Vous êtes ici : Accueil » Afrique de l’Est » Djibouti » Terreur d’état à Djibouti

Terreur d’état à Djibouti

D 20 janvier 2016     H 05:18     A Survie     C 0 messages


Pour tenter de conserver sa présence à Djibouti, la diplomatie française sacrifie une fois de plus la population, les opposants et les défenseurs des droits humains livrés à la répression sanglante du régime.

Aux élections législatives du 22 février 2013 à Djibouti, l’USN (Union pour le Salut National, qui regroupe les 7 partis d’opposition) avait présenté des candidats après plusieurs scrutins boycottés. Officiellement la coalition (UMP) qui soutient le dictateur Ismaël Omar Guelleh, au pouvoir depuis 1999, obtenait 80% des suffrages et remportait 55 sièges sur 65 à l’Assemblée nationale. Les responsables de l’USN et de nombreux observateurs indépendants avaient protesté contre une fraude massive, loin du satisfecit émis par Bruxelles et par la France : l’opposition aurait obtenu selon elle la majorité absolue dans toutes les circonscriptions (cf. Billets n°223, avril 2013). Le Gouvernement djiboutien a toujours refusé de publier les résultats détaillés par circonscription, ce qui accrédite la thèse d’une manipulation massive. L’opposition refusa de siéger tant qu’il n’y aurait pas d’accord avec le Gouvernement sur un texte reconnaissant son statut et ses droits et instituant une Commission électorale indépendante. Après un accord conclu fin décembre 2014 mais jamais mis en œuvre, la situation est restée bloquée. En octobre 2015, contrairement à ses déclarations précédentes, le Président Guelleh a annoncé qu’il se représenterait en avril 2016 pour un 4ème mandat. En dépit d’une manifestation « de soutien forcé » des fonctionnaires, début novembre 2015 l’immense majorité de la population a manifesté son opposition à ce quatrième mandat à plusieurs reprises. La répression de ces manifestations a été dure et des militants ont été emprisonnés. Le Gouvernement a décrété la mise en place d’un état d’urgence dans le pays (plus rigoureux que le français, limitant drastiquement les libertés individuelles), décision ratifiée par l’Assemblée nationale le 27 décembre, hors la présence des députés de l’opposition expulsés avant le scrutin par les gendarmes.

Massacres du 21 décembre

Le 21 décembre 2015 au matin, une commémoration religieuse annuelle de la tribu Issa / Younis Moussa, autorisée à l’origine par le ministre de l’Intérieur, a été encerclée par des forces de police qui ont tiré sur les femmes, hommes et enfants qui y assistaient. La Ligue djiboutienne des droits humains (LDDH) a établi un première liste non exhaustive de 62 morts ou disparus (probablement jetés en mer), 52 blessés et 13 arrestations. Plus tard, dans l’après-midi, un groupe de policiers cagoulés et armés a investi le domicile d’un dirigeant de l’USN qui avait réuni ses militants pour faire le point sur le massacre de la matinée. Les policiers ont tiré sans sommation, blessant gravement le Président de l’USN Ahmed Youssouf, atteint par plusieurs balles, le député de l’opposition Saïd Houssein Robleh (secrétaire général de la LDDH) et l’ancien ministre Hamoud Abdi Souldan. Abdourahman Mohamed Guelleh a pour sa part été sauvagement tabassé. Les blessés ont été pris en charge aux urgences de l’hôpital militaire français Bouffard, où ils ont été soignés et opérés. Les forces armées djiboutiennes ont alors encerclé l’hôpital, mais cette provocation n’a pas semblé émouvoir la diplomatie française.

Mensonges français

L’Association pour le respect des droits humains à Djibouti (ARDHD) a alerté l’ambassadeur de France à Djibouti Serge Mucetti (sur le départ le 31 décembre 2015), pour appuyer la demande d’asile et protection faite par Saïd Houssein Robleh. Le diplomate a déclaré prendre la situation en main. Mais bien qu’ayant affirmé qu’il pouvait rester à l’hôpital où il était en sécurité, l’ambassadeur a imposé au médecin général de faire sortir le blessé, qui a aussitôt été arrêté par les forces djiboutiennes. Il a depuis été relâché, mais ses affaires ont été saisies. Surtout, le Président de la LDDH Omar Ali Ewado, qui était venu l’aider, a été arrêté sur le champ et transféré dans des locaux de la gendarmerie, connue pour sa pratique de la torture. Les conseillers du Quai d’Orsay que l’ARDHD a pu rencontrer ont tenu le même double langage, préférant mettre leurs interlocuteurs au défi de prouver leurs affirmations (ce qui fut fait avec des témoignages écrits) plutôt que de reconnaître la complicité criminelle de leur diplomatie sur place.
Une situation délicate pour les opposants

Le 31 décembre 2015, Omar Ali Ewado a comparu, sans avocat, devant le Tribunal pénal de Djibouti pour « diffamation publique et diffusion de fausses nouvelles » en raison de la publication de la liste des victimes du massacre du 21 décembre et des personnes incarcérées. Le juge a émis un mandat d’incarcération provisoire dans la sinistre prison de Gabode et a programmé une audience de jugement pour le dimanche 3 janvier 2016. Ewado s’y est défendu seul mais un mandat signé par sa femme va permettre une intervention d’Avocats sans Frontières, afin d’assister le prévenu et probablement de demander une mise en liberté conditionnelle. Saïd Houssein Robleh s’est pour sa part présenté le 31 décembre à l’hôpital Bouffard pour un changement de pansements, prévu par l’ordonnance qui lui avait été remise à sa sortie. L’hôpital militaire lui a refusé les soins. Cette position s’est inversée depuis le départ de l’ambassadeur . Il devient clair que les autorités françaises n’ont cherché qu’à se débarrasser au plus vite de lui et qu’elles lâchent tous les défenseurs des droits humains. Il est actuellement chez lui, sans soins, craignant pour sa vie. Comme à son habitude, Guelleh cherche à créer des tensions tribales. Il l’a fait avec les Afars, il s’attaque aujourd’hui à une des tribus Issas, avec l’objectif de créer des violences entre les deux clans Mamasan et Yonis Moussa. Guelleh se présentera alors comme le seul recours pour rétablir l’ordre. Le président Guelleh peut compter sur le silence des grandes puissances (France, États-Unis, Japon et maintenant Chine), trop attachées à la « stabilité » dans ce petit pays stratégique de la Corne de l’Afrique où elles possèdent des bases militaires.