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Rwanda : L’armée et la police, pour gérer l’habitat précaire. Tout un symbole.

D 17 mai 2011     H 04:32     A Mberabahizi     C 2 messages


Le ministre de l’administration locale, James Musoni, était à la radio et à la télévision d’Etat ce dimanche 8 mai 2011, dans l’un des exercices favoris du régime : vanter ses programmes technocratiques imposés par la force. Aujourd’hui, il s’agissait de faire l’état des lieux de leur campagne d’éradication des maisons en toit de paille dites « Nyakatsi » en Kinyarwanda. 124.000 maisons en tout, ou peut-être 70.000 maisons seulement, d’après le responsable du programme, le Général de Brigade Jacques MUSEMAKWELI. Car c’est bien cet officier général, président de la Cour Militaire, la plus haute juridiction militaire, qui en était le vrai maître des cérémonies.

Il y avait à côté d’eux, le secrétaire permanent au ministère de l’administration locale, qui n’a pris la parole en dernier qu’au moment de dire les bienfaits des travaux communautaires « Umuganda », travaux communautaires que le Front patriotique rwandais (FPR) vilipendait quotidiennement sur les ondes de sa radio pirate, « Radio Muhabura » avant sa prise du pouvoir en juillet 1994. Point de Christine NYATANYI donc, pourtant secrétaire d’Etat chargé du développement communautaire et des affaires sociales, alors qu’il s’agit évidemment de sa prérogative principale.

Dans la salle, le Colonel Rwigamba et le Superintendant en Chef Emmanuel Butera ont été les principaux intervenants. Est également là, le tout nouveau Maire de la Ville, Fidèle NDAYISABA, au début mal à l’aise et l’air absent et assis dans le public, à côté de Calixte HATEGEKIMANA, représentant de la « Communauté des Potiers du Rwanda », une association de défense des droits des Batwa, ou plutôt « ceux- qui- sont- arriérés- à- cause- de-l’histoire (du Rwanda) » , puisque l’usage des mots Batwa, Bahutu et Batutsi, dans ces cas-là, est interdit dans le Rwanda de Paul Kagame où l’interdiction de l’usage des mots remplace l’éradication de la discrimination ethnique elle-même.

L’éradication des maisons en toit de paille est en soi un objectif louable. Le problème est à la fois la méthode et l’organisation qui ont présidé à cette campagne. L’objectif a été décrété l’année dernière, sans aucune consultation avec les bénéficiaires et les structures politiques concernées. L’exécution a été confiée à l’armée. Le calendrier est, quant à lui, digne d’une campagne militaire.

Tout doit être fini d’ici la fin du mois de mai 2011, comme l’a assuré le Gén. Musemakweli. Et c’est là que le bât blesse. Les pouvoirs locaux (dirigeants des cellules, des secteurs et des districts) sont donc soumis à une forte pression de la part de l’armée pour qu’ils fournissent les résultats attendus, dans le temps imparti. On comprend dès lors, pourquoi certains ont recouru à des méthodes expéditives : destruction des maisons pour forcer les occupants à reconstruire d’après les normes, emprisonnement des récalcitrants, intimidations de tous ordres et représailles telles que le refus de délivrer des documents officiels à ceux qui n’obtempèrent pas, arrestation de ceux qui critiquent les travers de ce programme technocratique, etc.

On se souvient de l’arrestation en février 2011 de l’abbé Emile Nsengiyumva, prêtre à Rwamagana, simplement parce qu’il avait exprimé, au cours d’une homélie, l’angoisse de certains de ses paroissiens, chassés de leurs maisons et obligés de dormir à la belle étoile, en attendant la construction de leur nouvelle maison dans un village, par la magie des travaux ’umuganda’.

C’est que l’armée a décidé de diviser les concernés en catégories ! D’abord, catégorie « O » pour ceux qui sont vraiment nécessiteux, ensuite catégorie « A » pour ceux qui sont pauvres mais ont la force de travailler et enfin catégorie « B » pour ceux qui sont en mesure de construire leurs maisons sans l’aide de l’Etat. Inutile de dire que c’est elle qui détermine qui tombe dans quelle catégorie. Avec les conséquences décrites plus-haut et celles qu’on peut imaginer. Si quelqu’un avait des doutes, il suffirait qu’il pense aux ravages que la catégorisation a causés dans les procès « Gacaca ». On peut imaginer ce qu’il a pu arriver dans ce cas-ci dans la lutte contre les « Nyakatsi ». Surtout maintenant que le Gén. Musemakweli a déclaré que le travail était fini dans 12 districts sur 30, qu’il l’était à 70% dans 16 districts et qu’il y avait des problèmes dans 2 districts de l’ancienne préfecture de Cyangugu, Nyamasheke et Rusizi. Comme il a assuré que le nécessaire sera fait pour qu’ils aient atteint leurs objectifs dans les trois semaines à venir, il est permis de craindre le pire !

Calixte Hategekimana a ainsi relevé le cas de dix familles Batwa de Munini, dans le district de Nyamagabe, dans la Province du Sud, dont les maisons ont été détruites et qui ont été ensuite relogées dans un grenier ! Alors qu’il consultait ses notes en intervenant, malgré ses visibles précautions oratoires, il s’est fait tancer par le Col Rwigamba, qui a nié avec véhémence cet incident, ne concédant à la fin qu’à vérifier ses dires.

Comme dans toute opération de propagande, le standard de la télévision et de la radio avait prévu de donner la parole à une poignée d’individus, appelant des districts, notamment de Karago, district de Nyabihu, du district de Kirehe, etc. pour vanter la lucidité et la bonté du commandant de garnison, « son excellence » Paul Kagame, pour sa politique de « Girinka », « Nine Year Basic Education », etc. Interventions totalement hors de propos évidement, puisque le thème du jour était la lutte contre « Nyakatsi ». Les acteurs de cette comédie, présents dans la salle, n’ont d’ailleurs pas manqué de sourire, montrant à quel point ils étaient conscients du caractère factice et cynique de leur montage.

Comment est-ce possible qu’au 21ème siècle, les problèmes d’habitat précaire soient confiés à l’armée ? Une armée peut intervenir dans des catastrophes naturelles en soutien à la protection civile. Mais, de là à gérer l’habitat ! Il y a clairement quelque chose qui ne va pas dans ce pays. On connaît l’argumentaire du régime. Du genre : l’armée doit participer au développement du pays. D’accord. Mais lorsqu’elle s’occupe du logement, qui se présente devant le parlement pour répondre de ses exactions dans ces cas-là ? Le ministre de la défense ? Il est vrai que le parlement n’est qu’une caisse de résonnance, une sorte de tampon apposé aux projets proposés par le gouvernement, lequel est placé sous la coupe d’un soldat !

Il y a tout une série d’aspects qui ne sont pas pris en compte. On ne change pas l’habitat par un décret et une campagne militaire. L’habitat change parce que la vie change. Parce que les gens ont de nouveaux revenus, générés par de nouvelles activités et sont éduqués pour penser autrement, et décident eux-mêmes de changer leurs conditions de vie. On ne décrète pas le changement par l’imposition de normes et les déplacements de populations.

En fait, l’explication est que le Rwanda est géré comme une grande garnison. Et que Paul Kagame en est le commandant. Un pays où la jeunesse est embrigadée par l’armée à travers des camps de rééducation. Un pays où les militaires changent d’uniformes pour être du jour au lendemain policiers, et vice-versa, par la simple volonté du commandant de garnison, Paul Kagame. Un pays où la police, comme le disait fièrement le Superintendant en Chef Butera, arrête des citoyens pour les forcer à aller aux travaux communautaires « Umuganda », tous les derniers samedis du mois, sous peine d’amende !

Non. Aujourd’hui, tout ceci n’est possible dans aucun autre pays au monde, sauf au Rwanda de Paul Kagame. Que l’armée gère l’habitat précaire, c’est tout un symbole. Celui de la réalité du pouvoir actuel : une dictature militariste, à l’image de la dictature du Gén. Mohammed Suharto, qui après avoir tué des millions d’Indonésiens et annexé le Timor Oriental, leur a imposé « le développement », à coup de fusil. Il n’est pas étonnant qu’il soit le modèle de Paul Kagame. Le Président Barack Obama, qui a vécu les années noires de cette dictature, doit apprécier.

En attendant, la réplique rwandaise du bourreau des Indonésiens et des Timorais ne manque pas de fans Outre-Atlantique, comme son idole, canonisé à sa mort le 27 janvier 2008. Il est vrai que c’était un an et huit jours, avant l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche. L’histoire cynique du dictateur indonésien se répétera-t-elle au Rwanda ? Dira-t-on un jour, quelque part en Virginie, « Un salaud, mais un des nôtres » ?

Par Mberabahizi

Source : http://mberabahizi.over-blog.com/

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