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SOUDAN : L’insécurité risque d’entraîner une crise alimentaire

D 11 avril 2012     H 05:18     A     C 0 messages


DAR - Lorsqu’on traverse la frontière de l’État soudanais du Sud-Kordofan depuis le Soudan du Sud, le paysage change abruptement. Les marécages et les herbages saisonniers laissent place aux contreforts fertiles des montagnes du Nouba, qui s’élèvent doucement depuis les plaines. Au sommet de chaque colline se trouve un village de huttes bâties par petits groupes sur des affleurements rocheux.

Dans le pittoresque village de Dar, des femmes vêtues de taubs [vêtement dont les femmes entourent leur corps] de couleurs vives se retrouvent près de la pompe collective pour discuter et échanger les derniers potins. La scène est typique de l’Afrique rurale. Pourtant, lorsqu’on y regarde à deux fois, on s’aperçoit qu’aucune des maisons n’a de toit et que la majeure partie du village a été totalement incendiée. L’endroit est jonché de douilles vides, de munitions non explosées et de plusieurs carcasses de chars.

Depuis le début des affrontements entre les Forces armées soudanaises (FAS) et les rebelles du Mouvement de libération du peuple soudanais-Nord (MLPS-N), en juin 2011 - des affrontements qui se sont par la suite propagés à l’État voisin du Nil Bleu -, plus de 400 000 personnes ont été déplacées.

Les femmes du village ont dit qu’elles avaient profité de l’accalmie qui a suivi la récente prise de Dar par le MLPS-N pour sortir des cavernes où elles avaient trouvé refuge afin d’aller chercher de l’eau et de tenter de récupérer des effets personnels dans leurs foyers à moitié démolis.

Pendant la visite de notre reporter, le sentiment de sécurité qui prévalait a été anéanti par le vrombissement d’un moteur d’avion Antonov qui s’approchait. Les villageois ont couru se mettre à l’abri. Cette fois, l’appareil n’a fait que passer et a largué ses bombes rudimentaires ailleurs. D’énormes colonnes de fumée se sont élevées au loin.

« Voilà pourquoi les gens ont faim », a dit Mubarak Ahmed, de l’Association de la jeunesse Nouba. « Vous comprenez maintenant que tout le monde est terrifié par les bombardements et que personne n’ose [sortir pour] planter ou s’occuper de ses champs. »

Plus d’un million de personnes vivent actuellement dans les zones contrôlées par les rebelles et sont coupées du reste du monde, comme pendant la guerre civile de 1983-2005. À l’époque, de nombreux habitants du Sud-Kordofan s’étaient rangés avec les rebelles du Sud.

Le temps presse

Selon les organisations d’aide humanitaire, l’acheminement des fournitures vitales doit se faire de toute urgence, car la saison des pluies débutera d’ici quelques semaines.

Les responsables locaux ont dit que le conflit avait gravement affecté la production agricole. Selon leurs estimations, la prochaine récolte ne représentera que 20 pour cent de la production normale et la majeure partie de la population dépendra dès lors de l’aide extérieure. Ils ont ajouté que l’aide devait être acheminée au cours des prochaines semaines, sans quoi le début des pluies rendrait sa distribution pratiquement impossible au moment même où la saison de soudure annuelle atteindra son point culminant.

Une faible proportion des populations affectées par les combats a réussi à traverser la nouvelle frontière pour se réfugier au Soudan du Sud. Or, même là, les réfugiés ne sont pas en sécurité. Le camp de Yida, situé près de la frontière, accueille plus de 20 000 réfugiés Nouba. Il est sillonné de tranchées que des civils ont frénétiquement creusées dans la terre rouge pour se mettre à l’abri des raids aériens transfrontaliers.

Une fillette de neuf ans s’est cassé la clavicule en plongeant pour se mettre à couvert dans l’un des nombreux abris antiaériens qui se trouvent tout autour des camps de réfugiés. Là où, précisément, ils devraient être en sécurité.

Une femme âgée et invalide, qui déploie des efforts considérables pour s’occuper de ses cinq petits-enfants visiblement traumatisés, a décrit comment ils avaient dû fuir leur village dans les montagnes du Nouba lorsque les parents des enfants ont été tués dans un bombardement aérien.

Une autre femme âgée a des côtes cassées. Elle a dit avoir été arrêtée et battue par des soldats qui l’accusaient de tenter de fuir vers les zones contrôlées par les rebelles.

Les organisations d’aide humanitaire tentent de relocaliser les réfugiés du camp de Yida, qui a été bombardé en novembre, sur un autre site situé quelque 70 kilomètres plus au sud.

En dépit de la reprise des affrontements dans les montagnes du Nouba en juin 2011, la Mission préparatoire des Nations Unies au Soudan (MINUS) a mis fin à ses opérations lorsque le Soudan du Sud a eu son indépendance un mois plus tard, et la mission qui lui succède opère seulement dans le nouvel État, et pas au Soudan.

Abandonnés par les Nations Unies ?

Partout, les habitants se plaignent d’avoir été abandonnés par les Nations Unies alors qu’ils sont attaqués par leur propre gouvernement. Ils se demandent : « Pourquoi la communauté internationale nous a-t-elle laissés entre les mains d’un criminel de guerre ? »

En mai 2011, Ahmed Mohammed Haroun a été élu gouverneur de la province du Sud-Kordofan lors d’un scrutin contesté. Haroun est recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour des crimes de guerre qu’il aurait apparemment commis au Darfour.

En février, les Nations Unies, l’Union africaine et la Ligue arabe ont élaboré un plan pour acheminer l’aide humanitaire dans la région, mais Khartoum ne l’a pas encore approuvé.

Le président soudanais Omar el-Béchir doit se rendre au Soudan du Sud au cours des prochaines semaines pour régler cette affaire et examiner d’autres dossiers qui demeurent en suspens, notamment la question des revenus pétroliers et l’élaboration d’un nouvel accord-cadre sur les questions relatives à la citoyenneté et aux frontières.

Mukesh Kapila, qui a dirigé les opérations des Nations Unies au Soudan en 2003 et en 2004 et travaille maintenant pour Aegis Trust, un groupe qui fait campagne contre le génocide et les crimes de guerre, s’est récemment rendu au Sud-Kordofan.

Alors qu’il était au Soudan avec les Nations Unies, il a dit : « J’ai vu ce que la violence génocidaire avait fait au Darfour. La communauté internationale n’a pas tenu compte de mes avertissements : elle a regardé ailleurs jusqu’à ce qu’il soit trop tard », a-t-il dit.

« Ce que j’ai vu dans les montagnes du Nouba me fait craindre qu’un scénario semblable soit en train de se dérouler ici. Est-ce que le monde nous écoutera cette fois-ci ? »

Source : http://www.irinnews.org