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Djibouti : élections sous parapluie militaire occidental

D 9 mars 2013     H 05:46     A Pierre Sidy     C 0 messages


À Djibouti, les élections se succèdent et se ressemblent. Après 10 ans de boycott, les partis politiques d’opposition ont décidé de participer aux législatives du 22 février, malgré le veto opposé à toute réforme de procédure électorale pour assurer les conditions minimales de transparence. Deux facteurs ont encouragé les forces de l’opposition à franchir le Rubicon : l’aspiration profonde et massive de la population à un changement et le dépérissement du parti unique Rassemblement populaire pour le progrès (RPP).

Les manifestations populaires qui ont débuté en janvier 2011 et ont culminé lors du rassemblement de 18 février 2012 à la place Nasser, ont continué malgré l’interdiction jusqu’à aujourd’hui et ont galvanisé les partis d’opposition, paralysés par les harcèlements policiers et judiciaires de leurs cadres. À Balbala, Ali-Sabieh, Tadjourah et enfin à Obock le 30 novembre 2012, la gendarmerie a tiré sur des collégiens tuant deux jeunes de 14 ans, et blessant une vingtaine d’entre eux. Plusieurs autres manifestations se sont déroulées un peu partout dans le pays, en solidarité avec les jeunes d’Obock.
Malgré le passage en force pour briguer un troisième mandat en avril 2011, le chef de l’Etat n’a pas été en mesure de donner un souffle nouveau à son régime. L’on assiste depuis à une paralysie du travail gouvernemental, tiraillé par des rivalités de personnes qui veulent s’enrichir à tout prix très rapidement, à l’image de leur mentor.

Ce malaise est encore plus profond au niveau du parti unique, le RPP, qui domine la vie politique depuis sa création à Dikhil en 1979, et a été complètement discrédité par un rapport d’évaluation interne, rendu public en juillet 2012. Ce parti-Etat est certes en crise depuis plus de 20 ans, après la mise à l’écart de ses quatre principaux dirigeants par Hassan Gouled, le chef de l’Etat de l’époque, pour permettre à son neveu Ismael Omar de lui succéder. Ce fut une des toutes premières successions dynastiques, bien avant le Togo et le Gabon. Dès lors son affirmation rapportée par Jeune Afrique selon laquelle il a déjà choisi la personne qui lui succèdera prend tout son sens. Dès qu’il prend les rênes du pouvoir en avril 1999, Ismael Omar privilégie les appareils sécuritaires au détriment du parti unique qui sera vidé de ses éléments les plus influents. Il s’appuiera aussi beaucoup sur de petites structures associatives et non gouvernementales. Il sera aidé dans cette tâche d’encadrement et de maillage associatif par son épouse Kadra Mahmoud qui semble experte dans ce domaine. Elle en a profité pour placer plusieurs de ses proches aux postes de responsabilité.

Le régime a cannibalisé les formations qui se sont alliés au RPP, y compris la faction dissidente du FRUD. Ce régime ne s’embarrasse guère de précautions pour neutraliser les partis d’opposition. Il peut les dissoudre sous n’importe quel prétexte, comme il l’a fait pour le mouvement pour le renouveau démocratique (MRD), les cloner en transférant leur légalité, ce qu’il a fait pour le Parti National Démocratique (PND) d’Aden Robleh : du coup, ce vieux militant indépendantiste se trouve à la tête d’un PND illégal. Le Mouvement pour la démocratie et la liberté (MODEL) n’a pas obtenu sa légalisation.
Malgré cette volonté du chef de l’Etat de tout régenter, ces trois partis sans statut légal se sont unis sous le nom d’Union pour le salut national (USN) in extremis le 16 janvier 2013 avec trois autres formations d’opposition : l’Alliance Républicaine pour le développement (ARD), l’Union pour la démocratie et la justice (UDJ) et le Parti djiboutien pour le développement (PDD). Ils ont porté à leur tête Ahmed Youssouf président de l’ARD (parti le plus important de la coalition), choix qui aurait fortement déplu au chef de l’Etat, au point d’oublier de le citer comme leader dans Jeune Afrique. Malgré la faiblesse des moyens, l’opposition a pu mobiliser massivement la population lors de meetings dans la capitale, à Obock, Tadjourah, Dikhil et Ali-Sabieh. Ce n’est pas tant l’attrait du programme fait à la hâte par l’USN qui a attiré autant de monde que la désaffection et le rejet d’un pouvoir qui perdure depuis 36 ans.

La population vit un chômage de masse, les jeunes qui sont complètement abandonnés à leur sort constituent le gros des bataillons des rassemblements de l’opposition. Selon l’organisme américain d’alerte, Fews Net, les ménages des zones pastorales du Nord et du Sud-Est vivent des situations de crise alimentaire. La région d’Obock se trouve dans une insécurité alimentaire élevée comme les ménages pauvres de la capitale et la mortalité du bétail est très importante.

Les problèmes de santé dans ces zones du Nord et du Sud-Ouest sont aggravés par le blocus qu’impose le régime depuis plus deux décennies. Dans le district de Tadjourah, une épidémie de paludisme a fait de nombreuses victimes. M. Ewado, président de la LDDH (Ligue djiboutienne des droits de l’homme), a lancé un appel urgent aux institutions spécialisées (PAM-OMS-MSF) le 11 février pour venir en aide à ces populations nomades.
C’est dans ce contexte qu’ont eu lieu les législatives, le 22 février. Comme prévu, l’UMP (Union pour la majorité présidentielle) a proclamé sa victoire le 23 février, ce qu’a contesté l’USN. Dans les districts d’Obock, de Tadjourah et de Dikhil, il n’y pas eu d’élection, les militaires ont expulsé les délégués des bureaux de vote et ont procédé au bourrage des urnes, d’où les scores de 96,56 %, 83,40 % et 88,10 %. Dans les districts d’Arta et d’Ali Sabieh, il y a eu de fraudes massives. Dans la capitale, l’USN a remporté la victoire mais le ministre de l’intérieur a tout simplement inversé les résultats.

L’USN a décidé de contester dans la rue les fraudes : lundi à 15 heures, gendarmerie, police et garde républicaine avaient investi la place Nasser où devait se dérouler le rassemblement. Plus de 300 personnes ont été arrêtées dès 10 heures, plusieurs dirigeants de l’USN ont été interpellés avant d’être relâchés dans l’après-midi. Deux leaders, Abdourahman Bachir et Abdourahman God, ont été arrêtés et emprisonnés. Les forces de l’ordre ont fait usage de gaz lacrymogènes et de tirs à balles réelles. Il y aurait 15 blessés et on parle de quatre morts au moins…

Le régime de Djibouti comme toute dictature ne tire aucune leçon de ce qui s’est passé ces deux dernières années en Tunisie, en Egypte ou ailleurs. Il n’y a rien à espérer de côté.

Mais certaines questions se posent pour l’opposition : Quel sera l’avenir de l’USN ? L’unité obtenue avec beaucoup de difficultés, sera-t-elle durable ? De coalition électorale l’USN pourra-t-elle se transformer en union politique ?

Le FRUD, par ses actions militaires de novembre 2011 et par des interventions auprès des responsables politiques et associatifs, a contribué à l’union de toutes les composantes de l’opposition. Pour lui, ce qui est important c’est d’avoir une voix unifiée et un interlocuteur, l’USN : ce qui est visé, c’est la mise en place d’un forum de transition capable de proposer un programme d’alternance.