Vous êtes ici : Accueil » Afrique centrale » Tchad » Tchad-Soudan : normalisation en trompe l’oeil

Tchad-Soudan : normalisation en trompe l’oeil

D 7 octobre 2010     H 04:04     A Robin Guébois     C 0 messages


L’interminable crise militaire que subissent les populations
soudanaises et tchadiennes depuis des années va-t-elle
prendre fin ? L’asphyxie démocratique, l’accaparement des
richesses (notamment pétrolières) par Idriss Déby et son clan et
l’instrumentalisation politique de conflits communautaires ont
encouragé la formation de nouveaux mouvements politicomilitaires
aux motivations diverses (lutte contre la dictature ou
simple convoitise du pouvoir), en particulier de la part de certains
membres de l’entourage proche de Déby passés à la rébellion.
Une des particularités du conflit résidait dans le soutien croisé
dont bénéficiaient les mouvements rebelles tchadiens et
soudanais, chacun étant armé et soutenu par les autorités du
pays voisin. La tension entre les deux pays a connu son apogée
après une offensive de l’UFR (Union des forces de la Résistance
tchadien) sur Ndjamena qui aurait sans doute renversé Déby en
février 2008 sans l’intervention de l’armée française, et, réponse
du berger à la bergère, d’une percée du JEM (Mouvement pour la
justice et l’égalité soudanais) qui avait atteint les faubourgs de
Khartoum en mai suivant. Dopé par les livraisons d’armes
françaises, Déby a également été jusqu’à des bombarder les
bases rebelles en territoire soudanais.
Début 2010 pourtant, était initié un processus de
rapprochement entre les deux pays qui a débouché sur un nouvel
accord de paix (les précédents ayant été systématiquement
violés), accompagné de la mise en place d’une force mixte à la
frontière des deux pays, et surtout de l’arrêt du soutien
réciproque accordé jusque là aux mouvements rebelles. Ces
mesures ne vont pas sans tensions et sans arrières pensées mais
semblent globalement respectées. Ainsi le 20 mai, le dirigeant du
JEM Khalil Ibrahim, jusque là jugé très proche de Déby, était
déclaré personna non grata au Tchad et exfiltré vers la Libye,
même si les liens ne semblent pas totalement rompus. De l’autre
côté, les chefs rebelles tchadiens Abakar Tollimi, Timane Erdimi et
Mahamat Nouri ont été invités à quitter le Soudan. Si les
mouvements rebelles sont affaiblis et divisés, ils n’ont pas pour
autant désarmés.
Ce revirement résulte pour partie des pressions externes
exercées par plusieurs pays. La France a sans doute pesé par
crainte de se retrouver impliquée dans une escalade guerrière
contre le Soudan, où elle entend par ailleurs renforcer ses
positions économiques, de même que les Etats-Unis et la Chine
(qui a aussi des intérêts économiques dans les deux pays). Mais
les motivations de Béchir et Déby résultent également de leurs
agenda politiques respectifs. Sous le coup d’un mandat d’arrêt de
la Cour pénale internationale et s’apprêtant à se faire réélire, le
président Béchir cherchait à se poser en faiseur de paix et à
s’assurer du soutien politique le plus large de la part de ses pairs
africains. Alors que le confit du Darfour perdure et que celui du
Sud-Soudan pourrait se rallumer à l’occasion du référendum
d’autodétermination, il s’agissait aussi de limiter le nombre de
fronts. Quant à Déby, il est également soucieux de se ménager
une accalmie avant la tenue des prochaines élections législatives
en novembre 2010 et présidentielles en 2011 (aucun scrutin ne
s’est tenu depuis la dernière présidentielle boycottée par
l’opposition démocratique en 2006), et ce d’autant plus que la
rente pétrolière a été très largement dilapidée en achats d’armes
(le montant, classé confidentiel défense est estimé à 315 millions
de dollars en 2009 contre 14 millions en 2000) et que les caisses
de l’Etat sont vides.
L’accord de paix avec le Soudan a également permis à Déby
d’exiger le départ de la MINURCAT, cette force militaro-policière
onusienne mise en place dans le prolongement de l’opération
militaire européenne voulue par la France en 2008, sous prétexte
de sécurisation des camps de réfugiés et d’aide à la résolution de
la crise au Darfour. Si ces deux problèmes demeurent inchangés,
la France n’a pas cru devoir protester contre le départ de la force
de l’ONU autrefois jugée indispensable, dont le dictateur tchadien
craint qu’elle puisse maintenant interférer dans le processus
électoral ou l’éventuelle répression post-électorale. La situation a
également permis à Déby de hausser le ton à l’égard des
autorités françaises, en exigeant un dédommagement financier à
la présence permanente des quelques 1150 soldats français.
Si l’opposition civile tchadienne a réussi à obtenir la création
d’une Commission électorale indépendante, la détermination de
ses attributions et de son fonctionnement continue de susciter de
vives tensions avec le pouvoir tchadien, dont on se doute bien
qu’il ne renoncera ni au pouvoir ni aux moyens jusqu’ici utilisés
pour le conserver. La révision du corps électoral est également
contestée. Enfin, à destination des opposants qu’il n’a pas réussi
à débaucher, le régime a augmenté les moyens matériels de ses
forces répressives et a tenté de pérenniser les mesures
liberticides (en particulier contre la presse) prises au nom de
« l’état d’urgence » après l’offensive rebelle de février 2008. Nul
doute qu’une nouvelle mascarade électorale ne pourrait que
contribuer à replonger le pays dans la guerre civile.

Robin Guébois