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Soudan : lutte sans fin contre le despotisme néolibéral

D 31 octobre 2013     H 05:13     A Jean Nanga     C 0 messages


Durant dix jours, de nombreuses villes du Soudan, dont sa capitale Khartoum, ont été secouées par des manifestations populaires notamment marquées par la destruction du siège du parti au pouvoir, le National Congress Party (NCP), à Omdurman, et l’appel à la démission du président Omar El Béchir, au gouvernement depuis 24 ans.

Si la mobilisation de la population soudanaise a des allures de « printemps arabe », elle en garde néanmoins sa spécificité. D’ordinaire, le pouvoir est confronté à l’opposition des partis politiques, de la gauche à l’extrême droite – du Sudanese Communist Party au Justice Peace Forum, en passant par le National Umma Party –, et à des groupes armés, actifs dans les parties méridionale (Kordofan), occidentale (Darfour) et orientale du pays (Nil Bleu), réunis dans le Sudanese Revolutionnary Front (SRF). Une grande partie de cette opposition a exprimé sa solidarité avec la mobilisation populaire qui semblait sonner le glas du régime d’Omar El Béchir, dont le caractère despotique a été confirmé par la répression massive des manifestations : 200 manifestant.e.s tués, environ 800 arrêté.e.s (dirigeant.e.s d’organisations, journalistes et surtout anonymes) sans parler des autres violations de droits humains qui ont pris pour cible les femmes. Cette brutalité, désapprouvée au sein du NCP, a causé le départ du Democratic Unionist Party de la majorité présidentielle.

Un pays endetté

Comme dans bien d’autres pays, bien au delà de l’Afrique, en ce temps de capitalisme néolibéral, le facteur déclencheur a été l’annonce de la décision gouvernementale d’un tour de vis supplémentaire aux difficultés sociales quotidiennes du peuple (de la paysannerie pauvre à certains secteurs en déchéance des classes moyennes), dont près de 50 % vit déjà au-dessous du seuil de pauvreté, 1 jeune sur 5 étant au chômage. En l’occurrence, la hausse des prix subventionnés de certaines denrées alimentaires ainsi que des carburants, qui impacte aussi le coût des transports. Cette annonce arrive un peu plus d’un an après celle survenue en juin 2012, qui avait déjà suscité une large mobilisation populaire.

Le gouvernement justifie ces mesures par les difficultés financières consécutives à la sécession en 2011 du Sud Soudan, où se trouve l’essentiel des réserves de pétrole et de son exploitation, et donc à la perte de 75 % de ses recettes pétrolières, représentant près de 90 % des recettes à l’exportation. La croissance du PIB a baissé presque de moitié (5 % en 2010, 2,8 % en 2011) malgré la revalorisation du secteur agricole, qui contribue à 30 % du PIB. Son principal produit d’exportation, la gomme arabique, qui fait aussi du Soudan le premier producteur mondial, est en grande partie cultivé dans le Kordofan, autrement dit soumis à la pression de la rébellion armée. Ni l’exportation des produits agricoles, ni celle de l’or, ni celle des produits industriels n’ont pu compenser la part de devises perdues avec la réduction des recettes pétrolières, entraînant ainsi une importante dévaluation monétaire, une hausse du coût des importations et une inflation de 40 % (début 2013). Cette situation alourdit davantage le fardeau de la dette publique extérieure de l’un des États les plus endettés d’Afrique (36 mds $ US).

Faire avancer le néolibéralisme

Les mesures ayant déclenché les manifestations populaires, aussi bien en 2012 qu’en 2013, s’inscrivent dans une nouvelle phase du processus d’ajustement structurel. Afin d’accéder à un plan de réduction de la dette publique extérieure par les institutions de Bretton Woods, dite Initiative Pays Pauvres Très Endettés, le Soudan doit procéder à un approfondissement de la néolibéralisation de son économie et donc à la réduction des subventions (sociales) et à la poursuite de la privatisation des entreprises d’État, avec son lot de licenciements massifs. Ainsi, les mesures contestées ont été prises en vue de la prochaine mission d’évaluation du FMI (fin 2013). Fin 2012, celui-ci avait reproché au gouvernement soudanais une réduction trop timide des subventions, décidée en juin 2012, malgré ses conséquence sociales et la reprise des privatisations.

Une opposition divisée ?

Le régime du NCP, décrié pour son islamisme et son instrumentalisation très meurtrière de l’ethnicité, se caractérise aussi par la production d’une nouvelle bourgeoisie locale (avec un noyau “racial”, régional et confessionnel hégémonique), à partir surtout du détournement des rentes pétrolière et aurifère et de l’acquisition des entreprises privatisées, en partage avec le capital international. Ainsi, c’est le ras-le-bol populaire face aux inégalités, aggravées par le néolibéralisme du NCP (les 10 % les plus riches détiennent 26,7 % de la richesse nationale, contre 2,7 % pour les 10 % les plus pauvres) qui s’est manifesté pendant ces dix jours. D’où la carotte de la hausse du salaire minimum – vite annoncée par la centrale unique des travailleurs, très liée au pouvoir, la Sudanese Workers Trade-Unions Federation – après l’usage de la matraque et du fusil, “non disproportionnée” selon Paris et Washington.

Mais ces inégalités s’articulent aux discriminations ethniques, confessionnelles, régionales et à l’oppression de genre à tel point que le rapport à chacune de ces discriminations constitue d’importants points de discorde au sein de l’opposition organisée, y compris du SRF. Cela semble avoir pesé sur l’impossibilité de fédérer opposition en soutien aux manifestant.e.s en vue du renversement du régime, proposée par exemple par le SRF qui, à la différence du mouvement pacifique Sudan Change Now, déclarait au même moment planifier un soutien armé aux manifestant.e.s. Le gouvernement a ainsi saisi l’occasion d’évoquer la menace de la guerre civile qui semble, avec la hausse des salaires, et l’exemple du chaos syrien, avoir contribué à démobiliser la contestation. Mais pour combien de temps, eu égard aux conséquences sociales à venir de la néolibéralisation ?

Jean Nanga

Source : http://www.solidarites.ch