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Tchad : Influence et implication d’Idriss Déby en Centrafrique de mi-2012 à janvier 2014

D 9 mars 2014     H 05:57     A Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politique en Afrique     C 0 messages


Complément au dossier d’information du 15 décembre 2013 « Tchad 2013 : la réhabilitation impossible d’un dictateur notoire » réalisé dans le cadre du Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique http://electionsafrique.org/Tchad-2...

Remerciements à tous les journalistes et démocrates véritables, qui, au Tchad, en Centrafrique, et ailleurs, enquêtent et œuvrent dans l’ombre, prenant des risques sans rarement obtenir de considération, et à tous les journalistes et chercheurs français qui continuent vaille que vaille leurs investigations.

Le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique se mobilise depuis 2009 à Paris dans le sens d’un soutien aux démocrates africains et dans le sens d’une réforme profonde de la politique française. Il constitue un espace de réflexion collective, de plaidoyer et d’échanges entre partis politiques et associations, de France et d’Afrique.

Il a publié le 15 décembre 2013 le dossier d’information « Tchad 2013 : la réhabilitation impossible d’un dictateur notoire » http://electionsafrique.org/Tchad-2... qui s’attache à décrire à la fois les caractéristiques de la dictature tchadienne, et la relation entre les États français et tchadien, dont le dossier : « Influence et implication d’Idriss Déby en Centrafrique de mi-2012 à janvier 2014 » est un complément.

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Influence et implication d’Idriss Déby en Centrafrique de mi-2012 à janvier 2014

Sommaire

Introduction

1. Causes de l’implication de Déby en Centrafrique entre 2012 et 2014

1.1 Idriss Déby, le parrain de Bozizé depuis 2003

1.2 L’Afrique du Sud et la protection de Bozizé

1.3 Maîtrise des rébellions et différend sur les accords de paix de 2011

1.4 Ressources minières et pétrolières : un enjeu à plus long terme

1.5 Le conflit insoluble des diamants et le financement de la Séléka

1.6 Bozizé le dictateur non durable d’une dictature durable dans une région instable ?

2. La phase cachée : la Séléka et le lancement de l’offensive en 2012

2.1 La création de la Séléka en 2012

2.1.1 Les composantes de la Séléka et leur ralliement

2.1.2 Un soutien très secret de Déby à la Séléka dès le départ

2.2 L’offensive de la Séléka en décembre 2012 sous l’œil de Déby

2.3 Les ‘mercenaires’ des rébellions tchadiennes du Soudan dans la Séléka

2.4 Composition de la Séléka après l’offensive et son gonflement en RCA

3. 2013 : renversement de Bozizé et Séléka au pouvoir

3.1 Janvier 2013 : les accords de Libreville (2)

3.2 Le renversement de Bozizé et l’arrivée au pouvoir de Djotodia et Adam

3.3 Déby, la Séléka et le gouvernement centrafricain en 2013

3.4 Les crimes de la Séléka et sa dissolution

4. Les accusations contre Déby et la recomposition politique et militaire

4.1 Reprise des combats fin 2013 : anti-balaka et influence de Bozizé

4.2 Rôle des soldats tchadiens de la FOMAC et de la MISCA

4.3 Idriss Déby pompier pyromane notoire

4.4 Le départ des dirigeants vassaux de Déby

4.5 Derrière et à côté de Déby : la CEEAC et l’UA

4.6 Les circonlocutions des dirigeants français ‘obligés de Déby’

Conclusion

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Introduction

Le 1er janvier 2014, en plein regain de violences en Centrafrique, Idriss Déby, qui est alors mis en cause par des media internationaux, français en particulier, relayant les accusations de centrafricains, a défié « quiconque », « de fournir à l’opinion internationale, la preuve des allégations » de soutien à la Séléka[1].

Quelques journalistes étrangers sont allés fin 2013 et début 2014 en reportage en Centrafrique et travaillent autant que le conflit le permette. Mais, est-ce que des journalistes peuvent enquêter au Tchad sur l’influence du président tchadien en Centrafrique ? Est-ce que Déby peut garantir une liberté de la presse suffisante ? Faudra-t-il attendre quelques décennies les informations de la DGSE française ? Les indices et éléments de preuve qui s’accumulent ne peuvent facilement être vérifiés en raison de l’absence de liberté d’expression au Tchad.

Les pays d’Afrique centrale sont liés entre eux par la persistance de la dictature, et par le maintien d’un néocolonialisme français datant des fausses indépendances, toujours présent malgré la régression du système. Le Tchad et la Centrafrique sont aussi liés par des déplacements de populations et de forces armées, les conflits et l’impossibilité de sortir d’un ‘entre-guerres’[2]. Idriss Déby a acquis une influence sur la Centrafrique qu’il ne saurait lâcher sans rapport de force défavorable.

Les mécanismes de l’implication d’Idriss Déby en Centrafrique sont dans la continuité des événements des 20 dernières années. Grâce à la tentative de réhabilitation menée par les dirigeants politiques et militaires français en 2013, en raison de l’intervention franco-tchadienne au Mali, le dictateur à l’image fraichement redorée s’est cru autorisé à agir selon les méthodes qu’il maîtrisait déjà en Centrafrique, pour garantir une maîtrise militaire de la région et obtenir le renversement de François Bozizé par un pouvoir qui lui serait soumis.

Le point de départ de ce dossier est l’analyse du rôle d’Idriss Déby depuis 1990, en Centrafrique, en Libye en 2011, au Nigéria entre 2009 et 2013 et, surtout, au Darfour et au Soudan entre 2004 et 2009, commencée dans le chapitre « Le président stable dans une région instable ? » du dossier « Tchad 2013 : la réhabilitation impossible d’un dictateur notoire » du 15 décembre 2013[3]. Ce second dossier doit être compris en fonction cette approche initiale, parce que, au regard de la situation actuelle, il y aurait eu d’autres angles possibles pour un travail sur la Centrafrique.

[1] 1.1.14 Xinhua, http://french.china.org.cn/foreign/...

[2] Avril 2013, Marielle Debos, Le métier des armes au Tchad. Le gouvernement de l’entre-guerres : http://www.karthala.com/les-afrique...

[3] réalisé dans le cadre du Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique : http://electionsafrique.org/Tchad-2...

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1. Causes de l’implication de Déby en Centrafrique entre 2012 et 2014

Plusieurs facteurs, causes, mobiles, buts, peuvent expliquer l’ingérence d’Idriss Déby en Centrafrique, jusqu’à une participation au remplacement de Bozizé. Le plus évident semble être qu’Idriss Déby considère qu’il doit contrôler en grande partie la RCA pour éviter qu’une rébellion tchadienne ne se crée. Depuis 2003, le dictateur tchadien est un protecteur qui veille aussi à ce que Bozizé ne s’engage pas avec d’autres partenaires, tel l’Afrique du sud. Les réserves de pétrole, situées sous la frontière avec son pays, qui devaient commencer à être exploitées en 2013, le concerne aussi. Pour garder son influence, il doit considérer les rébellions et l’évolution du rapport de force entre Bozizé et ses ennemis, et, plus indirectement, leurs circuits de financement, y compris par le diamant. Comme les autres présidents voisins, il n’a pas non plus intérêt à ce que la démocratie arrive en Centrafrique.

1.1 Idriss Déby, le parrain de Bozizé depuis 2003

A partir de 1996, Idriss Déby a remplacé Omar Bongo comme protecteur de Patassé[4]. En mars 2003, Déby a mis en place Bozizé à la place de Patassé avec l’assentiment du président français Jacques Chirac. Selon l’association Survie, « la majorité des hommes ont été prêtés par le dictateur tchadien Idriss Déby, au vu et au su des Services français, et l’on pourra lire le scénario d’un ‘débarquement en douceur’ »[5]. Les tchadiens étaient appelés les ‘libérateurs’ comme les rebelles centrafricains. Déby a envoyé le général Daoud Soumaïne, le chef d’Etat major de l’armée tchadienne[6] auprès de Bozizé pour l’encadrer dans la conquête du pouvoir.

Selon Marielle Debos[7], « Chassé de la capitale Bangui, François Bozizé se réfugie au Tchad. Assisté de hauts gradés tchadiens, il y recrute des combattants (Entretiens, N’Djamena, 2005 et 2006.). Le président tchadien Idriss Déby, qui voulait en finir avec le régime d’Ange-Félix Patassé soupçonné de soutenir les rebelles sudistes tchadiens, met à sa disposition des éléments de sa propre garde présidentielle (François Bozizé est également soutenu par les présidents Joseph Kabila (RDC), Denis Sassou-Nguesso (Congo-B) et Omar Bongo (Gabon). La France ne désapprouve pas. François Bozizé est d’ailleurs passé par la France avant de revenir au Tchad pour organiser sa rébellion (ICG, 2007 b : 16) . » International Crisis Group précise « avec seulement une poignée d’officiers centrafricains, dont le plus gradé est un capitaine, et une troupe aux quatre cinquième constituée de Tchadiens, le général Bozizé prend le pouvoir à Bangui » et décrit une « mise sous tutelle régionale ».[8]

Si les pillages des troupes de Jean-Pierre Bemba ont été mis en évidence par la Cour pénale internationale, d’autres pilleurs ont ramenés du butin au Tchad, et, en 2003, d’après International Crisis Group (ICG) : « Par rapport aux exactions commises par les rebelles congolais du MLC, le sac de la ville par les mercenaires tchadiens relève d’un travail de professionnels : si quelque six cents véhicules sont réquisitionnés et partent vers le nord, si les femmes de Bangui sont systématiquement allégées de leur bijoux, peu de violences gratuites ou de viols sont signalés. » [9]

Thomas Cantaloube, journaliste de Médiapart, fin 2013, cite Roland Marchal, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CERI)[10], « Le coup d’État de mars 2013 (qui a placé Michel Djotodia au pouvoir), comme celui de 2003 (qui avait vu François Bozizé s’emparer de la présidence), sont des coups d’État régionaux … Est-il légitime que des chefs d’État de la région décident qui doit présider un pays voisin ? ». Thomas Cantaloube continue : « En 2003 comme en 2013, c’est le président tchadien Idriss Déby qui est à la manœuvre, avec l’assentiment de ses collègues. Comme le décrit un rapport de l’International Crisis Group de 2007[11] : ‘À N’Djaména, le président Idriss Déby, met à (la disposition de Bozizé) des éléments de sa garde présidentielle, la "Force 4" ; Joseph Kabila, le chef d’État du Congo-Kinshasa, envoie l’armement nécessaire ; son voisin sur l’autre rive du fleuve Congo, le président Denis Sassou N’Guesso, finance l’opération à hauteur de 3 milliards de francs CFA, soit environ 4,6 millions d’euros ; quant au président gabonais Omar Bongo, le doyen de la région, il ne donne sa bénédiction qu’au dernier moment, en raison de doutes sur les capacités de Bozizé qu’il connaît de longue date. Mais l’insistance de son épouse Édith, une fille du président Sassou N’Guesso, vient à bout de ses réticences.’ »

La fin du conflit de 2003 aura des conséquences sur l’impossibilité d’arriver par la suite à la paix en RCA, et montre l’intrication entre RCA, Tchad et Soudan. Les ‘libérateurs’ étaient tchadiens ou centrafricains. Les tchadiens sont rentrés au Tchad et certains sont restés pour la protection de Bozizé. Les jeunes rebelles centrafricains, sont devenus inutiles et encombrants et beaucoup entreront ensuite en conflit avec Bozizé. Mal perçus par la population, beaucoup rejoindront ensuite des rébellions au Soudan et en RCA. Toujours selon Marielle Debos [12] : « L’ex-libérateur Abakar Sabone rejoint ainsi la coalition rebelle (Il dirige le Mouvement des libérateurs centrafricains pour la justice (MLCJ), un groupe armé membre de la coalition de l’UFDR). Quant aux rebelles tchadiens basés au Darfour, ils recrutent également parmi les ex-libérateurs tchadiens et centrafricains d’origine tchadienne (Selon le témoignage d’un ex-libérateur (un rebelle centrafricain d’origine tchadienne), fait prisonnier à N’Djamena lors de l’attaque du Front uni pour le changement démocratique (FUC) en 2006, des ex-libérateurs qui avaient sollicité l’aide du Soudan ont été enrôlés dans la rébellion tchadienne. Les Soudanais leur auraient fait comprendre qu’ils n’obtiendraient leur appui qu’à condition qu’ils s’engagent dans un premier temps aux côtés des Tchadiens. S’il est certain qu’il y a eu des contacts entre les insurgés du Nord-Est centrafricain et les rebelles tchadiens basés au Soudan, il est difficile de mesurer l’ampleur de leur collaboration (déclarations des prisonniers de guerre du FUC aux autorités tchadiennes, N’Djamena, avril 2006, documents consultés par l’auteure).)… Les ex-libérateurs d’Amboko, comme de nombreux ex-combattants en attente de jours meilleurs, représentent une main-d’œuvre facilement mobilisable par des entrepreneurs politico-militaires locaux ou transnationaux. »

Le président tchadien est resté influent en soutenant Bozizé contre plusieurs rébellions. En février 2008, les soldats tchadiens étaient en Centrafrique, où selon Human Right Watch (HRW) cité par le gouvernement américain, « ils ont tué des civils et brûlé des villages »[13]. Le 1er décembre 2010, l’armée tchadienne est intervenue pour reprendre la ville aux rebelles de la Convention des Patriotes pour la Justice et la Paix (CPJP) au nom du gouvernement centrafricain[14]. « Plus récemment, début 2012, l’armée tchadienne a tiré sur un certain nombre de villages sur la route entre Ouandago et Batangafo, entraînant le déplacement forcé des habitants de trois villages. », toujours selon HRW[15].

Selon Marielle Debos[16], « Les violences qui affectent le Nord de la Centrafrique depuis la prise du pouvoir de François Bozizé ont été interprétées comme les manifestations d’une extension du conflit du Darfour. La crise centrafricaine est cependant plus liée à celle du Tchad qu’à celle du Soudan (Debos, 2008 : 225-241 ; Marchal, 2009). » Béchir, en bonne relation globalement avec Bozizé, avait surtout assez peu d’influence en Centrafrique. Bozizé avait peur de Déby pendant toute sa présidence. La plupart des rébellions visant à le renverser savaient que son avenir dépendait de Ndjaména, parce que le fait de le vaincre ou pas militairement pouvait se décider à Ndjaména. Autant Bozizé que ses adversaires voyaient leurs avenirs en fonction des décisions futures d’Idriss Déby.

[4] 9.1.14, Jeune Afrique, C.Boisbouvier : http://www.jeuneafrique.com/Article...

[5] Survie : Centrafrique : Exit Patassé : http://survie.org/billets-d-afrique...

[6] 9.1.14, Jeune Afrique, C.Boisbouvier, Ibid

[7] 2012, Marielle Debos, Quand les « libérateurs » deviennent des « bandits », guerre et marginalisation sociale à la frontière tchado-centrafricaine p95-97 in Société en guerre. Ethnographie des mobilisations violentes. http://www.academia.edu/1437531/Deb...

[8] 13.12.7, ICG, République Centrafricaine : anatomie d’un État fantôme, p16 : http://www.crisisgroup.org/ /media/...

[9] 13.12.7, ICG, Ibid, p17 : vers le Nord signifie surtout vers Ndjaména, où des témoins les ont vus arriver.

[10] 20.12.13, Thomas Cantaloube, La France dans l’étau régional centrafricain : http://www.mediapart.fr/journal/int...

[11] http://www.crisisgroup.org/fr/regio...

[12] Marielle Debos, 2012, ibid, p97, 109.

[13] 25 février 2009, Gouvernement USA : 2008 Country Reports on Human Rights Practices, http://www.state.gov/j/drl/rls/hrrp...

[14] http://fr.wikipedia.org/wiki/Deuxi%...

[15] HRW, septembre 2013, p9 « Je peux encore sentir l’odeur des morts » La crise oubliée des droits humains en République centrafricaine, http://www.hrw.org:8080/fr/reports/...

[16] Marielle Debos, 2012, ibid, p94

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1.2 L’Afrique du Sud et la protection de Bozizé

Pour sa protection, depuis 2007, Bozizé s’était rapproché de l’Afrique du Sud, ce qui l’éloignait, de Déby, mais aussi de l’armée française. Selon ICG[17], « L’Afrique du Sud a tenté d’endosser l’uniforme de gendarme en République centrafricaine, un rôle auparavant assumé par la France. S’inscrivant dans le cadre d’un accord bilatéral de coopération militaire conclu en 2007, 400 militaires sud-africains ont été déployés à Bangui afin de soutenir le régime en place. (69 Très (trop) symboliquement, le contingent sud-africain a pris ses quartiers à l’Ecole de la police nationale, près du siège du parti de Bozizé, le KNK). L’accord a été renouvelé pour cinq ans et la ministre sud-africaine de la Défense a effectué une visite-éclair à Bangui. (70 « South Africa is concerned about the situation in Central African Republic », communiqué de presse, ministère des Relations internationales et de la Coopération, Pretoria, 2.1.13). » En août 2013, Bozizé a accusé Zuma de ne pas avoir respecté l’accord secret de 2007, en envoyant trop peu de soldats, bien qu’il ait envoyé son fils, Jean-Francis Bozizé, ministre de la Défense, à Pretoria, le 15 décembre 2012[18].

Selon le Figaro[19], « Pretoria apparaissait comme le dernier allié du régime de Bozizé. En janvier dernier (2013), sur sa requête, l’Afrique du Sud avait envoyé 298 soldats en Centrafrique, en plus de la vingtaine déjà présente en vertu d’un accord de coopération militaire de 2007 sur la formation des troupes locales. Elle paye aujourd’hui le prix fort pour son implication : 13 soldats tués lors d’un affrontement avec les troupes de la Séléka, samedi 23 mars… leur petit bataillon de 300 hommes a tenu en échec pendant une longue bataille de 13 heures des forces lourdement équipées, comptant de 2 000 à 3 000 soldats. Les 13 morts sud-africains comptent peu face aux pertes du camp adverse, estimées à 500 hommes par le gouvernement sud-africain ». 13 morts est un chiffre officiel qui cache peut-être plus de morts, et peut-être jusqu’à 50 selon des témoignages recueillis par RFI[20]. Après le 24 mars 2013, Jacob Zuma a retiré ses soldats[21].

La position sud-africaine se comprend aussi au-delà du cas de la Centrafrique, dans le contexte actuel de discussion sur la paix et la sécurité en Afrique depuis les conflits de Côte-d’Ivoire, de la Lybie et du Mali, en particulier dans la promotion des solutions africaines aux crises. L’arrivée de soldats africains a déplu à la plupart des présidents des pays voisins dans la CEEAC, et pas seulement à Déby.

Jacob Zuma et François Bozizé semblent avoir envisagés des retombées économiques pour l’Afrique du Sud ou pour certains de ses hommes d’affaires, sans que cela n’ait eu le temps d’aboutir[22]. Des exagérations sur le rôle de l’Afrique du sud, des rumeurs, ont peut-être été diffusées début 2013, fonction aussi des personnalités des deux présidents.

Alors que 250 soldats français de l’opération Boali étaient également présents depuis 2002, les soldats tchadiens assuraient la protection de Bozizé. Le président centrafricain a dénoncé des viols de ces soldats à Bangui, a demandé à Déby de les maîtriser, puis de les retirer[23], ce qu’a fait le président tchadien en octobre 2012. ICG constate[24] : « A la lumière des relations tendues entre Bozizé et Déby, le retrait des éléments tchadiens de la garde présidentielle de Bozizé et surtout la décision de N’Djamena de relâcher des membres de la Séléka, placés en résidence surveillée dans la capitale tchadienne, constituent un faisceau d’indices corroborant les dires de certains sur des contacts préliminaires entre la rébellion et l’entourage de Déby. (61 Bozizé a déclaré dans un entretien avoir renvoyé les Tchadiens de sa garde présidentielle en raison des incidents répétés avec les Centrafricains. « François Bozizé : c’est une guerre pour le pétrole », Jeune Afrique, 24.3.13. Entretiens téléphoniques Crisis Group, membres de la Seleka, 15.2.13. « Centrafrique : les secrets de la Seleka », AfrikArabia, 14.2.13). »

En juin 2013, Bozizé, déchu et cherchant alors du soutien pour reprendre le pouvoir, a tenté de se rendre en Afrique du sud, et ne l’a finalement pas fait. L’implication modérée de Zuma auprès de Bozizé n’était possible que sous certaines conditions et pour certains objectifs, qui n’ont pas résisté aux événements.

[17] République centrafricaine : les urgences de la transition Rapport Afrique de Crisis Group N°203, 11 juin 2013 p11, http://www.crisisgroup.org/ /media/...

[18] 25.8.13, Zuma’s secret deal with dictator : http://www.timeslive.co.za/politics...

[19] 3.4.13, Le rôle contesté de Pretoria en Centrafrique, Figaro, Solenn Honorine : http://www.lefigaro.fr/internationa...

[20] 4.1.13, RFI, http://www.rfi.fr/afrique/20130403-...

[21] 4.4.13, AFP et Reuters, Retrait des militaires sud-africains de Centrafrique : http://www.lemonde.fr/afrique/artic...

[22] 4.1.13, RFI, … les mines et le pétrole et non la paix comme objectif ?, http://www.rfi.fr/afrique/20130403-...

[23] 27.3.13, Bozizé Interview à Jeune Afrique : http://www.jeuneafrique.com/Article...

[24] ICG, 11 juin 2013 p9, Ibid

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1.3 Maîtrise des rébellions et différend sur les accords de paix de 2011

Le malaise entre Déby et Bozizé a surtout grandi en 2012 pendant des négociations entre Bozizé et les opposants politiques et armés sur les accords de paix conclus en 2011. Déby considérait comme une priorité d’éviter qu’une nouvelle rébellion tchadienne ne se crée, il négociait en ce sens, et réagissait aux décisions de Bozizé. Il intervenait dans le dialogue centrafricain et ses blocages. Puisque la CPJP était divisée mi-2012 avant les accords de paix d’août 2012, il a tenu compte de l’existence de la partie de la rébellion qui refusait de signer. En apparence, il a réclamé un dialogue inclusif qu’il n’avait jamais accordé à ces propres ennemis au Tchad. En réalité, il ne révélait pas ses objectifs adaptables à plusieurs configurations.

Selon ICG[25], « La position du Tchad dans ce conflit est pour le moins ambigüe. Pendant plusieurs mois, Déby montrait des signes d’agacement à l’égard de son homologue centrafricain. Il lui reprochait notamment de ne pas avoir instauré un dialogue avec l’opposition et les mouvements armés comme il s’y était engagé et de n’avoir rien fait pour mettre fin à l’instabilité chronique qui règne dans la partie septentrionale de la République centrafricaine. (57 Le 5 mai 2012, Idriss Déby, en visite officielle à Bangui, avait recommandé l’ouverture d’un dialogue entre le gouvernement, l’opposition et les mouvements armés. Dix jours plus tard, Bozizé a convoqué toute la classe politique centrafricaine pour annoncer la tenue d’un dialogue politique inter-centrafricain qui n’a jamais eu lieu.) En effet, N’Djamena craint un effet de contamination du Sud du Tchad, une zone pétrolifère traditionnellement opposée au régime de Déby. (58 Voir le briefing Afrique de Crisis Group N°65, Tchad : sortir du piège pétrolier, 26.8.9). »

La présence de soldats tchadiens à Bangui sous Bozizé et leurs liens avec des commerçants d’origine tchadienne et des personnes assimilées musulmanes, a influera ensuite en 2013 dans la perception de la Séléka par les habitants. ICG poursuit : « Par ailleurs, les incidents récurrents avec les commerçants tchadiens à Bangui ne passent pas inaperçus dans les sphères du pouvoir tchadien, où ces derniers ont des relais. (59 : A Bangui, la domination des commerçants tchadiens, particulièrement nombreux au marché appelé PK5, est mal vécue depuis des années et se traduit régulièrement par des incidents violents. En 2011, suite à la découverte macabre des corps inanimés de deux enfants, les commerçants tchadiens ont été soupçonnés et pris pour cible par une partie de la population. Ces violences ont coûté la vie à onze personnes et fait de nombreux blessés. En 2012, des heurts ont eu lieu à trois reprises entre la police centrafricaine et les commerçants tchadiens à Bangui. « Des violences interconfessionnelles font une dizaine de morts à Bangui », France 24, 3.6.11 ; entretien de Crisis Group, membre société civile, Bangui, 25.1.13) Enfin, à la fin de l’année 2012, Déby aurait averti le président français du risque de troubles en Centrafrique. (60 « France -Tchad : ce que Hollande et Déby se sont dit à Paris », Jeune Afrique, 12.12.12). »

La volonté de contrôle des rébellions en Libye, au Soudan et en Centrafrique, est cohérente avec le reste de la politique d’Idriss Déby, en particulier pour apparaître comme chef d’un Etat stable, au milieu d’une région instable. Déby est fin stratège militaire et son expérience en Centrafrique lui permet d’agir préventivement ou de réagir rapidement, comme cela se constatera en 2012 et 2013. Il est par ailleurs souvent dit que Déby continue de craindre un coup d’Etat de ses généraux, et préfèrent les voir occupés hors de ses frontières, mais cela reste a priori secondaire par rapport à sa volonté d’empêcher la création de forces armées antagonistes.

[25] ICG, 11 juin 2013 p9, Ibid

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1.4 Ressources minières et pétrolières : un enjeu à plus long terme

Bozizé a expliqué sa chute par le fait d’avoir attribué le pétrole à une société chinoise, mais il est difficile de dire si les intérêts autour de l’exploitation des ressources naturelles de la Centrafrique, constitue une cause réelle de cette chute. Il s’agit de toute manière d’un facteur de décision, associant le contexte économique à plus long terme. Les sociétés pétrolières réfléchissent sur des périodes de plusieurs dizaines d’années, ce qui les a souvent conduites à soutenir longuement des dictateurs. Bozizé était perçu comme un dictateur fragile, dépendant de soutiens extérieurs, sans doute pas destiné à durer, même si cela ne semble pas avoir été une cause de ‘complot’ contre lui. A minima, en l’absence de plus d’informations, ses choix politiques pétroliers ne l’aidaient pas à renouveler ses soutiens acquis lors de son accession au pouvoir.

En 2012, la compagnie chinoise China National Petroleum Corporation (CNPC) reprenait les recherches de pétrole : « Couvrant cinq champs pétrolifères, à cheval sur la frontière tchadienne, la zone de Doba Dosea Salamat (55.500 km2) a un potentiel prouvé de un million de barils, et laisse espérer cinq fois plus. Les recherches sont désormais dirigées par la compagnie chinoise CNPC, qui travaille sur ce projet avec des partenaires soudanais, appartenant au consortium Greater Nile Petroleum Operating Company. »[26] Le 27 décembre 2013, Bozizé a déclaré dans un meeting : « J’aime le dialogue et on a fait plusieurs fois le dialogue. Ils n’ont qu’à aller voir les Présidents Sassou, Bongo et Déby pour le dialogue. Après réflexion, j’ai compris qu’ils ont été poussés. Pourquoi on les a poussés, car nous avons maintenant le Ciment, si on nous laisse tranquille, dans 2, 3 ou 4 mois, les Chinois vont exploiter notre pétrole. »

Dans sa dernière interview de président, le 13 mars 2013, Bozizé précisait [27] : « La coïncidence est plus que troublante. Il existe des réserves pétrolières dans trois régions de la Centrafrique : l’Est non loin de Djema, l’Ouest aux environs de Carnot, et le Centre-Nord, près de la frontière tchadienne. C’est dans cette dernière région, celle de Boromata, que l’on est le plus proche de la production. Selon les ingénieurs chinois qui y opèrent, la phase de forage devait commencer début 2013 et la première goutte de pétrole centrafricain était prévue pour début octobre de cette année, au plus tard, avec une évacuation connectée au pipeline Doba-Kribi. » Bozizé a ce jour-là accusé « Ceux qui convoitent les ressources de notre sous-sol et particulièrement les pétroliers » d’avoir financé la Séléka, mais en évoquant l’homme d’affaire américain Jack Grynberg et RSM Petroleum, ce qui n’a jamais été confirmé et est peu crédible[28]. En novembre 2012, Radio Ndeke Luka parlait juste de « phase de reconnaissance du sous-sol exploitable » et de « reprise des travaux de prospection sur le site du village Boromata … en décembre (2012) »[29], ce qui indiquerait une date de début d’exploitation bien plus lointaine. Des allusions ont aussi été faites par des pro-Bozizé à un différend sur un futur pipe-line[30] : « avoir l’audace de ne pas accepter que le ‘pipe-line’ pétrolier de Centrafrique soit connecté à celui Tchad, préférant le faire passer par le Soudan », ce qui n’est pas confirmé.

Avec le pétrole, Bozizé semble surtout avoir espéré attirer du soutien à partir d’une explication facile et exagérée.

Suite à l’affaire Uramin (Aréva) en 2011, l’exploitation de l’uranium du gisement de M’Patou, près de Bakouma n’est plus à l’ordre du jour[31]. Le sol de la Centrafrique est globalement riche en minerais, or, diamant, et est pour l’instant mal exploité en raison des conflits. En période de guerre, et d’entre-guerres, les productions sont constamment renvoyée vers le futur, et, celles qui impactent le déroulement des événements sont aussi les plus artisanales, facilement détournables par les acteurs militaires, le diamant en particulier.

[26] 1er février 2012, Pétrole : Les Chinois reprennent la recherche de pétrole en Centrafrique, http://www.zonebourse.com/LONDON-BR...

[27] 27.3.13, Bozizé Interview à Jeune Afrique : http://www.jeuneafrique.com/Article...

[28] 1.2.13, Note rédaction Centrafrique Presse de ‘Séléka réagit aux tergiversations de Bozizé qui retarde exprès l’annonce du gouvernement Tiangaye’ : http://www.centrafrique-presse.info...

[29] 13.11.12, Vers une reprise d’exploitation pétrolière à Birao : http://www.radiondekeluka.org/econo...

[30] 6.6.13, Mouvement Révolutionnaire Populaire pour la Libération (MOREPOL) de Lévi Yakété futur anti-balaka, http://www.journaldebangui.com/file..., http://www.lanouvellecentrafrique.i...

[31] 10.1.12 RGranvaud, Areva en Afrique, l’affaire Uramin : http://survie.org/billets-d-afrique...

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1.5 Le conflit insoluble des diamants et le financement de la Séléka

La Centrafrique est 10 ou 11e producteur mondial de diamants selon les années[32], avec des diamants de bonne qualité. L’exploitation est surtout artisanale, à l’ouest du pays et près de Bria et fait vivre une partie importante de la population, tout en profitant surtout à une catégorie de commerçants, plus nombreux parmi les personnes considérées comme musulmanes. Cette production accessible aux contrebandiers favorise l’instabilité et la création des rébellions[33].

Jusqu’à 2012, l’Etat contrôlait les zones sans assurer une gestion qui permette au Processus de Kimberley de fonctionner pour certifier la production[34]. Dans la filière officielle, le diamant va des mineurs ‘artisans’, vers des collecteurs, puis des bureaux d’achat qui s’occupent de la douane, des taxes très fortes, et de l’exportation, par exemple vers Anvers (via Paris) et fonctionnent comme des banques. Les acteurs sortent une grande partie de la production de ce circuit, et la production génère une forte corruption.

Les profits détournés empruntent soit des circuits classiques modifiés, parfois par les valises diplomatiques, et le plus souvent par des routes plus sauvages vers les pays avoisinants. D’un côté, les présidents centrafricains étaient jusqu’à présent considérés comme des vendeurs de diamants, alors que leurs ennemis rebelles profitaient de certaines zones diamantifères pour se financer. Selon le chercheur indépendant Laurent Touchard[35], « En 2012, il est estimé que 70 % des diamants quittent légalement le pays. Cependant, des études indépendantes dévoilent que ces chiffres sont très optimistes considérant le fait que seuls 5 à 10 % des collecteurs ont un permis ! Dès lors, 90 à 95 % œuvrent sans autorisation et leurs trouvailles ne sont pas répertoriées ; les diamants passent ensuite par le Cameroun, le Darfour... L’argent alimente aussi des achats d’armes lorsque des États voisins de la RCA ne les financent pas au profit de groupes rebelles. »

Les rébellions visent les zones diamantifères pour les exploiter. En 2010, ICG préconisait de « prévoir des patrouilles sur le terrain pour s’assurer que ni les rebelles de l’UFDR ni ceux de la CPJP n’exploitent les diamants et pour prévenir tout conflit autour du contrôle des mines »[36]. En octobre 2011, d’après Jeune Afrique, UFDR et CPJP d’Abdoulaye Hissène « s’affrontent pour le contrôle des gisements de diamants » de la région de Bria[37]. Les pressions pour appliquer le processus de Kimberley impliquent que l’Etat reprenne dans un premier temps le contrôle sur le commerce de diamant, ce qui n’arrête pas la corruption. Privilégier la paix par le renforcement de l’Etat contre les rébellions ou la lutte contre la corruption, ne pousse pas à dénoncer les mêmes acteurs, et ne correspond pas aux mêmes critères de conception de progrès, ce qui impliquerait d’aller vers une approche plus ‘globale’.

Bozizé, comme ses prédécesseurs, a tenté de maîtriser lui-même le commerce officiel et le trafic. En 2008, il a effectué des saisies de « pierres et les fonds des collecteurs et des bureaux d’achat », entrant alors en conflit avec les acteurs riches du diamant, qui n’étaient pas sous sa coupe. Thomas Cantaloube de Médiapart explique que « Bozizé a placé ses proches aux fonctions cruciales et autorisait ou retirait selon son bon vouloir les patentes des bureaux d’achat. » et rapporte un exemple de ville à l’Ouest qui a souffert de la faim suite à « la fermeture de huit des onze bureaux d’achat du pays et de la saisie des biens des collecteurs par ordre de Bozizé »[38]. Bozizé n’a pas obtenu la maîtrise du réseau, et le conflit a persisté.

Le contentieux entre Bozizé et les marchands de diamants a poussé certains diamantaires à financer la Séléka[39]. Selon RFI[40], Victor Kombot Naguemon, « l’un des principaux acteurs du secteur », est devenu en avril 2013 « ministre conseiller aux mines », et, « si Victor Kombot Naguemon assure n’avoir jamais versé de subsides à la Séléka, d’autres acteurs du secteur affirment sans détour avoir financé les activités de l’ex-rébellion. Certains confessent même avoir été chargés d’aller revendre au Soudan les pierres collectées en Centrafrique ». Selon ICG[41], « d’après l’un des chefs de la Seleka, « tout le secteur du diamant » a participé au financement du mouvement et un ancien ministre de Bozizé n’a pas hésité à parler d’un « coup d’Etat des diamantaires ». (50 : Entretiens Crisis Group, dirigeant de la Seleka et ancien ministre, Bangui, 12+20.4.13). »

La Centrafrique a été suspendue du processus de Kimberley en mai 2013. Thomas Cantaloube, de Médiapart, en novembre 2013 a recueilli un témoignage de mineur [42] : « ‘Les Sélékas (les milices qui contrôlent le pays) cherchent à nous dépouiller. S’ils apprennent l’existence d’une pierre, ils vont tout faire pour s’en emparer … En ce moment nous restons en brousse sans revenir au village pour éviter de nous faire rançonner, mais cela ne suffit pas toujours. Parfois, les Sélékas viennent jusque sur les sites des mines.’ ». Le journaliste a également interrogé un diplomate européen : « ‘Sous Bozizé, 80 % des diamants sortaient illégalement du pays, …, Aujourd’hui, on doit être proche de 100 % !’ ». La journaliste Krista Larson parle de Janjawids du Darfour par qui « les diamants sont convoyés au Soudan »[43].

Selon un témoin centrafricain[44], Déby avait présenté à Bozizé, avant sa prise de pouvoir en 2003, des parents à lui, qui pouvaient financer le futur président centrafricain, et Bozizé aurait promis des permis d’exploitation en retour, qui ne seraient jamais arrivés jusqu’aux parents de Déby. Une partie de l’entourage de Déby, dont personne n’est nommé faute d’enquête précise, est aussi accusé par un témoin tchadien[45] de participer au trafic de diamant depuis l’arrivée de Bozizé au pouvoir. En 2013, le trafic de diamant aurait, selon ce même témoin, fourni un dédommagement officieux pour les frais de l’intervention militaire officielle, comme ce fut le cas avec des trafics au Congo-Kinhassa, lors de l’intervention d’un millier de soldats tchadiens entre 1998 et 2002[46]. Aucun élément de preuve ne semble circuler sur ce point.

La constitution de la Séléka, la ‘coalition’, n’aurait pas été possible sans financement. La logique politique autour de la création de la Séléka laisse croire que Déby aurait pu lui aussi financer plusieurs composantes de la rébellion. L’hypothèse et l’accusation faite par des opposants de Déby n’ont pas été confirmées, le Tchad et la Centrafrique n’étant pas par ailleurs des pays qui permettent des investigations sans risque. Des témoignages à vérifier parlent de fourniture de véhicules, de carburants, d’armes et de tenues militaires par Déby à la Séléka, qui avaient un coût. Ce sont cependant les stocks gagnés sur les Forces armées centre-africaines (FACA) qui ont le plus permis à la Séléka de se munir d’armes, notamment lors de la prise de Bossembélé.

[32] 22.11.13, AFP : http://www.jeuneafrique.com/actu/20...

[33] 16 décembre 2010, ICG : Les diamants en Republique Centrafricaine de dangereuses petites pierres : http://www.crisisgroup.org/ /media/...

[34] 20.11.13, RFI, interview Claude Kabemba Observatoire des ressources naturelles d’Afrique australe, http://www.rfi.fr/afrique/20131120-...

[35] 19.12.13, Prolifération en Centrafrique : le choix des armes : http://www.jeuneafrique.com/Article...

[36] 16 décembre 2010, ICG, Ibid, p24.

[37] 6.10.11, http://developper-jeuneafrique.com/...

[38] 29.11.13 Centrafrique, un pays pauvre de ses diamants http://www.mediapart.fr/journal/int...

[39] vidéo pédagogique peu fiable : 22.10.13, La vie, 3 minutes pour comprendre : la malédiction du diamant en Centrafrique, http://www.lavie.fr/medias/cartes/3...

[40] 9.4.13, RFI, Centrafrique : des diamantaires reconnaissent avoir financé la Seleka http://www.rfi.fr/afrique/20130410-...

[41] ICG juin 2013 p8, Ibid

[42] 29.11.13 Centrafrique, un pays pauvre de ses diamants http://www.mediapart.fr/journal/int...

[43] 13.5.13, Les Sélékas les meilleurs amis des diamants, http://www.lanouvellecentrafrique.i...

[44] Entretien Paris février 2014, sous couvert d’anonymat.

[45] Sous couvert d’anonymat, comme l’ensemble des témoins non nommés dans ce dossier, qui craignent la répression.

[46] 19.12.13, Prolifération en Centrafrique : le choix des armes : http://www.jeuneafrique.com/Article... , 2e guerre du Congo : http://fr.wikipedia.org/wiki/Deuxi%...

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1.6 Bozizé le dictateur non durable d’une dictature durable dans une région instable ?

La progression de la Séléka a été facilitée par la faiblesse du régime de Bozizé : des élections en janvier et mars 2011, ont permis à Bozizé et à son parti le Kwa na Kwa (KNK) (’le travail rien que le travail’) de rester au pouvoir, mais ce sont des élections de dictature, avec un processus électoral vicié, émaillé de fraudes qui n’ont fait avancer la RCA qu’assez peu vers la démocratie. Le résultat de la présidentielle est le suivant : 66,08% François Bozizé, Ange-Félix Patassé 20,10%, Martin Ziguélé 6,46%. Aux législatives, le KNK a obtenu 61 députés sur 105.

Une grande partie de l’opposition à Bozizé, dont le Mouvement de libération du Peuple Centrafricain (MLPC) de Ziguélé, s’est regroupée dans le Front pour l’Annulation et la Reprise des Elections (FARE-2011)[47]. Patassé, lui aussi créateur du FARE, est mort aussitôt début avril 2011, et le 6 août 2012 son parti, le Mouvement de Libération Démocratique (MLD), a quitté le FARE[48].

Martin Ziguélé a multiplié les contacts en France. Dès 2008, le MLPC et Ziguélé étaient en contact avec la Fondation Jean Jaurès[49]. En juillet 2012, le MLPC a adhéré à l’International Socialiste[50]. Fin octobre 2012, Ziguélé était au congrès du Parti Socialiste français à Toulouse dénonçant la dictature de Bozizé, et remerciant le premier secrétaire du PS, Harlem Désir, de son soutien[51]. Il était l’un des rares opposants africains à une dictature à avoir un accès facile au Ministère des affaires étrangères français ou à l’Elysée, depuis des contacts pendant la campagne électorale française[52], sans doute aussi parce qu’ancien premier ministre toujours dans la course[53]. Ziguélé restera encore en 2013 un contact privilégié du PS, présent le 6 décembre 2013 à Paris pour discuter de « sécuriser la démocratie »[54], et le 13 décembre avec Harlem Désir, qui saluait son « discours rassembleur et républicain »[55]. Entre mai et décembre 2012, chacun estimait les conséquences potentielles du conflit malien, et, le pouvoir français se réorganisait après l’alternance : les nouvelles relations entre ministère des affaires étrangères, ministère de la défense, armée française, DGSE, Elysée, parlement se rodaient, au moment où, comme d’autres de différents pays, Ziguélé effectuait son plaidoyer sur la démocratie en RCA et en Afrique centrale.

Le régime de Bozizé a les faiblesses et les défauts que la ‘communauté internationale’ reconnait facilement après le départ d’un dictateur : massacres, exécutions et déplacements forcés pendant la guerre civile avec l’UFDR, répression de la liberté de la presse, torture et mauvais traitements dans les prisons, corruption pendant que la population souffre de la misère.

Pas plus qu’en 2005, en 2011, le dictateur Bozizé n’a acquis une quelconque légitimité démocratique, même s’il a de nombreux partisans dans un contexte d’instabilité politico-militaire favorisant un vote de recours à un parti lié à une force armée. A contrario, comme au Tchad, l’impossibilité d’alternance démocratique favorise, entre autres facteurs, la création des rébellions, et le ralliement de personnalités et d’une partie de la population aux rébellions, ou uniquement à la logique de renversement armé. Les scrutins faussement démocratiques de 2011 ont joué dans le retour d’un conflit armé en 2012. Les mensonges se mêlant aux discours depuis très longtemps, dans la misère et le manque de liberté d’expression, certains ont cru naïvement à la possibilité d’une démocratisation par le biais des rébellions.

Un groupe identifié comme ‘musulman’ était considéré par une majorité de la population comme possédant un fort pouvoir économique. Or cette partie de la population considérée comme telle ne possédait pas de pouvoir politique. Depuis plusieurs années, elle tentait d’en obtenir progressivement, en fonction de son pouvoir économique. Cette tension ressentie au niveau ‘identitaire’ et cachée derrière l’absence de démocratie était un élément de fragilité du régime de Bozizé.

Par ailleurs, selon ICG, le gouvernement « a organisé à la hâte un nouveau recrutement militaire en août 2012 qui s’est transformé en émeute à Bangui. (21 Entretien ICG, diplomate, Bangui, 26.1.13. « Contestation des résultats du recrutement dans les FACA », Radio Ndeke Luka, 2 août 2012) »[56]. 9000 candidats à l’entrée dans les FACA sont restés en attente de réponse[57] et certains rejoindront ensuite la Séléka. Selon RFI, le 25 mars 2013, Thierry Vircoulon d’ICG juge que Bozizé « ‘ne voulait pas se doter d’une armée efficace’ et ‘en a payé le prix’ »[58]. Cela n’est pas surprenant car, pour éviter les coups d’Etat, aucun dictateur ne veut d’armée efficace, à l’exception, dans les pays francophones, de Déby.

Les centrafricains se souviennent aussi qu’entre 1981 et 1993, sous Kolingba, le multipartisme a eu plus d’effets positifs que dans les autres pays ayant connu une ‘Conférence nationale souveraine’. A l’époque la présence de réfugiés des pays voisins (RDC, Tchad, Soudan), n’a pas causé trop de troubles en Centrafrique. Le multipartisme a fortement déplu à Omar Bongo et au pouvoir tchadien d’Hissène Habré puis Idriss Déby, qui craignirent déjà une contagion.

Encore aujourd’hui, l’Afrique centrale ne contenant aucun régime démocratique, ni aucun pays en cours de transition démocratique, aucun des chefs d’Etat d’Afrique Centrale (Cameroun, Gabon, Congo-B, Guinée E, Tchad et Centrafrique), n’a intérêt à ce qu’un de leur pays n’aille vers une transition démocratique. Cependant, Paul Biya, Ali Bongo, ou Sassou Nguesso, par rapport à la Centrafrique, se concentrent sans doute d’abord sur la stabilité militaire régionale. Sans doute peuvent-ils se contenter d’être indifférents, pensant être assez bien installés pour que des changements de nature de régime en RCA ne les impactent pas.

En raison des liens plus forts entre les 2 pays, Idriss Déby a intérêt à essayer de garder la RCA en zone militaire sous influence, où le chef est désigné par les armes plutôt que par les urnes. Est-ce que la démocratie en Centrafrique ne serait pas pour lui aussi dangereuse qu’une rébellion, parce que le besoin de démocratisation pourrait être souligné, dans la réflexion sur une amélioration politique régionale à moyen terme, par l’existence d’un ‘gouvernement de l’‘entre-guerres’ et d’une stabilité factice et sous tension au Tchad et en RCA ? Selon des témoins centrafricains, comme cela se fait ailleurs, Déby aurait également financé depuis plusieurs années des opposants de Bozizé, dont Ziguélé, dans une position très ambivalente, puisque le financement permet aussi de contrôler.

Au niveau international, Tchad et Centrafrique ont été essentiellement considérés au regard d’une ‘‘théorie’ de la ‘stabilité’’ qui préfère la paix des dictateurs à la construction difficile de l’Etat de droit. Passant à Ndjaména entre le 15 et le 19 décembre 2013, Patricia Adam, députée française PS, présidente de la Commission de la défense nationale et des forces armées, s’est exprimée sur le Tchad le 22 janvier 2014[59] : « Ainsi, il nous semble que la France pourrait consentir des efforts supplémentaires pour faire fonds sur sa présence militaire et diplomatique en vue de développer sa présence économique. ». Souligner le caractère décomplexé face au risque d’accusation sur la Françafrique est sans doute secondaire par rapport au message principal de la mission téléguidée dans la pire des dictatures des ex-colonies françaises. En effet, elle ajoute : « notre déplacement à N’Djamena nous a permis d’étudier de près l’intérêt de la présence française dans ce pays, îlot de stabilité dans une bande sahélo-saharienne en crise. Nous avons pu le constater par nous-mêmes : la circulation à N’Djamena était libre, et nous n’avions pas besoin de moyens de protection particuliers, y compris lorsque nous sommes allés à la rencontre des populations civiles, que ce soit à l’Institut français ou au lycée français. Le pays connaît en effet depuis 2008 une période de calme, après des décennies de troubles : il n’en mesure que mieux la valeur de la paix, de la stabilité, qui rendent possible le développement économique. Pour autant, les autorités que nous avons rencontrées se sont montrées pleinement conscientes des risques de contagion que présentent les différentes crises survenant dans le voisinage du Tchad – Libye, Soudan du Sud, Nord du Mali, République centrafricaine –, ce qui les conduit à se doter d’une armée professionnelle capable d’intervenir à l’extérieur. »

Cette communication maladroite reflète la communication officielle de Déby auprès de la communauté internationale. Comme les autres dictateurs, il dit et fait souvent ce qu’on attend qu’il dise et fasse pour pouvoir rester au pouvoir. Si les partenaires au Nord ne tiennent pas compte de l’absence de démocratie et de droits humains, subsiste l’argument de la paix auquel est ajouté sans conviction la note ‘développement’. Ainsi, très hypocritement, si le pays est stable, vu de l’extérieur, il n’a pas besoin de démocratie, et cela suffit pour entretenir de bonnes relations. Dans ce contexte, la guerre en Centrafrique ou au Soudan justifie une armée tchadienne puissante, formée par des occidentaux, des français en particulier. Ainsi, l’instabilité en Centrafrique aide Déby à se justifier de rester au pouvoir comme dictateur sans légitimité démocratique. Si Bozizé pouvait être considéré comme un dictateur fragile, dans un ‘Etat fragile’, Déby est lui considéré hypocritement comme le dictateur stable de la région instable, dans un Etat relativement fort avec un ‘gouvernement d’entre-guerres’[60]. Dans la ‘théorie de la stabilité des dictateurs contre les peuples’, si un Etat est en paix, il n’a pas besoin ni de démocratie ni d’Etat de droit, et s’il participe à des missions de la paix, c’est encore mieux. Positivement, espérons qu’un jour Patricia Adam ou Jean-Yves Le Drian arriveront à s’intéresser à la qualité des processus électoraux en Centrafrique et au Tchad autrement que par des propos complaisants ou superficiels.

[47] 27.9.11, Le Confident, Impasse politique en RCA : le FARE-2011 réitère ses exigences a l’UE : http://centrafrique-presse.over-blo...

[48] 9.8.12, http://www.radiondekeluka.org/polit...

[49] 10.12.8, Séminaire sur la social-démocratie à Bangui http://www.jean-jaures.org/content/...

[50] 28.7.12 MLPC bientôt membre de l’IS http://www.radiondekeluka.org/polit...

[51] 27.10.12, Message de Martin Ziguélé au nom du MLPC au Congrès du PS à Toulouse, http://centrafrique-presse.over-blo...

[52] 31.3.12, Martin Ziguélé reçu chaleureusement au QG de campagne de François Hollande à Paris (Kader Arif et Thomas Mélonio), http://centrafrique-presse.over-blo...

[53] De nombreux opposants aux dictatures africaines, dont certains plus méritants, n’obtiennent que très peu de soutien de l’Elysée et du MAEE depuis mai 2012.

[54] 6.12.13, Rencontre des partis progressistes sur la sécurité en Afrique, http://www.jean-jaures.org/Manifest...

[55] 13.12.12, rencontre du Parti socialiste avec Martin Ziguélé, http://centrafrique-presse.over-blo...

[56] ICG, 11 juin 2013 p4, Ibid

[57] 8.8.12, Les partis politiques répondent au ministre délégué à la défense Francis Bozizé, http://www.radiondekeluka.org/polit...

[58] 25.3.13, http://www.rfi.fr/afrique/20130324-...

[59] Communication de Mme la présidente à l’issue d’un déplacement au Tchad http://www.assemblee-nationale.fr/1...

[60] Avril 2013, Marielle Debos, Le métier des armes au Tchad. Le gouvernement de l’entre-guerres, http://www.karthala.com/les-afrique...

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2. La phase cachée : la Séléka et le lancement de l’offensive en 2012

2.1 La création de la Séléka en 2012

2.1.1 Les composantes de la Séléka et leur ralliement

Michel Djotodia est un ancien consul de Centrafrique au Soudan du sud, un temps proche du Capitaine Mahamat Nour Abdelkerim, des Forces unies pour le changement (FUC), qui, après avoir signé la paix avec Déby en 2006 a été en mars 2007 nommé ministre de la défense du gouvernement tchadien puis limogé le 1er décembre 2007 au lendemain de nouveaux combats. Michel Djotodia a vu son prénom changer très jeune pour n’être plus vu comme ‘musulman’[61] - le contraire d’Omar Bongo -, ce qui ne sera peut-être pas sans importance dans le rôle de leader politico-médiatique que lui attribueront les autres chefs de la Séléka. Il a créé en 2006 l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) qui a combattu Bozizé entre le 8 et le 16 novembre 2006[62], et qui a pour porte-parole Abakar Sabone[63].

Une réunion a eu lieu à Niamey au printemps 2012 pour envisager une première alliance anti-Bozizé, qui se serait nommée FUCA (Front Uni pour la Centrafrique) si elle avait été créée[64] : Michel Djotodia, Joachim Kokaté, de la Convention des Patriotes pour la Justice et la Paix (CPJP) qui sera ensuite du côté de la paix avec Bozizé en août 2012 au contraire de la composante de la CPJP qui rejoindra la Séléka[65], Abdoulaye Miskine du Front démocratique du peuple centrafricain (FDPC), ancien proche de Patassé, et le tchadien réfugié en France, Abakar Assileck Halata, du Front de Salut pour la République (FSR) du capitaine Ismail Moussa, qui n’intégrera pas ensuite la Séléka. Une soi-disant lettre très maladroite signée Djotodia le 17 avril 2012 a circulé à partir du 10 avril 2013, un an plus tard, liant cette coalition à un objectif djihadiste, mais, même si cette lettre est fausse, le démenti d’Abakar Assileck Halata du contenu de cette lettre, a confirmé la tenue de la réunion avec ces interlocuteurs-là[66] sans confirmer la date[67]. Cette première réunion pour une alliance improbable à une époque ou Déby était considéré comme soutien de Bozizé rassemble des rebelles contre Déby et Bozizé, certains contre Bozizé, d’autres contre Déby, cherchant à créer une base pour retourner vers le Tchad. Est-ce que Déby n’a pas su cela très vite ?

Selon des témoins bien informés à Ndjaména, Déby aurait reçu en 2012, à des dates non précisées, à tour de rôle Djotodia de l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR), et les chefs rebelles centrafricains, Noureddine Adam de la Convention des Patriotes pour la Justice et la Paix (CPJP) fondamental et Mohamed Moussa Dhaffane de la Convention patriotique du salut du Kodro (CPSK), et Abdoulaye Miskine, du Front démocratique du peuple centrafricain (FDPC), 4 représentants des 4 composantes principales de la future Séléka[68]. Ces informations sont à confirmer et les dates à rechercher.

International Crisis Group décrit ainsi Noureddine Adam[69] : « Formé à l’académie de police du Caire, il a également travaillé dans les pays du Golfe où il a officié en tant que garde du corps à Dubaï et en Arabie Saoudite au service de dignitaires du pouvoir. En 2003, il fait partie des libérateurs qui renversent Patassé et portent Bozizé au pouvoir. Proche des rébellions tchadiennes, il rejoint finalement l’Armée nationale tchadienne (ANT) pour combattre l’Union des forces de résistance (UFR) de Timan Erdimi. En 2008, il décide d’intégrer la CPJP et en devient l’un des chefs incontestés. » Selon Jeune Afrique[70], « Pendant trois ans (2010-2012), Noureddine Adam passe le plus clair de son temps entre le maquis et le Tchad où il connaît des fortunes diverses, un moment arrêté pour connivences supposées avec les rebelles qui combattent Idriss Déby Itno, puis soutenu au point de passer bientôt pour « l’homme de N’Djamena » »[71]. Il a des liens au Moyen-Orient à Abou Dhabi et « possède de nombreuses attaches à N’Djamena, où réside une partie de sa famille (femme et enfants, ainsi que certains de ses frères) et où il est propriétaire de plusieurs commerces[72]. »

ICG raconte également l’histoire de Moussa Dhaffane : « Ancien membre de la CPJP, Moussa Dhaffane est emprisonné au Tchad puis maintenu en résidence surveillée à N’Djamena suite à l’arrestation de Charles Massi. En juin 2012, il crée un nouveau mouvement, la Convention patriotique du salut du Kodro (CPSK). Libéré en plein cœur de la crise par le pouvoir tchadien, Dhaffane est retourné en République centrafricaine pour mener la bataille contre le régime en place. »

Noureddine Adam et Mohamed Moussa Dhaffane étaient ensemble parmi les chefs de la CPJP après la mort de Charles Massi début 2010, et ils ont quitté la CPJP pour les mêmes raisons, le refus de la paix avec Bozizé avant l’accord de paix du 25 août 2012[73]. Si Jeune Afrique indique qu’[74], « à la mort de Charles Massi, leader politique de la CPJP, en décembre 2009, Noureddine Adam prend la tête du mouvement », d’autres chefs se distinguaient après la mort de Charles Massi, il ne reste pas de trace que Noureddine Adam ait pris ‘la tête du mouvement’ en 2010, et, cela semble être l’affirmation d’Adam lui-même. Il s’est en réalité imposé comme leader de la CPJP au cours de l’été 2012, si rapidement que cela attire l’attention. En novembre 2010, c’est Abdoulaye Hissène qui était considéré par RFI comme commandant de la CPJP[75]. En 2011, existait déjà 2 CPJP, la faction d’Aboulaye Hissène et une dissidence de Mahamat Sallé qui disposait d’un peu plus de 500 hommes selon l’AFP[76]. Selon Amnesty, en 2011[77], « Les membres de la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP) se sont rendus coupables de nombreuses violations des droits humains et du droit international humanitaire. Les organisations humanitaires continuent de déplorer vivement la difficulté et la dangerosité de leur travail dans le nord-est de la République centrafricaine en raison de l’escalade des combats entre les forces gouvernementales et la CPJP, ainsi qu’entre celle-ci et d’autres groupes armés. Les attaques de la CPJP contre les civils et les forces gouvernementales semblent s’être intensifiées après la disparition et la mort présumée de son dirigeant, Charles Massi, en janvier 2010. Des civils ont alors été directement pris pour cible. Ces attaques sont contraires au droit international humanitaire. »

Par ailleurs, selon ICG, la Séléka « bénéficie du soutien intermittent et très modeste d’autres mouvements comme l’Union des forces républicaines (UFR) ou l’Alliance pour la refondation (A2R) (38 Les relations entre l’A2R et la Seleka ont été fluctuantes pendant la crise de décembre 2012. L’A2R, un nouveau groupe armé né à la faveur de la crise, avait dans un premier temps annoncé son soutien total à la Séléka avant de prendre ses distances.)[78] » Après l’abandon du projet de la FUCA, le Front de Salut pour la République (FSR) du capitaine Ismail Moussa luttant contre Déby n’a pas adhéré à la coalition autour de Djotodia et Adam, ce qui semble cohérent avec un changement de stratégie de Djotodia par rapport au Tchad. Abdoulaye Miskine du Front démocratique du peuple centrafricain (FDPC) a par contre lui rejoint la Séléka, et il restera ensuite méfiant par rapport à la relation avec Déby, et refusera de rendre les armes après la prise de Bangui en mars 2013, quittant ainsi la Séléka.

Selon Jeune Afrique[79], « Après avoir dénoncé, en juin, l’accord que l’un de ses compagnons, Aboulaye Hissène, venait de signer avec Bangui, Noureddine Adam décide, le 20 août (2012), d’unir ses forces avec la Convention patriotique du salut du Kodro (CPSK) de Mohamed Moussa Dhaffane. Les deux hommes parviennent à convaincre Michel Djotodia et l’UFDR de les rejoindre. C’est l’acte de naissance de la Séléka. » L’UFDR était comme la CPJP menacée à l’automne d’éclatement en raison de l’application du programme Désarmement, Démobilisation et Réintégration (DDR), Zackaria Damane se réclamant chef d’une partie de l’UFDR acceptant le programme DDR[80].

[61] 8.4.13, C Boisbouvier, Centrafrique : Michel Djotodia, du maquis aux lambris : http://www.jeuneafrique.com/Article...

[62] http://fr.wikipedia.org/wiki/Premi%...

[63] Abakar Sabone créera ensuite le Mouvement des Libérateurs Centrafricains pour la Justice (MLCJ).

[64] 11.9.13, http://www.alwihdainfo.com/Centrafr...

[65] 17.8.13, Communique de presse du Collectif des Officiers Libres : http://www.lanouvellecentrafrique.i...

[66] Lettre : http://www.lanouvellecentrafrique.i..., Démenti 18.4.12 : Droit de réponse à la lettre confidentielle de Michel Djotodia : http://www.lanouvellecentrafrique.i...

[67] Il a aussi parlé du FUCA le 3.1.14 à Paris http://makaila.over-blog.com/2014/0...

[68] http://fr.wikipedia.org/wiki/Seleka..., 31.12.12 , RFI : Centrafrique : pour qui roule la Seleka ? : http://www.rfi.fr/afrique/20121229-...

[69] ICG, 11 juin 2013 p37, Ibid

[70] 26.4.13, Centrafrique : Noureddine Adam, général de fortune : http://www.jeuneafrique.com/Article...

[71] date arrestation et libération de Noureddine Adam inconnue. A-t-il été longtemps arrêté ?

[72] 23.8.13, Centrafrique : Remaniement Nourredine Adam remplacé, Demafouth revient, http://afriquenewsblog.wordpress.co...

[73] HRW, septembre 2013, p7 « Je peux encore sentir l’odeur des morts » La crise oubliée des droits humains en République centrafricaine, http://www.hrw.org:8080/fr/reports/...

[74] 4.4.13 Centrafrique : Noureddine Adam, l’autre homme fort de Bangui : http://www.jeuneafrique.com/Article...

[75] 27.11.10, http://www.rfi.fr/afrique/20101127-...

[76] AFP 19.7.11, http://centrafrique-presse.over-blo...

[77] http://www.amnesty.org/en/library/a...

[78] ICG, 11 juin 2013 p6, Ibid

[79] 4.4.13 Centrafrique : Noureddine Adam, l’autre homme fort de Bangui : http://www.jeuneafrique.com/Article...

[80] 5.12.12, Bangui : Vers la fin du processus DDR pour l’APRD : http://reseaudesjournalistesrca.wor...

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2.1.2 Un soutien très secret de Déby à la Séléka dès le départ

Idriss Déby semble avoir commencé à agir en faveur de la Séléka en libérant, au minimum, Mohamed Dhaffane qui était aussi emprisonné ou en résidence surveillée au Tchad[81]. Le 10 juillet 2012, selon un communiqué de Noureddine Adam, qui s’estime alors Président du Conseil Suprême de la Convention des Patriotes pour la Justice et la Paix (CPJP), et selon une déclaration de son adversaire dans la CPJP Abdoulaye Hissène[82], Mohamed Dhaffane est toujours prisonnier[83]. Pourtant sa rébellion, la Convention patriotique du salut du Kodro (CPSK), a été créée fin juin 2012[84]. Il est possible qu’il y ait eu sur l’emprisonnement de Mohamed Dhaffane sur la dernière période de l’été 2012, une certaine désinformation pour favoriser un plan militaire. Le jeune Nelson Ndjadder, qui a rejoint la CPSK puis la Séléka pour la quitter déçu le 3 mars 2013 témoigne fin 2013[85] : « J’ai été contacté par Moussa Dhaffane (président de la Convention Patriotique du Kodro, "kodro" voulant dire pays) qui m’a mis au parfum de l’action qui était en cours, c’est-à-dire qu’Idriss Déby (président du Tchad) et Omar el-Béchir (président du Soudan) se préparaient à renverser Bozizé. » Nelson Ndjadder déclarait également dans un communiqué le 20 août 2013[86] : « Nous avons des preuves tangibles que plusieurs responsables politiques et militaires de la Séléka, ont séjourné à Ndjaména, sécurisés par les renseignements tchadiens. C’est le cas de Dhaffane, Nouredine Adam et bien d’autres. » Nelson Ndjadder semble sur d’autres sujets avoir relayé de fausses informations[87], aussi toutes ses déclarations sont à prendre avec précautions, mais cette information a plusieurs sources. Déby a peut-être un jour aussi libéré Noureddine Adam s’il a vraiment été arrêté réellement, parce qu’il y a pu avoir désinformation à ce sujet.

Human Right Watch reprend une information d’International Crisis Group [88] : « En 2012, le gouvernement de la RCA a commencé à perdre les faveurs du président tchadien. Suite à cette rupture, des membres tchadiens de la garde présidentielle de Bozizé ont été rappelés à N’Djamena en 2012. Au même moment, le gouvernement tchadien libérait des membres de la Séléka qui étaient maintenus sous surveillance au Tchad, ce qui les a laissés libres de rejoindre la coalition rebelle en formation en RCA. Selon les analystes, le changement qui s’est produit au niveau des allégeances du Tchad en RCA peut s’expliquer par le besoin de maintenir le contrôle de la ceinture pétrolière au sud du Tchad, une zone où les résidents locaux sont historiquement opposés à Déby. (Voir ICG, « RCA : les urgences de la transition, », 11.6.13[89].) Des groupes rebelles hostiles à Déby armés par le Tchad, tels que le Front uni pour le changement ou des éléments fidèles à l’ancien chef des rebelles tchadiens Abdel Khader Baba Laddé du Front populaire pour le redressement utiliseraient le nord de la RCA comme base arrière. (Entretien HRW avec un officier de la FOMAC, Kaga Bandoro, 5.6.13.). » Le rapport d’ICG ne précise pas les membres de la Séléka libérés et indique en annexe (B, p37) que Moussa Dhaffane a été ‘Libéré en plein cœur de la crise par le pouvoir tchadien’, a priori en octobre 2012, date du retrait de la protection tchadienne, ou début novembre.

Selon RFI, après le passage conflictuel de Déby à Bangui en mai 2012, Bozizé craint un soutien de Déby à des rebelles ‘centrafricains’[90] : « Dans les mois qui ont suivi, les relations n’ont fait que s’envenimer, François Bozizé soupçonnant son voisin du nord de soutenir les rebelles, puisqu’il accueillait deux de leurs leaders au moins sur son sol. »

A partir de mi-2012, la CPJP est divisée en 2 rébellions, celle d’Aboulaye Hissène qui signe l’Accord de Paix Global de Libreville du 25 août 2012 avec Bozizé[91], et celle de Noureddine Adam, appelé aussi CPJP fondamentale[92], les 2 composantes s’accusant mutuellement d’être usurpatrices[93]. L’accord de Libreville 1 prévoit un programme Désarmement, Démobilisation et Réintégration (DDR) pour la CPJP[94], qui n’est pas accepté par la CPJP fondamentale, qui, ainsi, est ‘poussée’ par un accord non inclusif vers une radicalisation.

Sur le terrain, la CPJP fondamentale s’est fait connaître les 16 et 17 septembre 2012, aux côtés d’ex-‘libérateurs’ (certains parmi 200 jeunes recrues[95]) lors d’une attaque sur les localités de Sibut et Damara, au nord de Bangui. La Séléka justifie cette attaque dans un communiqué du 12 décembre 2012 signé Djotodia, Adam et Dhaffane, par une liste de revendications, dont le « respect des recommandations du Dialogue Politique Inclusif (DPI), qui s’est tenu en 2008 »[96], et en écrivant qu’elle a été entreprise « conformément à la philosophie politique de l’Accord militaire stratégique du 20 août 2012 entre la CPJP du Général Noureddine Adam et la CPSK du Général Mohamed-Moussa Dhaffane, à laquelle s’est librement adhérée l’UFDR de Monsieur Michel Djotodia, résultat des négociations constructives entre les deux Présidents de la CPJP et de l’UFDR, et dans le cadre de la mise en œuvre dudit Accord »[97].

Abdoulaye Hissène, a aussitôt affirmé, selon RFI, « Il n’y a pas un seul élément de la CPJP parmi eux. Il n’y a pas un seul responsable de la CPJP parmi eux ! (…). Cette rébellion pour moi est purement tchadienne ! Il n’y a pas un seul centrafricain parmi eux ! »[98] Le 17 septembre 2012, l’alliance CPSK-CPJP a aussitôt publié un communiqué démentant être composée de « tchadiens et d’étrangers », et accusant Abdoulaye Hissène de vouloir provoquer une intervention de l’armée tchadienne[99]. Celui-ci étant du côté de la paix ne pouvait plus armer des jeunes pauvres ou recruter des mercenaires aguerris, comme s’il allait à la guerre comme Noureddine Adam, et alors qu’il avait commencé en septembre 2012 à transformer sa faction de la CPJP en parti politique[100]. En juin 2013, seulement 400 soldats restaient autour d’Abdoulaye Hissène, devenu paradoxalement alors ministre centrafricain de la Jeunesse, des Arts et de la Culture, pour intégrer les Forces armées centrafricaines (FACA) à Bangui[101].

Le 29 octobre 2012, des éléments du FDPC de Miskine et des dissidents de la CPJP sont signalés dans un petit pillage[102]. Alors que la traque de la LRA attire encore l’attention[103], en novembre, la Séléka n’apparait pas encore et l’Observatoire centrafricain de droit de l’homme (OCDH) évoque le 21 novembre dans son bilan de l’année 2012[104] « l’occupation de certaines régions du pays par des rebellions étrangères telle que le Front populaire pour le redressement (FPR) du Tchadien Baba-Laddé et l’Armée de résistance du seigneur (LRA) de l’ougandais, Joseph Kony, qui continuent de commettre des exactions dans le sud-est … plusieurs attaques, de la rébellion du Front démocratique du peuple centrafricain (FDPC) d’Abdoulaye Miskine, un proche de l’ancien président Ange Félix Patassé… » et l’attaque du 15 septembre de Damara et Sibut, « par des dissidents de la convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP) ».

L’agence de presse centrafricaine la Nouvelle Centrafrique évoque une réunion secrète à Ndjamena en novembre 2012 réunissant Nicolas Tiangaye, Michel Djotodia, Martin Ziguélé et d’autres[105]. Le Mouvement Révolutionnaire Populaire pour la Libération (MOREPOL) présidé par Lévi Yakété qui deviendra ensuite un représentant des anti-balaka et s’engagera pour le retour de Bozizé, a déclaré le 6 juin 2013[106], parlant de la Séléka, de Djotodia, Adam, Dhaffane et Djadder : « Cette soi-disant rébellion centrafricaine n’en était pas véritablement une. Elle a été plutôt une invention de monsieur Idriss Déby qui, voyant le Président François Bozizé qu’il considérait comme étant son homme de main commencer à se libérer de son emprise et prendre trop de liberté, allant jusqu’à renvoyer à Ndjamena de façon inattendue les éléments tchadiens mis à sa disposition pour « surveiller » ses fréquentations et avoir l’audace de ne pas accepter que le « pipe-line » pétrolier de Centrafrique soit connecté à celui du Tchad, préférant le faire passer par le Soudan. Déby n’a pas également pardonné à Bozizé le non respect du Dyle [deal] qu’ils ont tous les deux conclu au sujet de Charles Massi et de Baba Ladé. L’un et l’autre devrait faire disparaître purement et simplement ces chefs rebelles jugés encombrants. Déby a fait sa part de sale besogne et Bozizé, pour quel motif on ne sait, n’a pu respecter le pacte conclu (est-ce à cause de sa religion céleste ?). Baba Ladé a donc été rapatrié vivant au Tchad et Déby a juré de faire payer à Bozizé sa trahison. Pour assurer le succès de son expédition punitive contre Bozizé et conscient qu’aucun groupe rebelle centrafricain n’est capable d’arriver à Bangui et de faire tomber ce dernier, il a décidé de s’occuper personnellement des préparatifs de l’opération en invitant tous les vrais ou faux chefs rebelles et les « ennemis » personnels de Bozizé à Ndjamena début novembre 2012 et les a logés à ses propres frais. Il a ensuite fait libérer Dhaffane, arrêté et emprisonné entretemps dans les geôles tchadiennes pour escroquerie et tentative de vol à main armée, pour qu’il intègre le groupe. Pour se faire bonne conscience et croyant à tort que Néris était le fils biologique de Massi, il lui a fait appel en vue de donner une certaine crédibilité à la manœuvre. Participaient également à cette réunion Martin Ziguélé, Nicolas Tiangaye, Abdou Karim Meckassoua, Crépin Mboligoumba, Guy Moskyt et Prosper Ndouba. Déby a informé ses interlocuteurs que les mesures ont déjà été prises auprès des chefs rebelles du Darfour et des chefs tribaux Zagawas pour rassembler les combattants et les mettre à disposition. » On peut douter de la véracité intégrale de ce récit, qui sans doute mêle quelques éléments factuels, des interprétations et peut-être une partie mensongère. Abdou Karim Meckassoua est le ministre des Postes, Télécommunications et des Nouvelles technologies de Bozizé, il réapparaitra en janvier 2014 comme candidat à la présidence de transition. Crépin Mboli-Goumba, alors président du parti Patrie sera ministre de l’équipement et porte-parole du gouvernement de Djotodia[107]. Prosper Ndouba, ancien porte-parole de Patassé, chroniqueur du blog Centrafrique Presse, anti-Bozizé, sera, lui, nommé par Djotodia, conseiller en communication et porte parole de la présidence en avril 2013[108]. D’autres informations contradictoires circulent sur internet sur une ou la mystérieuse réunion de novembre 2012, qui demanderaient des vérifications[109].

[81] 8.7.12, La CPJP se dit favorable pour le retour de la paix : http://www.radiondekeluka.org/secur...

[82] 10.7.13, Vers la signature de l’Accord de paix global par la CPJP, http://www.journaldebangui.com/arti...

[83] 12.7.12, Rca : Tout accord signé par Abdoulaye Hisseine n’engage que lui seul, selon le CPJP, http://www.alwihdainfo.com/Rca-Tout..., http://cpjp.centrafrique.over-blog....

[84] 21.6.12, Communiqué final de l’Assemblée constituante de la CPSK : http://dhaffane.over-blog.com/artic...

[85] 30.12.13, Centrafrique : "La seule solution c’est d’arrêter Bozizé et Djotodia" : http://www.bfmtv.com/international/...

[86] 20.8.13, FRD : Le Rôle d’Idriss Deby en RCA nuit à la paix et à la stabilité : http://tchadhanana.info/frd-le-role...

[87] 29.12.13, Ndjadder Nelson Opposant Centre-Africain : Macky, Déby, Djotodia et les diamants : http://xalimasn.com/ndjadder-nelson...

[88] HRW, septembre 2013, p9 « Je peux encore sentir l’odeur des morts » La crise oubliée des droits humains en République centrafricaine, http://www.hrw.org:8080/fr/reports/...

[89] 11.6.13, ICG, RCA : les urgences de la transition, p10 : ICG a fait des entretiens avec des membres de la Séléka, http://ww.crisisgroup.org/ /media/Files/africa/central-africa/203-centrafrique-les-urgences-de-la-transition.pdf

[90] 26.3.13, Centrafrique : Bozizé lâché par Déby, ignoré par Hollande http://www.rfi.fr/afrique/20130326-...

[91] 28.8.12, Adhésion de la CPJP à l’Accord de Paix Global de Libreville : http://makaila.over-blog.com/articl...

[92] 3.1.13 : http://reseaudesjournalistesrca.wor...

[93] 10.7.12, Déclaration de la Haute Autorité de la Convention des Patriotes pour la Justice et la Paix (CPJP) en Centrafrique, http://cpjp.centrafrique.over-blog....

[94] BINUCA, Adhésion de la CPJP à l’Accord de Paix Global de Libreville : http://binuca.unmissions.org/Defaul...

[95] 18.9.12, Pierre Inza, 200 jeunes centrafricains ont regagné les rangs de la CPJP fondamentale, http://globevisionnaire.6mablog.com...

[96] HRW, septembre 2013, p8 « Je peux encore sentir l’odeur des morts » La crise oubliée des droits humains en République centrafricaine, http://www.hrw.org:8080/fr/reports/...

[97] 12.12.12, Déclaration du Séléka CPSK-CPJP-UFDR relative à la situation politico-sécuritaire en vue d’une sortie de crise, http://centrafrique-presse.over-blo...

[98] 17.9.12, RFI, République Centrafricaine : les dissidents de la CPJP revendiquent les attaques de Damara et Sibut : http://www.rfi.fr/afrique/20120917-...

[99] 17.9.12, Communiqué Relatif aux déclarations incongrues de Monsieur Abdoulaye Hissène : http://makaila.over-blog.com/articl...

[100] 2.9.12, La CPJP se transforme en parti politique http://www.radiondekeluka.org/polit...

[101] sans que leur motivation soit évidente, ce qui fit dire à leur chef : « Parce que certaines personnes ont vu nos cargaisons d’armes, elles pensent que nous sommes entrain de fomenter un sale coup pour le régime en place » : 13.6.13, 400 hommes d’Abdoulaye Hissen arrivent à Bangui http://www.afrik.com/centrafrique-4...

[102] 29.10.2012 : http://reseaudesjournalistesrca.wor...

[103] La LRA à partir de décembre 2012 disparaît mystérieusement des combats.

[104] 21.11.12, Bangui : une situation politico-sécuritaire critique en 2012 selon la société civile : http://reseaudesjournalistesrca.wor...

[105] 16.12.13, Tchad : Les petits calculs de la diplomatie tchadienne : http://www.lanouvellecentrafrique.i...

[106] 6.6.13, http://www.journaldebangui.com/file..., http://www.lanouvellecentrafrique.i...

[107] En 2004, Crépin Mboli-Goumba avait signé un livre contre le colonialisme et le néocolonialisme … http://www.editions-harmattan.fr/in...

[108] 24.4.13, http://www.sangonet.com/afriqg/PAFF...

[109] Par exemple : ‘Le 23 novembre 2012, Nicolas Tiangaye, Martin Ziguele, Henry Pouzere, Crépin Boligoumba, Christophe Gazam betty se sont rendu à N’Djamena au Tchad où ils ont rencontré secrètement Michel Djotodia’, http://centralafricanrepublicnews.w...

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2.2 L’offensive de la Séléka en décembre 2012 sous l’œil de Déby

Il semble que, début décembre 2012, juste avant le démarrage du programme de Désarmement, Démobilisation et Réintégration (DDR) prévu en janvier 2013, les Forces armées centre-africaines (FACA) n’étaient pas en mesure de savoir exactement quelles étaient les forces de la CPJP et de l’UFDR qui acceptaient l’accord de paix suivant les chefs Hissène et Damane et quelles étaient celles qui obéissaient à Adam et Djotodia. Le 10 décembre 2012, « un habitant de la ville de Ndélé, la population a été terrorisée par l’incursion des éléments de l’UFDR qui étaient basés au village de Kourbou, localité à sept kilomètres de la ville, pour attendre le programme de Désarmement, démobilisation et réinsertion. Ces éléments ont fait irruption dans la ville et ont attaqué le détachement des Forces armées centrafricaines (FACA). »[110] Si c’est le cas, une stratégie tenant compte du programme DDR explique sans doute le silence maintenu sur la création de la Séléka et les chefs qui la dirigeaient. La CPJP d’Hissène en attente de désarmement était aux côtés des FACA contre l’UFDR de Djotodia à Ndélé[111]. Djotodia apparaît le 10 décembre comme le chef de l’UFDR et pas encore de la Séléka. Le 17 décembre l’UFDR prend Bamingui, après Ndélé, Sam-Ouandja et Ouadda[112].

La dénomination ‘Séléka’ apparaît pour la première fois le 17 décembre 2012, décrivant l’alliance CPSK-CPJP-UFDR, sans FDPC qui apparaîtra juste après, dans un communiqué du 12 décembre signé des 3 chefs[113] et dans un communiqué signé Noureddine Adam du 16 décembre. Le 18 décembre, les rebelles ont attaqué plusieurs villes du Nord-Est et Bria au centre-nord[114], puis ont continué d’avancer vers Bangui. La Séléka a profité d’un effet de surprise, les FACA étant dispersées dans l’ensemble du pays. Un mystère subsiste sur comment CPSK, CPJP et UFDR se sont armées avant le 10 décembre. Des accusations contre Déby sans preuve ont circulé. Suite à la prise de certaines préfectures, la Séléka aurait pu profiter des pistes d’aviation pour des échanges d’armes contre diamants.

Les présidents de la CEEAC se sont réunis le 21 décembre à Njaména et ont appelés à un dialogue immédiat. Jeune Afrique parle dès le 21[115] de la « colonne tchadienne » à Sibut, colonne de l’armée tchadienne « accourue » et qui « avait déjà stoppé l’avancée des rebelles » (juste avant le 21). Le 26, des exactions des soldats tchadiens mêlés aux FACA, pillages et viols, sont signalées à Sibut[116].

Selon RFI : « Quand la Séléka a lancé sa première offensive sur Bangui, en décembre (2012), les militaires tchadiens étaient intervenus. Principe de précaution, Ndjamena soupçonnait Michel Djotodia d’entretenir de bonnes relations avec la rébellion tchadienne. »[117] Cette présentation imprécise est sans doute inexacte, car la réalité était plus complexe : Déby n’était pas satisfait des relations ambivalentes de Djotodia avec certaines rébellions tchadiennes et il a pu espérer obtenir des arrangements. Plusieurs hypothèses sont possibles, autour de la position des autres présidents d’Afrique centrale, d’aspects diplomatiques, d’arguments de Bozizé, du rapport de force militaire, de la composition et de la force de la Séléka contenant encore trop de ses ennemis, de fait que la Séléka ne lui était pas assez redevable, … Puis, Déby abandonnera totalement Bozizé en mars 2013.

A Paris, la Séléka a récupéré le beau-fils de Charles Massi, Eric Massi, passionné de réseaux sociaux, comme porte-parole et coordonnateur international, qui apparaît le 26 décembre[118] et interviendra pendant les accords de Libreville, avant, en avril 2013, de devenir directeur de l’Autorité nationale de l’aviation civile, nettement plus silencieux[119]. Plus discret, François Nelson Ndjadder, a été coordonnateur-délégué pour l’Europe, depuis la France, fin 2012 début 2013[120], et il a eu du mal a accepté le leadership de Djotodia[121]. Un autre porte parole est intervenu en France, Jean-Paul Bagaza, auprès d’Eric Massi puis après le retour de celui-ci en RCA au moment des accords de Libreville en janvier 2013[122].

Jean-Paul Bagaza, porte-parole dans la ‘coordination’ de la Séléka est interviewé une première fois le 20 décembre 2012 par le journaliste Christophe Rigaud du site Afrikarabia[123], et il indique : « Nous (Séléka) avons donc demandé au président Déby de revenir à la raison et nous l’avons même sollicité pour devenir médiateur dans cette affaire. Nous lui avons expliqué que la France ne nous soutient pas et que nous sommes une rébellion interne à la Centrafrique. » Ce dernier argument très étrange ne révèle-t-elle pas une part de mensonge plus grande ? En décembre 2012, parce Bozizé dénonçait la présence dans la Séléka de « combattants Tchadiens, Nigériens et Soudanais » et le « soutien de la France », la Séléka (CPSK-CPJP-UFDR-FDPC) a démenti : « S’il y avait des Tchadiens en notre sein nous n’aurions pas sollicité la médiation du Président de la République sœur du Tchad. »[124] Eric Massi communiquait de la même manière en décembre 2012.

Un an plus tard, le 15 février 2013, de nouveau interviewé à Paris par le blog Afrikarabia[125], Jean-Paul Bagaza, va raconter une version contradictoire qui se conclut par une instrumentalisation de la Séléka : « En septembre 2012, nous sommes entrés en contact avec Nourredine Adam du CPJP (Convention des Patriotes pour la Justice et la Paix), qui était alors au Tchad, à N’Djamena. Nourredine Adam avait de très bons contacts avec Idriss Déby, le président tchadien. En discutant avec Déby, Nourredine constate que les relations entre le Tchad et la Centrafrique se sont fortement détériorées. Selon Déby, Bozizé ne tient plus parole. Beaucoup d’accords commerciaux et militaires n’ont jamais vu le jour. Notamment sur la création d’une force militaire mixte pour contrôler la frontière entre les deux pays. Idriss Déby souhaitait également la construction d’un pipeline pour alimenter en eau le Tchad depuis la rivière Oubangui. Tous ces projets traînaient. L’autre contentieux entre les deux pays concernait le colonel Charles Massi que le Tchad a livré au régime centrafricain. L’opposant a ensuite été assassiné dans les prisons de Bozizé, contrairement aux engagements pris. François Bozizé avait en effet clairement promis à Idriss Déby de ne pas éliminer Charles Massi. Il n’a pas tenu parole. Idriss Déby a été très en colère. .. Le président tchadien et ses proches ont décidé d’écarter Bozizé du pouvoir. Les tchadiens se sont alors appuyés sur Nourredine Adam, qui avait déjà des soldats. Mais pour éviter que cette rébellion ne soit uniquement "musulmane" et taxée d’extrémisme religieux, les tchadiens voulaient trouver "un intellectuel" pour mettre à la tête du mouvement. Début octobre 2012, Nourradine Adam nous a appelés pour nous dire que c’était Firmin Findiro qui allait occuper la direction politique du mouvement et que nous allions rencontrer le général Mahamat Ali Abdallah Nassour à Paris. Ce général tchadien est un proche de Déby, qui avait d’ailleurs aidé François Bozizé à renverser l’ancien président Patassé en 2003. Il connaissait donc très bien Bozizé. Lors de notre rencontre à Paris, le général nous a dit la même chose que Nourradine : "nous ne voulons plus de Bozizé, il ne tient pas parole, il faut qu’il parte…". Il nous a aussi dit que pour la stabilité de la région et des frontières, il fallait se débarrasser du président centrafricain. Mahamat Ali Abdallah nous a mis en contact avec le fils d’Idriss Déby, Zakaria, avant de pouvoir rencontrer le président tchadien à Paris, lors d’une visite prévue en octobre 2012 avec François Hollande. Zakaria Déby nous a ensuite appelés pour nous dire que nous pourrions rencontrer le président tchadien à Paris avant le Sommet de la francophonie d’octobre. Mais le président Déby n’a pas voulu d’une rencontre "officielle", pour éviter d’apparaître dans cette histoire. En fait, le président français a décalé sa rencontre avec Idriss Déby pour la reporter début décembre 2012, ce qui changeait évidemment tous nos plans. Pour déclencher la rébellion, il nous fallait une autorisation au moins "officieuse" de l’opération. On voulait une "bénédiction" avant de déclencher toute attaque. Mais entre temps nous avions déjà fédéré tous les autres groupes rebelles depuis le mois de septembre 2012 et on ne pouvait plus reculer. Dans un premier temps, notre stratégie était que chacune des rébellions mènent ses attaques dans son coin, pour faire croire à des mouvements isolés. Et une semaine après nous devions annoncer la création d’une coalition : la Séléka. Ce qui s’est effectivement passé… Il fallait profiter, dans un premier temps, du soutien d’Idriss Déby pour renverser Bozizé et lui montrer que la Séléka était à ses côtés. Et dans un deuxième temps, après la chute de Bozizé, nous aurions renversé Déby. A propos de l’échec militaire de la Séléka, nous avons été naïfs. Le président Idriss Déby a joué double jeu avec nous. C’est lui qui a fixé la fameuse "ligne rouge" au niveau de la ville de Damara que nous ne devions pas dépasser. Idriss Déby a menacé Michel Djotodia et Nourradine Adam de vouloir les remplacer à la tête du mouvement s’ils franchissaient Damara. Ce que nous avons compris aujourd’hui, c’est que le président Déby a voulu utiliser la Séléka comme un moyen de pression sur François Bozizé. Le président tchadien a obtenu ce qu’il voulait : il y a maintenant la mise en place d’une brigade mixte et le projet de pipeline avance de nouveau. Aujourd’hui Idriss Déby continue donc de contrôler la République centrafricaine, avec ces 3 enfants. Nous avons tout simplement été instrumentalisés par le Tchad. »

Le degré de véracité de ce témoignage capital est à étudier.

Selon la journaliste de Libération, Maria Malagardis, en mars 2013[126], « il semblerait que le mouvement naissant ait eu dès le départ plusieurs mentors et qu’il ait aussi bénéficié de l’appui décisif du président tchadien, Idriss Déby, exaspéré par François Bozizé, jugé de plus en plus ingérable et peu fiable. En fait, Déby aurait joué double jeu, s’appuyant, selon les circonstances, sur les deux camps. Mais l’un de ses fils, Zakaria, aurait servi d’intermédiaire et de conseil auprès du Séléka… » Elle estime que « Firmin Findiro, ‘l’intellectuel’, ancien ministre de la Justice de Bozizé, a joué un rôle important dans la création du Séléka ». Firmin Tindiro, un pilier de la dictature de Bozizé, limogé le 16 juillet 2012, est arrivé fin août[127] en France cherchant à obtenir l’asile politique[128]. En décembre 2011, selon Jean-Paul Bagaza[129], qui l’a accueilli à Paris, il aurait été, en conflit avec Bozizé sur la modification de la constitution pour un 3e mandat : « Le clan Bozizé avait décidé de présenter le fils, Francis, à la présidentielle, si François Bozizé n’arrivait pas à modifier la constitution pour briguer un nouveau mandat en 2016. … Firmin Findiro a tenté de dissuader le président de modifier la constitution, compte tenu de l’instabilité politique ambiante et de l’activité de nombreux groupes rebelles. » cette information est à vérifier et il aurait aussi été accusé avec Sylvain Ndoutingaï « de préparer un coup de force contre le régime (qui a fait que) sans chercher à comprendre, Bozizé va les limoger et les pousser à l’exil. »[130] Le rôle de Firmin Findiro dans la création de la Séléka, s’il se confirme, reste à éclaircir.

Le 31 décembre 2012, Déby a officiellement fixé la « ligne rouge » à ne pas franchir par la Séléka, à Damara[131]. Selon des témoins tchadiens, qui restent discrets, un renforcement de la Séléka par Déby se serait fait fin 2012 par le transport de centaines d’hommes, et le de déplacement de pick-up correctement armés depuis Ndjaména vers Birao, qui auraient paradoxalement aussi servi à des mercenaires tchadiens précédemment opposés à Déby arrivant du Soudan pour servir dans la Séléka. Ces affirmations manquent de preuves et correspondent peut-être plus à la conscience d’un soutien politique de Déby à la Séléka plus qu’à la vérification d’une action sur le terrain.

Le journaliste-blogueur Makaila Nguebla réfugié en France écrit[132] : « Idriss Deby a envoyé coup sur coup 100 et 150 Toyotas lourdement armées en direction de la RCA pour court-circuiter la coalition Séléka qui a cru naïvement à sa bonne foi. En effet, on vient de l’apprendre que des véhicules militaires tchadiens lourdement armés ont traversé le sud du pays, hier et aujourd’hui pour aller intervenir en RCA. » Si des colonnes tchadiennes ont quitté Ndjaména en décembre 2012, il manque des précisions sur les dates, et les destinations exactes de chaque colonne qui déterminent les fonctions de ces armes, destinées soit à rester entre les mains de forces tchadiennes soit à être transmises à la Séléka. Faute de preuves, des accusations sur des armes lourdes qui auraient rejoint la partie de la Séléka la plus proche de Déby sont à prendre avec précautions. La traversée du sud du Tchad dans lequel se trouvent de nombreux opposants à Déby, n’a pu se faire sans se voir, mais au Tchad la liberté d’expression est minimale et la répression maximale. C’est aussi la prise de Bossembélé, garnison du plus grand stock d’armes des FACA avec Bangui, qui a le plus augmenté l’armement de la Séléka. Roland Marchal, sur RFI le 24 mars 2013, s’interroge sur l’armement de la Séléka : « On peut quand même se poser des questions sur l’importance du matériel lourd qu’ils ont. Qui peut, pour une part, relever du pillage des arsenaux dans les villes conquises, mais qui semble avoir une autre origine, également »[133]. Selon un témoignage à Ndjaména, l’armée tchadienne avait aussi récupéré des armes et véhicules de rébellions tchadiennes du Darfour entre 2008 et 2011, lors de ralliements d’une partie des FSR, de l’UFCD, UFDD et UFDD fondamentale, les avait stockés, et, ces armes et véhicules-là auraient été mis à disposition de la Séléka, pour brouiller la traçabilité.

Côté français, selon la BBC, le 31 décembre 2012, « François Hollande a appelé à "l’ouverture d’un dialogue entre les autorités centrafricaines et toutes les parties en présence, notamment la rébellion". Au cours de cet entretien téléphonique lundi après-midi, le président français a invité François Bozizé "à engager ce processus dans les meilleurs délais". Menacé par l’avancée de la rébellion en Centrafrique, François Bozizé avait appelé en vain la semaine dernière l’aide de la France. Il avait demandé dimanche à rencontrer le président français. » Alors que, d’après RFI, « en 2006 et en 2007, l’armée française avait repoussé les rebelles de l’UFDR (Union des forces démocratiques pour le rassemblement) et repris l’aéroport de Birao au terme de bombardements meurtriers »[134], Bozizé a essuyé un refus de Paris de lui venir en aide, ce qui peut aussi s’expliquer par un nouveau positionnement de l’exécutif français en général pour ce type de demande, pour ne plus être accusé d’ingérence néocoloniale : « … intervenir dans les affaires intérieures d’un pays... Ce temps là est terminé ». Le 28 décembre 2012, sur i-télé, Elisabeth Guigou, présidente de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française a indiqué[135] que Bozizé « avait formulé des promesses, notamment à son voisin tchadien (…) d’organiser une réconciliation nationale, de faire en sorte que toutes les forces politiques soient associées au pouvoir, ça n’a pas eu lieu… Il faut que les pays africains voisins se mettent d’accord pour obtenir une solution politique qui fasse en sorte que le calme revienne, qu’on donne à l’opposition certaines garanties et qu’effectivement M. Bozizé soit applique ses promesses, soit laisse la place. » Ce point de vue, faire pression sur Bozizé, est celui qui est aussi attribué à Déby à cette période.

[110] 10.12.12 Ndélé : La ville attaquée par l’UFDR : http://reseaudesjournalistesrca.wor...

[111] 11.12.12 : http://reseaudesjournalistesrca.wor...

[112] 17.12.12 : Bamingui : l’UFDR prend le contrôle de la ville : http://centrafrique-presse.over-blo...

[113] 16.12.12 Déclaration de la Séléka CPSK-CPJP-UFDR relative à la situation politico-sécuritaire en vue d’une sortie de crise http://cpjp.centrafrique.over-blog....

[114] http://cpjp.centrafrique.over-blog....

[115] 21.12.12 , La CEEAC stoppe l’avancée des rebelles et demande l’ouverture de négociations à Libreville, http://www.jeuneafrique.com/Article...

[116] 26.12.12, Sibut : La population terrorisée par les forces tchadiennes : http://reseaudesjournalistesrca.wor...

[117] 26.3.13, Centrafrique : Bozizé lâché par Déby, ignoré par Hollande : http://www.rfi.fr/afrique/20130326-...

[118] http://reseaudesjournalistesrca.wor...

[119] 21.4.13, https://afriquenewsblog.wordpress.c...

[120] 7.1.13, Quel ou qui est le visage de la coalition Séléka ?, http://www.journaldebangui.com/arti...

[121] 25.3.13, http://africaresearchonline.wordpre...

[122] 2.1.13, Centrafrique : un dénouement imminent ?, http://gabonreview.com/blog/centraf...

[123] 20.12.13, http://afrikarabia2.blogs.courrieri...

[124] 25.12.12, communiqué Séléka : http://cpjp.centrafrique.over-blog....

[125] 15.2.13, Les secrets de la Séléka : http://afrikarabia2.blogs.courrieri...

[126] 25.3.13, Michel Djotodia, nouveau boss à Bangui, http://www.liberation.fr/monde/2013...

[127] 2.9.12, http://www.radiondekeluka.org/polit...

[128] 21.9.13, Pourquoi la France ne doit pas accorder l’asile à Firmin Findiro, http://www.afrik.com/article27131.html

4.9.12, Findiro, bien localisé à une adresse dans la ville de Tours http://www.centrafrique-presse.info...

[129] 15.2.13, Les secrets de la Séléka : http://afrikarabia2.blogs.courrieri...

[130] 20.3.13, Quand Francis Bozizé et ses frères écartent le « vice président » sylvain Ndoutingaï de la mangeoire, http://www.centrafriquelibre.info/?...

[131] 31.12.12, http://tchadpages.com/2012/12/31/ce...

[132] 30.12.12, Coup de théâtre en RCA : Idriss Deby a court-circuité les Séléka, http://makaila.over-blog.com/articl...

[133] 24.3.13, http://www.rfi.fr/afrique/20130324-...

[134] 28.12.12, Centrafrique : la France n’a pas à « protéger un régime » selon François Hollande, http://www.rfi.fr/afrique/20121228-...

[135] 28.12.12, Pour Guigou, Bozizé "soit applique ses promesses, soit laisse la place" : http://www.lcp.fr/actualites/politi...

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2.3 Les ‘mercenaires’ des rébellions tchadiennes du Soudan dans la Séléka

Les combattants tchadiens passent facilement d’une rébellion à une autre. Idriss Déby a réussi à s’imposer militairement après 2008 grâce à l’argent du pétrole depuis 2003, le pays a repoussé hors de ses frontières ses ennemis, un peu en Libye, un peu en Centrafrique, beaucoup au Soudan, au Darfour. Il a aussi réussi à faire accepter au niveau international sa stratégie, parce que la communauté internationale accepte de moins en moins les coups d’Etat et les rébellions, en étant encore complaisante avec les élections fraudées et la simulation de la démocratie par les dictatures. Les rébellions qui se maintiennent au Soudan depuis 2009 ont moins d’avenir, sont dans une impasse politique, autant que les démocrates au Tchad[136] en 2012-2013 victimes de la ‘réhabilitation’ de Déby. Certains chefs sont en exil en France, dont Mahamat Nouri, dirigeant de l’UFDD (Union des forces pour le développement et la démocratie), qui « a mené l’attaque sur Ndjamena en février 2008 »[137]. Des soldats inactifs étaient donc disponibles en 2012 au Soudan pour être recrutés.

Une grande partie des ‘mercenaires’[138] de la Séléka a été recrutée dans des rébellions tchadiennes au Soudan[139], et, en particulier, les spécialistes techniques qui manient les armes lourdes seraient des tchadiens du Soudan, venant de l’Union des Forces de la Résistance (UFR)[140], dont une partie du Front Uni pour le Changement (FUC), qui fait partie de l’UFDD qui est elle-même dans l’UFR. Le journaliste français Vincent Munié indique, lui, la présence en RCA « des rebelles Tchadiens du Colonel Aboud Moussa Mackaye (UFDD-Fondamentale), et de Janjawids Soudanais échappés du conflit au Darfour »[141]. Des sources tchadiennes indiquent que beaucoup de mercenaires seraient issus de l’Union des forces pour la démocratie et développement (UFDD) de Mahamat Nouri, et du Front populaire la résistance nationale (FPRN), d’Adoum Yacoub, 2 composantes de l’UFR dirigée depuis 2009 par Timan Erdimi, neveu de Déby exilé à Doha[142]. Roland Marchal y ajoute l’Union des forces pour le changement et la démocratie (UFCD) d’Adouma Hassaballah qui fait aussi partie de l’UFR. Un journaliste centrafricain évoque aussi aux côtés des éléments de la CPJP, la présence des mercenaires du général rebelle tchadien, Baba Laddé, chef du Front populaire pour le redressement (FPR), qui était présent en RCA entre 2008 et septembre 2012[143].

Selon le chercheur Roland Marchal[144], « Idriss Déby est conscient que parmi les gens de la Séléka se trouvent de nombreux combattants tchadiens, qui ont servi sous les ordres de Mahamat Nouri, Adouma Hassaballah et Adoum Yacoub Kougou et, pour l’essentiel, appar­tiennent à des groupes ouaddaïens[145]. De plus, anticipant une victoire militaire de la Séléka, de nombreux opposants tcha­diens dans les pays de la grande région s’agitent et parlent de reprendre la lutte armée avec cette fois ci la RCA comme sanctuaire. »

Il est très difficile de savoir quel est le lien, le niveau d’accord, entre ces ‘mercenaires’, des officiers présents en Centrafrique, et les leaders des rébellions. Le capitaine Ismail Moussa, chef du Front de Salut pour la République (FSR)[146], qui vit en Tunisie, s’est rendu en RCA en 2012, où il était sans troupes, puis le FSR a félicité la Séléka en mars 2013, sans être partie prenante[147]. Quelques hommes du FSR ont rejoint la Séléka et le FSR est aujourd’hui dispersé. Dans la majorité des cas, ce sont des mercenaires tchadiens qui sont arrivés sans leur chef restés au Soudan ou en exil. Comme la Séléka est divisée, il est par ailleurs difficile de connaître le poids de chaque chef de la Séléka, comme il est difficile de connaître le nombre de mercenaires venus de chaque entité du Soudan.

[136] démocrates non violents résistants à la dictature au sein et autour d’une opposition civile, avec l’espoir que cela change.

[137] 16.5.13, http://www.rfi.fr/afrique/20130516-...

[138] Tous les combattants assimilés à des mercenaires n’ont peut-être pas un esprit de ‘mercenaire’ vénal.

[139] jusqu’à 80-85% selon une source tchadienne, « pas la majorité » selon Roland Marchal, le 9.10.13, http://www.rtbf.be/info/emissions/a..., sachant qu’il y a eu passage de 5000 à 15000 mercenaires

[140] UFR : coalition surtout active début 2009 formée de 8 rébellions : UFDD, UFDD-F, FPRN, RFC, … : http://fr.wikipedia.org/wiki/Union_...

[141] 29.9.13, Vincent Munié, Monde diplomatique, http://www.unhcr.org/cgi-bin/texis/...

[142] Timan Erdimi, piégé, fulmine en vain : 26.3.14, Une nouvelle rébellion menace le Tchad et la Centrafrique, http://afrikarabia.com/wordpress/un...

[143] 28.4.13, http://rcainfo.mondoblog.org/2013/0..., arrêté en septembre 2012 , il retourne ensuite à Ndjaména où il signe la paix avec Déby.

[144] juin 2013, Roland Marchal, Politique Africaine, p8 : http://www.politique-africaine.com/...

[145] Région à l’Est du Tchad : http://fr.wikipedia.org/wiki/Ouadda...

[146] Le capitaine Ismail Moussa a remplacé Ahmat Hassaballah Soubiane à la tête du FSR vers 2010.

[147] 24.1.12, Tchad-RCA : les forces du FSR aperçues à Birao : http://makaila.over-blog.com/articl..., 25.3.13, Communiqué le FSR félicite la Séléka : http://www.letchadanthropus-tribune...

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2.4 Composition de la Séléka après l’offensive et son gonflement en RCA

Selon Human Right Watch enquêtant au printemps 2013[148], « L’origine nationale des troupes de la Séléka est une source de friction au sein de la RCA. La plupart des victimes et des témoins avec lesquels Human Rights Watch s’est entretenu ont déclaré que selon eux la majorité des membres de la Séléka venaient du Tchad ou du Soudan, principalement à cause du fait que la plupart des combattants de la Séléka ne semblent pas parler le sango, la langue la plus largement utilisée en RCA. Dans la quasi-totalité des récits d’attaques sur Bangui et les provinces, les victimes et les témoins ont déclaré que les membres de la Séléka s’exprimaient en arabe. Human Rights Watch a interrogé de nombreux combattants de la Séléka qui n’étaient pas en mesure de communiquer avec un traducteur parlant le sango. (Dans ces cas, les entretiens ont dû être menés en français avec un commandant de la Séléka, ou en arabe de base). Les troupes de la Force Multinationale des Etats d’Afrique Centrale (FOMAC) opérant à l’extérieur de Bangui ont confirmé à Human Rights Watch que les combattants de la Séléka étaient en majorité des Tchadiens ou des Soudanais. » Selon ICG[149] : « En plus des combattants originaires du Nord-Est, de nombreux soudanais, principalement originaires du Darfour, (44 Entretien de Crisis Group, membre de la CPJP, Bangui, 22 avril 2013) et tchadiens espérant jouir des retombées financières de la rébellion, ont rejoint la Seleka. (45 Entretien de Crisis Group, acteur humanitaire, Bangui, 26 janvier 2013.) »

Dès 2012, des centrafricains rejoignaient aussi la Séléka. Toujours selon ICG[150], « Un grand nombre d’anciens ‘libérateurs’, qui ont porté Bozizé au pouvoir en 2003, sont venus gonfler les rangs de la rébellion. Parmi eux, certains éléments de la garde présidentielle déclarent ouvertement avoir fait volte-face : « Bozizé nous promis de l’argent mais n’a pas tenu ses promesses donc nous avons décidé de nous retourner contre lui » (43 Entretien de Crisis Group, commandant militaire de la Seleka, Bossembélé, 11.4.13. Ce commandant précise qu’ils sont 60 à avoir quitté la garde présidentielle le 25 août 2012 pour s’opposer au président. Il a mené les premières attaques de la Seleka sous la dénomination de CPJP fondamentale en septembre 2012 à Sibut et Damara et est ensuite remonté au Nord du pays où il a attaqué Kabo le 19 décembre 2012 avec l’aide d’une cinquantaine de braconniers. Entretien de Crisis Group, acteur humanitaire, Bangui, 12.4.13). »

Quand de nombreux centrafricains ont rejoint la Séléka, avant et après mars 2013, tous les mercenaires n’ayant pas la même expérience militaire, il est probable que la perception de la Séléka comme tchadienne (avec des soudanais) pourrait avoir augmenté ou être restée en raison de la différence entre mercenaires tchadiens (et soudanais) expérimentés et mieux armés, et les jeunes recrues centrafricaines venues gagner un peu d’argent, hiérarchiquement inférieurs, capable de se disperser plus discrètement. Selon ICG[151] : « au fil de son parcours vers Bangui, la dynamique d’agrégation a fait son œuvre : ses rangs se sont étoffés avec des gens du centre du pays puis des jeunes de Bangui (un recrutement massif de jeunes a été effectué dans la capitale (46 « Nous savons qu’il y a toujours des recrutements au sein de la Seleka, ça n’est pas normal et nous allons lutter contre ça ». Entretien de Crisis Group, Noureddine Adam, vice-président de la Séléka, ministre de la Sécurité publique, de l’Immigration Emigration et de l’Ordre public, Bangui, 6.4.13.)). »

Selon le journaliste Thomas Hofnung[152] : « La progression jusqu’à Bangui des rebelles venus du Nord s’est en effet traduite par l’ouverture et la mise à sac de toutes les prisons du pays. Une grande partie des détenus en ont profité pour rejoindre les rangs de la Séléka ou ceux des coupeurs de route. » Selon un témoin centrafricain, en sortant de prison, certains ont commis des crimes de vengeance avant de se cacher dans la Séléka. Certains ont ensuite retourné leur veste et rejoint les anti-balaka.

La Séléka a recruté des enfants centrafricains selon ICG[153] : « l’enrôlement ne s’est pas limité aux adultes, de nombreux mineurs auraient gonflé les rangs du mouvement, comme l’ont rapporté plusieurs témoins et démontré les affrontements avec l’armée sud-africaine. (47. Entretien de Crisis Group, enseignant, Bria, 25.1.13. « Groupes rebelles et milices progouvernementales recrutent des enfants », RFI, 7.1 .13. « We were killing kids », Sunday Times, 30.3.13. « Child soldiers patrol CAR capital », News 24, 20.4.13 ; « UN : CAR groups still recruiting child soldiers », Voice of America, 12.4.13) ».

Dans un premier temps, si une partie des mercenaires a pu invoquer une motivation ‘djihadiste’, une ‘propagande’ a beaucoup exagéré cette dimension jusqu’à une rumeur « faisant de la Séléka, le cheval de Troie des islamistes soudanais »[154]. En juin 2013, pour ICG[155], « La Seleka est une coalition très hétérogène de combattants centrafricains et étrangers dont le seul point commun est d’être majoritairement musulmans. » Toujours selon ICG[156], « les avions militaires transportant des blessés de la Seleka dirigés vers Khartoum et Rabat, (121 Entretien de Crisis Group, expert militaire, Bangui, 20.4.13.) le déplacement de responsables centrafricains au Qatar et les inquiétudes exprimées par les voisins (Sud-Soudan, Ouganda, Congo-Brazzaville) quant à la montée des fondamentalistes religieux, viennent alimenter un climat de suspicion et de tensions confessionnelles dangereux aux plans interne et régional. (122 « Sassou s’inquiète du fondamentalisme en RCA », Lettre du Continent, no. 657, 17.4.13. Entretien de Crisis Group, diplomate, Paris, 30.4.13). »

Des pillages d’églises, d’écoles et d’hôpitaux chrétiens, des registres de naissances, par la Séléka[157], et des affrontements entre chrétiens ou animistes et musulmans ont eu lieu sans que l’on puisse parler au départ de conflit entre religions. Les ‘mercenaires’ arrivant étaient au départ éloignés des populations même musulmanes. Il est très improbable qu’une planification avec un objectif ‘religieux’ ait précédé, puisqu’il s’agissait d’abord d’un pillage chaotique de soldats mal encadrés accompagnés de destructions. Mais mis en relation avec le contexte géopolitique, cela a été interprété comme une forte menace de nature religieuse. La situation est devenue suffisamment confuse pour qu’ensuite, les violences augmentent et s’imprègnent de l’indentification aux religions, et que cela deviennent difficilement contrôlable fin 2013, dans un engrenage autour des pillages et des règlements de compte. En février 2014, en tournée commune en Europe, l’archevêque de Bangui, Dieudonné Nzapalainga, et l’imam de Bangui, Oumar Kobine Layama pour prôner la réconciliation. L’imam « rejette l’étiquette religieuse accolée à la guerre qui sévit dans son pays et accuse l’ancien président, François Bozizé, d’avoir posé les jalons de cette instrumentalisation de la religion. »

[148] HRW, septembre 2013, p8 « Je peux encore sentir l’odeur des morts » La crise oubliée des droits humains en République centrafricaine, http://www.hrw.org:8080/fr/node/119...

[149] ICG, 11 juin 2013 p8, Ibid

[150] ICG, 11 juin 2013 p8, Ibid

[151] ICG, 11 juin 2013 p8, Ibid

[152] 15.1.14, Centrafrique La justice saccagée : http://www.liberation.fr/monde/2014...

[153] ICG, 11 juin 2013 p8, Ibid

[154] juin 2013, Roland Marchal, Politique Africaine, p8 : http://www.politique-africaine.com/...

[155] ICG juin 2013 p9, Ibid

[156] ICG juin 2013 p19, Ibid

[157] Souvent de ‘pseudo’ administrateurs qui ne parlent ni français ni sango, les 2 langues officielles, ont été installés

[158] 27.1.13, Analyse juridique de l’accord politique de Libreville du 11 janvier 2013 par Daniele Darlan, http://centrafrique-presse.over-blo...

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3. 2013 : renversement de Bozizé et Séléka au pouvoir

3.1 Janvier 2013 : les accords de Libreville (2)

Le 21 décembre 2012 s’est tenu à Ndjamena un sommet extraordinaire de la CEEAC aboutissant à l’ouverture de négociations à Libreville ainsi qu’à la cessation des hostilités et la décision de constituer une force d’interposition de la Micopax (Mission de consolidation de la paix en Centrafrique). Le 11 janvier 2013, l’accord de Libreville est signé par « la majorité présidentielle, la coalition SELEKA (CPJP, UFDR, UFR, CPSK), l’opposition démocratique, les mouvements politico-militaires non combattants (CPJP, MLCI, FDPC) »[158], et il « en appelle tout d’abord à la bonne foi des différents acteurs ». Le porte-parole du Front pour l’annulation et la reprise des élections de 2011 (FARE-2011) et président de la Convention républicaine pour le progrès social (CRPS), Nicolas Tiangaye, est nommé premier ministre.

Jeune Afrique explique le rôle de Noureddine Adam[159] : « il est l’un des signataires des accords de paix de Libreville de janvier 2013 avec le grade de général trois étoiles, sans cacher pour autant ses allégeances : c’est de N’Djamena qu’il débarque dans la capitale gabonaise pour participer aux pourparlers et c’est à N’Djamena qu’il s’en retourne, une fois ceux-là conclus. Début mars, ses troupes sont les premières à violer le cessez-le-feu en s’emparant de Sido, à la frontière tchadienne, puis de Bangassou. La suite est connue : feignant de négocier, Adam regagne Bangui mais roule tout le monde dans la farine avant de réapparaître à Sibut, d’où il déclenche l’offensive finale. » Michel Djotodia est aussi arrivé de Ndjaména, transporté par un avion tchadien, au lieu de l’avion prévu par les Nations Unies[160].

Selon ICG[161], « comme la France, le Tchad a réduit sa présence militaire rapidement après la signature de l’accord de Libreville et à la suite de son engagement au Mali. Ce manque de suivi avait suscité des inquiétudes en son temps tant à l’Union africaine qu’à Paris. (85 Dans un communiqué de presse, la présidente de la Commission de l’UA, Nkosazana Dlamini Zuma, demande aux Etats de la CEEAC de continuer à s’impliquer dans le règlement de la crise centrafricaine et de mettre en place rapidement le comité de suivi de l’accord de Libreville. Voir « L’Union Africaine souligne la nécessité d’efforts accrus pour la mise en œuvre des accords de Libreville », communiqué de presse, Union africaine, Addis-Abeba, 2.3.13. Entretien de Crisis Group, diplomate, Paris, 15 mars 2013.) Il s’est manifesté au grand jour le 23 mars 2013 quand la Micopax n’a pas réagi à l’offensive de la Séléka sur Bangui. (86 La non-intervention de la Micopax tranche avec le discours très ferme prononcé en janvier 2013 par le commandant de la mission : « Si les rebelles attaquent Damara, c’est une déclaration de guerre, cela veut dire qu’ils ont pris la résolution d’engager les dix États d’Afrique centrale ». Voir « La Force multinationale sécurise Damara, dernier rempart contre les rebelles », France 24, 3.1.3.) »

Selon Thierry Vircoulon, d’ICG[162], « Le fait que l’armée sud-africaine se soit retrouvée seule à défendre Bangui démontre qu’il n’y a eu que peu de coordination entre les troupes étrangères présentes sur le territoire centrafricain qui évoluent en fonction des agendas de leurs capitales respectives. » Il explique : « La transition politique a cessé avant même d’avoir commencé. L’accord de paix signé le 11 janvier 2013 à Libreville a été suivi de la nomination d’un gouvernement de transition le 3 février dont faisait partie la Seleka. »

[159] 26.4.13, Noureddine Adam, général de fortune : http://www.jeuneafrique.com/Article...

[160] 15.5.13, http://www.rfi.fr/afrique/20130515-...

[161] ICG juin 2013 p13, Ibid

[162] 27.3.13, Centrafrique : le coup d’Etat et le futur d’un accord http://www.crisisgroupblogs.org/afr...

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3.2 Le renversement de Bozizé et l’arrivée au pouvoir de Djotodia et Adam

Selon ICG[163] : « Il semblerait qu’après avoir donné un feu orange à la rébellion en décembre 2012, Déby aurait donné un feu vert en mars 2013 (62 Entretien téléphonique de Crisis Group, membre de la Seleka, 27.3.13) – ce qui est formellement démenti par les autorités tchadiennes. (63 : « Hassan Sylla : il n’y a pas eu de forces spéciales tchadiennes en RCA », RFI, 8.4.13. L’ambassadeur du Tchad en RCA récuse également les allégations de Bozizé sur le rôle du Tchad dans le coup d’Etat et dénonce une mauvaise stratégie de l’ancien président, qui avait voulu instrumentaliser la religion pour diviser les centrafricains. Entretien de Crisis Group, ambassadeur du Tchad en RCA, Bangui, 23.4.13) »

En mars 2013, dans la Force Multinationale des Etats d’Afrique Centrale (FOMAC), les seules troupes vraiment offensives étaient tchadiennes. Selon Bozizé, pour qui « sa gendarmerie et sa police ont vu une quarantaine de véhicules militaires arriver en Centrafrique en provenance du Tchad » [164], les 23 et 24 mars 2013, les forces spéciales tchadiennes auraient discrètement combattu l’armée centrafricaine, pour ouvrir une brèche à la Séléka, lui permettant d’entrer dans Bangui. Le ministre de la communication tchadien Hassan Sylla a démenti[165]. L’Afrique du Sud a eu entre 13, officiellement, et 50 soldats tués[166]. Entre version de Bozizé possiblement mensongère parlant de combat des forces tchadiennes et abandon sans combat d’une position défensive par les forces tchadiennes permettant une brèche, il est difficile de savoir ce qui s’est réellement passé, mais le résultat est le même : Déby a abandonné Bozizé concrètement sur une ligne de front aidant ainsi la prise de Bangui par la Séléka.

Pour Roland Marchal : « Ce n’est qu’après avoir obtenu de fortes assurances de la part des dirigeants de la Séléka (notamment la nomination à des postes clefs de l’appareil d’État centrafricain de membres des services de sécurité tchadiens) (12 : « Chad : Déby’s Enemies Crowd in », Africa confidential, vol.54, n°11, 24.5.13), avoir remisé l’argument religieux de Bozizé (qui faisait de la Séléka, le cheval de Troie des islamistes soudanais) et assisté aux ultimes tentatives de ce dernier de se remettre en selle, qu’Idriss Déby donne son feu vert à l’attaque de Bangui en mars 2013. L’implication accrue du Tchad dans la force régionale apparaît alors autant comme un signe de puis­sance que comme l’expression d’une faiblesse face à la possible menace que représente un mouvement comme la Séléka, dont une partie des commandants au niveau intermédiaire n’obéit qu’im­parfaitement à la direction et est prompte à vendre ses services aux plus offrants. »

Roland Marchal dit aussi le 24 mars « Si on compare avec l’attitude française lors de la crise de décembre, on constate qu’il n’y a pas eu cette fois ci de consolidation du dispositif militaire français. Cela signifie sans doute que Paris a reçu des assurances crédibles de la Séléka et du Tchad car il y a certainement eu une coordination avec les Tchadiens. La Séléka via le Tchad a reçu des messages clairs : il ne faut pas toucher les objectifs civils et la présence internationale. »[167] Pour « consolider le dispositif permettant de protéger les ressortissants français en Centrafrique »[168], les 22 et 24 mars 2013, deux compagnies des forces françaises au Gabon sont venus renforcer le détachement Boali, pour le porter à 500 soldats.

Des témoins centrafricains pensent que d’autres acteurs seraient intervenus avant ou au moment de la rupture de la ‘ligne rouge de Damara’, et désignent Martin Ziguélé. Celui-ci s’espérant un jour président, était aussi influent et reconnu internationalement et par Déby. Ses interviews disponibles ne confirment pas cette hypothèse. Cependant, il déclarait le 4 janvier 2013 : « les rebelles étaient partis sur la base de revendications corporatistes, contestant le fait que le gouvernement n’ait pas tenu ses engagements dans le cadre des Accords de Libreville. Ces revendications se sont étoffées au fur et à mesure de leurs victoires militaires. Ne rencontrant aucune résistance face à la déliquescence de l’armée (en attente de restructuration depuis dix ans) ils ont revu leurs revendications à la hausse, exigeant désormais le départ du président Bozizé. »[169] Le 26 mars, sur RFI[170], il indiquait « (Bozizé) a pensé qu’il pouvait une fois de plus ruser, d’abord avec son peuple, et puis avec ses soutiens. Tout le monde était désespéré… les chefs d’Etat ne pouvaient pas envoyer leurs armées à Bangui pour protéger quelqu’un qui manifestement n’était plus soutenu ni par son armée, ni par sa population !.. des proches de (Bozizé), c’est-à-dire ses propres conseillers se relayaient sur les medias publics pour remettre en cause l’accord de Libreville, et pire encore, accuser les Etats qui l’ont sauvé de connivence avec la rébellion.. », et un peu plus loin sur la prise de pouvoir de Djotodia « Vous savez la nature a horreur du vide. Mais ce qui est important, c’est qu’il (Djotodia) a dit également qu’il reste dans l’esprit de l’accord de Libreville. Et là-dessus, nous serons vigilants. »

Le premier ministre Nicolas Tiangaye est le porte-parole ou coordonnateur du Front Pour l’Annulation et la Reprise des élections (FARE-2011) dont Ziguélé est le plus visible des chefs de partis. Celui-ci s’impliquera par la suite de la transition avec la Séléka à la distance nécessaire, se positionnant constamment pour l’élection présidentielle prévue dans le programme de la transition, et gardant pour cela l’appui de Nicolas Tiangaye[171]. Le 20 juin 2013, Jeune Afrique remarque à propos du gouvernement Tiangaye[172] : « le parti de Martin Ziguélé ne compte qu’un seul portefeuille. L’ancien Premier ministre, qui observe un mutisme remarqué sur les exactions commises depuis trois mois par les ex-rebelles de la Séléka, a pourtant été le principal soutien politique du nouveau pouvoir. »

[163] ICG, 11 juin 2013 p9, Ibid

[164] 8.4.13, Hassan Sylla : « Il n’y a pas eu de forces spéciales tchadiennes en RCA » : http://www.rfi.fr/afrique/20130408-...

[165] 8.4.13, Hassan Sylla : « Il n’y a pas eu de forces spéciales tchadiennes en RCA », RFI, Ibid

[166] ICG juin 2013 p11, Ibid, ou jusqu’à 50 morts : 4.1.13, RFI, http://www.rfi.fr/afrique/20130403-...

[167] 24.3.13, Roland Marchall, http://www.francetvinfo.fr/monde/af...

[168] 5.2.13, http://www.defense.gouv.fr/operatio...

[169] 4.1.13, Centrafrique : « nous préconisons le dialogue sans préalable » : http://www.lesafriques.com/actualit...

[170] 26.3.14, RFI, http://www.rfi.fr/afrique/20130326-...

[171] 20.10.13, L’échec de Tiangaye a vouloir imposer Martin Ziguélé comme candidat aux prochaines présidentielles : http://www.lanouvellecentrafrique.i...

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3.3 Déby, la Séléka et le gouvernement centrafricain en 2013

Le 2 octobre 2013, Jean-Christophe Belliard, directeur d’Afrique et de l’Océan indien au ministère des affaires étrangères français a indiqué à la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale française[173] : « Il (Déby) s’est, par la suite, rendu compte que la Séléka avait son propre agenda, et comptait, dans ses rangs, des éléments opposés au gouvernement tchadien. » Selon Africa Confidential du 24 mai 2013[174], « Au départ, les dirigeants de la Séléka, Michel Am Nondokro Djotodia et le leader du CPJP, le « général » Noureddin Adam, avaient promis à Déby d’empêcher les rebelles d’origine tchadienne de contester son autorité. Déby a le sentiment que cette garantie n’est pas suffisante et a réussi à obtenir la nomination du général Mahamat Bahar à la tête du renseignement militaire centrafricain, le deuxième bureau. Il aurait été durant longtemps l’agent, à Bangui, de l’Agence nationale de sécurité, les services de renseignement tchadiens. »

Aux côtés du président auto-proclamé Djotodia, des membres du gouvernement sont des proches de Déby, dont Noureddine Adam Ministre d’État chargé de la Sécurité à partir du 31 mars 2013, jusqu’au 22 août 2013[175]. Perdant sa fonction de ministre, il a alors été nommé président du Comité extraordinaire de la défense des acquis démocratiques (Cedad), « sorte de services de renseignement », « conservant son titre de ministre d’État »[176]. Le Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations unies (HCDH) a dénoncé des tortures et détentions illégales du CEDAD[177]. Mohamed Dhaffane a été, lui, ministre des Eaux et forêts jusqu’à son limogeage fin juin 2013, « accusé de malversations financières, de racket et de recrutement de combattants »[178].

Après la victoire de la Séléka, Déby aurait constaté que certains chefs de la Séléka étaient de plus en plus autonomes, et, aurait observé la persistance des liens entre une partie de la Séléka et des chefs rebelles tchadiens du Soudan dont l’UFDD. La Séléka est passée en quelques semaines de 5000 à 15000 mercenaires, ensuite peut-être jusqu’à 20000. Les hommes qui ont gonflé la Séléka mi-2013 sont essentiellement des villageois qui se sont agglutinés pour obtenir de l’argent, certains d’entre eux avaient essayé de s’engager en vain en 2012 dans les FACA. Certains chefs de la Séléka ont recruté plus facilement, ce qui a favorisé les chefs déjà les plus puissants, mais qui étaient aussi les plus proches de Déby, et cela a encore accentué les accusations de connivence entre la Séléka et le pouvoir tchadien.

Parallèlement, officiellement, le nombre de soldats tchadiens est passé de 500 à 800 dans la Fomac et le pouvoir tchadien a participé à la négociation sur le passage de la Fomac à la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca). Un double-jeu a continué, d’un côté officiel au niveau maintien de la paix par la Fomac, de l’autre dans le soutien politique de la Séléka, alors que celle-ci était progressivement accusée de crimes.

[172] 20.6.13, Centrafrique : Ziguélé aux abonnés absents, http://www.jeuneafrique.com/Article...

[173] 2.10 .13, Jean-Christophe Belliard à Commission des affaires étrangères : http://www.assemblee-nationale.fr/1...

[174] 24.05.13, Africa Confidential, Deby’s enemies crowd in : http://www.africa-confidential.com/..., traduction française : http://www.tchadactuel.com/?p=8995, voir aussi : 10.7.13, Juliette Abandokwe : Le rôle de Seleka dans l’annexion de la RCA par le Tchad : http://juliette.abandokwe.over-blog..., nomination 19.4.13 : http://centrafrique-presse.over-blo...

[175] 28.8.13, RFI, Remaniement en Centrafrique : le numéro deux de la Seleka remplacé par un fidèle de Bozizé, http://www.rfi.fr/afrique/20130828-...

[176] http://afriquenewsblog.wordpress.co...

[177]8.11.13, Pillay warns violence in Central African Republic may spin out of control, http://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/...

[178] 30.6.13, RCA : limogeage du général Mohamed Dhaffane, ministre et haut responsable de la Seleka, RFI, http://www.rfi.fr/afrique/20130630-...

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3.4 Les crimes de la Séléka et sa dissolution

De nombreux crimes de la Séléka ont été décrits par des organisations de droits humains dont en particulier Human Right Watch dans son rapport de septembre 2013, « Je peux encore sentir l’odeur des morts, La crise oubliée des droits humains en République centrafricaine » [179]. Les crimes de la Séléka seront suivis à partir de fin-2013 des crimes des anti-balaka, dans un cycle de vengeances et de violences à objectif politique.

Selon ICG[180], « du côté de la Seleka, le mécontentement s’est manifesté dès la signature de l’accord. Noureddine Adam, un des principaux chefs de la coalition, a dénoncé l’accord et dès janvier, malgré le cessez-le-feu, des exactions auraient été commises par ses hommes dans plusieurs villes du pays, au point de provoquer un rappel à l’ordre de l’Union africaine. (97 En janvier et février 2013, d’après l’un des dirigeants de la Séléka, des éléments de la coalition rebelle menés par Noureddine Adam ont été accusés d’avoir commis des exactions dans les villes de Kembe, Mobaye, Alindao, Bangassou, Sido, Kabo et Kaga Bandoro. Entretien téléphonique de Crisis Group, dirigeant de la Seleka, 3.3.13. « Centrafrique : l’attaque de Bangassou attribuée au CPJP fondamentale, une faction de Seleka », Xinhua, 13.3.13 ; « Sido : l’attaque de la Seleka a fait des déplacés », Réseau des journalistes pour les droits de l’homme en RCA (www.rjdh-rca.net), 2.3.13. Entretien téléphonique ICG, acteur humanitaire, 13.2.13. Voir « L’Union Africaine souligne la nécessité d’efforts accrus pour la mise en œuvre des accords de Libreville », UA, Addis-Abeba, 2.3.13.) »

Mohamed Dhaffane, Ministre d’Etat en charge des Eaux, Forêts, Chasse et Pêche, qui continuait de s’activer avec ses mercenaires, a été arrêté en Centrafrique le 29 juin 2013 puis libéré, perdant son poste, puis ensuite arrêté de nouveau, et, semble-t-il, maintenu en prison pendant 6 mois. Libéré de l’une des seules cellules de prison encore gardées vers le 5 janvier 2014, il donne sa version le 16 février dont il faut bien sûr douter : « Je lui ai dit (à Djotodia) de payer les mercenaires étrangers pour qu’ils puissent s’en aller, mais il avait encore ignoré ma suggestion, et après, ces mercenaires ont commencé à voler et à tuer des civils. .. Voilà pourquoi les chrétiens se sont ensuite retournés contre les musulmans dans notre pays – parce que la grande majorité des Séléka sont des musulmans, et évidemment, ils les ont associés avec les civils de la communauté musulmane,.. Mais malheureusement, Djotodia a ignoré mes conseils, et au lieu de cela, il m’avait mis en prison. »[181]

Le 13 septembre 2013, la Séléka a été dissoute par Michel Djotodia : « A compter de ce jour, la coalition rebelle Séléka et la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP), n’existent plus. Elles sont dissoutes (…) Tous ceux qui vont continuer à se réclamer de ces entités seront considérés comme des bandits ». 18 membres du Conseil National de Transition sur 135 continuent de représenter la Séléka en janvier 2014 avant le choix d’un nouveau président de transition. Les soldats de la Séléka obéissaient plus à des chefs qu’à la présidence, la dissolution ne s’accompagnait pas de mesures de désarmement et de réinsertion, donc ne réglait pas la question des pillages de la Séléka, la source de l’engrenage de la violence.

Par ailleurs, le 18 septembre 2013, dans les très nombreuses et détaillées recommandations de son rapport sur les crimes de la Séléka[182], HRW demandait au gouvernement du Tchad d’« étudier et publier les découvertes d’allégations d’implication tchadienne et / ou de soutien à la Séléka. Si des preuves d’implication tchadienne sont découvertes, s’assurer que cette activité cesse immédiatement. », ce qui est assez euphémisant. Derrière l’expression diplomatique, se devine la conscience d’une impossibilité d’agir au Tchad pour la vérité et la justice, aussi forte qu’en Centrafrique.

[179] HRW, septembre 2013, « Je peux encore sentir l’odeur des morts » La crise oubliée des droits humains en République centrafricaine : http://www.hrw.org:8080/fr/reports/...

[180] ICG juin 2013 p15, Ibid

[181] 16.2.14 interview Mohamed Dhaffane, http://www.lanouvellecentrafrique.i...

[182] Page 6, HRW, septembre 2013, « Je peux encore sentir l’odeur des morts » La crise oubliée des droits humains en République centrafricaine : http://www.hrw.org:8080/fr/reports/...

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4. Les accusations contre Déby et la recomposition politique et militaire

4.1 Reprise des combats fin 2013 : anti-balaka et influence de Bozizé

Les combats reprennent à partir d’octobre 2013 après l’organisation des milices anti-balaka, et s’intensifient début décembre 2013. Bozizé était à bout de souffle et mal-aimé, puis, beaucoup ont compris que la dictature continuerait avec Djotodia, avec les exactions des Séléka en plus. En dehors de ce constat, un déséquilibre s’est créé entre le pouvoir en place et la population au niveau identitaire. Une grande partie de la population centrafricaine a constaté l’effet de la prise de pouvoir au regard de l’origine de la Séléka, de ses soutiens extérieurs et de ses marqueurs identitaires, et, s’est positionnée en réaction. La confusion a, entre autres conséquences, ouvert la voie à une tentative de revanche armée de Bozizé et de ses partisans.

Les anti-balaka (‘balles d’AK47’ et non pas ‘machette’), qui trouvent leur origine dans des groupes d’auto-défenses contre les bandits en 2009, formés d’animistes et de chrétiens, sont arrivés en force quand l’organisation avait eu le temps de se mettre en place, avec une grande part d’improvisation ‘populaire’. Les déplacés s’approchant du million de personnes, les groupes se sont beaucoup formés parmi ces déplacés qui avaient beaucoup perdu de biens et ont souvent vu des proches mourir, en raison aussi de la surmortalité due à l’arrêt des services administratifs de santé.

Une partie des FACA, laissés pour compte du pouvoir de Djotodia entre mars et décembre 2013 a rejoint les anti-balaka, alors que la question de réintroduire les FACA dans la reconstruction de la RCA et le désarmement des rébellions était posée tardivement. Dans les fiefs de Bozizé, des armes étaient cachées, et les Séléka y ont commis des massacres plus qu’ailleurs, autour de Bouar ou de Bangassou, générant de nouvelles résistances.

Le lien entre milices anti-balaka et Bozizé, qui est établi, mériterait d’être mieux étudié. Au-delà de l’improvisation des miliciens, selon le journaliste Philippe Chapleau : « Les rangs des anti-balaka ont été grossis par l’arrivée début décembre de supporters de l’ex-président Bozizé dont le fils a été très actif et par le retour d’ex-membres des Forces armées (FACA) qui avaient fui au Congo et au Cameroun. Toutefois, ce voisinage, voire cette alliance de circonstance, n’est pas sans tensions, ainsi que l’a remarqué Toussaint Zoumlade à Bouar : "Les jeunes anti-balakas reprochent aux ex-FACA de n’avoir pas combattu la Séléka et de s’être enfuis." Désormais, et on doit le regretter, tout opposant ou résistant à la Séléka est présenté comme un anti-balaka et est donc considéré comme un chrétien. C’est un raccourci rapide qui réduit les tensions à l’affrontement de deux groupes, alors que le "front" anti-séléka est assurément multiforme et guidé par des ambitions, politiques, sécuritaires…, bien distinctes. » Le 4 mars 2014, le journaliste de Jeune Afrique, Vincent Duhem estime que[183] « Comme tous ceux qui ont prétendu être derrière ce mouvement sans véritable chef, Ngaïssona n’en contrôle qu’une petite partie. Une faction "bien équipée, composée notamment d’officiers des Forces armées centrafricaines et d’ex-membres de la garde présidentielle, opérant principalement à Boy-Rabe [quartier de Bangui réputé favorable à l’ancien président François Bozizé]", précise une source sécuritaire française, pour qui il ne fait aucun doute que Ngaïssona reçoit ses ordres de la famille de Bozizé. »

Le Conseil de Sécurité de l’ONU « a adopté le 28 janvier une résolution menaçant de sanctions ciblées (gel des avoirs et interdiction de voyager) "les individus ou entités qui menacent la paix, la stabilité ou la sécurité en RCA (...), font obstacle au processus politique de transition, violent les droits de l’Homme" [184] », cependant, Bozizé, dictateur en fuite, n’a encore pas eu de blocage de ses comptes bancaires, comme certains dictateurs chassés lors du ‘printemps arabe’, alors qu’il est actif dans le conflit. S’il a été soutenu ou partiellement mystérieusement soutenu, par qui l’a-t-il été et pourquoi ?

Ayant obtenu l’asile politique au Bénin en mars 2013 après sa fuite par le Congo-Brazzaville et le Cameroun, Bozizé a refusé d’y séjourner. Il était ensuite 2 mois au Cameroun, puis au Kenya le 3 juin 2013[185], puis en Ouganda, et enfin début juillet au Soudan du Sud, à Juba[186] (l’Afrique du Sud a été démentie[187]). RFI commente alors : « Des sources militaires et diplomatiques s’interrogent sur les capacités réelles de François Bozizé de réaliser ses rêves de revanche. L’armée lui ayant tourné le dos, tout dépendra de la volonté du Soudan du Sud ou de l’Ouganda de le soutenir. Si tel était le cas, ces deux pays prendraient le risque d’irriter Ndjamena et Khartoum, les parrains officieux du nouveau pouvoir à Bangui. »

A partir de fin juillet 2013, Bozizé était en France auprès de sa famille avec un visa de 3 mois[188]. Mal perçu par les autorités françaises[189], il a cependant lancé depuis la France en août 2013 le Front pour le retour de l’ordre constitutionnel en Centrafrique (FROCCA)[190], dirigé par l’avocat Lin Banoukepa. Le journal La Nouvelle Centrafrique écrit le 11 août[191] « Selon nos sources, il tente depuis son arrivée en France de reprendre langues avec certains anciens officiers de la FACA pour mettre en place une contre-offensive anti-Séléka. Un de ses fils actuellement en Afrique du Sud serait chargé de trouver des armes lourdes. » Bozizé dit qu’en septembre 2013, revenant de Zurich, il aurait vu que « le Quai d’Orsay a annulé son visa longue durée »[192], précisant : « ma présence indispose les autorités françaises : elles ne veulent pas que je fasse de la politique en France ou que je parle à la presse. »

Le 10 octobre, Reuters le recherche[193] : « ‘Il n’est plus en France’, a dit à Reuters jeudi une source diplomatique française. ‘On l’a annoncé en Ethiopie, à Juba (Soudan du Sud), à Kampala (Ouganda). Selon nos informations, il se balade dans cette partie de l’Afrique.’ ‘Il est plutôt du côté de l’Afrique de l’Est à chercher peut-être des soutiens dans le jeu compliqué Nord-Sud Soudan, Ouganda-Soudan", a précisé cette source’. » Fin octobre 2013, des combats entre anciens FACA fidèles à Bozizé et les troupes du président Djotodia auraient eu lieu à Bouar, à l’Est[194]. La présidence centrafricaine évoque des armes lourdes le 13 novembre lors de l’attaque de Bouar[195].

Bozizé a séjourné entre le 14 janvier et 10 février 2014 au Cameroun, ou Biya lui a demandé d’être silencieux[196]. Jeune Afrique rapporte l’avis de l’état-major des forces françaises de l’opération Sangaris sur son fils, ancien ministre délégué à la Défense entre 2008 et 2013[197] : « Il y aurait la main de Jean-Francis Bozizé, fils aîné de l’ancien président centrafricain François Bozizé, derrière l’assaut lancé le 5 décembre contre des positions de la Séléka à Bangui... les éléments engagés dans l’opération du 5 décembre disposaient d’armes lourdes et légères neuves achetées grâce à des fonds réunis par la famille Bozizé, notamment en Ouganda auprès du président Yoweri Museveni. » Expulsé du Cameroun entre le 6 et le 10 février[198], « raccompagné à la frontière », des media le présumaient en Centrafrique, à l’Ouest, près de Bouar[199], mais le 19 février il annonçait son retour imminent[200]. On le disait aussi en Ouganda le 24 février[201]. Puis, de source bien informée, fin février, son avocat, Lin Banoukepa l’a signalé en France, à Tours.

Cependant, des armes légères étaient répandues dans le pays et disponibles sans que des armes venant de l’étranger soient nécessaires aux anti-balaka. Même si Bozizé et sa famille ont essayé de revenir au travers des anti-balaka, et de revenir au stade des accords de Libreville de début 2013, il ne semble pas qu’ils aient contrôlé le mouvement ou les conséquences des actions de ces milices. Leur influence a été plus forte dans certaines parties de la RCA comme le fief de la région de Bouar, ou certaines parties de Bangui.

[183] 4.3.14, Centrafrique : Ngaïssona, l’homme qui se voulait "roi" des anti-balaka http://www.jeuneafrique.com/Article...

[184] 27.2.14, AFP, Centrafrique : les noms des personnalités à sanctionner en discussion à l’Onu, http://www.journaldebangui.com/arti...

[185] 4.6.13, L’ex-président centrafricain François Bozizé a quitté le Cameroun pour le Kenya, http://www.rfi.fr/afrique/20130604-...

[186] 6.7.13, Bozizé se trouve au Soudan du Sud, http://www.rfi.fr/afrique/20130706-...

[187] 4.6.13, http://www.jeuneafrique.com/Article...

[188] 30.9.13, http://www.reveil-fm.com/index.php/...

[189] 11.8.13, Bozizé en France pour reprendre le pouvoir : http://www.afrik.com/centrafrique-b...

[190] 9.8.13, François Bozizé, l’ancien chef de l’Etat, en quête de soutien : http://www.ouest-france.fr/centrafr...

[191] 11.8.13, Les tractations secrètes de Bozizé en France : http://www.lanouvellecentrafrique.i...

[192] 14.2.14, l’ex-président François Bozizé : "Nous sommes en voie de somalisation" : http://www.lepoint.fr/monde/centraf...

[193] 12.10.13, L’ex-président centrafricain Bozizé a quitté la France et serait du côté de l’Afrique de l’Est à chercher des soutiens, http://tchadpages.com/2013/10/12/le...

[194] 27.10.13, A Bouar, au moins 4 morts et 8 blessés dans les combats entre pro-Bozizé et FACA http://www.lanouvellecentrafrique.i...

[195] 13.11.13, http://afriquenewsblog.wordpress.co...

[196] 5.2.14, Bozizé est toujours à Yaoundé : http://afriquenewsblog.wordpress.co...

[197] 27.12.13, Bozizé derrière l’attaque du 5 décembre à Bangui ? : http://www.jeuneafrique.com/Article...

[198] 11.2.13, Cameroun. François Bozizé expulsé du pays http://www.imatin.net/article/polit...

[199] 13.2.14, RCA : le clan Bozize se réorganise, selon des sources militaires, http://fr.africatime.com/republique...

[200] 19.2.14, http://www.alwihdainfo.com/Centrafr...

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4.2 Rôle des soldats tchadiens de la FOMAC et de la MISCA

Suite à la reprise des combats, la population centrafricaine s’est retrouvée en grand danger fin 2013[202]. Dans le même temps, portée par une grande partie de la population et de la société civile, une revendication s’est imposée d’un départ des forces tchadiennes de la Fomac, puis de la Misca à partir de mi-décembre 2013, pour limiter les tensions et des vengeances cycliques, en même temps qu’une intervention internationale neutre.

Au Tchad, la frontière entre armée et ‘mercenaires’ est floue. Le 15 décembre 2013, l’AFP remarque[203] : « Les soldats tchadiens, qui ont logiquement évacué leurs ressortissants pendant la crise, assurent également la sécurité de personnalités centrafricaines comme le président de la transition (et ex-chef rebelle) Michel Djotodia mais aussi des grands chefs Séléka, qui n’occupent pas forcément de postes officiels. Selon certains soldats français, là-aussi sous couvert de l’anonymat, des soldats tchadiens ont fourni leur brassard Fomac (force militaire de la Mission africaine) à des Séléka leur permettant ainsi de conserver leurs armes et de continuer à circuler. Ce mélange contribue à rendre un peu plus confuse une situation déjà trouble. "Les Fomac tchadiens nous tuent. Ils sont avec la Séléka, pas avec la Fomac", accusent de nombreux Centrafricains, dans un pays en très grande majorité chrétien. » Une mission de l’OHCHR de l’ONU a également constaté des faits[204] : « L’équipe du Haut-Commissariat a aussi rapporté avoir reçu de nombreux témoignages identifiant certains ex-Séléka auteurs de violences comme étant des Tchadiens. Des témoins ont, de manière systématique, rapporté que des ex-Séléka portant des brassards de membres Tchadiens des forces de maintien de la paix Fomac, sont allés de maison en maison à la recherche d’anti-Balaka et ont tué des civils par balles. L’équipe a aussi recueilli des témoignages crédibles de collusions entre des éléments tchadiens de la Fomac et des forces ex-Séléka ».

Gervais Lakosso, un représentant de la société civile centrafricaine s’exprimait le 25 décembre 2013 : « il n’y a pas de confusion. La population centrafricaine a peur des militaires tchadiens : « [Idriss Déby] a dit qu’il ne faut pas que les Centrafricains confondent les mercenaires tchadiens qui ont accompagné les Seleka et les soldats tchadiens de la Misca. Je peux le rassurer : il s’agit bel et bien des soldats tchadiens qui posent problème. Les Tchadiens qui sont dans la Seleka, ils sont dans un autre registre, on [les] connaît. Mais ce sont les soldats réguliers du Tchad, ceux qui sont venus faire le maintien de la paix en Centrafrique, qui posent problème. »[205] Début décembre 2013, à Bangui, la plus grande partie de la population salue l’arrivée de l’armée française mais associe les 800 soldats tchadiens de la Fomac à la Séléka[206]. Une forte majorité de la population, des personnalités de la société civile réclament le départ de l’armée tchadienne. Paul Biya, qui souhaite empêcher la Séléka d’entrer au Cameroun, en cas d’extension du conflit, fait pression pour limiter le rôle du Tchad dans la MISCA[207].

Malgré les efforts du pouvoir tchadien pour limiter le lien entre MISCA tchadienne et Séléka, les accusations ont continué et Human Right Watch indique le 5 février 2014[208] : « L’Union africaine devrait suspendre sans délai les membres des troupes tchadiennes de la MISCA faisant l’objet d’accusations crédibles de participation à des exactions graves, notamment ceux qui se sont rendus complices actifs de la Séléka, et ouvrir une enquête sur ces faits, avec le soutien de l’organisation des Nations Unies (ONU). »

Dans la tournure qu’a pris le conflit fin 2013, les relations troubles entre la Séléka et le pouvoir tchadien, dans un contexte non maîtrisé, sont malheureusement retombées sur de nombreux civils d’origine tchadienne installés depuis longtemps en Centrafrique et assimilés à des tchadiens ou à des musulmans, qui ont fuis les violences et ont été pillés : le Programme Alimentaire Mondial (PAM) constate, le 24 janvier 2014, que « Depuis le 24 décembre (2013), près de 41 000 personnes fuyant la République centrafricaine sont arrivées au Tchad. »[209]. Des centrafricains d’origine tchadienne, de familles installées depuis 3 ou 4 générations, sont aujourd’hui réfugiés. D’autres personnes assimilées musulmanes ayant fuit sont des peuls sédentarisés dans les années 1980 et 1990[210], des maliens[211] et des sénégalais, des camerounais du nord. Le 20 février 2014, [212]« Le Tchad a annoncé avoir mis fin à son opération de rapatriement sous protection militaire de ses ressortissants établis en Centrafrique », en raison des attaques des convois, tandis que le PAM déclare que « plus de 58.000 personnes sont entrées au Tchad depuis décembre 2013 »[213] et pense que ces réfugiés vont « ‘retourner’ s’installer dans des régions fragiles et touchées par l’insécurité alimentaire, comme le Salamat et le Batha » (Sud Est et centre du Tchad).

[201] 24.2.14, Thomas Hofnung, http://www.liberation.fr/politiques...

[202] 11.12.13, Human Right Watch, Peter Bouckaert, article montrant le rôle actuel du général Mahamat Bahar : http://www.hrw.org/fr/news/2013/12/...

[203] 15.12.13, AFP, http://quebec.huffingtonpost.ca/201...

[204] 14.1.14, ONU-OHCHR : http://appablog.wordpress.com/2014/...

[205] http://www.rjdh-rca.net/actulites/d...

[206] 10.12.13, Centrafrique : « Dehors les Tchadiens, traitres, chiens », crie la foule à Bangui : http://mali-web.org/afrique/centraf...

[207] 2.12.13, Centrafrique : Les soldats tchadiens ‘non grata’ dans la MISCA : http://www.lanouvellecentrafrique.i...

[208] 5.2.14, République centrafricaine : Des combattants de la Séléka se regroupent dans le nord : http://www.hrw.org/fr/news/2014/02/...

[209] 24.1.14 : Tchad : Arrivée de dizaine de milliers de personnes fuyant les violences en Centrafrique, http://fr.wfp.org/histoires/tchad-a...

[210] 12.2.14, Les Peuhls Mbororo centrafricains réfugiés au Cameroun et au Tchad : des communautés en danger, http://ccfd-terresolidaire.org/proj...

[211] 21.2.14, 500 maliens officiellement arrivés au Mali et 1000 en attente, 16min30, http://www.bbc.co.uk/afrique/nos_em...

[212] 20.2.14, Centrafrique. Le Tchad met fin au rapatriement de ses ressortissants, http://www.ouest-france.fr/centrafr...

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4.3 Idriss Déby pompier pyromane notoire

Après une reprise des combats, l’intervention française en Centrafrique sous résolution de l’ONU placée sous chapitre VII intervient à partir du 6 décembre 2013. Roland Marchal réagit juste après le début de Sangaris, le 7 décembre 2013[214] : « la Seleka a pu recruter extrêmement facilement des milices ou des mercenaires au Darfour et au Tchad et donc ça pose la question de qu’est-ce qu’il se passe au Darfour. Il y a quelques années, c’était le conflit à la mode dont il fallait absolument parler. Aujourd’hui les politiques européens se taisent. Ça pose aussi la question du Tchad. Une partie significative mais pas la majorité de la Séléka est composée d’anciens rebelles tchadiens. Pourquoi alors que l’Union européenne est intervenue pendant plus d’un an à dépenser 900 millions d’euros pour une opération, pourquoi finalement il n’y a pas eu d’accord politique pour régler ce problème au Tchad ? Pourquoi fallait-il suivre les Français et sauver seulement le soldat Idriss Déby ? Ça ce sont de véritables interrogations qu’il faut poser et qui montrent effectivement qu’il y a une dimension régionale. L’ambiguïté ou l’ambivalence du Tchad, qui est un peu pompier pyromane dans cette crise, doit être analysée. »

Déby peut se targuer d’avoir écarté la menace d’une rébellion contre lui en RCA, telle qu’elle se préparait en 2012[215]. Par ailleurs, mi-novembre 2013, l’armée tchadienne est entrée au Darfour avec l’accord du Soudan, pour essayer d’en finir avec l’Union des Forces de la Résistance (UFR), la coalition surtout active entre janvier et mai 2009 formée de 8 rébellions dont l’UFDD, l’UFDD-F, le FPRN, et le RFC, coalition maintenant divisée et dispersée.

Peut-être que la stratégie de Déby pour contrôler la Centrafrique en raison de ses différents objectifs a tellement bien marché qu’elle s’est retournée contre lui. Ayant trop réussi à reprendre le contrôle de la RCA, le dictateur « notoire et trop fraîchement réhabilité »[216], s’est fait aussi trop remarqué. Il avait fondé sa stratégie sur ses réussites de 2013, dont le renouveau de son alliance avec Hollande, Fabius, Le Drian et l’Etat major français, sous-estimant l’évolution permanente des règles du jeu géopolitique international et le poids d’un équilibre régional ayant les dirigeants français comme arbitre. Après 20 ans de pouvoir sans partage chez lui, le président tchadien n’a pas non plus compris que la passivité et le fatalisme d’un peuple dépendent surtout de la violence de la répression et de l’emprise d’un système dictatorial, et que la population et la société civile centrafricaine ne seraient pas aussi désespérées que celles du Tchad, une fois l’étau d’une ‘dictature stable’ desserré.

[213] 20.2.14, http://tchadinfos.com/societes/tcha...

[214] 9.12.13, Roland Marchal, interview Matin Première : http://www.rtbf.be/info/emissions/a...

[215] Un autre objectif pourrait être d’empêcher l’exploitation du champ pétrolier à cheval entre Tchad et RCA

[216] 15.12.13, dossier d’information « Tchad 2013 : la réhabilitation impossible d’un dictateur notoire » réalisé dans le cadre du Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique : http://electionsafrique.org/Tchad-2...

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4.4 Le départ des dirigeants vassaux de Déby

Le 10 janvier 2014, les ‘démissions’ de Michel Djotodia et du premier ministre Nicolas Tiangaye, qui n’avaient plus beaucoup de pouvoir, ont remontré, cette fois sans aucun effort pour le cacher, l’influence tchadienne sur la RCA. D’après Marielle Debos, cité par le journaliste Thomas Hofnung[217] : « on n’a même pas pris la peine de sauver les apparences ». Selon la Lettre du Continent du 15 janvier, la démission avait été décidée le 2 janvier, juste après le passage de Le Drian à Ndjaména, dans un entretien entre Djotodia et Déby, et Déby a même « voulu désigner en personne le successeur de Djotodia »[218]. Il pensait peut-être au président du Conseil National de Transition, Alexandre Ferdinand Nguendet, très proche de Djotodia (familialement), qui serait dans les jours suivants exclu des candidats.

Le 19 janvier 2014[219], Noureddine Adam était à son tour en route pour le Bénin, en passant par Ndjaména et le Cameroun où Biya l’a arrêté puis relâché[220]. Les départs de Djotodia et de Noureddine Adam, qui savent beaucoup de choses, ont été obtenus sans discussion sur leur mise en accusation pour les crimes de la Séléka. C’est pourtant un enjeu essentiel, pour la Centrafrique, comme pour le reste de l’Afrique Centrale, engluée dans l’impunité.

Selon le Monde[221], Le Drian et Déby ont décidé du départ de Djotodia : « Ce soir du 1er janvier, au Palais rose, les deux hommes se mettent d’accord sur le principe d’un départ prochain de Michel Djotodia. Il faut désarmer sans délai les milices centrafricaines ex-Séléka et anti-Balaka – « dix jours ! », dit Déby. Or Michel Djotodia, l’homme de N’Djamena, en est incapable, qui ne contrôle plus les ex-Séléka. « Le constat partagé est que l’exécutif centrafricain ne peut plus rien et qu’il faut une initiative pour éviter le chaos », relate sur place une source française… Les menaces répétées venant de l’entourage de Djotodia sur une possible partition du nord de la RCA auraient achevé de convaincre Idriss Déby d’appuyer Paris dans cette démarche. « Un nouveau Sud-Soudan à sa porte, c’est le cauchemar pour lui », ajoute un diplomate. « Nous n’avons pas d’autre agenda que de rétablir la paix et la sécurité, quand la case de votre voisin brûle, la flamme peut atteindre la vôtre. Nous craignons le terrorisme », précise au Monde un porte-parole de la présidence tchadienne. D’autres contreparties ont été échangées avec le principal partenaire militaire de la France en Afrique. »

Déby a transporté le Conseil National de Transition en avion à Ndjaména, du jamais vu, diplomatiquement, et RFI rapporte : « ‘En cours de route, on nous a dit que c’est l’ensemble des membres du CNT qui étaient convoqués’, a déclaré à RFI un conseiller national. La plupart des personnalités conviées n’ont pas été prévenues de l’ordre du jour de cette « délocalisation » du Conseil. Certains n’auraient pas accepté de prendre place dans l’avion. » [222]

Avec le départ de Noureddine Adam le 19 janvier 2014, parti en théorie rejoindre Djotodia au Bénin, on assiste à la déconstruction du plan de Déby. A l’automne 2013, avec une estimation de 3000 hommes bien armés, l’ex Ministre d’Etat en charge de la Sécurité Publique, de l’Immigration, Emigration et de l’Ordre Public, dirigeait l’essentiel de la Séléka réellement opérationnel. Au moment de son départ, Jeune Afrique estime qu’« avec trois cents hommes disciplinés et « surarmés », si l’on en croit les officiers de Sangaris, Adam contrôle actuellement la localité de Bria, la capitale du diamant, dans l’est de la Centrafrique. Autrement dit : le coffre-fort. »[223]

Mohamed Dhaffane libéré après plusieurs mois de prison, suite à la démission de Djotodia, continue de s’exprimer en février 2014 au nom de la Séléka, réclamant des postes pour les ex-séléka selon les négociations de Ndjaména pour le départ de Djotodia[224]. A partir de janvier, les centrafricains se sont mobilisés pour leur souveraineté en éloignant les tchadiens influents, en vue d’un retour à la paix, et le rejet a aussi touché des centrafricains proches de Déby.

Human Rights Watch témoigne fin janvier 2014 et accuse les soldats tchadiens de la MISCA de « faciliter les déplacements des chefs du mouvement Sékéka »[225] : « Le 26 janvier, à 16h30, des enquêteurs de Human Rights Watch ont vu passer, et ont été en mesure de filmer, à approximativement 60 kilomètres au nord de Bangui, un convoi de troupes tchadiennes lourdement armées appartenant à la force de maintien de la paix. Le convoi incluait au moins huit pickups chargés de combattants de la Séléka, dont un certain nombre de chefs de l’organisation, comme le général Mahamat Bahr, en charge du renseignement militaire pour la Séléka, que Human Rights Watch avait rencontré la veille de sa fuite. Le 31 janvier, le général Bahr a contacté Human Rights Watch par téléphone pour annoncer qu’il s’était rendu à Bossangoa, ville clé du nord-ouest du pays, avec le convoi des troupes tchadiennes de la force de maintien de la paix. Les Tchadiens devaient y relever des troupes de maintien de la paix dépêchées par la République du Congo stationnées à Bossangoa depuis plusieurs mois. Après avoir assumé la responsabilité du maintien de la paix à Bossangoa, les troupes tchadiennes ont permis à un autre chef de la Séléka, le colonel Saleh Zabadi, de quitter avec ses hommes leur base, où ils étaient tenus de demeurer, et de rejoindre le général Bahr et d’autres chefs de la Séléka dans les villes du nord du pays que sont Sibut, Kaga Bandoro et Kabo, où ils regroupaient leurs forces. Dans un rapport de décembre 2013, intitulé ‘Ils sont venus pour tuer’, Human Rights Watch expliquait comment le colonel Zabadi, alors adjoint au commandant local à Bossangoa, avait ordonné, le 18 novembre, de noyer sept exploitants agricoles accusés à tort d’être des miliciens anti-balaka. .. Un responsable de la force de maintien de la paix a déclaré à Human Rights Watch qu’en fournissant des escortes à des chefs de la Séléka armés, les tchadiens échappaient à son commandement et sortaient du cadre de leur mission. »

Si une partie des Séléka restants se regroupent au nord, il s’est ensuite avéré que cet exemple d’HRW ne correspondait pas exactement. En effet, une partie des Sélékas regroupés au Nord n’y restent pas et sont désarmés puis accompagnés vers Ndjaména ce qui constitue aussi une neutralisation, pour éviter la poursuite des combats. Les dirigeants tchadiens redoutent une force potentiellement irrédentiste au Nord de la RCA. Le 28 janvier, Mahamat Bahar, « l’ex-chef des services de renseignements centrafricain » « ex-Séléka » était signalé à Ndjaména avec 200 ex-séléka[226]. Le 6 février l’AFP indique « 260 hommes - et deux femmes… pour la plupart officiers et sous-officiers dans la hiérarchie Séléka, … réfugiés au Tchad, acculés par les anti-balaka, après avoir été neutralisés par les forces internationales française et africaine ». Le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité tchadien Yaya Mahamat Oki Dagache est venu leur dire que les tchadiens seraient remis à la justice, comme le disait déjà le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Hassan Sylla Bakari le 30 janvier[227]. Le 7 février « le premier substitut du procureur général de N’Djamena a annoncé l’engagement de poursuites judiciaires ».[228] Connaissant le peu d’indépendance de la justice tchadienne, les ‘désignés tchadiens’ et Mahamat Bahar, l’homme de Déby, ne risquent pas grand-chose. Fin février 2014, estimer les quantités de combattants Séléka bloqués en RCA et de combattants Séléka ayant quitté la RCA est difficile.

Ainsi, en janvier 2014, Michel Djotodia, Nourredine Adam et Mahamat Bahar, les trois principaux éléments clé de l’influence tchadienne qui avaient acquis leur pouvoir grâce à Idriss Déby, ont quitté Bangui.

[217] 22.1.13, http://www.letemps.ch/Page/Uuid/885..., M Debos, 21.1.14 : « On ne se soucie même pas d’avoir une mise en scène laissant croire que ce sont les Centrafricains eux-mêmes qui prennent les décisions. » : http://www.humanite.fr/monde/mariel...

[218] 15.1.14, Lettre du continent, Le scénario secret de la chute de Djotodia, http://www.africaintelligence.fr/LC...

[219] Selon la Lettre du Continent, Nourredine Adam restait le 10 janvier 2014, « l’homme fort de Bangui » qui négociait avec Idriss Déby les conditions du départ de Djotodia, mais cette information est démentie par des témoins centrafricains : http://www.demainlenouveaucongobraz...

[220] 19.1.14, http://www.alwihdainfo.com/Cameroun...

[221] 10.1.14, Nathalie Guibert, http://www.lemonde.fr/afrique/artic...

[222] 9.1.14, RFI : CEEAC : le Parlement transitoire centrafricain envoyé d’urgence à Ndjamena par avion : http://www.rfi.fr/afrique/20140109-...

[223] 21.1.14, Centrafrique : Nourredine Adam retenu quelques instants à Douala au Cameroun : http://www.journaldebangui.com/arti...

[224] 20.2.14, Dhaffane, un proche de Djotodia, demande un réajustement de la transition, http://www.radiondekeluka.org/polit...

[225] 5.2.14, République centrafricaine : Des combattants de la Séléka se regroupent dans le nord : http://www.hrw.org/fr/news/2014/02/...

[226] 30.1.14, Le Tchad veut juger tous les mercenaires tchadiens liés à la Séléka : http://www.alwihdainfo.com/Le-Tchad...

[227] 30.1.14, Le Tchad veut juger tous les mercenaires tchadiens liés à la Séléka, Alwihda, Ibid

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4.5 Derrière et à côté de Déby : la CEEAC et l’UA

La Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) est intervenue dans la crise centrafricaine à plusieurs reprises, profitant aussi de la Présidence en exercice de Déby : fin décembre 2012, lors des accords de Libreville en janvier 2013[229], lors du sommet de Ndjaména du 18 avril 2013[230], en renforçant légèrement la MISCA en septembre 2013[231]. Déby s’est, entre décembre 2012 et janvier 2014, servi de sa position forte dans la CEEAC, pour imposer des choix, tempérés par les intérêts des dirigeants des pays voisins, Paul Biya et Sassou Nguessso.

La MISCA a remplacé la FOMAC mi-décembre 2013. La FOMAC liée à la CEEAC, envoyé dans le cadre de la Mission de consolidation de la paix en Centrafrique (MICOPAX), comprenait environ 2500 soldats, dont, ceux de RDC (500), du Tchad (500 ou 600 puis 800), du Gabon (500), du Cameroun (500), de la Guinée équatoriale(200), et des policiers[232]. Les effectifs de la MISCA ont atteint 6000 soldats en février 2014, dont, Cameroun 500, Gabon 500, RDC 850, Burundi 850, Rwanda 850[233], Congo Brazzaville 500, Tchad 850, Guinée équatoriale 200[234]. Les chiffres évoluent. L’opération Sangaris comporte, elle, d’abord 1 600 soldats, augmenté à 2000 mi-février 2014.

Fin décembre 2013, Déby et son ministre des Affaires étrangères, Moussa Faki Mahamat, se défendent des accusations multiples sur leur rôle en RCA, qui n’abordent pourtant que la partie la plus visible[235] : « Ce qui se dit dans la presse est une manipulation. Le Tchad est en RCA depuis 20 ans. Le Tchad n’a pas un agenda sur la RCA : nous sommes au regret de constater cette campagne éhontée contre le Tchad ». L’Union Africaine, où Déby est influent, l’a alors soutenu, par la voix du Commissaire à la Paix et la Sécurité de l’Union Africaine, Ismaël Chergui [236] : « Tout ce qui ce raconte sur le contingent tchadien, nous à l’UA nous ne le croyons pas : nous soutenons l’armée tchadienne, nous saluons ses actions et nous l’encourageons dans sa mission au sein de la Misca ».

Selon le journaliste de Médiapart, Thomas Cantaloube, peu après le début de l’opération Sangaris[237] « D’après des sources diplomatiques, l’Union africaine (UA) avait demandé à la France et à l’ONU d’avoir les coudées franches (et des financements) pendant un an afin de tenter de régler le problème par elle-même. Mais les États de la sous-région ne l’ont pas voulu. L’ONU, présente en Centrafrique depuis une quinzaine d’années, s’était également montrée dépassée. C’est donc la France qui a pris les avant-postes, mais sans nécessairement mesurer l’ampleur de la tâche et des complications régionales. »

Interrogé par RFI[238], le secrétaire général de la CEEAC, Ahmat All-Amy, a accusé François Bozizé d’être responsable des combats fin 2013 : « Personnellement, je pense que le principal coupable, celui qui doit être poursuivi par la communauté internationale, par la CPI, c’est monsieur Bozizé. Bozizé, qui a créé les anti-Balaka au mois de mars 2013, avant de quitter le pouvoir, qui a monté une partie de sa population contre les autres Centrafricains. C’est celui-là qui est responsable ». Il précise : « la transition a été déstabilisée à la suite de l’attaque de Boali, où une soixantaine de corps de musulmans ont été assassinés, tués, ce qui a provoqué une réaction des forces gouvernementales, qui a été aussi une réaction terrible, dont les conséquences étaient dramatiques »[239].

Thomas Cantaloube conclut « Même si l’intervention en Centrafrique devient au bout du compte une « opération de maintien de la paix » sous mandat onusien, il faudra quand même composer avec les pays voisins, ne serait-ce que pour l’acheminement du matériel et la sécurisation des frontières. Or, avec deux opérations françaises concomitantes sur le continent (Mali et Centrafrique), les « vieux crocodiles » régionaux savent qu’ils peuvent en tirer sinon un certain profit, du moins une relative tranquillité. « On ne va pas les harceler sur la question de la démocratie ou des droits de l’homme quand on a besoin de leurs routes ou de survoler leur territoire. On ne va pas se fâcher trop fort avec Déby qui joue un jeu pervers en Centrafrique quand on a besoin de ses soldats au Mali », soupire un ancien diplomate du Quai d’Orsay présent lors du récent sommet sur la paix et la sécurité en Afrique. »

Comme Sassou Nguesso, Paul Biya tente d’influer sur l’avenir de la RCA[240]. Le journal camerounais, Le Messager évoque le 21 janvier 2014[241] « un pied de nez à Idriss Déby voulu par le président Biya » et explique « En servant de porte avion à Bozizé et ses partisans, Yaoundé entendrait ainsi jouer sa partition dans le retour à une situation tout au moins moyennement normale en RCA. Surtout qu’après le départ de Michel Djotodia vers les poubelles de l’histoire, François Bozizé redevient « fréquentable ». Ce projet aurait le don, d’après nos sources, de trouver une solution de fond au conflit centrafricain, mais aussi positionnerait Yaoundé comme une des destinations inévitables dans les pourparlers auxquels songent déjà l’ensemble des pays « amis » de la Centrafrique qui œuvrent en ce moment soit par des moyens diplomatiques soit par des voies militaires pour la pacification du pays. » Un relatif soutien de Biya, par contre, n’a pas été au-delà d’un seuil où la déstabilisation de la RCA deviendrait dangereuse pour le Cameroun. Et Bozizé le déchu est resté ‘infréquentable’.

Sassou Nguesso assure une médiation début 2014 et aurait soutenu l’arrivée de la nouvelle présidente de transition, Catherine Samba Panza, selon la Lettre du Continent, et Karim Meckassoua, selon Jeune Afrique[242]. Si Déby perdait en influence pour laisser Sassou Nguesso ou Paul Biya en gagner, ce ne serait sans doute pas ce qui faciliterait la progression de la démocratie et de l’Etat de droit en Centrafrique. Les solutions qui sont proposés par les dictateurs voisins ne sont pas celles qui permettent à la démocratie d’arriver globalement en Afrique centrale. Le début de la démocratie en Centrafrique pourrait survenir par une sortie de crise, mais dans ce cas qui ne sera pas soutenue par les dictateurs de la région, Déby, Biya, Nguesso, Bongo, Obiang, qui font tout pour empêcher qu’elle ne les submerge eux-aussi, et qui sont solidaires entre eux sur ce point.

[228] 8.2.14, Centrafrique : la justice tchadienne poursuivra les ex-Séléka tchadiens : https://afriquenewsblog.wordpress.c...

[229] http://peacemaker.un.org/sites/peac...

[230] 19.4.13, sommet CEEAC N’djaména http://centrafrique-presse.over-blo...

[231] 19.9.13, Les pays de la CEEAC décident de renforcer les effectifs en RCA, http://www.afrik.com/les-pays-de-la...

[232] http://www.operationspaix.net/77-hi...

[233] http://www.lemonde.fr/afrique/artic...

[234] http://lignesdedefense.blogs.ouest-...

[235] AFP 28.12.13, Centrafrique : l’UA "salue les actions" de l’armée tchadienne, http://www.lepoint.fr/monde/centraf...

[236] AFP 28.12.13, Ibid.

[237] 20.12.13, La France dans l’étau régional centrafricain http://www.mediapart.fr/journal/int...

[238] 15.12.13, Crise en Centrafrique : pour Ahmat All-Amy de la CEEAC, « François Bozizé est responsable », http://www.rfi.fr/afrique/20131215-...

[239] 5.12.13, agence Xinha, 12 morts et 10 blessés dans des attaques entre les anti-Balakas et des éleveurs peuls à Boali : http://french.peopledaily.com.cn/96...

[240] Entre autres liens, Franck Biya, fils de Paul Biya voulait exploiter les forêts de RCA en s’associant à Françis Bozizé, fils de François Bozizé. Emergence, 26.11.12, http://www.camer.be/index1.php?art=...

[241] 21.1.14, Préséance en zone Cemac : Bozizé, l’arme fatale de Biya contre Déby http://www.cameroun24.net/?pg=actu&...

[242] 30.1.14, Centrafrique : Catherine et les soudards : http://www.jeuneafrique.com/Article...

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4.6 Les circonlocutions des dirigeants français ‘obligés de Déby’[243]

Le 6 janvier 2014, le Conseil de Sécurité de l’ONU, dans lequel vient d’arriver le pouvoir tchadien, s’est réunit pour discuter de l’envoi de casques bleus en RCA, à la demande des français. La délégation tchadienne s’y est opposée arguant qu’il fallait « laisser à la MISCA sa chance ». La Mission Internationale de Soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, qui a remplacé la FOMAC en décembre, permet au Tchad et aux pays voisins de peser, et Idriss Déby refuse de s’avouer vaincu. Puis, le 7 janvier, Jean-Yves Le Drian, a renvoyé la question à Février : « Il faudra d’abord apprécier la situation lorsque la MISCA sera arrivée à son plein déploiement, ce qui n’est pas encore le cas, dans l’état actuel des choses, il n’y a pas de raisons particulières d’envoyer des renforts. »[244]

Le 3 janvier 2014, le « Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés dénombre au moins 935.000 personnes déplacées »[245], et en février l’estimation atteint un quart de la population de 4,5 millions d’habitants.

Le 7 février, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime[246] que « depuis le début du conflit en décembre 2012, près de 246 000 civils centrafricains sont devenus des réfugiés dans la région. Près de 840 000 personnes demeurent également déplacées à l’intérieur de la RCA ». Pour Médecins sans frontières (MSF) le 26 février 2014[247], « Pour les personnes déplacées dans les forêts dans le nord-ouest et le nord-est du pays, l’accès aux soins est prioritaire. Avec les guerres qui ont traversé ces régions, ces populations savent trouver de la nourriture dans la nature. Mais, à défaut de soins, elles peuvent mourir de paludisme ou de diarrhées aiguës. Il y actuellement plus de morts indirects en Centrafrique que de morts par violences. » Le 3 mars 2014, Abdou Dieng, coordonnateur humanitaire des Nations Unies en Centrafrique alerte[248] « C’est maintenant que la crise humanitaire va commencer à s’accentuer. Si on n’y fait pas attention, on va bientôt avoir des gens qui meurent de faim en Centrafrique … Les stocks des commerçants musulmans qui ont été pillés ces derniers mois sont terminés. »

Le vendredi 14 février à 18h, alors que les media décrivent la fuite des populations assimilées ‘musulmanes’[249] et reprennent l’expression d’épuration ‘ethno-religieuse’ employée à l’ONU, Idriss Déby, qui a déjà rencontré Le Drian 3 fois à Ndjaména les deux derniers mois, vient en urgence à l’Elysée rencontrer Hollande, Fabius et Le Drian. Les récents partenaires militaires au Mali sont confrontés au devoir urgent d’arrêter le conflit en Centrafrique. L’ingérence tchadienne commencée en 2012 n’est plus supportable.

Les 14 février, Déby, qui n’avait plus le choix, cède sur l’envoi des casques bleus, et l’annonce à RFI après la sortie de la réunion avec Hollande[250]. Le reste de la réunion à laquelle participaient aussi Jean-Yves Le Drian, Laurent Fabius, Thomas Mélonio, Hélène Le Gall ne fait pas l’objet d’un compte-rendu[251] alors que la présidence tchadienne a donné le 17 février sa version[252]. Déby répète son accord le 17 février lors d’une rencontre avec la présidente de transition centrafricaine Catherine Samba Panza venue à Ndjaména : « Il faudra plus d’hommes, plus de moyens (...). Et quelle est l’institution qui a les moyens nécessaires pour gérer ce genre de situation ? C’est les Nations Unies. Donc, il ne faut pas tergiverser, il faut aller vers les Nations Unies pour avoir les moyens nécessaires pour tirer la République centrafricaine vers la sortie de chaos actuel »[253]. Ce jour là, toujours sous la pression, Déby ajoute, selon RFI[254] : « Des Seleka sont partis dans le nord et on assiste, de fait, à une sorte de division de la République centrafricaine. Il faudra prendre contact avec ces gens pour qu’ils regagnent la mère patrie. Et il ne s’agit pas non plus aussi de les combattre avec les armes. Ils étaient casernés, ils ne peuvent pas sortir. Quand on sort, on tire sur eux. Maintenant c’est à la présidente, avec l’appui de la communauté internationale, l’appui du pays voisin, de faire en sorte que ces frères-là reviennent à la légalité. En faisant démissionner Michel Djotodia, nous avons fait des promesses aux éléments de la Seleka. Et nous n’avons pas tenu ces promesses-là. Je le reconnais publiquement. Donc, il nous revient nous aussi de gérer ce tort que nous avons fait en République centrafricaine ». Le matin du 14 février, l’armée française change de chef d’état major : « atteint par la limite d’âge », l’amiral Guillaud, qui a dirigé les opérations en Libye, en Côte-d’Ivoire en 2011, au Mali en 2013, puis Sangaris, et est « habitué des allées du Palais présidentiel » au Tchad[255], est remplacé par le général Pierre de Villiers[256].

Déby s’est comporté en pompier-pyromane en Centrafrique[257], et le gendarme français qui a les moyens d’observer tout au Tchad comme en RCA n’a pas réagi pendant un an, ‘obligé’ par la rente diplomatique du Mali, ou secrètement intéressé. Hypocritement, l’armée française et la diplomatie française se justifient aux regards des actions officielles de l’armée tchadienne, sans jamais considérer correctement les actions officieuses, dans les jeux de rébellions, où le président tchadien a souvent ‘excellé’. En 2013, occupés par le Mali, qui a une diaspora influente en France, le gouvernement français et l’armée semblent avoir pensé qu’Idriss Déby maitriserait la situation en RCA, ce qui revenait à le laisser choisir un futur dictateur vassal.

L’armée française est de nouveau face à des violences et à un risque de crime de masse[258], 20 ans après le génocide des Tutsis du Rwanda en 1994, et alors que la justice française progresse enfin sur l’implication française dans le génocide. Même si cela peut se rejoindre au niveau de l’image et de la crédibilité internationale de l’armée française, dans la perception de sa capacité à agir dans un contexte de violences basées sur une division identitaire de la population, il convient d’éviter les simplifications et la comparaison des situations.

En outre, les conflits malien et centrafricain sont concomitants début 2013, les soldats tchadiens ayant été considérés par les dirigeants français comme indispensables à l’intervention au Mali, ces dirigeant français pouvaient-ils critiquer leur allié pour son rôle en Centrafrique avant la fin de la phase des combats au Mali, sans risquer de mettre en péril l’équilibre au Mali ? Le choix qui a été fait semble une temporisation en Centrafrique en attendant que les troupes tchadiennes ne soient plus indispensables au Mali.

Thomas Cantaloube résume ainsi[259] : « Selon le chercheur Roland Marchal, la France avait alors deux politiques possibles : ‘Paris aurait pu dire que ce n’était pas à la région de choisir le président de la Centrafrique, même si Bozizé était une crapule, et se retirer. Ou alors elle aurait pu choisir de rester en décidant de parler fort, y compris à Déby. Mais pour cela, il aurait fallu s’intéresser à la Centrafrique ! » Au lieu de cela, Paris a choisi de rester impliqué dans le jeu en laissant faire. Résultat : la Séléka s’est transformée en milice prédatrice et Djotodia n’a jamais été capable de rétablir l’ordre. Au bout de quelques mois, la crise humanitaire, l’hypothèse d’un sanctuaire terroriste et les tensions religieuses ont conduit la France à s’emparer du dossier et, in fine, à envoyer ses soldats après le vote d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU.’ »

Entre fin juillet et octobre 2013, avant de réapparaître au Cameroun le 14 janvier 2014, Bozizé est en France, et il se voit revenir au pouvoir et prépare militairement son retour avec sa famille. Au regard de ses activités, est-ce que le danger que représentait Bozizé a été correctement estimé ? Le premier objectif de Sangaris est en décembre 2013 de s’attaquer à la Séléka, considérée comme cause première des violences. Comme les Séléka défendaient des personnes vues comme musulmanes, et les violences contre ces personnes ont augmenté brusquement au départ des mercenaires tchadiens et soudanais. Une mission du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits humains a constaté que « le désarmement des ex-Séléka mené par les forces françaises aurait laissé certaines communautés musulmanes vulnérables aux représailles des anti-Balaka »[260]. Dans un contexte diplomatique très complexe, pendant les 2 premiers mois de Sangaris, la pression sur Bozizé pour tenter de contenir les anti-balaka a été insuffisante. Le 10 février 2014, le général Francisco Soriano, commandant de Sangaris a déclaré « Ceux qui se disent ’anti-balaka’ sont devenus les principaux ennemis de la paix en Centrafrique … Qui sont les ’anti-balaka’ ? Qui est leur chef ? Quel est leur message politique ? Quelle est leur chaîne de commandement ? Personne ne sait rien. C’est une nébuleuse, nous sommes incapables de mettre un vrai visage. »[261] Faute de maîtrise globale, lors de la mise en œuvre de Sangaris en décembre puis de la destitution de Djotodia en janvier, la possibilité d’une « inversion du rapport de force »[262] et ses conséquences n’ont pas été anticipées. Les anti-balaka se sont aussi adaptés à Sangaris et à la MISCA, par exemple en utilisant des machettes au lieu des kalachnikovs qui attiraient l’attention.

Selon la journaliste Rosa Moussaoui, le 21 janvier 2014[263] :« Le Tchadien Idriss Déby, le Camerounais Paul Biya et le Congolais Denis Sassou-Nguesso sont étroitement associés, par Paris, à la tutelle qui s’exerce, de fait, sur Bangui. Officiellement, l’Élysée «  fait confiance aux Centrafricains pour choisir une nouvelle équipe de transition  ». En coulisses, Paris tire les ficelles. » Pour la Lettre du Continent[264], la nouvelle présidente de transition Catherine Samba-Panza aurait été promue par Sassou Nguesso, avec l’aval de Paris et Washington, alors que Déby appuyait la candidature de Désiré Kolingba, ce qui confirme le recul de Déby.

Le 23 décembre 2013, le Ministère des affaires étrangères et européennes français, par la voix de son porte-parole adjoint, s’exprimait ainsi :[265] « Le président Idriss Deby du Tchad, en sa qualité de président en exercice de la CEEAC, a joué un rôle central dans la définition du cadre de la transition politique en RCA. Partenaire essentiel, il a toute la confiance de la France. » Le lendemain, le 24, il commentait les accusations d’exactions des forces tchadiennes : « S’agissant des événements que vous décrivez, il appartient à la MISCA et à l’Union africaine de les confirmer et d’en déterminer les circonstances »[266], ce qui est un escamotage.

Malgré les éléments de preuves qui s’accumulent contre lui en RCA, Déby semble garder une relative confiance de Hollande, Le Drian et de l’Etat major de l’armée française. Il s’agit en réalité de l’expression de la logique d’une politique française sur le mode de la Françafrique centrée sur un réseau de dictatures, commençant à se transformer en interblocage ou ‘étreinte fatale’. Cette politique n’admet pas de recul au niveau image, pour ne pas avoir à perdre du terrain encore ensuite, et parce que son image est fondamentalement fausse et fragile. A force de vouloir « sauver le soldat Déby », en 2008 militairement, en 2014 diplomatiquement, la diplomatie française et les objectifs de l’armée française dans la région sont dangereusement fragilisés.

Bien que Déby ait acquis dans les dernières années une autonomie face aux dirigeants politiques et militaires français, le Tchad avec son influence en RCA reste pour les militaires français une ‘zone militaire’. Le 20e anniversaire du génocide des Tutsi au Rwanda, dans l’attente d’une avancée de la justice qui déterminera dans quelle mesure il y a eu complicité française de génocide, rappelle que les dysfonctionnements entre exécutif, parlement et armée n’ont jamais été correctement analysés et expliqués, pour permettre des réformes appropriées des institutions. Au Rwanda comme dans l’espace ‘Tchad et Centrafrique’ sur l’ensemble de la crise centrafricaine depuis mi-2012, la relation entre l’Etat français et son armée est interrogée, au niveau opérationnel et politique, dans le but de penser la capacité à anticiper et prévenir les crises, en dehors d’une comparaison entre les crises elles-mêmes. Plus généralement, quand l’influence de l’armée sur la politique étrangère est excessive, la connaissance de l’Afrique et les compétences des dirigeants font aussi l’objet de doutes. L’absence de garanties sur la non-corruption des fonctionnaires français et les risques associés étaient également signalés dans le dossier ‘Tchad 2013 : la réhabilitation impossible d’un dictateur notoire’ du 15 décembre 2013[267].

Laurent Fabius et Jean-Yves Le Drian mélangent leurs rôles, comme l’a montré le passage de Le Drian au Tchad pour forcer la démission rapide de Djotodia. A partir de décembre 2013, la crise centrafricaine a de plus en plus été gérée par le Ministère de la défense et l’Elysée, et le Ministère des affaires étrangères et européennes s’est fait discret. Le 10 janvier 2014, le ministre de la défense français, qui n’a jamais travaillé sur les processus électoraux, confond les terrains maliens et centrafricains, et se permet de parler au nom des centrafricains : « Il faut que le Conseil national de transition établisse l’alternative provisoire parce que le but c’est d’aller avant la fin de l’année à des élections »[268]. Au contraire du Mali, malgré des difficultés dans ce pays, la situation centrafricaine ne permettra pas d’envisager des élections rapides. Même s’il est bon d’éviter des délais excessifs pour des ‘élections de fin de guerre’, un minimum de préparation est nécessaire pour ne pas valider un processus bâclé, sous contrôle de militaires étrangers qui n’ont pas de compétence en processus électoraux, même si certains viennent de démocraties, processus risquant de se transformer en retour rapide à la dictature.

Jusqu’au 24 février 2014, le silence des dirigeants français, qui, malgré tout, en 2014 ont retrouvé une influence maximale en RCA, a été aussi remarquable concernant la nécessité de justice pour aider à la résolution du conflit et prévenir de nouveaux conflits, dans une période, surtout en 2013, ou la Cour pénale internationale (CPI) a été attaquée par plusieurs présidents africains et fragilisée. La procureure Fatou Bensouda a attendu le 7 février 2014 pour « ouvrir un examen préliminaire ».[269] Alors que les centrafricains alimentent déjà depuis longtemps la CPI en informations, une société civile tchadienne financée et pilotée par Déby tente de renvoyer toutes les accusations sur Bozizé[270]. La question de la CPI devient sensible quand le choix des poursuites implique les chefs d’Etat. Lors du conflit au Darfour entre 2004 et 2009, Déby avait été épargné par la CPI qui s’était attaqué à Béchir, et une certaine clémence internationale a pu être considérée comme liée à des soutiens internationaux dont celui de Jacques Chirac jusqu’à 2007[271]. En 2014, se déroule l’instruction du procès Habré par les Chambres africaines extraordinaires, au Sénégal, qui pourrait mettre en évidence le rôle de Déby auprès d’Habré. En Centrafrique, la crédibilité de la CPI est en jeu, au regard de son indépendance. Le 19 février 2014, la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits humains, Navi Pillay, s’est exprimée[272] : « Les dirigeants devraient garder à l’esprit l’impact direct de leurs paroles et de leurs actions sur leurs partisans, et ils doivent comprendre qu’ils pourraient être tenus pour responsables des crimes qu’ils auraient ordonnés, sollicités ou incités ». Le 24 février 2014, le journaliste Thomas Hofnung écrit[273] : « Pour tenter de neutraliser les leaders de chaque camp, tentés de perturber ce processus de reconstruction, la France a aussi transmis à l’ONU une liste comportant huit noms de responsables à sanctionner. Dans le viseur de Paris figure notamment l’ex-président François Bozizé… ». La liste, au 27 février, en discussion entre France, USA et Grande-Bretagne est « susceptible d’évoluer » et comprendrait « huit noms, dont ceux de Bozizé et certains de ses fils, ceux de responsables Séléka, ainsi que de responsables des milices anti-balakas »[274]. Le 28 février, Hollande, Fabius et Le Drian sont à Bangui, et le président français déclare « Aucun crime ne doit rester impuni... Une commission d’enquête des Nations unies sera bientôt en place et la Cour pénale internationale va ouvrir une enquête préliminaire. »[275]

L’influence militaire sans considération pour la nature des régimes sur les pouvoirs exécutif et législatif français se révèle dans les discours destinés aux dirigeants plutôt qu’aux peuples, qui sont eux conscients de l’illégitimité de certains de leurs dirigeants. D’autres symptômes sont un manque persistant de transparence de la diplomatie et le refus de considérer l’équilibre à concevoir entre ‘paix’, ‘développement’ et ‘démocratie’. Au sommet de l’Elysée des 5 et 6 décembre 2013[276], François Hollande, certes, indiquait : « Depuis plusieurs années, le processus d’élections pluralistes en Afrique est devenu celui qui s’impose. Je le dis ici avec sincérité et franchise. C’est le seul possible. Il est irréversible et la France ne pourra pas admettre des régressions ou des manquements », mais juste avant il venait de dire « la sécurité, c’est aussi le développement – ou plutôt, le développement, c’est la sécurité. Les deux ambitions et exigences se rejoignent », oubliant alors la démocratie et l’Etat de droit. Dans l’intrication des questions tchadiennes et centrafricaines, une fois de plus, apparaît l’absence de soutien suffisamment franc et transparent à la démocratie comme à une démocratisation de l’Afrique centrale, qui nécessiterait, entre autres, une réforme sérieuse de la politique militaire française.

De brillants politiciens français veilleront-ils à rassurer le tyran tchadien qui, fin janvier 2014, a de l’« amertume » faute de « reconnaissance à la hauteur de (son) engagement » (au Mali), en lui offrant « une plus grande place … (au) défilé du 14 juillet »[277] ? Michel Roussin, le vice-président de MEDEF International bien connu en Françafrique, et qui a déjà rencontré Déby à Paris en décembre et février, était à Ndjaména à la tête d’une délégation du 18 au 20 février 2014[278]. En février 2014, Le Drian propose enfin d’installer au Tchad « le centre de commandement de l’ensemble de ses opérations antiterroristes dans la bande sahélienne »[279].

Le débat relativement consensuel au parlement français sur la prolongation de Sangaris le 25 février 2014[280], autour d’une question très précise, n’a pas fait ressortir la complexité de la situation en Centrafrique[281] mais a permis au groupe écologiste de dénoncer la responsabilité de Déby[282] : « le groupe écologiste s’étonne qu’aucune voix politique, à l’exception de celle de notre collègue Noël Mamère, ne se soit élevée pour questionner la lune de miel franco-tchadienne, qui n’est pas nouvelle mais qui semble avoir été réaffirmée depuis un an. En effet, le déclenchement simultané des opérations Serval au Mali et Sangaris en Centrafrique, dont le Tchad constitue le premier soutien africain, a placé la France dans une position de relative dépendance vis-à-vis de N’Djamena, faisant du président Idriss Déby le nouveau pivot de notre politique en Afrique centrale… il faut rappeler que le Tchad est en partie responsable de la déstabilisation de la Centrafrique. Sans la complaisance, voire le soutien actif du président tchadien Idriss Déby, les rebelles de la Séléka, dont un tiers sont eux-mêmes tchadiens, n’auraient pu s’emparer du nord-est centrafricain puis de Bangui. » Le Drian a, lui, indiqué que la « réconciliation passera par une élection présidentielle » en février 2015, malgré les doutes et les contestations.

Déby est mis en cause en Centrafrique mais n’a pas perdu l’appui français pour envisager de rester au pouvoir encore longtemps dans une ‘zone militaire’ sans démocratie. Même si en décembre 2013 et janvier 2014, Paris et Ndjaména se repositionnent l’un et l’autre et, par nécessité, reprennent sans doute une certaine distance, d’un point de vue général, plus théorique, le recul de Déby au Tchad correspond au recul de la politique française sous influence militaire, tel qu’elle a été exprimée les 5 et 6 décembre 2013 au sommet de l’Elysée. Cette politique mettait en avant la capacité des présidents africains à maintenir la paix grâce aux formations françaises ou européennes. Elle ne prévoyait pas le cas des dictateurs pompiers notoirement pyromanes.

[243] 1.10.13, Noël Mamère interpelle Laurent Fabius sur Idriss Déby devant la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée Nationale Française : vidéo : http://videos.assemblee-nationale.f..., discours Laurent Fabius : http://basedoc.diplomatie.gouv.fr/v...

[244] 8.1.14, USA : Le Tchad hostile à l’envoi de casques bleus en RCA, http://www.lanouvellecentrafrique.i...

[245] 3.1.4, Centrafrique : près d’un million de déplacés depuis le début du conflit, http://www.lexpress.fr/actualite/mo...

[246] 7.2.14, Après le regain de tensions en RCA, près de 9 000 personnes fuient au Cameroun, http://www.unhcr.fr/print/52f8e074c.html

[247] 26.2.4, Centrafrique : « Il y a plus de morts par défaut de soins que par violence » selon MSF, http://www.lemonde.fr/afrique/artic...

[248] 3.3.14, "On risque bientôt d’avoir des gens qui meurent de faim en Centrafrique" (responsable humanitaire), http://fr.africatime.com/republique...

[249] Les populations dites musulmanes (10% à 15%) ne sont pas les seules déplacées en RCA (25% de déplacés).

[250] 15.2.14, Le Tchad approuve le déploiement de casques bleus en Centrafrique, http://www.rfi.fr/afrique/20140215-...

[251] http://www.elysee.fr/photos/entreti..., http://www.elysee.fr/chronologie/#e..., http://basedoc.diplomatie.gouv.fr/v...

[252] http://www.presidencetchad.org/affi...

[253] 19.2.14 Déby Itno demande à l’ONU des "moyens" pour régler la crise en Centrafrique, http://fr.africatime.com/tchad/arti...

[254] 18.2.14 RCA : la présidente Samba-Panza en visite au Tchad http://www.rfi.fr/afrique/20140218-...

[255] 18.10.13, Coopération Tchad-France : http://www.presidencetchad.org/affi...

[256] 14.2.14, Adieux aux armes de l’Amiral Edouard Guillaud : http://www.defense.gouv.fr/operatio...

[257] 1er janvier 2013, Centrafrique (RCA) : L’agenda secret de la rébellion (interview d’un responsable du mouvement Séléka), http://afrikarabia.blogspirit.com/a...

[258] Utiliser le terme ‘génocide’ pour parler des crimes et violences en RCA revient aussi à ne pas estimer correctement les conséquences d’un conflit armé, comme si un conflit armé n’était pas suffisant pour faire réagir une ‘communauté internationale’.

[259] 20.12.13, La France dans l’étau régional centrafricain http://www.mediapart.fr/journal/int...

[260] 14.1.14, http://appablog.wordpress.com/2014/...

[261] 10.2.14, Centrafrique : les anti-balaka sont des "ennemis de la paix", selon le commandant de Sangaris : http://www.jeuneafrique.com/Article...

[262] 20.2.4, Centrafrique : attention aux mots, http://www.lemonde.fr/idees/article...

[263] 21.1.14, Catherine Samba-Panza à la tête d’un pays sous tutelle : http://www.humanite.fr/monde/cather...

[264] 29.1.4 Sassou faiseur de reine à Bangui http://www.africaintelligence.fr/LC...

[265] http://basedoc.diplomatie.gouv.fr/v...

[266] http://basedoc.diplomatie.gouv.fr/v...

[267] Paragraphe 10. Que fait l’armée française au Tchad ? dans le Dossier d’information réalisé dans le cadre du Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique http://electionsafrique.org/Tchad-2...

[268] 10.1.14, AFP : Centrafrique : Le Drian souhaite rapidement le remplacement de Djotodia, http://www.lepoint.fr/monde/centraf...

[269] 7.2.14, La procureure de la CPI ouvre un "examen préliminaire" de la situation en Centrafrique, http://www.jeuneafrique.com/Article...

[270] 14.2.14, Tchad : Le Président des ADH ciblé après sa plainte contre Bozizé devant la CPI, http://www.alwihdainfo.com/Tchad-Le...

[271] 15.12.13, paragraphe 3.1 Soudan : 2004-2009 du dossier d’information « Tchad 2013 : la réhabilitation impossible d’un dictateur notoire » réalisé dans le cadre du Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique : http://electionsafrique.org/Tchad-2...

[272] 19.2.14, http://reliefweb.int/report/central...

[273] 24.2.14, Au Parlement, une prolongation de « Sangaris » et beaucoup de questions, http://www.liberation.fr/politiques...

[274] 27.2.14, AFP, Centrafrique : les noms des personnalités à sanctionner en discussion à l’Onu, http://www.journaldebangui.com/arti...

[275] 28.2.14, Hollande en Centrafrique : « Il reste beaucoup à faire », http://www.lemonde.fr/afrique/artic...

[276] 6.12.13, Allocution du Président de la République pour l’ouverture du Sommet de l’Elysée pour la Paix et la Sécurité en Afrique : http://www.elysee.fr/declarations/a...

[277] 22.1.14, Commission de la défense nationale et des forces armées, Communication de la présidente de la commission Patricia Adam sur son déplacement au Tchad, http://www.assemblee-nationale.fr/1... + 29.1.14, Patricia Adam, Les responsables politiques et militaires tchadiens déçus du manque de reconnaissance de la part de la France : http://www.opex360.com/2014/01/29/l...

[278] 19.2.4, Ndjaména : des chefs d’entreprises français au Tchad http://fr.africatime.com/tchad/arti...

[279] 20.2.14, Centrafrique - Tchad : le courant passe entre Déby Itno et Le Drian : http://www.jeuneafrique.com/Article...

[280] Comptes rendus des débats du 25.2.4 : Assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/1..., Sénat : http://www.senat.fr/cra/s20140225/s...

[281] 25.2.14, Prolongation de Sangaris en Centrafrique : l’union sacrée... ou presque, http://www.leparisien.fr/internatio...

[282] 25.2.14, François de Rugy, EELV, au débat de l’AN sur prolongation de l’intervention des forces françaises en Centrafrique, http://www.assemblee-nationale.fr/1...

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Conclusion

La mise en évidence des responsabilités d’Idriss Déby depuis mi-2012, le retrait des forces tchadiennes, la neutralisation de l’influence d’Idriss Déby apparaissent indispensables pour sortir des cercles vicieux et aller vers un règlement politique de la crise centrafricaine à long terme.

La crise en Centrafrique démontre aussi l’absence de démocratie dans l’ensemble de l’Afrique centrale, composée essentiellement d’ex-colonies françaises, et marqué historiquement par l’exploitation du pétrole dans un système néocolonial. La Centrafrique a droit à la démocratie et à un soutien international à la construction de l’Etat de droit, au même titre que la Guinée Conakry entre 2009 et 2013, ou le Mali en 2012 et 2013, bien que cela sera plus complexe et long qu’au Mali. Les populations du Tchad et tous les pays voisins, Cameroun, Gabon, Congo-Brazzaville, Guinée Equatoriale mériteraient aussi que la ‘communauté internationale’ s’intéresse à leur droit à la démocratie autant qu’à la paix.

Si les militaires français peuvent avoir un rôle positif en Centrafrique, ils sont pour l’instant enfermés au Tchad dans une alliance sclérosante, qui rend difficile toute transformation des objectifs pour s’éloigner du néocolonialisme. Un point de départ serait d’arrêter de soutenir le dictateur tchadien en collaborant avec lui sans considération pour la nature de son régime. Pour l’armée française aussi, sortir la gestion de crise de la focalisation sur les aspects militaires sans conception politique ‘globale’ implique de considérer une évolution politique régionale. Si la base française au Tchad doit servir pour aider à ramener la paix en Centrafrique, en particulier au niveau de la frontière, les conséquences politiques devraient être prises en compte.

En plus du désarmement, de la réconciliation et de la justice, aider à sortir de la guerre civile en RCA, implique de soutenir un processus démocratique qui crée une légitimité du pouvoir, reforme le ciment identitaire commun, et permette une politique de lutte contre la pauvreté et de partage des bénéfices issus des ressources naturelles. L’Etat avait déjà commencé à se désagréger sous Bozizé et la Séléka a continué de le faire disparaître. Les solutions politiques devront coordonner, rétablissement de la paix et désarmement, reconstruction de l’administration, justice et réconciliation, fiabilisation d’un processus électoral, gestion des ressources, avec une attention particulière au diamant, et politique de développement.

Il apparaît en Centrafrique que le sommet de l’Elysée de début décembre 2013 conduit déjà dans une impasse, parce que, par l’absence de considération pour la nature des régimes politiques, a été sous-estimée la nécessité d’une aide à la démocratisation, qui demande une attention, une diplomatie, et des moyens adaptées, permettant au préalable de contenir les méthodes des régimes non démocratiques. Des politiques françaises et européennes de paix et sécurité qui tiennent compte de l’existence des dictatures et du besoin de démocratisation restent à définir, et le débat se devrait de considérer rapidement, tout au moins côté français, le poids les lobbies militaristes et de leurs relais, d’autant plus qu’après la Somalie, et le Mali, la Centrafrique sert de troisième terrain d’application des prémices de la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC).

La responsabilité de protéger a connu un succès rapide qui justifie l’intervention internationale en Centrafrique. Dans ce pays, le principe se heurte à un choix de priorité, entre gestion d’urgence à court terme et construction d’une solution politique à moyen terme. Le principe de subsidiarité contredit les efforts internationaux quand il met en avant des forces non neutres, dans des régions dont les frontières sont poreuses aux rébellions et dans lesquelles l’ingérence est historiquement installée. Le pouvoir tchadien actif depuis longtemps en Centrafrique n’était pas en mesure de participer à une action pour protéger des populations. Le rôle d’arbitre, attribué à l’Etat français en Afrique Centrale, sur un mode systémique, semble avoir semé la confusion nécessaire à l’aporie. La neutralité n’est sans doute pas rapidement vérifiable en cas de crise, aussi, émettre théoriquement des réserves sur la possibilité de faire protéger des populations par des armées de pays voisins, pourrait améliorer la gestion des crises, et éviter instrumentalisations, manipulations, double-jeu, et aggravations.

Plus globalement se pose la question dans l’équilibrage des pôles ‘paix’, ‘développement’, et ‘démocratie’, de la participation des régimes non-démocratiques à des processus, qui nécessitent de préparer une solution démocratique non factice. Une priorité devrait être proposée aux régimes démocratiques et aux principes fondant la démocratie, selon des modalités à définir car la question est sensible, tant au niveau de l’Union africaine que de l’ONU.

La question de la responsabilité d’Idriss Déby est secondaire par rapport à celle de la capacité des centrafricains à prendre leur avenir en main, pour arrêter le conflit et consolider la paix au travers d’une solution politique. Sans doute n’y aura-t-il pas de paix en RCA sans démocratie. Idriss Déby n-a-t-il pas suffisamment de crimes à son palmarès[283] pour qu’il n’y ait pas besoin de souligner par des preuves son implication dans la déstabilisation de la Centrafrique ? Mais depuis le début de la crise centrafricaine, le débat sur la justice, nationale ou internationale semble étouffé, et la menace de sanction pénale contre les politiciens a fait défaut. Jusqu’à quand dureront le silence et les ambigüités sur la nécessité de justice et de pression rapide par la justice ? Nombreux sont les acteurs évoqués dans ce rapport qui pourraient être interrogés.

Les populations tchadiennes et centrafricaines partagent des éléments culturels qui les rapprochent au-delà des conflits provoqués par des chefs militaires de part et d’autres. En raison du conflit actuel, certains tchadiens et centrafricains pensent que l’avenir du Tchad et celui de la Centrafrique resteront liés, et envisagent des mobilisations communes pour avancer en parallèle vers des progrès politiques, et une démocratisation dans les 2 pays.

Avant même des casques bleus, une intervention militaire européenne, Eufor-RCA, prévue en mars, ajoutera bientôt un regard plus neutre, moins enfermé dans des logiques politiques déjà installées. L’ensemble de l’aide extérieure à la RCA, européenne et africaine, et de l’ONU, est indispensable. L’intervention militaire européenne semble cependant très influencée par des acteurs politiques et militaires français[284], et l’Union européenne sera d’autant plus crédible qu’elle agira de manière autonome par rapport à la politique française.

Connaissant le bilan mitigé d’Eufor Tchad/RCA pour le Darfour et la région en 2008 et 2009[285], opération « levier externe permettant à Idriss Déby Itno de conserver les apparences d’une respectabilité internationale » et « occasion manquée de lancer un processus politique au Tchad » [286], les grands pays européens hésitent fortement ou refusent, tels l’Allemagne et la Grande-Bretagne, de s’engager en 2014 avec les forces françaises dans Eufor-RCA, mais l’occultation, au niveau officiel, d’un historique et de la responsabilité d’Idriss Déby empêche la tenue d’un débat européen à la hauteur de l’enjeu.

Essayer de mettre en évidence le rôle d’Idriss Déby en Centrafrique, c’est contribuer à y favoriser l’émergence d’une solution politique, tout en signalant que la démocratie et l’Etat de droit sont indispensables, au Tchad aussi bien que dans toute l’Afrique centrale.

[283] 15.12.13, dossier d’information « Tchad 2013 : la réhabilitation impossible d’un dictateur notoire » Ibid

[284] Général Philippe Ponties qui dirige EUFO RCA, et à Bruxelles Didier Lenoir SEAE/Crisis Management and Planning Directorate (CMPD), Pierre Amilhat, Responsable Afrique Centrale et de l’Ouest à la Commission européenne, d’après la conférence de presse du 16.1.14 : http://eeas.europa.eu/statements/do.... Pus d’info sur Eufor RCA le 13.2.14 sur http://club.bruxelles2.eu/eufor-rca...

[285] http://www.eeas.europa.eu/csdp/miss...

[286] 26.4.9, William Leday, L’opération EUFOR Tchad/RCA : Succès et limites d’une initiative européenne : http://www.tnova.fr/note/l-op-ratio...

Collectif de solidarité avec les luttes sociales et politiques en Afrique

Source : http://electionsafrique.org/