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Tanzanie : « Ubinadamu na mshikamano » (1)

D 2 juillet 2010     H 12:56     A Paul Martial     C 0 messages


La naturalisation en Tanzanie de plus 160.000 personnes :
voilà un fait qui est passé quasiment inaperçu dans la
presse occidentale. Il est vrai qu’il ne s’agissait ni de tueries,
ni de massacres, mais d’une
bonne nouvelle venant de
l’Afrique et, qui plus est,
dérangeante pour les
dirigeants des pays riches.
D’autant que l’ampleur et la
manière dont elle s’est
effectuée en fait une
première mondiale. En effet,
précédé par un débat qui a
débouché sur un large
consensus de la classe
politique reflétant le
sentiment de la population,
cet octroi de la nationalité a
impliqué largement les
principales autorités locales.

Cette naturalisation massive concerne les réfugié-e-s qui ont
fuit leur pays en 1972, le Burundi, où sévissait des conflits
ethniques sanglants entre les Hutu et les Tutsi. La Tanzanie de
l’époque était dirigée par Julius Nyerere, un ancien enseignant
(d’où le sobriquet de mwalimu qui signifie « instituteur » et est
couramment utilisé pour le nommer). Dirigeant du Tanganyika
African National Union (TANU), panafricaniste convaincu, il est
considéré comme le père de l’indépendance du pays. Il a tenté
de construire un « socialisme » tenant compte des réalités
africaines et du poids de l’agriculture dans l’économie du pays.
C’est ainsi que le concept d’ujamaa a été développé dans la
déclaration d’Arusha, document fondateur et programmatique.
Les ujamaas sont des entités à partir des communautés de village
où devait s’organiser l’activité économique et s’exercer le pouvoir.
Souvent, lorsqu’on parle de « socialisme tanzanien », on évoque
le socialisme des villages.

De nombreux reproches peuvent être adressés à Nyerere,
notamment en matière de liberté et de démocratie. Ainsi les
populations ont été victimes d’actes bureaucratiques du fait de la
conception stalinienne du parti unique, partagé tant par le
modèle soviétique que chinois, dont il s’est largement inspiré
dans la réalité, en dépit des réflexions particulièrement
intéressantes sur la nécessité de l’implication et de la
participation des populations à la construction du socialisme (2).
Mais en parallèle à ces critiques, il faut reconnaître qu’il fut un
soutien sans faille pour les combattant-e-s anticolonialistes des
pays africains encore sous la tutelle du Portugal, un soutien
également pour les combattant-e-s anti-apartheid de l’Afrique
australe. Ses convictions panafricanistes et anticolonialistes se
sont concrétisées dans les actes, fait plutôt remarquable, alors
que nous sommes tellement habitué-e-s au double langage de la
part des dirigeant-e-s des pays africains qui, d’un coté, dans des
discours lénifiants, prônent l’indépendance et l’unité du continent
et, de l’autre, livrent leurs pays au pillage des multinationales
occidentales. Le cas le plus flagrant en est donné par le colonel
Kadhafi qui se targue de vouloir réunifier l’Afrique et dont les
migrants africains sont aussi mal traités par l’administration en
Lybie qu’en Europe.

La Tanzanie était une terre d’accueil pour les réfugié-e-s
africain-e-s et, ainsi, les 160 000 réfugié-e-s dont, fait significatif,
le nom officiel était de « résident-e-s invité-e-s », se sont vu-e-s
offrir un lopin de terre qui leur a permis de développer une
activité économique, d’être autosuffisant-e-s et ainsi de s’intégrer
dans le pays sans aucune difficulté. Ce ne fut plus le cas pour la
seconde vague de réfugié-e-s burundais-e-s des années 90 où
ces dernier-e-s, comme dans la plupart des cas, ont été parquée-
s dans des camps, survivant seulement grâce à l’aide
internationale.

Cette naturalisation est une belle démonstration que la
solidarité panafricaniste n’est pas qu’une utopie et qu’elle peut
être réelle et partagée par les peuples, à condition évidemment
que les dirigeant-e-s des pays ne mènent pas des politiques
ethnicistes et xénophobes pour rester au pouvoir et que les
conditions économiques permettent à chacun de vivre. A l’heure
où en France les Sarkozy et les Bessons se refusent à régulariser
les Sans-papiers, procèdent à des expulsions indignes et tentent
de développer un climat xénophobe et ethniciste autour de
l’identité nationale, la leçon d’humanité et de solidarité de la
Tanzanie et de sa population est salutaire.

Paul Martial


(1) « Humanité et solidarité » en swahili
(2) Notamment dans un de ces ouvrages « the varied paths to socialism »
(les différentes voies vers le socialisme)