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DJIBOUTI : Dégage et après ?

D 10 juin 2013     H 05:04     A Ardo Mako     C 0 messages


Le président de la « République démocratique » de Djibouti clame haut et fort qu’il ne se représentera plus. Il prétend qu’en 2011, le peuple (cet incapable majeur), l’avait supplié de le gouverner ; d’ailleurs, il avait été réélu avec un score de 84 %. Mais décidé à quitter le pouvoir et désespérant de l’absence d’opposants dignes, son excellence Ismaël Omar Guelleh avait exprimé ce souhait :

« J’ai presque envie de publier une annonce : recherche opposants responsables désespérément. S’ils existent – et je crois qu’ils existent –, je ne demande pas mieux que de les écouter. Les autres, ceux qui sabotent le jeu démocratique et qui boycottent par principe les élections, ce sont toujours les mêmes. »[1].

L’opposition entendit son appel et rentra au pays pour l’aider. Cette fois, le vœu de notre guide sera exaucé ! Quant au peuple, à Djibouti comme à Londres, il plébiscite massivement son départ. Fier et rassuré par le courage, la détermination et la maturité de ce peuple, il a annoncé le 8 mai des pourparlers entre l’UMP, parti au pouvoir et l’opposition. De plus le porte-parole de l’USN, principal parti de l’opposition officielle, a été relaxé par les autorités judiciaires le 12 mai.

En quelque mois, celle-ci s’est imposée sur une scène politique vide et a conquis la jeunesse. Toutefois certains critiquent, traquent les opposants de circonstance. Comment Abdourahman Boreh a-t-il pu être désigné « ambassadeur itinérant pour les relations extérieures » de l’USN ? Alors que cet homme d’affaires et ex- ami intime du dictateur est poursuivi pour détournement de fonds publics ? D’autres sont ravis de démasquer le traître : « Cette décision est un coup de massue. Même s’il est en disgrâce à présent, M. Charles Boreh demeure l’un des grands symboles de ce régime autocratique que nous combattons avec toutes nos forces. C’est une triste nouvelle, a confié à Xinhua, Omar Ali, un des leaders du réseau de soutien de l’USN ». Idem pour « l’analyste politique djiboutienne Fatouma-Zahra, proche de l’opposition »[2].

Pis, ils s’indignent des contradictions de l’opposition : chasser IOG pour Boreh et Ismaël Guedi Hared ! Ne fallait-il pas éviter l’alliance avec tous ces pourris, toutes ces vermines pour fédérer le peuple ? Mais encore ? Ils réclament le programme de l’opposition, comme si l’heure était à la démocratie. Ils revendiquent le droit d’avertir le peuple. Contre-productif. Démoralisant.
Bien sûr que les pauvres qui s’entassent dans la misère et l’ignorance connaissent parfaitement Abdourahman Boreh : c’est un ennemi de longue date. « Depuis plusieurs générations, les membres de la famille Boreh se sont distingués par leurs qualités de dirigeants, tant dans la sphère sociale que commerciale, et sont reconnus dans toute la Corne de l’Afrique pour leurs réalisations et leur philanthropie. Cette famille a aussi joué un rôle majeur dans le processus qui a mené à l’indépendance de Djibouti en 1977, dans un contexte de paix. »[3] Traduisez « un rôle majeur » par : collaboration avec les colons pour s’enrichir.

C’est Un grand bourgeois, donc :

« Il y a plus d’un siècle, le grand-père d’Abdourahman Boreh a démarré un commerce traditionnel et florissant dans des domaines divers […] [Son père] a repris ce commerce et l’a fait fructifier. […] Enfant prodige de la troisième génération, Abdourahman Boreh s’est impliqué très jeune dans le commerce familial, tout en poursuivant des études commerciales et financières au Royaume-Uni… »[4]..

Les commentateurs et les médias du pouvoir font aussi remarquer que les intérêts du peuple ne comptent pas dans la lutte pour le pouvoir. Ils rappellent que les opposants se soucient peu de lui, qu’ils le méprisent. En fait, ils participent à la propagande du régime :

« A Djibouti la conception de la démocratie qu’ont ces messieurs (de l’opposition) est la suivante : soit on est chef, soit on cherche à renverser le chef. Ils n’ont ni la volonté ni la patience de s’occuper du reste, qui est pourtant l’essentiel : construire de vrais partis, convaincre l’opinion avec de vrais programmes, etc.[5] »

Certes, la désignation de l’homme d’affaires est ridicule, odieuse et immorale ! Mais la question est de savoir si ce compromis est une compromission. Il me semble indispensable de (re)lire Lénine.

« On ne peut triompher d’un adversaire plus puissant qu’au prix d’une extrême tension des forces et à la condition expresse d’utiliser de la façon la plus minutieuse, la plus attentive, la plus circonspecte, la plus intelligente, la moindre ""fissure"" entre les ennemis, […] aussi bien que la moindre possibilité de s’assurer un allié numériquement fort, fût-il un allié temporaire, chancelant, conditionnel, peu solide et peu sûr. Qui n’a pas prouvé pratiquement, pendant un laps de temps assez long et en des situations politiques assez variées, qu’il sait appliquer cette vérité dans les faits, n’a pas encore appris à aider la classe révolutionnaire dans sa lutte pour affranchir des exploiteurs toute l’humanité laborieuse. Et ce qui vient d’être dit est aussi vrai pour la période qui précède et qui suit la conquête du pouvoir politique par le prolétariat. ».

Alors que les quartiers de Balbala, Hayabeleh et Kartileh manifestent tous les vendredis,. D d’autres (quartiers 3, 4 et 5 principalement) semblent endormis.
Cette indifférence cache une maladie qui ronge notre pays : le tribalisme.
Ces habitants s’excluent volontairement de l’effort national contre le tyran. C’est un refus radical de se duper (cette fois), de se laisser prendre au piège de la démocratie. Ils assument leur « neutralité » face au conflit des « autochtones ». Ni opposants ni partisans. Oui, tous s’évertuent à défendre la position du Ni-Ni.

Impasse ethnique ? Désillusion ? Complicité ? Non, pour eux, il s’agit de ne pas oublier les frustrations et les humiliations ethniques. Ils récitent les noms de « leurs morts » pour le « Territoire des Afars et des Issas », aujourd’hui effacée de la mémoire nationale. Ils nous renvoient aux listes législatives établies par les deux principaux partis sur des bases ethniques. Alors, où est l’égalité des citoyens ? L’USN a-t-elle pris l’engagement d’assimiler (politiquement) les « autochtones » et les « allogènes » ? Franchement, je l’ignore ; pour l’heure, la seule urgence est de virer le dictateur. Et après, nous ferons le ménage, nous chasserons les ennemis secondaires. Réfléchissons pour nous désaliéner, travaillons sur le problème clanique, ethnique. La solution serait la pleine application de la Constitution djiboutienne : « Article 6, : alinéa 11er :

« Les partis politiques concourent à l’expression du suffrage. Il leur est interdit de s’identifier à une race, à une ethnie, à un sexe, à une religion, à une secte, à une langue ou à une région. » Alinéa 3.

L’opposition n’a pas de programme ? Djibouti a des institutions léguées par le colon et modifiées en 1992 par des constitutionalistes « bénévoles » français.
Que la diaspora djiboutienne cesse le nombrilisme ethnique, s’organise pour guider le peuple. Il incombe donc aux djiboutiens de comprendre, d’expliquer et de proposer des solutions, d’unir le peuple en fixant des objectifs. Rendez-vous 2016 ?

Ardo Mako

[1], Jeune Afrique, 12 décembre 2012, interview de François Soudan

[2] Selon une information publiéeer par Xinhuanet

[3] Monsieurdjibouti.wordpress.com

[4] S sa biographie est publiée sur son blog, précité

[5] Ismaël Omar Guelleh, Jeune Afrique, 12 décembre 2012