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Le dilemme des migrants éthiopiens expulsés d’Arabie saoudite

D 27 janvier 2014     H 05:59     A IRIN     C 0 messages


ADDIS ABEBA - Partis pour échapper à la pauvreté, peu d’entre eux ont réussi, même ceux qui ont trouvé du travail. Beaucoup ont été maltraités par leurs employeurs. Quelque 144 000 Éthiopiens sont maintenant rentrés chez eux, expulsés par l’Arabie saoudite qui a commencé à prendre des mesures répressives contre les travailleurs étrangers sans papiers en novembre 2012.

Les autorités éthiopiennes avaient prévu le retour de migrants, mais elles n’en attendaient qu’environ 30 000 et n’avaient donc affecté que 2,6 millions de dollars à leur réintégration.

« Ils reçoivent actuellement une aide à court terme, mais une fois qu’ils seront rentrés chez eux, ils auront besoin d’une aide à long terme, pour trouver du travail et se réintégrer dans la communauté, et le gouvernement doit oeuvrer en ce sens », a dit à IRIN Sharon Dimanche, de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Le gouvernement a également interdit à ses citoyens de se rendre au Moyen-Orient. Selon les experts en matière de migration, cette mesure va non seulement pousser les Éthiopiens à se diriger vers d’autres destinations, telles que le Soudan, mais cela pourrait être contraire au droit international relatif à la liberté de circulation.

D’après Chris Horwood, du Secrétariat régional sur la migration mixte (Regional Mixed Migration Secretariat, RMMS), les principaux facteurs de migration depuis l’Éthiopie sont « la pauvreté endémique causée par les inégalités économiques et le manque d’éducation et de formation ».

« Nous savons aussi que les pressions sur l’accès aux ressources naturelles et l’impact du changement climatique fragilisent fortement certaines régions. La migration constitue donc pour les gens une stratégie d’adaptation face à la pauvreté et à l’absence de perspectives et certains migrants d’Éthiopie (notamment les Oromos) identifient particulièrement l’oppression politique [comme cause de départ] », a-t-il ajouté.

En 2010, l’Éthiopie a adopté son Plan de croissance et de transformation, un programme sur cinq ans visant à favoriser la croissance économique. « Quatre millions d’emplois ont été créés pendant les trois premières années [...] Nous espérons que, si cette tendance se poursuit, le nombre d’émigrants diminuera bientôt », a dit à IRIN Abdulfetah Abdulahi, le ministre du Travail et des Affaires sociales. [ http://www.ethiopians.com/Ethiopia_GTP_2015.pdf ]

Yitna Getachew, de l’OIM, a convenu que de telles initiatives pourraient permettre d’enrayer la tendance migratoire, mais a précisé que les effets risquaient de ne pas être immédiats.

« Cela prend du temps pour que les gens commencent à se sentir à l’aise avec les perspectives économiques de leur pays. Les prémices de la croissance économique que connaît actuellement l’Éthiopie - qui devrait dépasser les sept pour cent entre 2013 et 2015, selon la Banque mondiale, sachant qu’en 2012, l’économie éthiopienne était au 12e rang mondial en matière de rapidité de la croissance - entraîneront probablement une hausse de la migration », a dit M. Getachew. « Des gens qui jusqu’ici n’avaient pas d’argent [commencent] à avoir un revenu, qu’ils peuvent investir pour migrer en [...] soudoyant des passeurs et les agents des services de migration et en achetant de faux papiers. »

IRIN a rencontré quelques migrants expulsés, qui ont expliqué pourquoi ils avaient quitté leur pays, comment était leur vie en Arabie saoudite et quels étaient leurs espoirs et leurs craintes maintenant qu’ils étaient de retour en Éthiopie.

Sophia Mekuria, 36 ans

Sophia Mekuria, 36 ans, a quitté l’Éthiopie pour l’Arabie saoudite il y a quatre ans, risquant sa vie dans de longs trajets à pied et des traversées maritimes dangereuses dans des bateaux souvent surchargés pour échapper à la pauvreté.

Les parents de Mme Mekuria ont vendu leurs quelques vaches pour rassembler les 8 000 birrs [417 dollars] demandés par les passeurs pour l’emmener en Arabie saoudite. Elle s’est rendue au Yémen en bateau. De là, elle a voyagé en camion jusqu’à la ville de Jiza, en Arabie saoudite, où elle a trouvé un emploi de domestique.

Grâce à son salaire de 2 000 riyals saoudiens [530 dollars] par mois, elle pouvait aider ses parents restés à Dessié, dans la région d’Amhara, dans le nord de l’Éthiopie. Elle n’avait cependant pas d’économies quand elle a été arrêtée par les autorités saoudiennes et renvoyée chez elle fin décembre 2013.

« Mon principal objectif était d’arriver là-bas et de gagner plus d’argent, car j’ai vu un certain nombre de personnes de chez moi qui ont voyagé là-bas et changé leur vie. J’étais illégale, car je [n’avais pas] de papiers en règle pour vivre et travailler là-bas », a dit Mme Mekuria à IRIN.

Ses parents ont dépensé l’argent qu’elle leur avait envoyé « principalement pour acheter de la nourriture », a-t-elle dit.

Elle a dit à IRIN qu’elle ne pouvait pas envisager de retourner en Arabie saoudite.

« Je vais travailler ici, dans mon pays, car j’ai assisté à suffisamment de souffrance rien que le mois dernier. Ils nous ont gardés dans des camps dans des conditions inhumaines jusqu’à notre arrivée ici. »

Mursan Ali, 36 ans

Mursan Ali, père de deux enfants âgé de 36 ans, s’est installé en Arabie saoudite il y a deux ans. Pour s’y rendre, il a dû marcher jusqu’à la côte de Djibouti, dans le golfe d’Aden, avec pour seuls vivres la nourriture qu’il transportait et une bouteille d’eau. Pendant cinq nuits, il a dormi sans protection, directement sur le sol. Une fois M. Ali arrivé sur la côte, ses passeurs l’ont mis dans un bateau en direction du Yémen.

Mais le bateau a fait naufrage au large des côtes du Yémen. M. Ali a fait partie des 35 rescapés. Il a été mis en prison au Yémen, avec les autres migrants. Ils y ont passé six mois avant d’être transférés dans un camp en attendant leur expulsion.

« Un certain nombre d’entre nous avons réussi à nous échapper [du camp] et avons intégré le marché du travail », a dit M. Ali à IRIN.

Après son évasion, il a parcouru des kilomètres à pied pour entrer en Arabie saoudite.

« Je travaillais comme métallurgiste et je gagnais [environ] 1 500 riyals saoudiens [400 dollars]. Je ne peux pas me faire autant d’argent ici en Éthiopie. »

Pour payer ses passeurs, il avait économisé 4 000 birrs [209 dollars] sur les 50 birrs qu’il gagnait par jour en tant qu’ouvrier du bâtiment à Addis Abeba, la capitale.

« Ma famille est pauvre et je n’ai toujours connu que la pauvreté. Je voulais gagner assez d’argent pour aider ma famille et des gens m’ont parlé des emplois en Arabie saoudite, qui rapportaient [plus] que ce que je gagnais comme travailleur manuel en Éthiopie », a-t-il dit à IRIN.

M. Ali espère que la promesse du gouvernement éthiopien de créer plus d’emploi aidera à mettre un terme à l’émigration illégale vers le Moyen-Orient.

Tassew et Mesfin

Tassew vit avec sa soeur, Negash, femme de ménage âgée de 35 ans et mère d’un enfant, et un autre frère, Mesfin, dans une toute petite cabane en tôle à Addis Abeba.

Tassew et Mesfin font partie des migrants expulsés d’Arabie saoudite. Negash doit maintenant subvenir aux besoins de ses deux frères.

« Ils pouvaient subvenir à mes besoins quand ils étaient là-bas, a dit Negash à IRIN, mais maintenant, nous devons vivre tous les quatre avec mon maigre salaire. C’est difficile, car ils sont venus sans rien et cela va leur prendre beaucoup de temps de trouver du travail ici. Ils vont être un fardeau pour moi, mais je ne peux pas les chasser. »

« J’économisais un peu sur ce qu’ils m’envoyaient pour monter une entreprise, mais maintenant je ne peux pas [épargner], car j’utilise [mon argent] pour subvenir à leurs besoins et aux miens. »

Tassew n’exclut pas l’idée de chercher à nouveau du travail à l’étranger. « Si c’est difficile d’aller en Arabie saoudite, je chercherai d’autres pays où je peux trouver du travail. Je peux aller au Soudan ou ailleurs, parce qu’ici, c’est dur de trouver un emploi », a-t-il dit.

Selon le Fonds international de développement agricole (FIDA), l’Éthiopie « demeure l’un des pays les plus pauvres du monde. Environ 29 pour cent de la population vit sous le seuil de pauvreté national ».

Fatima, 23 ans

Fatima, 23 ans, a passé seulement six mois en Arabie saoudite avant d’être expulsée.

« Je n’ai pas fini de payer mes passeurs, a-t-elle dit à IRIN, et maintenant ils vont vouloir leur argent. Je leur dois toujours 5 000 birrs [260 dollars], et maintenant ils vont vendre la propriété de mes parents aux enchères » par le biais de leurs agents à Addis Abeba, où vivent ses parents.

« J’allais les payer quand je suis arrivée en Arabie saoudite et que j’ai trouvé un emploi. J’ai été expulsée avant de pouvoir réunir suffisamment d’argent », a-t-elle dit.

Source : http://www.irinnews.org