohamed Sifaoui, journaliste, réalisateur ; Christophe Premat, député PS de la 3e circonscription des Français établis hors de France (France) ; Christine Priotto, maire de Dieulefit (France) ; Ayse Gunaysu, présidente du Comité contre le racisme et la discrimination de l’Association des droits de l’homme en Turquie (Turquie) ; Sylvie Coma, journaliste (France) ; Catherine Coquio, professeur de littérature comparée à l’université de Paris-Diderot, présidente de l’Association internationale de recherche sur les crimes contre l’humanité (AIRCRIGE) (France) ; Jean-Pierre Blazy, député PS de la 9e circonscription du Val-d’Oise (France) ; Alain Yser Intwaza, rescapé du génocide des Tutsi et ancien vice-président du GAERG (Rwanda) ; Mohamed Abdi, cofondateur et ex-secrétaire général de Ni putes ni soumises (France) ; Catherine de Wenden, directrice de recherche au CNRS (CERI-Sciences Po), spécialiste des migrations internationales (France) ; François Graner, directeur de recherche CNRS à l’université Paris-Diderot (France) ; Paula Sawicka, présidente du bureau de l’association contre l’antisémitisme et la xénophobie Open Republic (Pologne) ; Thierry Sebaganwa, militant de la mémoire (Rwanda) ; Philippe Nougès, député Divers gauche de la 6e circonscription du Morbihan (France) ; Alma Masic, directrice de la Youth Initiative for Human Rights-Bosnia (Bosnie-Herzégovine) ; Ina Van Looy, directrice du centre communautaire laïc juif David-Susskind (Belgique) ; Roberto Romero, conseiller régional d’Ile-de-France (France) ; Levent Sensever, porte-parole de Durde ! (Turquie) ; Michael McEachrane, président de Fight Racism Now (Suède) ; Caroline Mecary, avocate (France), Jette Moller, présidente de SOS Mod Racism (Danemark) ; Aminata Niakate, avocate (France) ; Krassimir Kanev, président du Bulgarian Helsinki Committee (Bulgarie) ;
Daniel Le Scornet, ancien président de la Fédération des mutuelles de France et ancien membre du Conseil économique et social européen (France) ; Jacky Mamou, président du collectif Urgence Darfour (France) ; Teuta Hoxha, directeur de Youth Initiative for Human Rights Kosovo (Kosovo) ; Hristo Ivanovski, président de l’Association des droits de l’homme (Macédoine) ; Marusa Babnik, porte-parole de l’Ekvilib Institute (Slovénie) ; Louis de Gonzague Munyazogeye, président de la Diaspora rwandaise de Suisse (Suisse) ; Mario Mazic, directeur exécutif de Youth Initiative for Human Rights-Croatia (Croatie) ; Anita Mitic, directrice de Youth Initiative for Human Rights-Serbia (Serbie) ; Ahmed Moawia, président du Greek Forum of Migrants (Grèce) ; Birgitta Ohlsson, ancienne ministre des affaires européennes, membres du parti Les Libéraux (Suède) ; Boris Raonic, président de l’Alliance civique (Monténégro) et Damien Roets, professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de l’université de Limoges (France), Benjamin Lucas, président des Jeunes socialistes.

Source : http://www.lemonde.fr/