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Paix au Soudan du Sud. Un accord ? Quel accord ?

D 20 février 2015     H 05:30     A IRIN     C 0 messages


Les attentes étaient modestes, après plus d’un an d’un conflit catastrophique au Soudan du Sud et l’échec successif de nombreux accords de paix. Et pourtant, certains analystes et militants se disent déçus du peu de résultats des pourparlers de ce week-end.

Le 1er février, le président sud-soudanais, Salva Kiir, et l’ancien vice-président devenu chef rebelle, Riek Machar, ont signé un document à Addis-Abeba - la capitale éthiopienne - sur des « points de convergence » pour un futur gouvernement de transition d’unité nationale, alors qu’une lutte de pouvoir entre les deux hommes déchire le jeune pays. Les deux dirigeants ont reaffirmé leur engagement vis-à-vis d’un accord de cessation des hostilités existant et maintes fois bafoué, et se sont compromis à ratifier un cessez-le-feu permanent - mais seulement une fois qu’un accord définitif aura été conclu.

L’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), l’organe régional qui a dirigé - sans grand succès - les efforts pour mettre fin à la guerre civile ayant éclaté tout juste deux ans après l’indépendance du Soudan du Sud, a qualifié l’accord d’étape importante vers un accord de paix global dont la ratification est prévue plus tard ce mois-ci.

Mais d’aucuns se sont montrés autrement plus sceptiques.

« Rien de concret n’est ressorti de ce cycle de négociations », a dit à IRIN Peter Biar Ajak, le directeur du Centre for Strategic Analysis and Research basé à Juba, la capitale sud-soudanaise.

Les deux parties « ne se sont pas entendues sur une question fondamentale, celle de la structure du gouvernement qui mettra fin au conflit », a-t-il dit.

Depuis que les dissensions au sein du parti au pouvoir - le Mouvement populaire de libération du Soudan (MPLS) - ont dégénéré en conflit en décembre 2013, le bilan s’élève à plusieurs milliers de morts et près de 2 millions de personnes déplacées.

Les deux parties se sont présentées à Addis-Abeba en pensant reprendre les fragiles négociations relatives à une structure de partage du pouvoir prévoyant un poste de Premier ministre pour Machar, a expliqué M. Ajak.

Au lieu de cela, l’IGAD leur a soumis un modèle de gouvernance très différent de celui dont ils avaient débattu antérieurement, prévoyant cette fois-ci : un président, un premier vice-président et un vice-président. Les pouvoirs relatifs de ces deux derniers postes ont engendré des désaccords inconciliables.

« Tant Juba que les rebelles étaient très insatisfaits de la [nouvelle] structure », a dit M. Ajak. À la question de savoir si le nouvel accord constituait une avancée, même modeste, vers un arrêt des hostilités, il a répondu : « Je ne crois pas. Pas plus tard qu’hier il a été fait état d’affrontements dans l’État d’Unité ».

« On a assisté à Addis à une série d’occasions manquées, en grande partie imputables à l’incompétence des équipes de médiation », a-t-il dit.

Un porte-parole de la rébellion - ou MPLS en Opposition, selon sa dénomination officielle - a accrédité le scepticisme de M. Ajak

« L’accord n’a fait que définir le mandat du futur gouvernement de transition d’unité nationale. Le document ne comporte aucun accord relatif à la structure de gouvernance ou aux ratios de partage du pouvoir », a confié le porte-parole de Machar, James Gatdet Dak, au Sudan Tribune.

« Ce gouvernement de transition sera formé le 9 juillet 2015 si un accord de paix définitif est ratifié. Il reste toutefois de nombreux problèmes à aborder lors de négociations ultérieures avant tout accord de paix définitif », a-t-il dit.

Les négociations devraient reprendre le 19 février, et la date butoir pour la finalisation d’un accord de partage du pouvoir a été fixée au 5 mars.

Le projet Enough a lui aussi critiqué les négociations d’Addis-Abeba. Justine Fleischner, analyste politique pour le Soudan du Sud, a déclaré dans un communiqué qu’au lieu de constituer un tournant, l’issue des négociations démontre que « l’IGAD a de nouveau conclu un non-accord ».

« Le résultat c’est qu’en l’absence du régime promis (interdiction des déplacements régionaux et gel des avoirs), les belligérants n’ont aucune raison de changer d’attitude. La réticence de l’IGAD à imposer des sanctions est en partie due à des intérêts économiques divergents et des liens d’affaires dans la région. En attendant, c’est le peuple sud-soudanais qui paie le prix de la guerre », a-t-elle ajouté.

M. Ajak s’est montré moins pessimiste, soulignant que le quasi-effondrement de l’économie sud-soudanaise avait sérieusement compromis les intérêts commerciaux que le Kenya et l’Ouganda - deux États membres de l’IGAD - et d’autres voisins avaient dans le pays.

Les pourparlers précédents, organisés à Arusha (Tanzanie) le 21 janvier - le plus récent d’une longue liste de sous-accords ratifiés ces derniers mois, dont la plupart ont été bafoués - avaient récolté le même genre de critiques.

L’Institut Sudd, un groupe de réflexion basé à Juba, a souligné la « rupture apparente » entre l’opposition politique ayant ratifié l’accord et « les dirigeants militaires de sa branche armée ».

Les derniers pourparlers d’Addis-Abeba ont également contribué à renforcer la crainte que la volonté de sécuriser un accord de paix durable et de conserver l’engagement de Kiir et de Machar ne retarde davantage la publication du rapport de la commission d’enquête de l’Union africaine sur le Soudan du Sud.

Le rapport devait être présenté aux chefs d’État lors d’une réunion du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) le 29 janvier. Mais, selon les déclarations du directeur de recherche pour la Société du droit du Sud-Soudan (South Sudan Law Society, SSLS), David Deng, le président de l’IGAD - le Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn - a obtenu de différer la publication jusqu’à ce qu’un accord de paix soit conclu, de manière à ne pas compromettre le travail de l’IGAD.

La « décision de ne pas publier le rapport du CPS sème le doute quant aux perspectives de justice et de reddition de compte au Soudan du Sud. Elle soulève également la question de savoir si l’Union africaine et l’IGAD sont réellement attachées à mettre un terme à l’impunité dont elles s’accordent à dire qu’elle est l’un des moteurs de la violence dans le pays », a écrit M. Deng sur le site Africain Arguments.

« Différer le rapport du CPS risque en effet d’encourager les auteurs de violations massives des droits de l’homme, qui ont déjà le sentiment d’être intouchables et de pouvoir agir en toute impunité », a-t-il averti.

« L’année dernière a été marquée par une série d’accords de cessez-le-feu, qui ont tous été violés dans les jours ou les heures suivant leur ratification. Vingt pour cent de la population a été déplacée, un nombre incalculable de personnes ont été tuées et les relations entre communautés n’ont jamais été aussi mauvaises », a-t-il écrit.

« Les belligérants continuent de rechercher la victoire militaire à tout prix et les civils sont les premières victimes du conflit. Dans la mesure où il est parfois nécessaire de différer la justice pour commencer par consolider la paix, le processus de paix piloté par l’IGAD n’affiche pas suffisamment de progrès pour justifier ce sacrifice », a-t-il conclu.