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Djibouti : Quel scénario de sortie de crise ? Chaos ou alternance démocratique ?"

D 3 novembre 2011     H 04:45     A Pierre Sidy     C 0 messages


A l’heure où la Corne d’Afrique est frappée de plein fouet de la pire sécheresse depuis 60 ans où 12 millions de personnes sont menacées de mort, Djibouti n’a rien perdu de sa superbe stratégique où se bousculent les soldats américains, français, depuis peu japonais et de navires de guerre de plusieurs autres Etats qui participent à la lutte contre la piraterie sur les côtes somaliennes.

Si toutes ces présences paient rubis sur l’ongle au président Guelleh qui a aménagé les caisses du Trésor dans sa résidence de Haramous, elles restent coupables de non assistance à une population en danger, parce qu’incapables d’enrayer la mort à petit feu qui frappe des habitants du Nord et du Sud-Ouest, sous embargo alimentaire et sanitaire draconien par le régime de Djibouti.

Ces habitants laisssés pour compte entendent les vacarmes assourdissants des canons qu’utilisent les militaires américains et français pour leur service. Ces présences étrangères, peuvent-elles cependant sauver le régime de Djibouti de l’implosion à cause de ses démons internes, de ses turpitudes, de ses dérives ?

Force est de constater, que si le soutien des puissances étrangères, peut ralentir momentanément la chute du régime (comme cela a été le cas lors de l’interposition française en 1992 qui a empêché la déroute militaire djiboutienne face à l’avancée du FRUD – Front pour la Restauration de l’Unité et la Démocratie), elle ne peut assurer la pérennité d’un groupe au pouvoir si ce dernier est profondément atteint.

Ce régime n’a pas pu amorcer une ouverture politique malgré deux accords de paix avec le FRUD. Guelleh a instrumentalisé les signataires du premier accord et a refusé d’appliquer le traité qu’il a signé en 2001 avec Ahmed Dini. Ce système n’a fait que se refermer sur luimême, évoluant comme son modèle somalien de Ziad Barré : du clanisme au caporalisme lignager pour échouer entre les mains du couple présidentiel.

Dès que le président Guelleh a entamé son deuxième mandat en 2005, on assiste à la montée en puissance de la première dame, Mme Kadra Haid, sur le plan politique, commercial et sécuritaire. Son frère Djama Haid gouverneur de la Banque nationale, contrôle les activités économiques du pays. Il accompagne le chef de l’Etat dans tous ses voyages officiels.

L’épouse du chef de l’Etat a mis en couple réglé le commerce : spoliant certains commerçants, confisquant les biens d’autres. Elle supervise aussi tout ce qui touche à la sécurité du pays. Ce rôle de plus en plus encombrant de la première dame, rappelle étrangement les agissements du couple tunisien Ben Ali-Leila Traboulsi. Pour ces raisons, ce deuxième mandat est apparu une éternité pour la population.

Hostilité quasi générale au troisième mandat du président Guelleh

C’est dans ce contexte que la volonté d’IOG de briguer un troisième mandat en tripatouillant la constitution en avril 2010 a 10 suscité une hostilité sans précédente de la population. Le premier à faire dissidence en 2009 fut l’homme d’affaires Abdourahman Borré, artisan du rapprochement entre Djibouti et Dubaï.

En représailles, tous ses biens ont été confisqués en toute illégalité. Le parti national djiboutien d’Aden Robleh, membre de la coalition présidentielle a refusé de cautionner la révision constitutionnelle en mars 2010. Le PND perdra sa légalité en juin 2011.

La déclaration du chef d’Etat Djiboutien du 26 novembre 2010 selon laquelle « il y a toujours une alternative aux armes pour résoudre les différends politiques », et que « l’espoir sera à la sortie des urnes... » n’a pas été suivie d’effet lors de l’élection, qui fut une nouvelle mascarade. Un candidat alibi a été présenté (l’ancien Président du Conseil Constitutionnel Warsama Mohamed) moyennant finances.

Ce fut une élection pliée d’avance. Tout indiquait que le pouvoir ne voulait pas changer ses pratiques. Guelleh a nommé un proche à la présidence du Conseil constitutionnel en novembre 2009, pour se mettre à l’abri d’une surprise.

Le régime a expulsé l’organisme américain Democraty International (DI) qui suivait le déroulement des élections en mars 2011. Si le chef de l’Etat a révisé la constitution, ce n’était sûrement pas pour perdre les élections ou préparer une quelconque transition démocratique, mais au contraire pour se maintenir au pouvoir indéfiniment.

La population ne s’y est pas trompée : elle s’est exprimée par des manifestations dans tout le pays de janvier à mars 2011 contre le régime. Encouragée par les évènements de la Tunisie, une manifestation d’une ampleur sans précédent (40 000 personnes) s’est déroulée dans la capitale pour demander le départ de Guelleh.

Pris de court, le régime de Djibouti, impressionné par le caractère unitaire de la protestation, tordant le cou à la politique de division, a réagi violemment par des tirs à balles réelles : cinq morts, et des dizaines de blessés, arrestations massives (jusqu’à 400 personnes) et tortures. Plus grave, n’ayant qu’une confiance limitée en sa police et son armée, le chef de l’Etat a fait intervenir 500 policiers somaliens en formation à Djibouti pour réprimer les manifestants, provoquant les protestations des opposants.

Le premier ministre éthiopien Meles Zenawi a appelé le président Guelleh le soir du 18 février, pour l’assurer de son soutien. Autre conséquence, le pouvoir a interdit tout meeting légal de l’opposition, qui a été condamné par Human Rights Watch le 4 avril 2011.

Pour sa part, les habitants des campagnes où perdure un conflit larvé ont plus d’une fois rejeté le pouvoir de Gouled et de son neveu Guelleh. Dans ces conditions à quoi servent les élections dans ce pays ? Après le printemps des peuples arabes cela n’amuse même plus les dirigeants occidentaux, en tout cas ils sont obligés d’avoir les rires discrets.

Le chef de l’Etat, conscient que l’immense majorité de la population le rejette, n’hésite pas à introduire des ferments du chaos, comme Ziad l’avait fait en Somalie :
 faire intervenir des policiers somaliens contre les manifestants pacifiques ;
 distribuer 20 000 cartes électorales à des étrangers alors que plus de 100 000 citoyens djiboutiens sont privés de leurs droits civiques ;
 blanchir l’argent de la piraterie investis dans l’immobilier ;
 créer des affrontements entre différents quartiers sur des bases communautaires enfin, la politique de la terre brûlée menée dans les régions en guerre.

Violations massives et permanentes des Droits Humains

Le rapport de FIDH du 10 juillet 2010 est accablant à cet égard :
« L’escalade de la répression à l’encontre des populations civiles opérée à Djibouti est le reflet d’un grave recul de l’espace démocratique dans ce pays. Sous prétexte de vouloir mettre un terme à la rébellion armée qui sévit dans certaines régions, en particulier dans le Nord, l’Armée nationale Djiboutienne (AND) procède à des actes de représailles à l’encontre de la population civile perçue comme soutenant directement les rebelles : une politique de la terre brûlée, des actes de torture et de mauvais traitements, des violences sexuelles, de même que des procédures illégales de refoulement de citoyens Djiboutiens vers l’Ethiopie seraient ainsi perpétrés dans la plus complète impunité par les éléments de l’armée régulière.

« Ces actes de violences s’inscrivent dans le contexte plus général d’un recul de l’espace démocratique à Djibouti et d’une atteinte quotidienne portée aux libertés individuelles.. Les atteintes à la liberté d’association (notamment des partis politiques d’opposition), les entraves aux activités menées par les défenseurs des droits de l’Homme, les atteintes aux libertés syndicales ou aux libertés d’information et d’expression sont monnaie courante »

La répression s’est encore accentuée en 2011.

Des dizaines de manifestants contre la pénurie d’eau et la coupure de l’électricité, et des dizaines de cheminots réclamants les arriérés de salaires ont été emprisonnés dans le centre de tri de Nagad à Djibouti, en mai et juin 2011.

L’armée a rassemblé autour de casernes (Margoita, Galela et Garabtissan) de nombreuses familles, pour servir de bouclier humain en cas d’attaque de rebelles du FRUD.

Ceux qui refusent sont réprimés et sont privés d’aide alimentaire en cette période de famine. La pratique de la torture est courante à Djbouti. Elle se poursuit en toute impunité depuis 35 ans. La gendarmerie et l’armée sont les principaux responsables.

La section de documentation et de recherche de la gendarmerie s’est particulièrement illustrée dans les tortures en ce premier semestre de 2011.

L’OMCT (Organisation mondiale contre la torture), l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) et l’ORDHD (Observatoire pour le respect des droits humains à Djibouti) ont dénoncé l’usage de la torture dans ce pays. La situation sociale n’a cessé de se dégrader ces dernières années.

Famine, crises sociales, pénurie d’eau

L’UNICEF dans un rapport de juin 2010 sur la pauvreté enfantine avait révélé que la majorité des enfants de Djibouti vivent dans une pauvreté « abjecte », qui les expose à des menaces de mort.

Aujourd’hui la famine menace 300 000 personnes en particulier des nomades qui ont perdu jusqu’à 80% de leur cheptel. « Depuis avril la situation se détériore. Le nombre des enfants victimes de malnutrition sévère augmente tous les jours », explique le coordinateur du programme de nutrition pour le Nord de Djibouti cité par l’AFP du 20 août 2011.

À ce facteur climatique s’ajoute dans ces zones la volonté du pouvoir d’utiliser la famine comme arme de destruction lente. Si les civils refusent de collaborer avec l’armée, ils sont privés d’aide alimentaire. La soif reste un problème récurrent pour ces régions. La pénurie d’eau affecte aussi la capitale.

Tentation d’un scénario à la Bahrein

Le FRUD se maintient dans le Nord et Sud-Ouest du pays, malgré les répressions, et en dépit de la présence des bases militaires étrangères.

Le régime craint par-dessus tout le renforcement du FRUD et développe plusieurs axes de lutte à son endroit : mise en cause de l’Erythrée, accusée de soutenir le FRUD ; le renforcement des liens sécuritaires entre Djibouti et l’Ethiopie (illustré par les patrouilles fréquentes de l’armée éthiopienne en territoire djiboutien où elle a arrêté au début août une douzaine d’éleveurs qui furent extradés à Djibouti où ils sont emprisonnés, accusés de soutenir le FRUD) ; arrestations des civils, de Mohamed Ahmed dit Jabha sympathisants, de membres du FRUD (dont le plus célèbre est Mohamed Jabha détenu depuis mai 2010 après avoir été torturé).

Cette crainte est aggravée par plusieurs défections au sein de l’armée, dont certains auraient rejoint les rangs de FRUD. Les partis politiques de l’opposition regroupés au sein de l’UAD et de l’UMD restent très combatifs malgré les harcèlements dont ils sont l’objet en permanence, pour les empêcher d’organiser de nouvelles manifestations contre le régime.

Hassan Amine, défenseur des Droits Humains et membre dirigeant du Parti djiboutien pour le développement est emprisonné avec sept autres personnes à la prison de Gabode, depuis le 1er août.

L’Appel du Mans à l’unité de l’opposition lancé le 7 mai 2011 par l’ensemble des forces de l’opposition et de la société civile djiboutienne en France sera-t-il entendu ? L’opposition sera-t-elle capable de rompre avec son mauvais génie de la division et rassembler ses forces éparses, pour tracer un nouvel horizon et proposer un récit qui parle à tous. La responsabilité de l’opposition est tellement importante dans cette étape de sortie de crise face aux agissements de Guelleh qui veut privilégier le chaos ou le scénario à la Bahrein en sollicitant l’intervention éthiopienne

Paru dans la revue "Aujourd’hui l’Afrique", N° 121 datée de Septembre 2011

Source : http://www.afaspa.com