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Un projet de loi menace de tuer la presse indépendante au Tchad

D 15 décembre 2012     H 05:00     A Reporters sans frontières     C 0 messages


Un projet de révision de la loi sur la presse, en discussion depuis le mois d’octobre 2012 à Ndjaména, menace de tuer la presse indépendante au Tchad, estime Reporters sans frontières qui a obtenu une copie de ce texte avant qu’il ne soit rendu public.

L’organisation exprime sa vive préoccupation face à ce texte liberticide, élaboré au terme d’un processus marqué par la plus grande opacité et qui signerait l’arrêt de mort des journaux indépendants. RSF demande au président de la République, Idriss Déby Itno, de tout faire pour qu’il ne soit pas adopté.

"Au prétexte d’assainir le paysage médiatique et de renforcer la responsabilité des journalistes, les rédacteurs de ce projet de loi ont introduit des dispositions répressives qui étoufferaient la presse indépendante. Comment ne pas voir dans cette manœuvre le zèle d’une partie du gouvernement pour neutraliser la presse et éviter à l’avenir les problèmes que celle-ci lui pose aujourd’hui ?", s’est interrogée Reporters sans frontières.

"L’objectif caché des autorités est d’obtenir la fermeture de plusieurs titres comme le journal d’opposition Ndjaména Bi-hebdo et le bimensuel Abba Garde, dernier né des journaux tchadiens et actuellement le plus lu de la capitale", a ajouté l’organisation.

Le projet de révision de la loi 017/PR/2010 relative au régime de la presse au Tchad a été rédigé en catimini à l’initiative du gouvernement tchadien. Selon plusieurs sources locales consultées par Reporters sans frontières, les artisans de cette réforme pourraient être le Premier ministre, le ministre de la Communication, son collègue de la Justice et enfin le ministre secrétaire général du gouvernement.

Le texte prévoit, à l’article 9, que tout journaliste devra "justifier d’un diplôme supérieur délivré par une école professionnelle de journalisme" ou à défaut, d’un diplôme de l’enseignement supérieur "assorti d’une formation professionnelle dispensée dans une école de journalisme agréée par l’Etat". Reporters sans frontières voit dans cette définition restrictive du statut du journaliste professionnel la volonté déguisée des autorités d’exclure de cette profession les responsables de plusieurs journaux influents de la place, comme Ndjaména Bi-hebdo, Notre Temps, Le Potentiel, etc.

L’article 17 prévoit que le siège des imprimeurs se situe "obligatoirement sur le territoire national". Sans le dire, cette mesure vise les journaux de Ndjaména qui, aujourd’hui, impriment dans des villes du nord du Cameroun, pour des raisons économiques. C’est le cas par exemple de Abba Garde qui imprime à Garoua.

Deux exemplaires d’une parution doivent être déposés auprès du parquet d’instance, deux au Haut Conseil de la Communication et deux aux archives nationales du Tchad la veille du jour de la mise en distribution (article 19). Cette nouvelle disposition entraîne un risque de censure préalable.

Les peines prévues sont considérablement durcies et l’idée de dépénaliser les délits de presse est abandonnée. Au contraire, le texte prévoit des peines de prison pour les journalistes, comprises entre cinq mois et dix ans, les amendes sont sensiblement augmentées, les suspensions passent de trois à douze mois, et le tribunal peut désormais prononcer une interdiction définitive de parution.

Reporters sans frontières rappelle que Ndjaména Bi-hebdo est en ce moment sous le coup d’une suspension de trois mois. Les responsables de ce journal ont fait appel de cette condamnation et, bien que l’appel soit suspensif, les autorités empêchent le journal de paraître. Plusieurs exemplaires ont récemment été saisis.

Les sections 7 (Des incitations aux crimes et délits) et 8 (Des délits contre les personnes) sont modifiées dans un sens répressif et prévoient une extension du domaine des outrages. La liste des individus et institutions protégées est élargie et le délit d’offense au Président de la République est ajouté (article 68).

"S’il était adopté, ce projet de loi entérinerait un recul de 40 ans pour la liberté de la presse au Tchad. Il ne serait plus possible de traiter l’information et de pratiquer le journalisme dans ce pays tel que c’est le cas aujourd’hui", a conclu Reporters sans frontières.

Source : Reporters sans frontières