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Soudan : Par-delà la guerre, l’épuration ethnique

D 10 avril 2024     H 05:30     A Luiza Toscane     C 0 messages


Le conflit entre les Forces Armées Soudanaises (FAS) dirigées par Abdelfattah Al Burhane et les Forces de Soutien Rapide (FSR) de Mohammad Dagolo, dit Hemedti, entre dans sa deuxième année, sans que la situation ne soit tranchée en faveur de l’un ou de l’autre des belligérants.

L’avancée des FSR était toutefois inattendue, compte tenu de leur absence d’aviation. Mais entretemps, les soutiens internationaux se sont multipliés pour les deux camps1 . Et les FSR se sont notoirement enrichis matériellement en même temps que leurs soutiens ou contacts internationaux se diversifiaient2 . Le conflit a sabordé la plus prodigieuse expérience révolutionnaire de la région et a entraîné une catastrophe humanitaire.

Plus de neuf millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur et à l’extérieur du Soudan depuis le 15 avril 2023, dont quatre millions d’enfants. Il s’agit de l’une des plus grandes crises de déplacement interne au monde. Quelque dix-huit millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë, le pays étant en passe de devenir le théâtre de la plus grande crise alimentaire au monde.

En parallèle du conflit, se mène la guerre des FSR contre les Massalit, au Darfour Ouest. La chronologie des attaques menées par les RSF, leur finalité, leurs moyens, révèle que ces dernières n’ont rien à voir avec le conflit inter généraux, mais relèvent de considérants ethniques et économiques. Il semblerait qu’en cas de partition du pays, pendant ou à la suite du conflit, les forces de Hemedti se prépareraient à prendre le pouvoir sur une zone à hégémonie arabe. Les RSF ne sont plus exactement les miliciens janjaweed, – même si au niveau des populations, l’appellation de janjaweed s’est maintenue –, chameliers, mais viennent à bord de pickup et sont armés mitraillettes et de drones, à défaut d’aviation. Ils disposent des richesses aurifères via la société El Gunaid et de sociétés, ainsi que de leurs alliés : Wagner, Émirats Arabes Unis, entre autres.

Les populations non arabes de cette zone avaient déjà été massacrées par les milices janjaweed (ancêtre des FSR) entre 2003 et 2020, à savoir les Fours, les Massalit et les Zaghawa. Cela avait conduit la Cour Pénale Internationale (CPI) à inculper plusieurs personnes, dont l’ex-président Omar El Béchir pour crimes contre l’humanité, transferts forcés et tortures. Ces crimes s’étaient soldés par la mort de 300 000 personnes. En 2010, la CPI a émis un acte d’accusation contre Omar El Béchir et six autres suspects pour génocide. Aucun d’eux n’a été arrêté à ce jour, Khartoum n’ayant jamais remis à la CPI les personnes recherchées. Pire, certains d’entre eux, emprisonnés au Soudan, se sont évadés, un autre est décédé. Or la CPI ne juge pas les personnes en leur absence. Un seul, Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman, dit Ali Kushayb, s’est rendu à la Cour en République Centre Africaine en 2020 et est détenu à La Haye. Son procès s’est ouvert en 2022.

Environ 360 000 réfugiés du Darfour se trouvaient dans des camps au Tchad quand le conflit de 2023 a éclaté. Les forces des FSR ont continué leurs attaques contre les Massalit. Car au Darfour occidental, le conflit ne se mène pas entre les FAS et les FSR, mais il s’agit d’une attaque des FSR contre les Massalit, entre autres peuples non arabes.

Le 30 décembre 2019 et le 16 janvier 2021, soit avant la guerre des généraux, des miliciens arabes et des éléments des FSR attaquent le camp de Kirinding, majoritairement peuplé de déplacés Massalit, faisant respectivement 45 et 150 morts, alors que la mission de l’ONU était encore présente. En 2021, le camp est rasé. Les rescapés s’enfuient vers de nouveaux camps à El Geneïna, capitale du Darfour occidental.

Le 24 avril 2022, un an avant la guerre opposant les FAS et les FSR, Kreineik, ou vivent nombre de Massalit, est attaqué par les FSR, lors d’un raid qui a tué plus de 200 personnes, dont des enfants et des personnes âgées. Presque toutes les maisons de la ville (à 80 km à l’ouest de El Geneïna) ont été brûlées, le bétail est décimé. Plus de 20 000 personnes s’enfuient.3

Ainsi, l’épuration ethnique des Massalits avait commencé avant la guerre et elle va se poursuivre à l’ombre de cette dernière, l’objectif restant pour les FSR et les milices arabes qui leur sont alliées, essentiellement nomades de prendre possession des terres des Massalits, majoritairement agriculteurs. Les meurtres et viols se doublent d’une pratique de la terre brûlée, destinée à empêcher tout retour.

Fin avril 2023, les FSR et des milices arabes alliées fondent sur El Geneïna où entre 10 000 et 15 000 Massalit auraient été tués, y compris des notables et des responsables.4

28 mai 2023, les FSR exécutent 28 massalit dans la ville de Misterei, pillent et brûlent la majeure partie de la ville et six autres villages au Darfour dont Molle, Murnei et Gokor ont été incendiés. 17 000 réfugiés de Misterei sont au Tchad.

Vers le 1er novembre 2023, les FSR attaquent la base de l’armée à Ardamata (banlieue de Geneina) et les massacres s’intensifient après la prise de cette dernière. Femmes et hommes et enfants massalit sont pris pour cibles ainsi que d’autres membres de tribus non arabes. Des civils sont exécutés sommairement chez eux ou dans les rues lorsqu’ils tentaient de fuir. Se concentrant sur les camps de déplacés d’Ardamata et de Dorti, et sur le quartier d’Al-Kabri habité par les Massalit, les FSR et ses milices alliées auraient pillé des maisons, torturé des personnes et exécuté nombre d’entre elles puis abandonné leurs corps dans la rue. Plus de 800 personnes auraient été tuées à Ardamata5 , 1300 si l’on compte ceux qui ont été tués alors qu’ils s’enfuyaient et 8000 ont fui au Tchad.

Ces données chiffrées sont fournies à titre indicatif, et sont évolutives. Elles ne prennent pas en compte toutes les personnes entassées dans les fosses communes, qui n’ont pas encore toutes été découvertes, et, surtout, ne prennent pas en compte les nombres de femmes violées en masse, évidemment impossibles à décompter.

La CPI enquête sur les crimes commis au Darfour à partir des années 2002 sans qu’aucune date de fin n’ait été arrêtée et le procureur de la Cour, Karim Khan, l’a réaffirmé le juillet 2023, après avoir été saisi de nouvelles allégations de crimes contre l’humanité dans cette région.

Source : https://inprecor.fr/

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