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Djibouti : Le Frud fait parler de lui

M. Hassan Mokbel, le Secrétaire aux relations extérieures du FRUD (Front pour la Restauration de l’Unité et la Démocratie) se confie à Alwihda.

D 30 novembre 2011     H 05:04     A     C 0 messages


Alwihda Actualités : Pouvez-vous nous expliquer brièvement la situation politique avant et après l’élection présidentielle d’Avril 2011 en République de Djibouti ?

D epuis l’indépendance, un régime clanique s’est installé à Djibouti, tournant le dos à la création d’un Etat national et démocratique. Ce régime a singé le système de Siad Barré en Somalie, consistant à mettre les intérêts du groupe clanique au dessus de la création des institutions étatiques et paraétatiques. Les mêmes causes engendrant les mêmes effets, la crise de l’Etat que l’on observe chaque jour en Somalie, se trouve en miniature et à ciel ouvert à Djibouti, permettant même de comprendre l’imbroglio somalien.

Comme pour illustrer nettement ces pratiques du pouvoir, l’ancien Président de la République de Djibouti Hassan Gouled a été le premier président africain (bien avant le Togo et le Gabon) à transmettre d’une manière quasi dynastique la présidence à son neveu et Chef de Cabinet en 1999 (étant entendu qu’il n’avait pas de fils).

La situation s’est considérablement dégradée depuis cette date en dépit des investissements multiples et variés ainsi que des retombées monétaires de bases militaires française, américaine et japonaise. Alors qu’Hassan Gouled gérait le pays à la manière d’un Chef traditionnel clanique (bien sûr au détriment des autres secteurs de la population), son successeur s’apparente plus à un gangster de la Mer Rouge.

En tant que Chef de la sécurité, Guelleh a participé à tous les mauvais coups du régime, (massacres des Afars, des Gadabourssi, des Oromos et des Issas, tortures et viols de femmes par les soldats) ; En tant que Président, il va accentuer cette tendance et réprimer d’autres catégories, y compris parmi ses soutiens traditionnels, dont la figure emblématique était le Général Yassin Yabé, Chef de la Police et ami de toujours, qui mourra en prison faute de soins.

Dix ans après un pouvoir omnipotent, il a pris la décision de réviser la constitution pour pouvoir briguer un 3ème mandat en Avril 2007 à l’instar de quelques autres Chefs d’Etat africain. Ce qui a suscité un mécontentement quasi général de la population djiboutienne. Les districts et la capitale ont été unanimes dans leur rejet du pouvoir absolu d’Ismael Omar Guelleh, par des manifestations dont le point culminant sera celle du 18 février 2011 dans la Capitale à la place Nasser où environ 40 000 personnes ont scandé des slogans hostiles à Ismael Omar Guelleh. Ce dernier a réprimé sauvagement cette manifestation pacifique autorisée en ayant recours aussi à des agents de la Police Somalienne en formation à Djibouti sur financement des Nations Unies. Bilan connu : 5 morts et des dizaines de blessés, et plus de 400 arrestations. Ce rassemblement sans précédent a démontré l’unité de la population et a sonné le glas de la sempiternelle division entre les Afars et les Somalis brandie comme un épouvantail par le régime dés qu’il est question de changement.

L’élection s’est déroulée comme prévu par l’opposition qui a cette fois encore boycotté le scrutin parce que les conditions minimales de transparence n’étaient pas réunies.

A.A : Le Président peut-il encore se décider à faire une ouverture politique ?

Les dirigeants de notre pays qui manquent cruellement de vision n’ont pas pu éviter l’impasse dans lequel ils se démènent.

Il est trop tard pour faire une ouverture politique. Guelleh a raté encore une occasion, après ses 2 mandats, plusieurs de ses proches lui ont suggéré de faciliter la transition politique et de ne pas s’aventurer en briguant le 3 ème mandat. Ce fut la décision de trop, qui a fait déferler plusieurs dizaines de milliers de personnes dans la rue pour exiger son départ.

Déjà incapable de faire une ouverture envers l’opposition, il se ferme de plus en plus par rapport à ses soutiens traditionnels ou aux groupes qui se sont ralliés à lui. C’est le cas du groupe dissident de FRUD dont les ministres ont été congédiés sans préavis, apprenant leur éviction par la radio.

Il avait aussi raté l’occasion de faire la paix avec le regretté Ahmed Dini en 2001 en foulant aux pieds l’accord qu’il a signé avec lui.

Lors de son investiture qui s’est déroulée le 8 mai 2011, M Guelleh a proclamé qu’ « une Nation dès lors qu’elle est irriguée par le sens du sacrifice et de l’intérêt général a nécessairement rendez-vous avec l’Histoire », ajoutant plus loin « Vos attentes sont immenses. Je veux pouvoir y répondre ».

En termes de sacrifice et de l’intérêt général, le Président n’a pas brillé, loin s’en faut. C’est plutôt un enrichissement fulgurant du président et de son entourage immédiat qui attire l’attention de n’importe quel observateur. Ce sont les populations djiboutiennes qui ont été sacrifiées en particulier celles des zones rurales dites « provinces rebelles » qui ont payé un terrible écot durant ces années sombres de la nuit dictatoriale qui continue encore.

Elles vivent un véritable calvaire, sont affamées, sont tuées à petit feu lorsqu’elles ne sont pas abattues comme de gibier (Philippe Decreane a décrit ces scènes dans son ouvrage Lettres d’Obock en 1994).
Tout le monde sait que le président djiboutien se soucie de l’intérêt général comme d’une guigne. Sinon pourquoi avoir refusé qu’une raffinerie koweïtienne ne s’installe dans la région d’Obock, pour ne prendre qu’un seul exemple.

Certes les attentes sont immenses, mais le pouvoir ne prend pas le chemin pour y répondre. 34 ans d’indépendance ont produit entre autres la pénurie de l’eau dans plusieurs quartiers populaires de la capitale qui ont provoqué des manifestations en mai et juin 2011. La seule réponse à ces attentes des besoins vitaux est la répression : emprisonnements de dizaines de personnes dont des mères de famille à Nagad de juin jusqu’à fin juillet 2011.

Sans parler de famine, de malnutrition enfantine : le PAM estime entre 150 000 et 200 000 les personnes qui souffrent de la famine.

Certains membres des ONG et même des proches du pouvoir ont été choqués, par le chantage exercé à l’encontre des habitants du Nord, en conditionnant l’aide alimentaire à leur collaboration avec l’armée, pour dénoncer le FRUD.

A.A : Qu’en est-il de multiples défections au sein de l’Armée ?

Le malaise est réel au sein des forces armées et de la police.
Le chef de la police, le colonel Abdi Abdillahi vient d’être victime d’un attentat de la part d’un agent de police le 28 septembre 2011, il est dans un état grave. Le chef d’état major de la gendarmerie Abdi Bogoré est décédé après avoir reçu 3 balles le 11 mai 2010. Selon le pouvoir, il se serait suicidé,, mais probablement il a été exécuté.

L’Armée est dans tous ses états depuis les accrochages avec l’Erythrée où en l’espace de quelques heures, elle a eu de lourdes pertes (230 tués en majorité de jeunes du service national rénové qui ont été formés en 3 mois). Plusieurs dizaines de soldats ont désertés depuis, traumatisés par ce conflit crée de toutes pièces par le président Djiboutien en dépit de l’hostilité de plusieurs officiers supérieurs dont un a été arrêté pour refus de combat.

La vie de ces jeunes gens ont été sacrifiés uniquement pour des raisons pécuniaires : permettant à Guelleh d’empocher 42 millions de dollars de l’Arabie Saoudite et 35 millions de dollars de Koweït. La population djiboutienne est en droit de demander des comptes aux dirigeants de notre pays. Les désertions sont aussi motivées par la misère des soldats et le refus de combattre le FRUD. Dernière désertion date de juillet 2011, une quarantaine de soldats ont manqué à l’appel à Mulhulé (frontière érythréenne). Certains ont rejoint le FRUD, d’autres sont partis vers l’Ethiopie, l’Erythrée ou se cachent à Djibouti.

Une cinquantaine qui étaient sur le point de fuir, sont détenus dans les casernes du Nord.

Le pouvoir n’a pas beaucoup confiance en son armée et en sa police. D’ailleurs quelques 800 d’entre eux (par ce qu’ils sont considérés peu fidèles par la présidence) sont sur le point d’être envoyé à Mogadishio dans le cadre de l’ONISOM, en soutien au gouvernement fédéral de transition somalien.

Quel scenario envisagez-vous pour la sortie de la crise en République de Djibouti ?

La crise à Djibouti vient de loin. Elle perdure à cause d’un refus de trouver une solution pacifique et juste au conflit qui a éclaté en novembre 1991.

Le corollaire de cette politique est le maintien de la dictature qui a trop duré, entrainant un vide, brouillant les repères et détruisant toute forme organisationnelle.

Cette situation qui a empêché toute alternance, peut engendrer le pire.

Tout indique que les choses ne peuvent pas continuer comme avant.

Le régime est réduit au noyau familial voire au couple présidentiel.

Désormais Ismael Omar Guelleh est considéré comme un problème pour Djibouti par la quasi-totalité de la population djiboutienne, certains Etats semblent partager cet avis.

Même la Banque Africaine de Développement (BAD), d’ordinaire très modéré dans les critiques des Etats, a émis un jugement sévère à l’endroit de Djibouti dans un document de juin 2011, intitulé Stratégie pays 2011- 2015, pointant les défaillances de ses capacités institutionnelles, la faiblesse de ses ressources humaines qui sont cause principale du caractère massif de la pauvreté qui affecte ¾ de la population. La BAD préconise une forme de tutelle pour cet Etat failli.

Il faut dire que les agissements de son épouse Kadra Haid , dans une quête effrénée pour avoir toujours plus de pouvoir politique et économique, et plus d’argent, rend sa présidence encore plus dangereuse pour la stabilité de ce pays et de celle de cette région.

A.A : Qu’elle est l’étape actuelle de la lutte du FRUD ?

La réponse est de 2 ordres :

 employer tous les moyens nécessaires pour créer un rapport des forces suffisamment important :

pour permettre un rassemblement de toutes les forces politiques, sociales, culturelles, de toutes les couches sociales, y compris de groupes qui ne sont pas encore dans l’opposition mais sont favorables au changement.

Se mobiliser encore, s’organiser pour accentuer l’isolement du couple présidentiel, pour enlever aux derniers soutiens le goût de défendre un régime réduit à un couple rapace et prédateur.

 Et mettre en place des institutions de transition pendant 18 ou 24 mois qui auront la lourde tâche d’installer le pays dans la démocratie et de jeter les bases d’un nouvel Etat véritablement national .

A.A : Ne craignez-vous pas que Djibouti ne tombe dans le chaos à l’instar de la Somalie ?

Laissant derrière lui une terre en partie brûlée, M Guelleh a déjà instillé de ferments du chaos.

Les craintes de chaos sont réelles, et plus le régime perdure, plus le risque est grand.

Aussi, il y a urgence à arrêter cette descente aux enfers.
L’insécurité dans la capitale est permanente (l’attentat contre le chef de la police n’est pas pour rassurer). Dans les campagnes, ce sont les forces de l’ordre qui sont responsables du désordre et de l’insécurité : elles razzient les campements, les localités, répriment les civils.

Une course contre la montre est engagée entre la dérive chaotique (plus ou moins organisée par le régime) et la mise en place par les forces de l’opposition de contre pouvoirs suffisamment organisés pour empêcher le chaos et pallier aux défaillances de l’Etat, sécuriser les campagnes et les villes.

Un défi important attend l’opposition : réussir la sortie de crise et empêcher le chaos.

En ce temps incertains, l’espoir est dans cette jeunesse qui se dresse face aux forces de désordres qui sont porteuses de mort.

Qu’ils se révoltent les mains nues en ville au début de 2011 et en ce mois d’octobre où la plupart sont arrêtés, torturés, ou résistent les armes à la main dans les montagnes, les plaines depuis des années dans les pires adversités, ces jeunes et moins jeunes sont le fer de lance d’une révolution djiboutienne en marche, réponse à une crise endogène exacerbée par une tentative désespérée de Guelleh d’impliquer les Etats de la région.

C’est aux démocrates, aux progressistes djiboutiens de canaliser, de donner une traduction politiques à ces révoltes, et aux démocrates de tous les pays de soutenir et d’accompagner les forces d’émancipation à Djibouti.

Interview réalisée par Rakhis Hamid
pour le journal Alwihda actualités

Source : http://www.alwihdainfo.com