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La situation humanitaire au Darfour

D 17 septembre 2013     H 05:32     A IRIN     C 0 messages


Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), le conflit dans la région soudanaise du Darfour aurait fait environ 300 000 déplacées en 2013, soit deux fois plus qu’en 2011 et 2012.

« Le Darfour a été le théâtre d’une nouvelle vague d’affrontements en 2013 dans de nombreuses zones. Plus de 300 000 personnes ont dû fuir de chez elles pour échapper aux violences depuis le début de l’année et plus de 35 000 d’entre elles ont traversé la frontière pour se rendre au Tchad et en République centrafricaine. La crise s’accentue »,

a dit à IRIN Mark Cutts, chef de bureau de l’OCHA au Soudan.

Le conflit a pris une nouvelle dimension : des tensions localisées opposent désormais les communautés arabes au sujet des droits d’exploitation des mines d’or et de l’accès aux pâturages.

Dans cet article, IRIN fait le point sur la situation humanitaire au Darfour, où le conflit et l’insécurité auraient fait environ 2,3 millions de déplacés en dix ans.

Quelle est la situation humanitaire ?

Selon les chiffres des Nations Unies, les principaux camps de la région soudanaise du Darfour hébergeraient 1,4 million de personnes.

« Le nombre actuel de PDIP [personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays] dans les camps est bien plus élevé, car nombre des PDIP vivant dans des camps ou des établissements plus petits ne sont pas pris en compte dans ces chiffres et de nombreux PDIP présents dans les camps les plus grands n’ont pas encore été enregistrés »,

a cependant du M. Cutts à IRIN.

De nombreuses personnes touchées par le conflit ne peuvent recevoir aucune aide humanitaire, car l’insécurité empêche les travailleurs humanitaires de parvenir jusqu’à eux. Au Darfour, 3,2 millions de personnes au total - soit plus du tiers de la population de la région - ont besoin d’aide humanitaire.

« L’insécurité sur les routes reste un problème majeur qui affecte les déplacements du personnel et des fournitures humanitaires au Darfour Centre. Le problème a été aggravé par la récente multiplication des affrontements entre les tribus misseriya et salamat dans différentes zones du Darfour Centre ainsi que par des déplacements de groupes armés signalés dans l’État »,

a dit l’OCHA dans un récent communiqué [ http://reliefweb.int/report/sudan/sudan-humanitarian-bulletin-issue-31-29-july-%E2%80%93-4-august-2013-enar ].

Une enquête de Médecins Sans Frontières (MSF) a récemment révélé que la violence au Darfour était l’une des principales causes de mortalité chez les réfugiés et les rapatriés tchadiens qui ont traversé la frontière à Tissi pour échapper aux affrontements au Darfour.

Selon MSF,

« 61 % des 194 décès rapportés sont dus aux violences qui ont précédé les deux grandes vagues de déplacements, la première début février et la seconde début avril. [...] Sur les 119 personnes décédées de mort violente signalées parmi les retournés et les réfugiés, les familles ont rapporté que 111 (93.3 %) ont été tués par armes à feu ».

Neuf décès sur 10 enregistrés par MSF au cours de son évaluation avaient été causés par des armes à feu. Rien que dans l’est du Darfour, 305 personnes auraient été tuées dans les affrontements violents qui ont opposé les tribus rizeigat et ma’alia en août seulement [ http://www.radiodabanga.org/node/54662 ].

Les Casques bleus n’ont pas été épargnés. En juillet, sept agents de maintien de la paix de la mission des Nations Unies ont été tués dans l’embuscade la plus meurtrière des cinq années d’opérations de maintien de la paix des Nations Unies au Soudan. Treize Casques bleus au total ont été tués au Darfour depuis octobre 2012.

Environ 50 000 habitants du Darfour se sont réfugiés au Tchad. Ce que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) décrit comme le « plus grand afflux de réfugiés au Tchad depuis 2005 ».

Les autorités du Darfour ont admis que les violences échappaient au contrôle de l’État.

« [L’]État a perdu le contrôle de la situation et n’est pas capable de disperser les combattants »,

a dit Abdul Hamid Musa Kasha, gouverneur du Darfour-Oriental, à Radio Dabanga [ http://www.radiodabanga.org/node/54662 ].

Qui sont les combattants ?

Le conflit au Darfour se déroule sur de nombreux fronts et les acteurs sont multiples. Trois mouvements rebelles sont impliqués : l’Armée de libération du Soudan (SLA) - faction Abdul Wahid, la SLA - faction Minni Minawi et le Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM). Ces trois groupes se battent sous l’égide du Front révolutionnaire du Soudan, mais sont répartis selon leur origine ethnique : l’Armée de libération du Soudan (SLA) - faction Abdul Wahid est principalement composée de membres de la tribu fur et les membres de la SLA - faction Minni Minawi et du Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM) viennent principalement de la tribu zaghawa.

Des violences intertribales opposent par ailleurs les Misseriya et les Salamat, et un autre conflit met aux prises les groupes ethniques reizegat et beni hussein.

« Cette année, nous avons également été témoins d’une nouvelle vague de conflits localisés, comprenant non seulement les affrontements habituels entre tribus arabes et non arabes [entre les Beni Halba et les Gimir, par exemple, et entre les Beni Halba et les Dajo], mais également une multiplication des affrontements interarabes [entre les Salamat et les Misseriya, par exemple, et plus récemment entre les Rezeigat et les Maaliya], »

a dit M. Cutts à IRIN.

Des affrontements ont également opposé les forces gouvernementales et des milices. En juillet, l’armée nationale s’est battue contre une milice arabe à Nyala, la capitale du Darfour. Le combat a fait de nombreux morts et encore plus de déplacés.

Quels sont les facteurs de ces conflits ?

« Presque tous les conflits au Darfour sont causés par des différends sur les propriétés foncières et l’utilisation des terres. En effet, la plupart de ce que l’on qualifie communément d’"affrontements intertribaux" ou de conflits sur les "ressources économiques" sont à la base des différends concernant la terre et l’accès à l’eau et aux pâturages pour le bétail »,

a dit M. Cutts à IRIN.

Les récents affrontements au Darfour sont donc principalement dus à des disputes intertribales sur les pâturages et les droits d’exploitation des mines d’or.

En janvier, des violences ont éclaté entre les groupes ethniques reizegat et beni hussein au sujet du contrôle des mines d’or de la zone de Jebel Amir, dans le Nord-Darfour.

« La ruée vers l’or au Soudan complique encore plus la situation. Au début de l’année, 60 000 migrants travaillaient dans les mines d’or du Nord-Darfour. En janvier, les conflits sur les droits d’exploitation des mines d’or ont conduit deux tribus arabes, les Beni Hussein et les Rezeigat, à s’affronter, faisant de nombreux morts et plus de 100 000 déplacés. Et ce n’était pas le premier incident violent lié à l’exploitation aurifère au Darfour »,

a dit M. Cutts.

Les analystes craignent par ailleurs que la concurrence pour d’autres ressources comme la gomme arabique puisse engendrer de nouveaux conflits interethniques violents.

« De nouvelles tendances en matière de conflit sont apparues en 2013. La plus notable, c’est-à-dire le conflit sur le contrôle de l’exploitation aurifère artisanale et le commerce de l’or dans la zone de Jebel Amir, dans le Nord-Darfour, a commencé en janvier 2013 »,

a remarqué en juillet, le Human Security Baseline Assessment for Sudan (HBAS), une évaluation de Small Arms Survey, un projet du Graduate Institute of International and Development Studies.

« D’autres ressources ont également été la source de violences interethniques. Au Sud-Darfour, les Gimir et les Bani Halba se sont ainsi affrontés au sujet de la récolte de gomme arabique »,

a précisé l’évaluation.

À quelles difficultés les organisations humanitaires sont-elles confrontées ?

La détérioration de la situation sécuritaire empêche de nombreuses organisations humanitaires de maintenir leur présence sur place. Certains bureaux sur le terrain ont d’ailleurs été pillés.

En juillet, une ONG internationale s’est fait voler environ 40 000 dollars par des hommes armés qui se sont introduits dans ses bureaux de Zalingei, la capitale du Darfour Centre. Le même mois, des hommes armés ont arrêté deux bus et cinq camions près de Thur, sur la commune de Nertiti, alors qu’ils se rendaient de Zalingei à Nyala, dans le sud-Darfour. Les agresseurs ont emporté toutes les possessions des passagers et des conducteurs et un passager qui résistait à l’attaque a été blessé par balle.

En mai, deux véhicules loués par une organisation non gouvernementale (ONG) internationale qui transportaient sept employés ont été détournés sur la commune de Wadi Salih.

Plus tôt, au mois de février, le véhicule de location d’une autre ONG internationale avait été pris en embuscade au nord de Zalingei. Les employés qui se trouvaient dans le véhicule avaient été dépouillés de toutes leurs possessions.

« Les transporteurs commerciaux ne veulent actuellement pas acheminer de fournitures de secours d’El Geneina (Darfour-Oriental) et de Zalingei vers les communes du corridor sud - notamment Mukjar, Um Dukhun et Bindisi - en raison de l’insécurité »,

a dit l’OCHA dans son communiqué de juillet.

« Depuis un an et plus [...] la violence a sérieusement remis en question la viabilité d’une aide significative et durable dans la région. Pratiquement aucun employé international (expatrié) ne reste au Darfour et encore moins sur le terrain ou dans des endroits reculés - que ce soit pour des travaux d’évaluation essentiels ou pour superviser la distribution de l’aide. Et, comme l’atteste l’assassinat récent de deux employés de World Vision dans les locaux de l’organisation à Nyala, aucun lieu n’est vraiment sûr au Darfour »,

a dit Eric Reeves, analyste soudanais et professeur au Smith College (États-Unis), dans un récent article [ http://www.sudantribune.com/spip.php?article47542 ].

M. Cutts, de l’OCHA, a dit à IRIN que même bien que les organisations humanitaires aient accès à la plupart des personnes dans le besoin au Darfour,

« l’insécurité et les affrontements persistants et les restrictions du gouvernement en matière de déplacement »

ont clairement affecté la capacité des organisations humanitaires à intervenir.

« Cela a un impact direct sur la capacité des acteurs humanitaires à évaluer les besoins humanitaires et s’assurer que les personnes dans le besoin reçoivent l’aide appropriée, notamment dans les zones de conflit »,

a-t-il ajouté.

Dans son rapport mondial de 2013, Human Rights Watch a dit que le régime soudanais « continuait à refuser aux agents de maintien de la paix de l’opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour (MINUAD) l’accès à une grande partie du Darfour » et que

« l’anarchie et l’insécurité faisaient obstacle au travail des Casques bleus et des organisations d’aide. Des hommes armés ont attaqué et tué des agents de maintien de la paix, dont quatre Nigérians en octobre, enlevé des employés de la MINUAD et d’organisations humanitaires et détourné des douzaines de véhicules. »

[ http://www.hrw.org/world-report/2013/country-chapters/sudan?page=2 ]

« Le banditisme opportuniste est en hausse constante et devient une menace qui affaiblit fortement les opérations humanitaires »,

a dit M. Reeves, du Smith College.

« Les affrontements entre tribus arabes n’ont pas cessé depuis plusieurs années et contribuent toujours à l’instabilité et la violence au Darfour. »

Le gouvernement soudanais est lui aussi montré du doigt :

« Khartoum a délibérément paralysé la MINUAD en tant que force de protection des civils et des humanitaires. Le régime s’y étant opposé depuis le début, la mission ne peut remplir le mandat de protection des civils [que lui a attribué] le Conseil de sécurité des Nations Unies et n’agit jusqu’à présent que dans la limite de ce que lui permettent les forces de sécurité de Khartoum »,

a signalé M. Reeves.

Où en est le processus de paix ?

Plusieurs processus de paix ont cherché à mettre fin au conflit qui oppose le gouvernement du Soudan aux divers groupes armés opérant au Darfour. L’un a été signé à Abuja en 2006, un autre en 2007 à Tripoli, la capitale libyenne, et le dernier à Doha. Aucun n’a réellement porté ses fruits [ http://www.smallarmssurveysudan.org/fileadmin/docs/facts-figures/sudan/darfur/peace-process-chronology/DDPD.pdf ].

Signés entre le gouvernement soudanais et les groupes armés, ces accords ont généralement été la proie d’un manque de légitimité et ont été jugés trop exclusifs.

« La deuxième difficulté concerne la mauvaise application du [Document de Doha pour la paix au Darfour] et son manque d’inclusion. Les fonds promis, que ce soit par le gouvernement du Soudan ou par les bailleurs de fonds, ont mis du temps à arriver, ce qui a retardé encore plus les activités de l’Autorité régionale du Darfour, établie en 2011 pour mettre en application l’accord [de paix] »,

est-il écrit dans le rapport HBAS.

« La troisième difficulté pour le processus de paix officiel est la forte détérioration de la situation sécuritaire au Darfour en 2013. Les mécanismes de paix locaux peinent à contenir les violences interethniques qui sont exacerbées par les actions du gouvernement. »

À l’échelle locale, les autorités de l’État disent qu’elles réfléchissent à l’idée de rassembler les chefs des tribus belligérantes afin de mettre un terme aux hostilités et au conflit.

Source : http://www.irinnews.org